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Date : 20050324

Dossier : T-2139-03

Référence : 2005 CF 417

ENTRE :

                                                          BRIAN BRAYBROOK

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                  SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                                      LE COMMISSAIRE DE LA

                                          GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                                               GENDARME SYLVESTER KELLY,

                                         GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

                   GENDARME JACKLIN, GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

               POLICIERS UN À DIX DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                Par la présente action, le demandeur, qui n'est pas représenté, réclame une indemnité pour les blessures qui lui ont été infligées et notamment pour les complications qui ont mené à l'amputation de sa jambe gauche lors d'un accident au cours duquel il a perdu la maîtrise d'un véhicule volé de la GRC, a percuté un poteau d'électricité et a été frappé par un autre véhicule de la GRC.

[2]                L'examen des présentes requêtes en radiation de la déclaration accuse un retard considérable. Ce retard s'explique en partie par diverses directives qui étaient censées donner au demandeur, M. Braybrook, l'occasion d'organiser et de fournir une preuve de la signification de ses documents en réponse, qu'il avait produits sous forme de requête visant à répondre aux requêtes. Parmi ces documents, il y a lieu de mentionner une demande d'autorisation de modifier sa requête [traduction] «    pour articuler de façon concise et appropriée les moyens qu'il entend faire valoir contre Sa Majesté la Reine » . Bien qu'aucune preuve de signification n'ait encore été produite et qu'il se peut que les documents de M. Braybrook s'avèrent par ailleurs insatisfaisants, j'ai décidé, pour des raisons de commodité, de statuer sur le fond des deux requêtes en radiation de la déclaration présentées par les divers défendeurs et d'examiner les documents soumis en réponse par le demandeur, y compris la demande générale de modification, que je vais examiner en fonction de la question de savoir si cette modification ou toute autre modification donnerait ouverture au moindre droit d'action.


[3]                Les policiers défendeurs visés et Sa Majesté du chef du Canada réussissent donc dans leurs tentatives de faire radier l'action. Aucune modification à la présente déclaration ne pourrait aider le demandeur à obtenir gain de cause contre ces personnes et il ne sera donc pas autorisé à modifier son acte de procédure. Quant à l'autre défendeur, le commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada, il semble que personne n'occupe pour lui ou n'ait formulé d'observations pour son compte : abstraction faite de la question de savoir s'il existe une cause d'action valable contre le commissaire, il demeure un défendeur. Je vais maintenant examiner ces questions de plus près, en commençant par les situer dans leur contexte.

Contexte

[4]                Pour bien situer les faits dans leur contexte et pour statuer sur le grief que le demandeur adresse aux défendeurs, en l'occurrence de ne pas avoir produit d'affidavits, je vais rappeler certains principes de droit bien connus, sans toutefois citer expressément de jurisprudence. Tout d'abord, saisi d'une demande de radiation de déclaration, je dois tenir pour avérés les faits articulés dans la déclaration, avant de vérifier si celle-ci renferme une cause d'action valable au sens de l'alinéa 221(1)a). Deuxièmement, suivant le paragraphe 364(2), il n'est pas nécessaire que le dossier de requête du requérant renferme un affidavit. Troisièmement, le critère applicable en matière de radiation est celui de savoir s'il est manifeste, évident et indubitable que l'action est vouée à l'échec. Finalement, une action ne peut être radiée, sans autorisation de modification, si la modification serait susceptible de donner ouverture au moindre droit d'action.


[5]                À la lecture de la déclaration et des éléments portés à ma connaissance, je constate que le demandeur semble être assez franc dans les affirmations qu'il fait dans la déclaration déposée le 14 novembre 2003. Le demandeur a été arrêté le 7 novembre 2001 pour vol de moins de 5 000 $ et a été placé par le défendeur, l'agent Jaclin, sur la banquette arrière d'un véhicule de la GRC. Le demandeur n'était pas menotté, la cloison qui séparait l'avant de l'arrière du véhicule était ouverte et l'agent Jacklin a temporairement quitté le véhicule, alors que le moteur tournait, pour s'entretenir avec d'autres agents. Le demandeur, faisant preuve de plus d'initiative que les trois autres individus qui se trouvaient sur la banquette arrière, a franchi la cloison pour se retrouver sur la banquette avant et pour prendre la fuite au volant du véhicule. À ce moment-là, un des policiers qui se trouvaient sur les lieux a tiré plusieurs coups de feu en direction de la portière derrière laquelle le demandeur prenait place, mais la portière a stoppé les balles.

[6]                D'autres agents de la GRC se sont alors lancés à la poursuite du demandeur et environ trois rues plus loin, le demandeur a perdu la maîtrise du véhicule, qui s'est immobilisé contre un poteau d'électricité.

[7]                Le demandeur a tenté de sortir du véhicule de la GRC, mais le défendeur, l'agent Kelly, qui le pourchassait, a percuté la portière du côté du conducteur du véhicule immobilisé de la police, coinçant la jambe gauche du demandeur dans l'encadrement de la portière.

[8]                Tenant pour avérée la déclaration, aux fins de la présente requête, je constate qu'un technicien paramédical s'est présenté sur les lieux. Il a demandé aux policiers de déplacer leur véhicule pour pouvoir dégager le demandeur et s'occuper de ses blessures apparemment graves, d'autant plus que le demandeur saignait. Les policiers ont finalement déplacé le véhicule et ont traîné le demandeur sur une certaine distance dans la poussière, sans lui procurer d'aide médicale.

[9]                Le demandeur a été placé à l'arrière d'un véhicule de marque Suburban où il a réussi tant bien que mal à appliquer de la pression sur sa jambe gauche écrasée pour arrêter l'hémorragie.

[10]            À l'hôpital régional de Penticton, les médecins ont amputé la jambe gauche du demandeur à partir de la cheville, mais en raison de graves infections, qui auraient été attribuables à la contamination causée par la poussière et par le fait que le demandeur n'avait pas été traité sans délai sur les lieux de l'accident, les médecins ont dû exécuter une série de sept autres amputations, de sorte que le demandeur s'est retrouvé avec seulement un moignon sur sa jambe gauche. Dans ses conclusions, le demandeur conclut que les amputations sont attribuables au fait qu'on a tardé à le soigner et à la poussière qui s'est infiltrée dans ses plaies ouvertes alors qu'on le traînait après l'avoir tiré du véhicule.

[11]            Le demandeur, qui avait passé les vingt années de sa vie à Penticton, précise dans la déclaration que les agents de la GRC en cause le connaissaient bien et qu'ils savaient qu'il n'était pas dangereux et que ses seuls antécédents étaient des menus larcins, en l'occurrence des vols d'alcool dans des magasins et des bars. La déclaration précise que la GRC savait que le demandeur avait tendance à s'enfuir et qu'on a pourtant omis de l'immobiliser lorsqu'on l'a placé à l'arrière du véhicule de police. Le demandeur explique également dans la déclaration que la GRC savait qu'il n'était ni armé ni dangereux, de sorte que le recours vigoureux à la force lorsqu'ils ont tiré des coups de feu en direction du véhicule en fuite et les mesures prises pour le maîtriser étaient inutiles et excessives dans les circonstances.


[12]            Le demandeur souffre en conséquence de diverses incapacités permanentes. Il réclame un million de dollars en dommages-intérêts pour préjudice moral et cinq millions de dollars pour la perte de sa jambe, incapacité permanente et troubles émotifs. Je vais maintenant examiner les requêtes en radiation, en commençant par la requête du caporal Cyril Kelly et de l'agent Terry Jacklin.

ANALYSE

Droit d'action contre les agents de la GRC présents sur les lieux de l'incident

[13]            Aux termes de la Police Act, R.S.B.C. 1996, ch. C-367, les municipalités comptant plus de 5 000 habitants doivent veiller au maintien de l'ordre sur leur territoire. Les villes plus populeuses, comme par exemple Vancouver, peuvent avoir leur propre service de police. Dans d'autres cas, une collectivité peut juger plus logique de confier par contrat à la GRC le maintien de l'ordre et l'application de la loi, comme le prévoit expressément l'article 14 de la Police Act. J'accepte et je prends connaissance d'office du fait qu'en réalité, dans de nombreuses collectivités de Colombie-Britannique, c'est la GRC qui s'occupe du maintien de l'ordre par contrat et que la ville de Penticton (Colombie-Britannique) entre dans cette catégorie. En fait, la situation actuelle tombe sous le coup d'une entente conclue entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi sur la GRC et du paragraphe 14(1) de la Police Act. Le paragraphe 20(1) de la Loi sur la GRC prévoit ce qui suit :


Arrangements avec les provinces - Avec l'agrément du gouverneur en conseil, le ministre peut conclure, avec le gouvernement d'une province, des arrangements pour l'utilisation de la Gendarmerie, ou d'un élément de celle-ci, en vue de l'administration de la justice dans la province et de la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur.

Arrangements with provinces - The Minister may, with the approval of the Governor in Council, enter into an arrangement with the government of any province for the use or employment of the Force, or any portion thereof, in aiding the administration of justice in the province and in carrying into effect the laws in force therein.

La Police Act dispose, à son paragraphe 14(1) :

[traduction] Sous réserve de l'approbation du lieutenant gouverneur en conseil, le ministre peut, pour le compte du gouvernement, conclure, signer et exécuter des ententes avec le Canada ou avec un ministère, un organisme ou une personne agissant en son nom, en vue d'autoriser la Gendarmerie Royale du Canada à exécuter les fonctions et les attributions du service policier provincial précisé dans l'entente.

Cet article confère à la province de la Colombie-Britannique le pouvoir de signer avec le gouvernement fédéral des contrats prévoyant que la GRC fournit ses services pour exécuter les fonctions dont un service de police provincial s'acquitterait autrement.

[14]            L'alinéa 14(2)b) de la Police Act prévoit que les membres de la GRC qui exécutent les fonctions d'un policier provincial sont effectivement assimilés à des policiers provinciaux :

[traduction] Si une entente est conclue conformément au paragraphe (1) :

[...]

chaque membre de la Gendarmerie Royale du Canada est, sous réserve de l'entente, réputé être un policier provincial [...]

[15]            Le fait pour un membre de la GRC d'être assimilé à un policier provincial lui permet de bénéficier de la protection de l'article 21 de la Police Act. Les paragraphes 21(1) et 21(2) de la Police Act disposent :

[traduction]

21 (1) La définition suivante s'applique au présent article. « Agent de police » Personne titulaire d'une charge de policier en vertu de la présente loi.

(2) Sont irrecevables les actions ou autres instances en dommages-intérêts introduites contre un agent de police ou contre toute autre personne désignée en vertu de la présente loi pour un acte accompli de bonne foi dans l'exercice effectif ou censé tel d'une fonction ou pour une négligence ou un manquement qui aurait été commis dans l'exercice de bonne foi de cette fonction.


À titre d'exemple, je cite l'affaire Hill c. Hurst, (2001) 203 D.L.R. (4th) 749, aux pages 765 et suivantes, dans laquelle un membre de la GRC qui avait fait preuve de négligence dans la conduite d'un véhicule avait malgré tout bénéficié de la protection du paragraphe 21(2) de la Police Act. Voir aussi, comme autres exemples de l'application de l'article 21 à des agents de la GRC, l'arrêt Hodgkin c. Port Alberni (City), (1996) 23 B.C.L.R. (3d) 234 (C.A.C.-B.), aux pages 241 et suivantes (décision du juge Hollinrake, avec l'appui du juge Prowse), ainsi que le jugement non publié rendu le 24 juillet 2001 par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Blackburn c. British Columbia, 2001 BCSC 1076, au paragraphe 21. Je tiens à signaler ici qu'il est toujours possible de poursuivre la municipalité, le district régional ou encore le ministre de la province de la Colombie-Britannique chargé de l'application de la Police Act en vertu du paragraphe 21(4) de la Police Act, mais qu'aucune action ne peut être exercée devant la Cour fédérale. Je tiens également à mentionner le paragraphe 21(3), qui ne protège pas l'agent de police en cas de négligence grave ou d'inconduite intentionnelle ou malveillante. Cependant, comme je vais le signaler en temps utile, la Cour fédérale n'a pas compétence pour juger les agents de la GRC agissant à titre de policiers provinciaux en l'espèce.

[16]            M. Braybrook n'est pas sans recours, bien que je tienne à signaler que l'accident est survenu le 7 novembre 2001 et que, bien que l'action ait été introduite tout juste avant l'expiration du délai de prescription de deux ans, le délai prévu par la Limitation Act de la Colombie-Britannique vient d'expirer il y a moins d'une semaine. Il s'ensuit que, même si elle a été présentée dans les délais prescrits, la présente requête en radiation n'a pas été introduite avant l'expiration du délai de prescription de deux ans. D'ailleurs, l'avocat des agents de la GRC invoque effectivement la Police Act à l'appui de la proposition qu'aux termes des alinéas 21(4)c) et 11(1)a), le ministre chargé de l'application de la Police Act doit répondre, au nom du gouvernement de la Colombie-Britannique, de la négligence des policiers. Il s'agit toutefois d'une question qui devrait le cas échéant être portée devant les tribunaux de la province de la Colombie-Britannique.


[17]            J'ai également examiné l'hypothèse où le demandeur souhaiterait poursuivre les agents de la GRC Kelly et Jacklin devant la Cour fédérale pour négligence grave, ce dont il les accuse effectivement et ce qui peut les rendre irrecevables à revendiquer la protection du paragraphe 21(2) de la Police Act. La Cour fédérale n'a toutefois pas compétence pour juger quelque réclamation que ce soit contre les agents en question. Le raisonnement qui s'applique ici est que, suivant l'arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, (1986) 28 D.L.R. (4th) 641 (C.S.C.) à la page 650, trois conditions doivent être réunies pour que la Cour fédérale puisse avoir compétence. Premièrement, il doit y avoir attribution de compétence par une loi fédérale, ce qui ne pose pas de problème en l'espèce. Deuxièmement, et c'est là que réside la difficulté dans le cas qui nous occupe :

Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

Ce qui rend la réclamation du demandeur irrecevable devant la Cour fédérale, c'est le fait qu'il s'agit, à juste titre, d'une action en négligence. On m'a cité à cet égard le jugement Arsenault c. Canada, (1995) 131 D.L.R. (4th) 105 (C.F. 1re inst.) dans lequel le juge Wetston était saisi d'une action, qui était essentiellement une action en négligence pour faute professionnelle médicale et qui concernait trois médecins travaillant pour les Forces armées canadiennes. Le litige portait sur la question de savoir s'il existait un ensemble de règles de droit fédérales qui était essentiel à la solution du litige. Le juge Wetston a souligné que la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, qui comporte effectivement un ensemble de règles de droit fédérales en ce qui concerne les actions intentées contre la Couronne fédérale, n'allait pas jusqu'à accorder un droit d'action contre les préposés de la Couronne fédérale : pour que la responsabilité personnelle des préposés de l'État soit engagée, il faut qu'elle le soit en vertu des règles de droit de la province où le délit a été commis :


L'alinéa 3a) de la Loi sur la responsabilitécivile de l'État et le contentieux administratif confère à la Cour fédérale du Canada la compétence pour statuer sur les poursuites intentées contre la Couronne même si la Cour ne peut connaître des actions introduites contre les préposés de la Couronne à l'égard desquels la responsabilité pour le fait d'autrui de la Couronne est engagée. Le droit fédéral n'accorde aucun droit de recours contre un préposé de la Couronne sur le fondement du délit civil de négligence. En conséquence, la Cour fédérale ne peut connaître d'une telle demande : Succession Stephen c. M.R.N., (1982),40 N.R. 620 (C.A.F.); Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646 (C.F. 1re inst.); Tomossy c. Hammond, [1979] 2 C.F. 232(C.F. 1re inst.)) En l'espèce, le recours exercé contre les personnes physiques défenderesses trouve son fondement dans les lois et la common law de l'Ontario - la province où les délits auraient été commis. Notre Cour n'a donc pas compétence pour entendre ces demandes.

                                                                                          [page 110 du jugement Arsenault]

[18]       Voici, pour résumer tout ce qui précède, les principes applicables à la négligence : les agents de la GRC sont protégés contre toute responsabilité personnelle en vertu de l'alinéa 14(2)b) et du paragraphe 21(2) de la Police Act. Dans l'hypothèse où les agents de la GRC perdraient la protection de la Police Act en raison de l'exception relative à la négligence grave contenue à l'alinéa 21(3)a), ils ne seraient pas pour autant justiciables de la Cour fédérale : il faudrait les poursuivre devant les tribunaux de la province de la Colombie-Britannique. Il est manifeste, évident et indubitable que les deux agents ne peuvent être poursuivis devant la Cour fédérale.

[19]       Aucune modification ne serait utile en ce qui concerne toute action dirigée contre les deux agents. J'ai tenu compte de ce qui m'a semblé être une suggestion formulée par M. Braybrook dans ses actes de procédure, en l'occurrence qu'il pourrait modifier ses conclusions pour invoquer des droits garantis par la Charte. Toutefois, la réponse à cette question, du moins en ce qui concerne les deux agents de la GRC, se trouve dans l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, (1986) 33 D.L.R. (4th) 174, à la page 198, où le juge McIntyre signale que la Charte s'applique lorsqu'un acte du gouvernement est en cause mais que :

[...] lorsque « A » , une partie privée, actionne « B » , une partie privée, en s'appuyant sur la common law et qu'aucun acte du gouvernement n'est invoqué à l'appui de la poursuite, la Charte ne s'appliquera pas.


En l'espèce, pour ce qui est de cet aspect de la présente action, nous avons affaire à une situation distincte dans laquelle M. Braybrook, un simple particulier, poursuit deux personnes physiques. Même si ces personnes font partie de la GRC, il n'y a pas d'acte du gouvernement en cause et la Charte ne s'applique donc pas. Dans ces conditions, l'action est radiée en ce qui concerne le caporal Kelly et l'agent Jacklin, sans permission de la modifier.

Droit d'action contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada

[20]       Les personnes directement en cause dans l'accident et dans le présumé défaut d'assurer des soins médicaux en temps utile étaient, selon la déclaration et en corrigeant les noms qui ont été fournis, le caporal Cyril Kelly et l'agent Terry Jacklin, bien que la déclaration accuse aussi de négligence des agents de la GRC dont l'identité n'a pas été précisée.

[21]       Le demandeur n'invoque pas, dans sa déclaration, la responsabilité du fait d'autrui de Sa Mjesté la Reine du chef du Canada, pour les actes commis par les agents de la GRC. La Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux admistratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, modifiée, prévoit toutefois, à son alinéa 3a), qu'en matière de responsabilité civile, l'État est assimilé à une personne pour tout dommage causé par la faute de ses préposés. Il s'agit d'une responsabilité du fait d'autrui d'origine purement législative.

En matière de responsabilité, l'État est assimilé à une personne pour :

a) [...]

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés, [...]


L'idée suivant laquelle la responsabilité de Sa Majesté est d'origine purement législative revient fréquemment dans la jurisprudence, notamment dans le jugement White c. Canada, (1998) 152 F.T.R. 39, à la page 47. Dans ce jugement, le juge Richard (maintenant juge à la Cour d'appel) souligne que la responsabilité civile de l'État dépend de la responsabilité du préposé, ainsi que le prévoit l'article 10 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif :

L'article 10 de la même loi prévoit que la responsabilité civile de l'État ne serait engagée que si le préposé concernépouvait être lui-même tenu pour responsable [Mahoney c. Canada (1986), 38 C.C.L.T. 21; 4 F.T.R. 259 (C.F. 1re inst.)] L'article 10 est ainsi libellé :

10 No proceedings lie against the Crown by virtue of paragraph 3(a) in respect of any act or omission of a servant of the Crown unless the act or omission would apart from the provisions of this Act have given rise to a cause of action in tort against that servant or the servant's personal representative.

                                                                               

10 L'État ne peut être poursuivi, sur le fondement de l'alinéa 3a), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu'il y a lieu en l'occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité civile délictuelle contre leur auteur ou ses représentants.

C'est au demandeur qu'il incombe de prouver qu'un préposé de l'État a fait preuve de négligence et peut être personnellement tenu aux dommages-intérêts réclamés [Meridith c. The Queen, [1955] R.C. de l'Éch. 156]

                                                                                    [White c. Canada, aux pages 47 et 48]


La Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement du juge Richard à (1999) 252 N.R. 388 quant au rejet sommaire de l'affaire White c. Canada. Cette affaire présente également un intérêt particulier dans le cas qui nous occupe, du fait que l'action rejetée était une action en dommages-intérêts pour détention illégale imposée par des préposés de la Couronne. Cette situation est parallèle à la présente, où M. Braybrook évoque la possibilité de modifier ses prétentions pour invoquer l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982), c'est-à-dire, si j'ai bien compris, pour affirmer qu'on a porté atteinte à son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.

[22]       Comme je l'ai déjà signalé, il existait une entente sur les services policiers qui avait été conclue entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique sous le régime de la Loi sur la GRC et de la Police Act de la Colombie-Britannique. De plus, les deux agents de la GRC défendeurs nommément désignés étaient à l'époque des faits assimilés à des agents de la police provinciale et, aux termes de l'article 21 de la Police Act, les actions intentées contre ces deux agents sont irrecevables.


[23]       La déclaration produite en l'espèce ne révèle pas l'existence d'une cause d'action valable contre la Couronne devant notre Cour, car aucune réclamation fondée sur la négligence n'est recevable contre les deux agents de police, ni d'ailleurs contre tout autre membre de la GRC dont l'identité n'est pas précisée. Je me réfère ici une fois de plus à l'arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. (précité) pour rappeler que les prétentions formulées contre le caporal Kelly et l'agent Jacklin tiennent de la responsabilité délictuelle et que, comme il a été souligné dans le jugement Arsenault (précité), la Cour fédérale ne peut connaître d'une action en négligence intentée contre un préposé de l'État. En l'espèce, l'action aurait dû être introduite devant un tribunal de la province de la Colombie-Britannique.

[24]       Finalement, comme la principale prétention visant les agents de la GRC a été radiée, il n'y a aucun droit d'action contre l'État, qui ne peut être poursuivi qu'au titre de sa responsabilité du fait d'autrui. Je ne vois pas comment une modification pourrait aider M. Braybrook. La réclamation formulée contre la Couronne fédérale est donc radiée, sans permission de la modifier.

DISPOSITIF

[25]       On peut jusqu'à un certain point éprouver de la sympathie pour M. Braybrook : si l'on se place de son point de vue, il était prévisible qu'il tente de s'échapper, comme il semble qu'il l'avait déjà fait par le passé, et c'est ce à quoi la GRC aurait dû s'attendre. Il est toutefois trop tard pour déterminer jusqu'où la GRC doit aller pour protéger quelqu'un contre un geste impulsif décidé sur un coup de tête. La tournure imprévue de cet incident et les blessures que M. Braybrook a subies sont à déplorer. M. Braybrook a bien eu, du moins à un moment donné, une mince possibilité d'obtenir réparation pour négligence grave devant les tribunaux de la Colombie-Britannique. En ce qui nous concerne, l'action qu'il a introduite devant la Cour fédérale est radiée pour ce qui est de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, du caporal Kelly et de l'agent Jacklin.


[26]       Ainsi que je l'ai déjà signalé, personne n'occupe pour le commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada, qui a été constitué codéfendeur. Bien qu'il ne fasse l'objet d'aucune allégation dans la déclaration, il n'y a pas lieu de se prononcer sur son sort à moins que, dans le cadre d'une requête en radiation ou en prorogation du délai imparti pour produire une défense, un représentant du ministère de la Justice ne formule des observations en son nom (il n'y en a aucune dans les requêtes et observations actuelles).

« John A. Hargrave »

    Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2139-03

INTITULÉ :               Brian Braybrook c. SMR et al.

                                                     

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                               LE 24 MARS 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Brian Braybrook

POUR LE DEMANDEUR

Vladena Hola

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS


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