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                                                                                                                                  Date: 20010406

                                                                                                                            Dossier: T-1841-99

OTTAWA (Ontario), le vendredi 6 avril 2001

EN PRÉSENCE DU JUGE MacKAY

ENTRE:

                                           BLUE LIGNE CAR LEASING LIMITED

                                                           et ARIS MASTRAPAS

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                          - et -

                                                  JANET SHRIEVES, directrice de

                                                   l'Aéroport international d'Halifax

                                                                                                                                        défenderesse

ATTENDU que les demandeurs sollicitent :

1.           une ordonnance déclarant invalide et annulant l'exigence énoncée aux Taxi Licencing Requirements promulguées par la défenderesse en vertu du pouvoir de promulguer des règlements pour répondre « à la commodité et aux besoins du public » , laquelle exigence impose à tous les propriétaires de taxis ainsi qu'aux chauffeurs de passer un examen de connaissances pour obtenir un permis autorisant la prise de passagers à l'Aéroport international d'Halifax;

2.              une ordonnance enjoignant à la défenderesse de réexaminer de bonne foi la demande de permis présentée par la demanderesse Blue Ligne Car Leasing Limited sans tenir compte de l'exigence relative à l'examen;

3.              l'adjudication de dépens calculés sur la base procureur-client.

LA COUR,

APRÈS avoir entendu les avocats des parties à Halifax, le 12 juillet 2000, pris l'affaire en délibéré et examiné les questions soulevées,


ET APRÈS avoir tiré les conclusions suivantes :

1.          s'agissant de l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au Ministre ou à son délégué, la directrice de l'Aéroport international d'Halifax, par le règlement applicable, la décision d'obliger les propriétaires de taxis à passer un examen de connaissances pour obtenir un permis autorisant la prise de passagers à l'Aéroport n'est pas manifestement déraisonnable ;

2.          la mise en oeuvre de cette décision, laquelle impose aux propriétaires de taxis l'obligation de passer le même examen que les propriétaires-chauffeurs et les chauffeurs pour obtenir un permis autorisant la prise de passagers à l'Aéroport n'est pas manifestement déraisonnable, pas plus qu'elle ne constitue, dans les circonstances, un manquement à l'équité procédurale, une limitation de l'exercice du pouvoir discrétionnaire ou de la discrimination illégale à l'endroit des demandeurs,

REND L'ORDONNANCE SUIVANTE :

                                                                ORDONNANCE

1.          La demande de contrôle judiciaire et la demande visant l'obtention d'une ordonnance annulant la décision de la défenderesse ainsi que d'une ordonnance de mandamus est rejetée.

2.          La défenderesse a droit aux dépens entre parties établis sur entente entre les parties ou, à défaut d'entente, taxés conformément à la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

         W. Andrew MacKay          

Juge

Traduction certifiée conforme

                                    

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                                                                                                                  Date: 20010406

                                                                                                                            Dossier: T-1841-99

                                                                                                    Référence neutre: 2001 CFPI 296

ENTRE:

                                           BLUE LIGNE CAR LEASING LIMITED

                                                           et ARIS MASTRAPAS

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                          - et -

                                                  JANET SHRIEVES, directrice de

                                                   l'Aéroport international d'Halifax

                                                                                                                                        défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]         Blue Ligne Car Leasing Ltd. (Blue Ligne) et son principal actionnaire, M. Aris Mastrapas, demandent le contrôle judiciaire et l'annulation, sous le régime de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, de la décision de Janet Shrieves, directrice de l'Aéroport international d'Halifax, d'inclure dans les Airport Licencing Requirements l'obligation, pour les propriétaires de taxis (comme pour les chauffeurs), de subir un examen de connaissances pour obtenir un permis autorisant la prise de passagers à l'Aéroport. Les demandeurs souhaitent également obtenir une ordonnance de mandamus.


1. Les faits

[2]         Blue Ligne est une société par actions à responsabilité limitée qui possède un parc de cinquante-sept taxis qu'elle exploite dans la Municipalité régionale d'Halifax (MRH) en vertu de permis délivrés par la MRH. Blue Ligne loue des voitures et des compteurs à des chauffeurs titulaires de permis qui travaillent à titre indépendant ou avec des sociétés locales de répartition. Blue Ligne continue à assumer l'entretien des véhicules qu'elle donne à bail, dans son propre atelier. Elle ne fournit pas de services de taxi à la population; elle ne fait pas non plus de répartition, n'emploie pas de chauffeurs et ne fournit pas de radios.

[3]         M. Aris Mastrapas est président et seul actionnaire de Blue Ligne. Il est né en Grèce en 1945, et il a immigré au Canada en 1968. Il n'a pas beaucoup d'instruction et il parle et écrit l'anglais avec difficulté. Il continue d'être titulaire d'un permis de chauffeur de taxi bien qu'il n'ait pas conduit de taxi depuis douze ans.


[4]         En 1999, Blue Ligne a demandé, par l'intermédiaire de M. Mastrapas, neuf permis de desserte d'aéroport afin que ses voitures puissent prendre des passagers à l'Aéroport international d'Halifax. Aux termes d'exigences imposées en 1999, il faut, pour exploiter à cet aéroport une voiture-taxi qui n'est pas la propriété de son chauffeur, détenir deux permis distincts en plus du permis de taxi et du permis de chauffeur de taxi délivré par la MRH, c'est-à-dire le permis de desserte d'aéroport délivré par les autorités de l'Aéroport aux propriétaires ou aux propriétaires/chauffeurs et le certificat de desserte d'aéroport, délivré aussi par les autorités aéroportuaires aux chauffeurs de taxi. Par conséquent, l'exploitation d'un taxi à l'Aéroport international d'Halifax nécessite un permis de l'Aéroport à la fois pour le chauffeur et pour le propriétaire du taxi.

[5]         Les services de taxi, comme les autres entreprises commerciales exploitées dans des aéroports administrés par le ministre des Transports (ce qui était la situation de l'Aéroport d'Halifax au moment où les demandeurs ont sollicité les permis), sont régis par le Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement (le Règlement) et par les politiques administratives adoptées par le directeur de l'aéroport. Mme Janet Shrieves, la défenderesse, est la directrice de l'Aéroport international d'Halifax et, en sa qualité de cadre supérieur du Ministère des Transports en poste à cet aéroport, il lui incombait de superviser l'application du Règlement.

[6]         Dans le cas des aéroports non désignés en vertu du Règlement, au nombre desquels figure l'Aéroport international d'Halifax, c'est le paragraphe 7(1) du Règlement et les conditions établies par le directeur de l'aéroport pour la délivrance de permis qui s'appliquent aux services de taxi.


[7]         Il existe à Halifax un comité [Airport Taxi Committee] (le Comité), composé de plusieurs titulaires de permis de taxi, qui assiste les autorités du ministère des Transports à régler les problèmes relatifs à la délivrance de permis. En 1991, ce comité a dit craindre qu'il n'existe un trop grand nombre de permis de desserte d'aéroport, et la direction de l'Aéroport a réagi en décrétant un moratoire sur la délivrance de nouveaux permis, de 1991 à 1994. À la levée du moratoire, en 1994, elle a ajouté une nouvelle condition à la délivrance de permis aux propriétaires-chauffeurs ou aux chauffeurs : un examen de connaissances. Seuls des propriétaires-chauffeurs ou des chauffeurs ont obtenu des permis pour la période quinquennale 1994-1999, car aucun propriétaire non-chauffeur n'a fait de demande.

[8]         Le Comité, lorsqu'il a examiné les mesures à appliquer après 1999, a craint que des propriétaires titulaires de permis puissent s'absenter de la région d'Halifax (les propriétaires absents) tout en continuant à louer leurs véhicules à des chauffeurs détenteurs de permis. Il a recommandé de régler ce problème en assujettissant les propriétaires comme les chauffeurs à l'exigence de l'examen de connaissances. Les autorités du ministère des Transports à l'Aéroport ont finalement accepté, au nom de la directrice, la recommandation énonçant que les chauffeurs et les propriétaires de taxi qui n'avaient pas été titulaires de permis pour la précédente période de cinq ans devraient, à compter de 1999, subir un examen de connaissances pour obtenir un permis.

[9]         Au mois d'août 1999, des annonces publiées dans des journaux locaux invitaient les personnes souhaitant offrir des services de taxi à communiquer avec le préposé des Services de transport au sol et de stationnement de l'Aéroport. Celui-ci donnait alors instruction aux candidats de se procurer une trousse documentaire au sujet de la procédure d'obtention de permis. M. Mastrapas a répondu à l'annonce de la façon prévue, par téléphone, et une date a été fixée pour son examen de connaissances.


[10]       Aux fins de l'horaire des examens, M. Mastrapas avait été classé comme propriétaire-chauffeur sur la foi des réponses qu'il avaient données au cours de la conversation téléphonique, même si la demande était faite au nom de Blue Ligne et visait neuf permis de desserte d'aéroport. Rétrospectivement à tout le moins, il est clair qu'il présentait sa demande en qualité de propriétaire. Il ressort du dossier que toute erreur ayant alors pu être commise quant à l'intention du demandeur ne porte pas à conséquence puisque les propriétaires et les propriétaires-chauffeurs devaient, tout comme les chauffeurs, subir le même examen.

[11]       M. Mastrapas a passé l'examen le 8 septembre 1999, mais n'a obtenu que 72 % et a échoué. Il a été autorisé à passer de nouveau l'examen le 13 septembre suivant, mais il a encore échoué, avec un résultat de 74 %, la note de passage étant 80 %.

[12]       Il ressort de l'affidavit que M. Wayne Black, préposé des Services de transport au sol et de stationnement à l'Aéroport international d'Halifax, a souscrit le 22 novembre 1999, que l'examen était divisé en deux parties, dont l'une portait sur les connaissances géographiques associées à l'exploitation d'un taxi et sur certaines connaissances historiques et l'autre, sur des marches à suivre, propres à l'aéroport ou plus générales. Les questions de la deuxième partie relatives aux marches à suivre propres à l'aéroport provenaient de la documentation écrite fournie préalablement à tous les intéressés. M. Black a aussi déclaré que le demandeur avait commis des erreurs dans les deux parties de l'examen, ajoutant que beaucoup de candidats et de titulaires de permis n'avaient pas l'anglais comme langue maternelle.


[13]       M. Mastrapas ayant échoué à l'examen, la demande de permis de Blue Ligne ne pouvait plus aller de l'avant et, comme la possibilité de soumettre une demande de permis en septembre 1999 était la seule offerte pour les cinq prochaines années, Blue Ligne ne peut envisager être autorisée à desservir l'aéroport d'Halifax avant 2004, à moins de changement à la situation en matière de permis. Les chauffeurs qui louent des voitures à la demanderesse ne peuvent prendre des passagers à l'aéroport avec ces voitures, même s'ils possèdent un certificat de desserte d'aéroport.

[14]       Le 21 septembre 1999, l'avocat des demandeurs a demandé que Blue Ligne soit dispensée de l'examen parce qu'elle était une personne morale ou qu'un autre représentant de Blue Ligne soit autorisé à passer l'examen pour le compte de la société. Il a été informé, par une lettre datée du 5 octobre 1999, que le ministère des Transports se refusait à examiner cette question car il était d'avis que le pouvoir discrétionnaire du directeur d'aéroport comprenait le pouvoir d'imposer un examen.


[15]       La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 2 octobre 1999. Voici les conclusions recherchées par les demandeurs : l'annulation de l'obligation, pour les propriétaires, de subir un examen de connaissances car elle découle de l'exercice déraisonnable d'un pouvoir discrétionnaire; un jugement déclaratoire portant que la défenderesse a manqué à son obligation de traiter équitablement le demandeur et qu'elle a commis un acte discriminatoire à son endroit en ne respectant pas le principe de l'application égale de la loi; une ordonnance de mandamus enjoignant à la défenderesse de reprendre l'examen de la demande de façon non discriminatoire.

[16]       Les conditions d'obtention de permis de taxi pour desservir l'Aéroport international d'Halifax ont été établies sous le régime du paragraphe 7(1) du Règlement, lequel est ainsi conçu :


7(1) Sous réserve de l'article 8 [qui ne s'appliquait pas à l'Aéroport international d'Halifax], quiconque exploite une entreprise commerciale à un aéroport doit être titulaire d'un permis ou avoir conclu un bail, un contrat de licence ou autre contrat avec le ministre à l'égard de l'exploitation de l'entreprise à l'aéroport.

7(1) Subject to section 8, [which was not applicable in the case of Halifax International Airport] a person who conducts any business or commercial undertaking at an airport must have a permit to do so or have entered into a lease, licence agreement or other contract with the Minister in respect of the operation of that business or undertaking.


[17]       La directrice de l'Aéroport a en outre préparé deux documents administratifs au sujet des licences ou permis autorisant la prise de passagers par les taxis desservant l'aéroport. Le premier, daté de septembre 1999, s'intitulait Taxi Licencing Requirements, Halifax International Airport. Il énonçait notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les propriétaires et les chauffeurs de taxi qui n'étaient pas autorisés par permis à desservir l'Aéroport pendant la précédente période quinquennale doivent passer et réussir un examen de connaissances ... Il faudra présenter un permis valide de la MRH pour être admis à l'examen ...

Les exigences prévoyaient également le paiement de frais distincts (probablement des droits de permis) par les propriétaires, les propriétaires-chauffeurs et les chauffeurs.


[18]       Le second document préparé par la directrice de l'Aéroport s'appliquait à compter du 1er octobre 1999 pour une période de cinq ans. Il s'intitulait Conditions of Airport Taxi Licence et prévoyait notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le permis de desserte d'aéroport et/ou le certificat de chauffeur sont délivrés à la discrétion de la directrice générale de l'aéroport en fonction des besoins et de la commodité du public. La directrice prend dûment en considération, à cet égard, toute contravention antérieure aux présentes conditions ou aux dispositions du Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement.

La directrice générale de l'aéroport se réserve le droit de modifier les conditions du permis de desserte d'aéroport ou les modalités de délivrance de permis ou d'en ajouter.

Propriétaires de taxi :

Personne physique ou morale possédant en propre un véhicule à l'égard duquel un permis de propriétaire de taxi a été délivré par la Municipalité régionale d'Halifax (M.R.H.).

Le document énonce ensuite des normes d'exploitation, dont des exigences concernant les véhicules utilisés pour desservir l'aéroport, des exigences applicables à tous les titulaires de permis, notamment en matière d'assurance, et des exigences visant à assurer le respect des marches à suivre et des directives applicables aux chauffeurs desservant l'aéroport.

Les questions en litige

[19]       La principale question à trancher est celle de la norme d'examen qu'il convient d'appliquer, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, à une décision obligeant le propriétaire d'un taxi à passer un examen de connaissances. La Cour se penchera ensuite sur la question accessoire relative à la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé en l'espèce pour mettre en oeuvre l'exigence relative à l'examen de connaissances et examinera notamment les affirmations des demandeurs selon lesquelles le pouvoir a été exercé de façon inéquitable et discriminatoire.


[20]       Les deux parties ont confondu quelque peu ces questions dans leur argumentation orale et écrite. Les demandeurs mettent en doute le bien-fondé de la décision d'obliger les propriétaires à subir un examen de connaissances. À mon sens, il s'agit de la question principale soulevée en l'espèce. D'autres aspects de l'argumentation portent sur la décision d'obliger les propriétaires à passer le même examen que les chauffeurs et sur la décision de refuser un permis à une personne morale lorsque la personne physique la représentant n'a pas réussi l'examen.

Analyse

[21]       Les limites du pouvoir discrétionnaire d'un décideur sont déterminées par l'énoncé des objets de la loi habilitante. Le pouvoir discrétionnaire conféré doit être exercé de bonne foi, en accord avec les objets de la loi. Dans l'arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S., à la p. 140, le juge Rand s'est exprimé ainsi :

[TRADUCTION]

Dans une réglementation publique de cette nature, il n'y a rien de tel qu'une « discrétion » absolue et sans entraves, c'est-à-dire celle où l'administrateur pourrait agir pour n'importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l'exprime expressément, s'interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n'importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi. La fraude et la corruption au sein de la commission ne sont peut-être pas mentionnées dans des lois de ce genre, mais ce sont des exceptions que l'on doit toujours sous-entendre. La « discrétion » implique nécessairement la bonne foi dans l'exercice d'un devoir public. Une loi doit toujours s'entendre comme s'appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption. Pourrait-on refuser un permis à celui qui le demande sous le prétexte qu'il est né dans une autre province, ou à cause de la couleur de ses cheveux? On ne peut fausser ainsi la forme courante d'expression de la législature.


[22]       La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a examiné l'objet du règlement applicable en l'espèce dans l'arrêt R. c. Grenkow (1990), 98 N.S.R. (2d), à la p. 316. Voici notamment ce qu'elle en a dit :

[TRADUCTION]

Le but poursuivi par le Règlement est, ainsi que l'énonce son titre : « le contrôle des exploitations commerciales et autres aux aéroports du gouvernement » . Il est raisonnable de vouloir assujettir les entreprises commerciales exploitées dans les aéroports à certaines formes de contrôle afin d'assurer la circulation ordonnée des piétons et des véhicules, car s'il n'était pas possible, dans des installations aéroportuaires, d'entrer et sortir rapidement, il y aurait atteinte à la raison d'être de l'aéroport. C'est particulièrement vrai dans le cas des véhicules.

La Cour suprême du Canada a reconnu le pouvoir du gouvernement fédéral de réglementer la circulation et les activités commerciales dans les aéroports, dans l'arrêt Desrosiers c. Thinel, [1962] R.C.S. 515 ...

Le Règlement, suivant l'article 3, s'applique à tous les aéroports placés sous la direction ou le contrôle du Ministre, ce qui inclut l'aéroport d'Halifax, lequel, pour paraphraser le Règlement, appartient à Sa Majesté du chef du Canada ou est occupé par elle. Aux termes du paragraphe 4(1), le Ministre peut désigner tout aéroport comme aéroport où il faut un permis pour exploiter un véhicule commercial, tel le taxi du défendeur. Comme je l'ai signalé, il ressort du dossier que certains aéroports ont été désignés comme aéroports où l'exploitation d'un taxi nécessite un permis, mais non celui d'Halifax. Il s'ensuit que les dispositions subséquentes du Règlement, qui mentionnent expressément l'exploitation des taxis en vertu de permis et la régissent, encadrant notamment l'annulation des permis, ne sont pas applicables à l'Aéroport d'Halifax, car il n'est pas un aéroport désigné.

Toutefois, l'article 7 s'applique à toute entreprise commerciale exploitée dans un aéroport. L'Aéroport d'Halifax est donc visé. Cette disposition prévoit notamment ce qui suit :

7. ..., à moins d'une autorisation écrite du Ministre, nul ne peut

a) se livrer à une activité ou à une entreprise, commerciale ou autre, à un aéroport; ...

Cette disposition a pour effet d'interdire à quiconque d'exploiter une entreprise commerciale dans un aéroport (Halifax), à moins que le Ministre ne l'ait autorisée par écrit. Nul ne peut contester que l'exploitation d'un taxi à l'Aéroport d'Halifax constitue une entreprise commerciale. Pour l'exploiter, il faut donc une autorisation écrite du Ministre. Le fait que l'Aéroport d'Halifax n'était pas un aéroport désigné à l'époque visée par le présent appel ne le soustrait pas à l'application générale de l'article 7. ...


[23]       Bien que le libellé de l'actuel paragraphe 7(1) diffère de celui de l'article 7 examiné dans l'arrêt Grenkow, le but de la disposition, tel qu'il est défini dans cette décision, demeure applicable. L'assujettissement des chauffeurs de taxi desservant l'Aéroport international d'Halifax à des mesures de contrôle visant à faciliter la circulation ordonnée des piétons et des véhicules et l'établissement de normes minimales quant aux véhicules et quant au niveau de professionnalisme des chauffeurs en relation avec le public constituent des objectifs raisonnables dans le cadre du Règlement.

[24]       L'un des buts de l'examen de connaissances pour les propriétaires de taxis, selon le comité consultatif sur les services de taxi à l'Aéroport, était d'éviter que des propriétaires absents soient titulaires de permis. La preuve ne me convainc pas que c'est principalement pour cette raison que la défenderesse a imposé l'examen de connaissances aux propriétaires, même si Wayne Black, lequel avait souscrit un affidavit au nom de la défenderesse, a reconnu au cours de son interrogatoire que les autorités aéroportuaires avaient accepté la recommandation de l'examen des connaissances. M. Black déclare notamment dans cet affidavit :

[TRADUCTION]

11.            La procédure de délivrance de permis s'applique à tous ceux qui sont propriétaire de taxis et qui exploitent une voiture (propriétaires-exploitants), aux chauffeurs qui louent une voiture d'un propriétaire ou la conduisent pour le compte de celui-ci (exploitants) et aux propriétaires de taxis (propriétaires). Les membres des trois catégories doivent passer et réussir un examen de connaissances.

12.            La majorité des requérants appartiennent à la catégorie des propriétaires-exploitants ou à celle des exploitants. Toutefois, environ quatre propriétaires sont actuellement titulaires d'un permis de desserte d'aéroport.


13.            Transports Canada estime que les propriétaires doivent détenir un permis parce qu'ils supervisent les exploitants qui louent ou conduisent leurs véhicules et qu'ils doivent donc bien comprendre les marches à suivre à l'Aéroport.

14.            Le propriétaire, comme il a la propriété du véhicule et est titulaire du permis de taxi, assume la responsabilité de l'entretien et du contrôle du taxi.

15.            Sous le régime de la partie IV des Modalités, diverses contraventions entraînent l'attribution de points d'inaptitude, dont l'omission de réparer une voiture après avoir reçu un premier avertissement, le défaut d'être validement assuré, le refus de cartes de crédit. En obligeant les propriétaires de taxis à obtenir un permis, on s'assure qu'ils continuent à répondre de l'état de leur voiture.

16.            Ce sont les inspecteurs du transport au sol (ITS) qui veillent à faire appliquer les Modalités, lesquelles visent à procurer des services de taxi efficaces aux voyageurs et à maintenir l'ordre et la sécurité à l'Aéroport.

17.            L'omission de donner suite aux directives d'un ITS peut entraîner l'attribution de points d'inaptitude et, en bout de ligne, la suspension ou l'annulation du permis de desserte d'aéroport et du certificat de chauffeur. Ces sanctions peuvent donc avoir des incidences, non seulement pour l'exploitant d'un taxi mais également pour son propriétaire.

[25]       Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 de la Cour suprême du Canada, la juge L'Heureux-Dubé, rendant jugement pour la Cour, s'est exprimée ainsi :

Le droit administratif a traditionnellement abordé le contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires séparément de décisions sur l'interprétation de règles de droit. Le principe est qu'on ne peut exercer un contrôle judiciaire sur les décisions discrétionnaires que pour des motifs limités, comme la mauvaise foi des décideurs, l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect, et l'utilisation de considérations non pertinentes: voir, par exemple, Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pp. 7 et 8; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231. Un principe général relatif au « caractère déraisonnable » a parfois été appliqué aussi à des décisions discrétionnaires: Associated Provincial Picture Houses, Ltd. c. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 223 (C.A.). À mon avis, ces principes englobent deux idées centrales -- qu'une décision discrétionnaire, comme toute autre décision administrative, doit respecter les limites de la compétence conférée par la loi, mais que les tribunaux devront exercer une grande retenue à l'égard des décideurs lorsqu'ils contrôlent ce pouvoir discrétionnaire et déterminent l'étendue de la compétence du décideur. Ces principes reconnaissent que lorsque le législateur confère par voie législative des choix étendus aux organismes administratifs, son intention est d'indiquer que les tribunaux ne devraient pas intervenir à la légère dans de telles décisions, et devraient accorder une marge considérable de respect aux décideurs lorsqu'ils révisent la façon dont les décideurs ont exercé leur discrétion. ...


...

La démarche « pragmatique et fonctionnelle » reconnaît qu'il y a une large gamme de normes de contrôle judiciaire des erreurs de droit, certaines décisions exigeant plus de retenue, et d'autres moins: Pezim, précité, aux pp. 589 et 590; Southam, précité, au par. 30; Pushpanathan, précité, au par. 27. Trois normes de contrôle ont été définies: la décision manifestement déraisonnable, la décision raisonnable simpliciter et la décision correcte: Southam, précité, aux par. 54 à 56. Je suis d'avis que la norme de contrôle des éléments de fond d'une décision discrétionnaire est mieux envisagée dans ce cadre, compte tenu particulièrement de la difficulté de faire des classifications rigides entre les décisions discrétionnaires et les décisions non discrétionnaires. ...

[26]       Selon moi, le pouvoir discrétionnaire dévolu au ministre ou à son délégué, en l'occurrence la directrice de l'Aéroport, en matière d'exigences applicables à la délivrance de permis sous le régime du paragraphe 7(1) du Règlement, n'est limité que par les objets et buts du Règlement et les principes généraux du droit administratif conformes à la Charte.

[27]       Relativement à la principale question en cause, la norme de contrôle applicable à la décision de la directrice à l'effet d'exiger un examen de connaissances est celle de la décision manifestement déraisonnable. C'est la norme que l'avocat de la défenderesse a invité la Cour à appliquer et que l'avocat des demandeurs était disposé à accepter. Je ne suis pas convaincu que cette décision de la directrice visait des fins incorrectes ou a été prise en tenant compte de considérations non pertinentes. Elle n'est pas manifestement déraisonnable et ne justifie pas l'intervention de la Cour.


[28]       Je passe maintenant aux questions accessoires. Les demandeurs avancent que l'exigence imposée aux propriétaires de subir le même examen que les chauffeurs ou les propriétaires-chauffeurs de taxis desservant l'Aéroport était manifestement déraisonnable parce que rien ne permet rationnellement de conclure qu'un propriétaire doit posséder les mêmes connaissances qu'un chauffeur, lequel détient un permis distinct et sert directement le public. Ils soutiennent en outre que cette exigence ne contribue d'aucune façon à l'atteinte des objectifs consistant à obliger les propriétaires à mieux s'acquitter de leurs responsabilités ou à empêcher l'attribution de permis à des propriétaires absents. J'ai déjà indiqué que je me refusais à considérer que cette dernière fin était l'objet principal des mesures prises. Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de la conclusion selon laquelle, du fait qu'en bout de ligne des sanctions et des points d'inaptitude sont imposés aux propriétaires ne satisfaisant pas aux normes d'exploitation ou dont les chauffeurs ne s'y conforment pas et reçoivent des points d'inaptitude, l'exigence de l'examen ne repose sur aucune raison logique. À tout le moins, la volonté que les propriétaires comme les chauffeurs connaissent les normes d'exploitation de services de taxi à l'Aéroport constitue un fondement. On ne saurait affirmer qu'il n'y avait aucune raison d'exiger un examen de connaissances, et il ne convient pas d'évaluer le caractère raisonnable de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du seul point de vue d'une catégorie de demandeurs de permis, savoir les propriétaires qui ne conduisent pas leurs taxis.

[29]       À mon sens, lorsqu'un directeur d'aéroport exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction des services qui, à sa connaissance, sont nécessaires pour assurer la rapidité d'accès à l'aéroport, sa décision ne devrait être annulée en application du critère du caractère raisonnable que si elle est jugée manifestement déraisonnable. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas en l'espèce.


[30]       Les demandeurs soutiennent que la directrice de l'Aéroport a manqué d'équité dans l'examen de la demande de permis car elle a limité son pouvoir discrétionnaire en appliquant aveuglément une règle ou une ligne directrice qui l'a empêchée d'examiner le fond de cette demande particulière. Ils affirment que la défenderesse n'a pas cherché à évaluer comme il le fallait une demande émanant d'une personne morale ni à déterminer comment il convenait d'appliquer l'exigence de l'examen de connaissances dans un tel cas si cette exigence était nécessaire. Ils ajoutent qu'en exigeant que les personnes morales demandant un permis chargent un représentant de passer l'examen, la défenderesse a limité l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[31]       Il s'agit, à mon avis, d'un argument ex post facto, avancé après les deux échecs que le demandeur, M. Mastrapas, a subis à l'examen de connaissances en dépit de l'assistance qui lui a été fournie, lors du deuxième examen, pour l'aider à comprendre les questions posées. Au moment où il a passé les examens, le demandeur n'a pas indiqué qu'il considérait le processus inéquitable. La décision n'est pas manifestement déraisonnable simplement parce que M. Mastrapas, le représentant de la société demanderesse qui s'est soumis à l'examen, a éprouvé des difficultés à le passer. On ne m'a pas convaincu que l'exigence qu'un représentant d'une société ayant demandé un permis passe l'examen de connaissances, posée comme condition d'admissibilité à un permis pour tous ceux qui n'avaient pas déjà obtenu le permis de desserte d'aéroport, peut être considérée comme une limitation du pouvoir discrétionnaire qui justifierait l'intervention de la Cour.


[32]       Il est vrai qu'après ses échecs, le demandeur a demandé d'être dispensé de l'examen des connaissances ou, à défaut, qu'un autre représentant de Blue Ligne subisse l'examen, mais que sa demande a été refusée. Ce refus, toutefois, n'est pas en cause, bien que l'avocat de la défenderesse ait fait remarquer, dans son argumentation, que les demandeurs avaient eu l'occasion de contester l'exigence de l'examen dans leur cas.

[33]       Je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont établi que le processus était injuste ou discriminatoire parce que l'exigence de l'examen désavantageait M. Mastrapas en raison de sa méconnaissance de l'anglais, de son peu d'instruction, de son faible degré de maîtrise de la lecture et de l'écriture, de son pays d'origine ou de son manque d'expérience récente comme chauffeur de taxi. Un système d'examen conçu pour s'adapter aux capacités personnelles de chaque requérant pourrait difficilement prétendre établir, à l'égard des propriétaires, des propriétaires-chauffeurs et des chauffeurs de taxis, un niveau minimal de connaissances sur les sujets jugés importants pour déterminer s'ils peuvent être autorisés à servir le public à l'Aéroport.

[34]       Selon moi, rien ne permet en l'espèce de considérer que l'exigence de l'examen constitue de la discrimination fondée sur un motif illicite ou sur un motif interdit par la Charte.


Conclusions

[35]       Je ne suis pas convaincu que la décision d'obliger les propriétaires de taxis désireux de desservir l'Aéroport international d'Halifax à passer un examen de connaissances était manifestement déraisonnable.

[36]       Il n'était pas non plus manifestement déraisonnable, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu des fins légitimes pour lesquelles les exigences administratives étaient imposées, d'obliger les propriétaires à passer le même examen de connaissances que les propriétaires-chauffeurs et les chauffeurs. L'application de cette exigence, en l'espèce, à la demande de permis présentée au nom de la personne morale demanderesse, ne soulève pas de questions d'équité procédurale, de limitation du pouvoir discrétionnaire ou de discrimination à l'endroit du demandeur, M. Mastrapas, qui justifient l'intervention de la Cour.

[37]       Vu ces conclusions, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[38]       Il serait toutefois surprenant qu'après analyse du dossier de demande de Blue Ligne, la directrice de l'Aéroport n'examine pas de nouveau la façon de procéder pour évaluer les demandes de permis émanant de personnes morales. Le principal sujet de préoccupation des demandeurs, à mon avis, porte sur la nature des examens passés par M. Mastrapas, lesquels semblent convenir davantage aux propriétaires-chauffeurs et aux chauffeurs qu'aux propriétaires. Il est loisible à la directrice de réexaminer les modalités actuelles dans le cadre des conditions imposées, c'est-à-dire avant 2004, si je comprends bien le pouvoir qu'elle s'est ménagé sous leur régime.

[39]       La défenderesse a demandé des dépens, et elle y a droit. La Cour adjuge les dépens sur la base habituelle des frais entre parties et, si les avocats ne parviennent pas à s'entendre sur leur montant, ils seront taxés conformément à la colonne III du tarif B prévu aux Règles de la Cour.

                                                                                                                            W. Andrew MacKay

                                                                                                                                                   JUGE

OTTAWA (Ontario)

6 avril 2001

Traduction certifiée conforme

                                    

Ghislaine Poitras, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           T-1841-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Blue Ligne Car Leasing Limited et Aris Mastrapas c. Janet Shrieves

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 12 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE MacKAY EN DATE DU 6 AVRIL 2001

ONT COMPARU :

M. Eric Slone                                                    pour les demandeurs

M. Martin Ward                                                pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Slone, Munro                                                   pour les demandeurs

Halifax (Nouvelle-Écosse)

M. Morris Rosenberg                                        pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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