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Date : 20211208


Dossier : IMM-6937-19

Référence : 2021 CF 1381

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

MOHAMED JAMIL JEMMO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [la décision] d’un agent des visas [l’agent des visas] de l’ambassade canadienne d’Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis [l’ambassade]. L’agent des visas a rejeté la demande d’asile du demandeur au titre des paragraphes 11(1) et 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] essentiellement parce qu’il avait des réserves du fait que la demande était similaire à une autre demande de visa reçue par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC].

II. Historique des procédures

[2] L’ordonnance accordant l’autorisation de demander un contrôle judiciaire exigeait que le défendeur produise un dossier certifié du tribunal [DCT]. Celui-ci s’est conformé à cette exigence, mais a caviardé unilatéralement son DCT. Le caviardage n’avait pas été approuvé par la Cour. Durant l’audience relative au contrôle judiciaire, il a été mentionné qu’aucune ordonnance n’autorisait le dépôt d’un document caviardé, et que le défendeur n’avait pas sollicité auprès de la Cour l’autorisation de déposer, sous pli scellé ou autrement, une copie caviardée du DCT. Le défendeur a soutenu que le caviardage avait été effectué en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P-21.

[3] Après avoir entendu les arguments sur le fond, la Cour s’est demandé si elle devait procéder au contrôle judiciaire en se fondant sur un DCT caviardé unilatéralement. Après avoir examiné les observations détaillées et réfléchies des deux parties, j’ai conclu qu’il ne serait pas approprié d’aller de l’avant en m’appuyant sur un DCT caviardé unilatéralement : voir la section Ordonnance et motifs de la décision Jemmo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 965. Essentiellement, l’obligation du ministre de déposer un DCT en vertu de l’article 17 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [les Règles d’immigration] ne permet pas les caviardages effectués unilatéralement et, si une partie demande que des renseignements soient caviardés, une requête doit être déposée en application de l’article 151 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, de l’article 87 de la LIPR, de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC, 1985, c C-5 ou de toute autre disposition pertinente.

[4] Je suis demeuré saisi de l’affaire et, pour qu’elle soit tranchée de manière appropriée, j’ai ordonné que le demandeur soit autorisé à solliciter une ordonnance autorisant le caviardage. J’ai précisé également que lorsque j’aurai statué sur une telle requête, je statuerai sur la présente demande de contrôle judiciaire.

[5] Le ministre a déposé une requête au titre de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 afin de permettre le dépôt sous pli scellé d’un document caviardé. Le 26 novembre 2021, j’ai accueilli la requête et rendu, avec le consentement des parties, une ordonnance de confidentialité qui limitait l’accès au contenu sous pli scellé à la Cour et aux avocats des parties (à condition qu’ils s’engagent à ne pas divulguer d’information). J’ai aussi alloué du temps supplémentaire aux parties pour qu’elles puissent faire part de leurs observations écrites sur le dossier maintenant non caviardé. Aucune des parties n’a fait d’autres observations.

[6] Je vais maintenant juger le bien-fondé de la demande.

III. Faits

[7] Le demandeur est un citoyen de la Syrie et il habite en Arabie saoudite. En 2016, il a fait une demande de réinstallation au Canada à titre de réfugié parrainé par le secteur privé. Un consultant en immigration certifié [le consultant] s’est occupé de déposer les documents exigés.

[8] L’agent des visas de l’IRCC [le premier agent] a traité la demande à Riyad, en Arabie saoudite et a fait subir une entrevue au demandeur le 1er décembre 2016. Le premier agent a accueilli sa demande d’asile, sous réserve de l’enquête de sécurité.

[9] Toutefois, les notes du Système mondial de gestion des cas (le SMGC) montrent qu’au début de 2017, une enquête s’est amorcée sur la demande de M. Jemmo et sur une demande similaire. Il y est précisé ce qui suit : [traduction] « NE PAS DIVULGUER ».

[10] Le demandeur a subi une deuxième entrevue le 9 octobre 2017 menée par un autre agent [le deuxième agent] et ce dernier lui a posé des questions sur le consultant auquel il avait fait appel. Il lui a notamment demandé quelle aide ce consultant lui avait apportée et de quelle manière il avait été payé. Durant l’entretien, le demandeur a été informé que certaines parties de sa demande, notamment les photos illustrant le traitement qu’il avait subi en Syrie, étaient [traduction] « identiques » au contenu d’une autre demande non liée. Le demandeur a dit que c’était impossible puisqu’il avait raconté sa propre histoire. Le deuxième agent l’a alors informé des doutes qu’avait l’IRCC quant à la crédibilité de son récit et lui a précisément dit qu’il était impossible que deux demandeurs différents produisent exactement le même rapport contenant les mêmes images. Il lui a demandé si des amis avaient également présenté une demande d’asile au Canada, et le demandeur a répondu que non. Le deuxième agent a dit que l’IRCC examinerait son dossier et rendrait une décision définitive. Selon les notes du SMGC, le demandeur a raconté de nouveau son histoire et il a affirmé catégoriquement qu’il disait la vérité. Le demandeur a aussi indiqué au deuxième agent que lorsqu’il avait rédigé le rapport, il avait utilisé des photos provenant de Google et les avait envoyées à son consultant pour qu’il les ajoute à son dossier.

[11] À ce sujet, le deuxième agent précise ce qui suit dans les notes du SMGC :

[traduction]
J’ai demandé au demandeur pourquoi son Annexe 2 – Réfugiés hors Canada les photos étaient identiques à celles d’une autre demande que nous avions reçue. Le demandeur a répondu qu’il ne voyait pas comment c’était possible puisqu’il avait raconté son histoire. Il l’avait écrite en arabe, puis envoyée à son consultant. Il a affirmé être en possession d’une copie du courriel qu’il avait envoyé (l’Annexe 2 rédigée en arabe) et qu’il me la transférerait. J’ai expliqué au demandeur que j’avais des doutes quant à la crédibilité de son récit et qu’il était impossible que deux demandeurs différents produisent exactement le même rapport contenant les mêmes images. Le demandeur a répondu ce qui suit : « Tout ce que je peux dire, c’est que c’est mon histoire. » Je lui ai demandé si des amis à lui avaient demandé l’asile au Canada et il a répondu que non. Je lui ai expliqué que nous allions examiner son dossier et qu’une décision définitive serait rendue à l’issue de cet examen. Le demandeur a indiqué que le récit présenté racontait bel et bien son histoire et il a affirmé catégoriquement qu’il disait la vérité. Il a également affirmé que lorsqu’il avait rédigé le rapport, il avait utilisé des images libres de droits dans Google et qu’il les avait envoyées à son consultant pour qu’il les ajoute à son dossier.

[12] Le jour suivant, le demandeur a envoyé directement au deuxième agent un courriel qui, selon lui, contenait la version originale en arabe de son récit.

[13] Le 28 septembre 2018, la Section des visas de l’ambassade a envoyé au demandeur une lettre d’équité procédurale au sujet de la demande qui ressemblait à la sienne :

[traduction]
J’ai maintenant terminé l’évaluation de votre demande et je conclus que vous ne respectez peut-être pas les exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Selon le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, « [l]’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis ».

Quant au paragraphe 70 (1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, il précise que « [l]’agent délivre un visa de résident permanent à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis : [...]

e) ni lui ni les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont interdits de territoire. »

Vous avez joint à votre demande l’Annexe 2 – Réfugiés hors Canada dans laquelle vous décrivez les événements qui vous poussent à quitter la Syrie. Vous avez mentionné avoir rempli l’Annexe dans votre langue maternelle, à savoir l’arabe, et que vous aviez transmis ce document à votre représentant, qui l’a reproduit en anglais. Comme nous vous l’avons mentionné lors de votre deuxième entretien avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada à Riyad le 9 octobre 2019, le document ressemble beaucoup à une Annexe 2 jointe à une autre demande. Je ne suis donc pas convaincu que votre récit des événements soit juste et véridique et je m’interroge donc sur la crédibilité de ce récit. De plus, compte tenu de votre histoire personnelle et des pays où vous avez habité, notamment la Syrie, le Yémen et l’Arabie saoudite, je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdit de territoire au Canada.

Aux termes du paragraphe 11(1) de la LIPR, « [l]’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi ».

Vous disposez de 30 jours à compter de la date de la présente lettre pour fournir des renseignements supplémentaires qui dissiperont mes préoccupations. Si vous choisissez de ne fournir aucun renseignement supplémentaire, je rendrai ma décision en fonction de l’information dont je dispose et votre demande pourrait être rejetée.

[14] Le 25 octobre 2018, le consultant semble avoir répondu à la lettre d’équité procédurale au nom du demandeur. Or, il n’a pas abordé les préoccupations soulevées dans cette lettre. Il a plutôt demandé une copie de l’autre demande :

[traduction]
En réponse à votre lettre d’équité procédurale du 28 septembre 2018, veuillez nous remettre une copie du document qui « ressemble beaucoup à une Annexe 2 » de manière que le répondant puisse préparer sa réponse en sachant bien l’information dont vous disposez ou celle que vous avez examinée pour parvenir à votre décision. Nous demandons en outre d’avoir 30 jours à partir de la date à laquelle nous recevrons le document en question pour préparer notre réponse.

De plus, étant donné la préoccupation que vous avez soulevée quant à la façon dont notre bureau a agi dans cette affaire, l’obtention de ce document permettra au demandeur de vérifier s’il doit faire appel à un nouveau consultant.

Enfin, veuillez préciser en quoi les antécédents personnels du demandeur et les pays où il a vécu sont pertinents en ce qui concerne vos préoccupations quant à l’interdiction de territoire.

Une réponse rapide de votre part sera grandement appréciée.

[15] Le 15 avril 2019, le consultant a envoyé un autre courriel :

Nous vous transmettons le présent courriel pour vous rappeler respectueusement que notre bureau, qui représente le demandeur dont le numéro de dossier est G000124441, a déjà répondu, le 25 octobre 2018, à votre lettre d’équité procédurale datée du 28 septembre 2018. Depuis, la demande est demeurée en suspens et il n’y a eu aucune communication de votre part.

Cette inactivité a provoqué de la confusion et des problèmes d’ordre psychologique chez le demandeur, qui s’est trouvé dans le néant et dans une situation de vulnérabilité accrue.

Nous vous enjoignons respectueusement de répondre à notre demande de précision, afin que nous puissions mieux répondre à votre lettre d’équité procédurale et obtenir une décision à l’égard de la demande en l’espèce, dont le traitement a commencé le 23 octobre 2016.

[16] Dans le SMGC, il est indiqué qu’un agent a demandé à l’agent des visas d’examiner la prétendue réponse à la lettre d’équité procédurale. Je dis « prétendue » parce qu’aucun des deux courriels envoyés par le consultant du demandeur ne répond aux préoccupations de l’agent.

[17] Le consultant n’a reçu aucune réponse à la lettre ou au courriel qu’il a envoyés au nom du demandeur, sauf la décision.

[18] Bien que ni le demandeur ni son consultant n’aient contesté le fondement de la lettre d’équité procédurale, ils ont tous deux déposé des affidavits relatifs à la demande après qu’elle eut été rejetée. Nous reviendrons sur ces affidavits plus loin. Essentiellement, ces affidavits contiennent des renseignements qui auraient dû être communiqués lors de l’entrevue ou dans une réponse à lettre d’équité procédurale.

[19] Comme vous le verrez plus bas, le délai accordé pour déposer les renseignements dans ces affidavits est passé depuis longtemps; ils auraient dû être déposés avant que la décision soit rendue. Il aurait fallu répondre à la lettre d’équité procédurale aussi vite qu’il était raisonnablement possible de le faire après la réception de cette lettre.

IV. Décision faisant l’objet du contrôle

[20] Le 16 septembre 2019, l’agent des visas a rejeté la demande du demandeur :

[traduction]
J’ai terminé l’évaluation de votre demande de réinstallation à titre de réfugié et je conclus que vous ne répondez pas aux critères de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

Au paragraphe 11 (1) de la LIPR, il est précisé que « [l]’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi ».

En outre, aux termes du paragraphe 16 (1) de la LIPR, « [l]’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis ».

Vous avez été rencontré le 1er décembre 2016, puis une autre fois le 9 octobre 2017 par un agent d’immigration à l’ambassade canadienne à Riyad, en Arabie saoudite. Vous avez eu droit aux services d’un interprète qui maîtrise l’anglais et l’arabe. Vous n’avez fait aucune mention de quelconques difficultés à comprendre l’interprète. Nous vous avons par ailleurs rappelé votre obligation de répondre franchement à nos questions.

J’ai examiné la demande, les documents à l’appui, les notes relatives aux premier et deuxième interrogatoires, la lettre d’équité procédurale et la réponse à cette lettre. Je partage les mêmes réserves que l’agent de réexamen quant à la crédibilité de votre récit.

Vous avez joint à votre demande un document Word intitulé « Annexe 2 – Réfugiés hors Canada », qui décrit en détail les événements qui vous ont poussé à quitter la Syrie. Lors de la deuxième entrevue, le 5 octobre 2017, vous avez dit avoir écrit indépendamment le texte du document susmentionné dans votre langue maternelle, soit l’arabe, et que votre contact au Canada l’avait transmis à un consultant en immigration du nom de AL JARSHA, qui s’était chargé d’en produire une version anglaise. Comme nous vous l’avons signalé à l’occasion de cette deuxième entrevue, le document Word semble similaire à un autre document portant le même titre qui a été soumis dans le cadre d’une demande de réinstallation distincte.

À la suite d’un autre examen des deux documents Word, nous avons constaté que la progression narrative touchant à votre détention et aux mauvais traitements que vous ont fait subir les autorités syriennes était comparable dans les deux documents; certains passages et certaines images de torture étaient même identiques. Tout bien considéré, je trouve invraisemblable que des personnes différentes utilisent les mêmes images et le même style littéraire pour raconter leurs expériences respectives. Je ne tiens donc pas compte du document Word, car je doute qu’il constitue un récit crédible des événements. Après avoir examiné les autres documents de la demande et les notes d’entrevue, je ne suis pas convaincu d’avoir suffisamment de renseignements pour rendre une décision au sujet de votre admissibilité à une réinstallation au Canada à titre de réfugié.

[21] Je rejette par conséquent votre demande conformément aux paragraphes 11(1) et 16(1) de la LIPR, qui se lisent comme suit :

Visa et documents

Application before entering Canada

 

 

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[...]

[...]

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

V. Questions en litige

[22] La seule question en litige est de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

VI. Norme de contrôle

[23] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : au para 43 de Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [juge Binnie]. Cela dit, je tiens à souligner qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 [Bergeron], jugement rendu par le juge Stratas, la Cour d’appel fédérale soutient qu’il est sans doute nécessaire de procéder selon la norme de la décision correcte « en se montrant “respectueux [des] choix [du] décideur” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré : Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87 au paragraphe 42 ». Reportez-vous toutefois à l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [jugement rendu par le juge Rennie]. À cet égard, je souligne que la Cour d’appel fédérale a conclu dans un arrêt récent que le contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale est effectué selon la norme de la décision correcte (voir Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, motifs du juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc y ont souscrit] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte.

[24] Je comprends également, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[25] Au paragraphe 9 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce qui est attendu d’une cour qui procède à une révision selon la norme de la décision correcte :

[50] [...] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

VII. Analyse

[26] Le demandeur présente cinq situations dans lesquelles l’équité procédurale n’a pas été respectée :

  1. Des parties du DCT ont été caviardées conformément au paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LRC (1985), c P-21), et ni IRCC ni le défendeur n’ont demandé la permission de le faire.

  2. La Cour a exigé, en application de l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, que les motifs soient rédigés et que des parties des notes du SMGC soient caviardés.

  3. La décision de ne pas tenir compte de la décision du premier agent qui avait accepté la demande d’asile du demandeur en décembre 2016. Cet agent ne semble pas avoir autrement pris part au dossier.

  4. IRCC a envoyé au demandeur une lettre d’équité procédurale et l’a invité à y répondre, mais elle n’a elle-même pas répondu à sa demande de communication.

  5. Le demandeur a été interrogé par le premier agent, qui l’a trouvé crédible. Il a ensuite été interrogé par le deuxième qui, lui, a exprimé des réserves. Or, l’agent des visas a rendu sa décision même s’il n’avait pas lui-même interrogé le demandeur et a tiré ses propres conclusions concernant la crédibilité de son récit.

[27] Le traitement des questions A et B est expliqué dans la section « Historique des procédures » qui figure plus haut. Ces questions ne concernent pas la décision, mais plutôt les procédures de la Cour.

[28] Les principes juridiques en jeu dans une affaire comme la nôtre sont exposés dans la décision Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1115 [juge LeBlanc, tel était alors son titre] [Hamid] :

[15] Il est clair que le demandeur de visa doit être mis au courant des « éléments de preuve » et que l’information connue de l’agent des visas doit lui être révélée. Le défendeur prévoit cette exigence dans ses propres lignes directrices (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Guide opérationnel du traitement des demandes à l’étranger, OP-1 – Section 8, Équité procédurale, Ottawa, 15 mars 2016, p. 51 et 52). Cependant, il est bien établi également que l’acquittement par un agent des visas de son obligation d’équité doit être examiné au cas par cas. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30 [Mavi], la Cour suprême du Canada a récemment établi un certain nombre de facteurs qui permettent de déterminer en quoi consiste l’équité procédurale dans un contexte législatif et administratif donné. Elle précise toutefois qu’il « faut retenir que dans un cas donné, la nature de l’obligation dépendra des circonstances particulières de l’affaire » (Mavi, au paragraphe 42).

[16] La Cour a systématiquement maintenu que, pour que l’obligation de divulgation s’applique dans un contexte d’immigration, les éléments de preuve extrinsèques doivent être importants, en ce sens qu’ils doivent avoir une incidence sur l’issue de la décision. En d’autres termes, la question à trancher dans ces cas est celle « de savoir si des faits concrets, essentiels ou potentiellement cruciaux pour la décision ont été utilisés à l’appui d’une décision, sans que la partie visée ait eu la possibilité de répondre à ces faits ou de les commenter » (Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 20, au paragraphe 17); voir aussi Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205 (CAF); Majdalani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294, au paragraphe 37 [Majdalani].

[17] L’agent des visas n’a donc pas d’obligation absolue de divulguer des éléments de preuve extrinsèques. Tout dépend de l’importance de ces éléments de preuve dans son processus de prise de décision, l’objectif ultime étant d’assurer la participation significative du demandeur à ce processus (Majdalani, au paragraphe 58).

[29] Le demandeur soutient que l’agent des visas s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques et rendu sa décision en ayant omis de lui communiquer des éléments de preuve, malgré sa demande claire de communication de documents. Puisqu’il cite la décision Hamid, il apparaît que le demandeur affirme que des faits significatifs essentiels ou potentiellement cruciaux à la décision ont été utilisés sans qu’ils lui aient été d’abord communiqués, de sorte qu’il n’a pu répondre à ces faits ou les commenter.

[30] S’il a raison, alors la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Je dois toutefois, et avec égards, m’opposer à son affirmation.

A. L’agent des visas a-t-il communiqué au demandeur certains éléments de preuve comme il aurait dû le faire pour que celui-ci puisse les réfuter?

[31] Selon le DCT, un autre citoyen syrien a présenté une demande d’asile similaire; elle figure au dossier d’IRCC et donc dans le DCT en version caviardée (maintenant non caviardée). Le demandeur soutient qu’IRCC aurait dû lui remettre une copie caviardée de l’autre demande lorsqu’il en a fait la demande en 2018. Étant donné que l’autre Annexe 2 a depuis été communiquée, quoique dans une version caviardée (elle est maintenant non caviardée), le demandeur affirme qu’IRCC n’avait aucune raison de ne pas faire de même quand son consultant en a fait la demande.

[32] Le demandeur soutient qu’il incombait au défendeur, s’il souhaitait s’appuyer sur des éléments de preuve non divulgués, de tout de même lui communiquer une part suffisante de ces éléments pour qu’il ait pleinement la possibilité de prendre véritablement part à la procédure.

[33] Je suis généralement d’accord avec une telle affirmation fondée sur la décision Hamid. Mais, et je le dis en toute déférence, il faut faire une importante réserve, à savoir qu’il n’est pas nécessaire de fournir des documents sur lesquels le décideur s’est appuyé. En effet, il est bien établi qu’un résumé de la preuve documentaire peut être remis : AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 461 [juge Fothergill] aux para 8, 26-27, 30-32; Amiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 205 [juge Mactavish, tel était alors son titre] aux para 33-35.

[34] Peu importe que les documents ou un résumé de ceux-ci soient fournis, la loi demeure la même quant à l’information devant être communiquée. La question est plutôt celle de la qualité du résumé : comme il est précisé dans la décision Hamid, les éléments de preuve divulgués doivent être « des faits concrets, essentiels ou potentiellement cruciaux pour la décision [qui] ont été utilisés à l’appui d’une décision » (para 16).

[35] Le défendeur, pour sa part, fait valoir que le demandeur avait reçu une communication adéquate, pas une, mais deux fois, d’abord lors de la deuxième entrevue en 2017 quand le deuxième agent lui a signifié les motifs des inquiétudes d’IRCC au sujet de sa demande :

[traduction]
J’ai demandé au demandeur pourquoi son Annexe 2 – Réfugiés hors Canada et les photos étaient identiques à celles d’une autre demande que nous avions reçue. Le demandeur a répondu qu’il ne voyait pas comment c’était possible puisqu’il avait raconté son histoire. Il l’avait écrite en arabe, puis envoyée à son consultant. Il a affirmé être en possession d’une copie du courriel qu’il avait envoyé (l’Annexe 2 rédigée en arabe) et qu’il me la transférerait. J’ai expliqué au demandeur que j’avais des doutes quant à la crédibilité de son récit et qu’il était impossible que deux demandeurs différents produisent exactement le même rapport contenant les mêmes images. Le demandeur a répondu ce qui suit : [traduction] « Tout ce que je peux dire, c’est que c’est mon histoire. » Je lui ai demandé s’il avait des amis à lui avaient demandé l’asile au Canada et il a répondu que non. Je lui ai expliqué que nous allions examiner son dossier et qu’une décision définitive serait rendue à l’issue de cet examen. Le demandeur a indiqué que le récit présenté racontait bel et bien son histoire et il a affirmé catégoriquement qu’il disait la vérité. Il a également affirmé que lorsqu’il avait rédigé le rapport, il avait utilisé des images libres de droits dans Google et qu’il les avait envoyées à son consultant pour qu’il les ajoute à son dossier.

[36] Le deuxième document communiqué était la lettre d’équité procédurale datée du 28 septembre 2018, dont voici un extrait :

[traduction]
J’ai maintenant terminé l’évaluation de votre demande et je conclus que vous ne respectez peut-être pas les exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Selon le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, « [l]’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis ».

Quant au paragraphe 70 (1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, il précise que « [l]’agent délivre un visa de résident permanent à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis : [...]

e) ni lui ni les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont interdits de territoire. »

Vous avez joint à votre demande l’Annexe 2 – Réfugiés hors Canada dans laquelle vous décrivez les événements qui vous poussent à quitter la Syrie. Vous avez mentionné avoir rempli l’Annexe dans votre langue maternelle, à savoir l’arabe, et que vous aviez transmis ce document à votre représentant, qui l’a reproduit en anglais. Comme nous vous l’avons mentionné lors de votre deuxième entretien avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada à Riyad le 9 octobre 2019, le document ressemble beaucoup à une Annexe 2 jointe à une autre demande. Je ne suis donc pas convaincu que votre récit des événements soit juste et véridique et je m’interroge donc sur la crédibilité de ce récit. De plus, compte tenu de votre histoire personnelle et des pays où vous avez habité, notamment la Syrie, le Yémen et l’Arabie saoudite, je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdit de territoire au Canada.

Aux termes du paragraphe 11(1) de la LIPR, « [l]’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi ».

Vous disposez de 30 jours à compter de la date de la présente lettre pour fournir des renseignements supplémentaires qui dissiperont mes préoccupations. Si vous choisissez de ne fournir aucun renseignement supplémentaire, je rendrai ma décision en fonction de l’information dont je dispose et votre demande pourrait être rejetée.

[37] La décision à trancher est celle de savoir si le document communiqué était suffisant, autrement dit s’il divulguait des « faits concrets, essentiels ou potentiellement cruciaux pour la décision », comme le dit le juge LeBlanc au paragraphe 16 de la décision Hamid.

[38] À mon humble avis, et comme je le précise plus bas, la communication de renseignements sommaires en l’espèce respecte le critère établi dans la décision Hamid. Je conclus que les éléments de preuve communiqués au demandeur étaient suffisants et lui permettaient de les réfuter. Il n’était donc pas nécessaire qu’il voit la partie narrative de l’Annexe 2 transmise par l’autre demandeur d’asile.

[39] Grâce à ces renseignements, le demandeur savait qu’une demande d’asile d’un autre Syrien [traduction] « ressembl[ait] beaucoup » (passage tiré de la lettre d’équité procédurale) à celle déposée par le consultant ou était presque [traduction] « identique » à celle-ci (adjectif tiré des notes d’entrevue inscrite dans le SMGC). Le demandeur savait donc que l’autre demandeur d’asile était Syrien. Il savait également que les images étaient les mêmes dans les deux cas. Il savait qu’IRCC avait des doutes quant à la crédibilité de son récit. Il savait qu’IRCC nourrissait des inquiétudes, ayant été informé qu’il était impossible que deux demandeurs différents produisent exactement le même rapport contenant les mêmes images.

[40] À mon humble avis, le demandeur n’avait qu’à transmettre ces renseignements à son consultant, qui aurait su s’il avait présenté des demandes d’asile contenant un récit et des images similaires. Il aurait pu et dû le faire; je précise que le demandeur a transmis les renseignements à son consultant après l’entrevue menée par le deuxième agent le 9 octobre 2017. Il aurait également pu et dû les transmettre après avoir reçu la lettre d’équité procédurale. Je le mentionne parce qu’il est bien connu qu’il incombe au demandeur de démontrer le bien-fondé de sa demande d’asile.

[41] Dans son affidavit, le demandeur dépose maintenant sous serment qu’il avait parlé à son consultant des préoccupations soulevées environ un jour après l’entrevue. À mon avis, s’il y avait quelque doute à ce sujet, cette conversation impose clairement le fardeau de répondre à ces préoccupations au consultant et donc au demandeur, qui est responsable des actions et des omissions de celui-ci. Le fait que le demandeur n’ait pas transmis les renseignements à son consultant porte un coup fatal à cet aspect de son dossier.

[42] Nous savons également que le demandeur a transmis la lettre d’équité procédurale datée du 28 septembre 2018 à son consultant puisque c’est ce dernier qui y a donné suite. Une fois de plus, cela confirme qu’il incombait au demandeur et à son consultant de formuler une réponse valable.

[43] Il m’apparaît que le cœur du problème du demandeur est que ni lui ni son consultant n’ont fait quoi que ce soit pour répondre à ce que j’estime être des préoccupations légitimes exprimées lors de l’entrevue et dans la lettre d’équité procédurale. Le consultant a plutôt demandé à voir [traduction] « l’autre demande » :

[traduction]
En réponse à votre lettre d’équité procédurale du 28 septembre 2018, veuillez nous remettre une copie du document qui « ressemble beaucoup à une Annexe 2 » de manière que le répondant puisse préparer sa réponse en sachant bien l’information dont vous disposez ou celle que vous avez examinée pour parvenir à votre décision. Nous demandons en outre d’avoir 30 jours à partir de la date à laquelle nous recevrons le document en question pour préparer notre réponse.

De plus, étant donné la préoccupation que vous avez soulevée quant à la façon dont notre bureau a agi dans cette affaire, l’obtention de ce document permettra au demandeur de vérifier s’il doit faire appel à un nouveau consultant.

Enfin, veuillez préciser en quoi les antécédents personnels du demandeur et les pays où il a vécu sont pertinents en ce qui concerne vos préoccupations quant à l’interdiction de territoire.

Une réponse rapide de votre part sera grandement appréciée.

[44] J’estime que cette requête pour voir l’autre demande n’était pas une réponse suffisante aux sérieuses réserves et aux questions concernant les deux demandes d’asile similaires dont IRCC a parlé au demandeur. Plusieurs raisons m’incitent à tirer cette conclusion. Premièrement, le demandeur n’était pas autorisé à voir l’autre demande d’asile présentée par un compatriote syrien; en effet, il ne pouvait obtenir qu’un résumé complet des préoccupations que cette demande soulevait. Deuxièmement, il incombait au demandeur de démontrer le bien-fondé de sa demande d’asile. Troisièmement, bien qu’il n’était pas tenu de fournir des renseignements, le demandeur ou son consultant savait ou aurait dû savoir que le fait de ne pas répondre à la lettre d’équité procédurale ou aux réserves exprimées durant l’entrevue pouvait porter préjudice à son dossier.

[45] Tant le consultant que le demandeur ont déposé des affidavits relatifs à la demande de contrôle judiciaire. Ils y ont tous deux présenté sous serment des faits qu’ils auraient pu facilement communiquer à IRCC à l’époque. Or, il semble qu’ils aient choisi de ne pas répondre aux préoccupations d’IRCC.

[46] À titre d’exemple, le consultant soutient maintenant qu’il traitait une quinzaine de demandes d’asile présentées par des réfugiés syriens, dont dix l’ont été à la même ambassade. S’il peut communiquer cette information maintenant, il pouvait et aurait dû, pour libérer son client du fardeau qui lui incombait, en informer IRCC dès qu’il a su qu’elle avait des doutes, après l’entrevue de 2017 ou après la réception de la lettre d’équité procédurale en 2018.

[47] Il déclare aussi sous serment qu’il avait recommandé au demandeur d’utiliser certaines images, accessibles au public sur le Web, pour illustrer les actes de torture qu’il décrivait. Ni le demandeur si son consultant n’ont expliqué pourquoi ils n’avaient pas communiqué cette information après avoir reçu la lettre d’équité procédurale.

[48] À mon avis, le consultant n’avait pas besoin de voir l’autre demande d’asile pour répondre aux préoccupations d’IRCC : il connaissait le contenu, notamment les images, de la demande de son client et de celle des autres réfugiés syriens qu’il représentait. Il était donc à même de voir les correspondances entre ses dossiers et aurait dû formuler une réponse en conséquence.

[49] La procédure de demande d’asile ne doit pas être vu comme une partie de cache-cache jouée dans une série de litiges où l’on peut ne pas communiquer à la SPR de l’information qu’IRCC était pourtant fondée à demander, pour ensuite la présenter à la Cour fédérale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. De plus, ces nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire : voir l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [juge Stratas] au para 20.

[50] À l’instar du consultant, le demandeur a aussi déposé un affidavit dans le cadre de la présente instance en contrôle judiciaire. Il communique maintenant des renseignements supplémentaires qui auraient dû, à mon avis, être transmis après l’entrevue de 2017 et certainement après la réception de la lettre d’équité procédurale. Le demandeur dépose maintenant sous serment qu’il avait dit au deuxième agent que les images utilisées étaient accessibles dans Google et qu’elles illustraient les traitements qu’il avait subis. Je souligne que cela rejoint ce qu’il avait dit au deuxième agent durant l’entrevue de 2017; je ne comprends donc pas pourquoi il ne l’a pas indiqué en réponse à la lettre d’équité procédurale qu’il a reçue en 2018. Dans son témoignage, il affirme connaître de nombreuses personnes qui ont été torturées en Syrie par le gouvernement; il n’a donc pas été surpris de voir sur Internet des images montrant des techniques de torture. Il aurait dû communiquer cette information. Il poursuit en disant qu’après l’entrevue, il a communiqué son consultant et que celui-ci lui a confirmé qu’il avait bel et bien raconté son histoire et non pas celle d’une autre personne. Le consultant a ajouté qu’il utilise des images accessibles au public dans ses dossiers dans les cas où ses clients font état du même type de torture. Là encore, le demandeur aurait dû donner ces précisions; il n’a fourni à la Cour aucune justification expliquant pourquoi il a attendu la présente instance pour communiquer les renseignements ci-dessus.

[51] Bien qu’il n’en fasse pas mention dans son mémoire, l’avocat a allégué, durant l’audience, un autre manquement à l’équité procédurale : l’agent des visas a rendu la décision, mais l’entrevue a été menée par un autre agent sans que le premier agent n’intervienne. Le demandeur n’a en outre cité aucune autre décision à l’appui dans ses observations. Je ne peux accepter cet argument. Selon la jurisprudence, les agents d’immigration peuvent s’appuyer sur les notes rédigées par d’autres agents dans le SMGC (El-Souri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 466 [juge Phelan] aux paras 13-15; Ching c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 839 [juge Diner J] aux para 186 et 189; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1381 [juge de Montigny, tel était alors son titre].

[52] Je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

VIII. Question certifiée

[53] Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6937-19

LA COUR ORDONNNE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, aucune question n’est certifiée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6937-19

 

INTITULÉ :

MOHAMED JAMIL JEMMO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

LIEU DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 8 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Douglas Cannon

POUR LE DEMANDEUR

Brett J. Nash

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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