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Date : 20211202


Dossier : IMM-3562-20

Référence : 2021 CF 1345

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

YOSIEF HAILE SIMONE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario) le 23 novembre 2021. La syntaxe et la grammaire ont été corrigées, et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés.)

I. Introduction et contexte

[1] Le 27 juillet 2020, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). En rendant sa décision, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, son identité en tant que citoyen de l’Érythrée. Elle a tiré cette conclusion en se fondant sur les éléments suivants :

  1. le seul élément de sécurité figurant sur le certificat de naissance du demandeur, à savoir le timbre, indiquait que son bureau de délivrance était le service du « Public Census, Cemetry, S/Reformation » [recensement public, des cimetières et de la réadaptation/s], alors que la preuve documentaire contenue dans le cartable national de documentation (le CND) érythréen indique que le bureau de délivrance des certificats de naissance se nomme le « Public Registration, Cemetery, and Social Rehabilitation » [enregistrement public, cimetières et réadaptation sociale]. Il est évident, même pour un observateur non averti, qu’aucun département ou bureau ne porte un nom contenant le mot « cemetery » ou le mot « reformation ». De plus, le timbre comporte une erreur d’orthographe du mot « cemetery » .

  2. le témoignage du demandeur concernant l’obtention de son certificat de naissance était incohérent. Lorsqu’il lui a été demandé s’il avait dû apporter des documents d’identité pour obtenir son certificat de naissance, le demandeur a répondu « non », et qu’il avait seulement dû remplir un formulaire. La SPR a présenté au demandeur des éléments de preuve objectifs provenant du CND érythréen, selon lesquels les documents relatifs à la naissance, une copie d’un document de résidence, une carte d’identité nationale ou la carte d’identité nationale de l’un des parents est nécessaire pour obtenir un certificat de naissance. Le demandeur a ensuite modifié son témoignage, et a déclaré qu’il avait dû montrer tous les documents susmentionnés, ainsi que des documents scolaires et professionnels;

  3. le demandeur a présenté un diplôme de l’école technique d’Asmara. Le nom du pays « Érythrée » était mal orthographié dans l’intitulé du diplôme;

  4. la couverture du livret du permis de conduire présenté par le demandeur était très difficile à lire, car les inscriptions se fondaient dans le livret lui-même. Le spécimen dans le CND ne présentait pas le même problème. La couverture du permis de conduire du demandeur mentionnait qu’il avait été délivré par le “Ministry of Transport and Communication Department of Land Transport” [ministère des Transports et des Communications, service du transport terrestre], alors que la couverture du spécimen figurant dans le CND érythréen mentionne que l’autorité qui le délivre est la « Road Transport Authority » [autorité responsable du transport routier]. En outre, sur la couverture du permis de conduire du demandeur figurait un numéro à six chiffres alors que, selon le spécimen du CND, il devait s’agir d’un numéro à cinq chiffres.

[2] Bien qu’aux fins de mes conclusions, rien ne repose sur le point suivant, je tiens également à souligner que la SPR a rejeté le témoignage du demandeur concernant la perte de sa carte d’identité nationale et son voyage hors de l’Érythrée.

[3] En appel, le demandeur a fourni sept nouveaux éléments de preuve, dont six ont été examinés ensemble, et le septième indépendamment des six premiers. Les six premiers éléments de preuve nouveaux qu’il cherchait à faire admettre sont les suivants :

  1. Une copie de l’ancien certificat de naissance du demandeur, délivré le 18 juillet 1984;

  2. Un relevé de notes de la polyvalente Halay;

  3. Une copie d’une procuration, autorisant la mère du demandeur à traiter les affaires du gouvernement au nom du demandeur;

  4. Une copie de la carte d’identité nationale érythréenne appartenant à la mère du demandeur ;

  5. Un affidavit d’Aklilu Fkadu Gebrehiwet, qui affirme avoir été le voisin du demandeur à Asmara, ainsi qu’une copie de la carte de résident permanent canadien et du permis de conduire de l’Ontario du déposant;

  6. Un affidavit de Mussie Okbazghi Amanuel, qui affirme également avoir connu le demandeur en Érythrée, ainsi que son permis de conduire de l’Ontario.

[4] Compte tenu du critère juridique énoncé au paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve proposés un à quatre étaient inadmissibles. La SAR a conclu que le demandeur n’a pas démontré que ces éléments de preuve n’étaient pas normalement accessibles, ou s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il puisse les présenter, dans les circonstances, au moment du rejet de sa demande par la SPR. La SAR a mentionné que le demandeur a beaucoup insisté sur l’âge avancé de sa mère pour expliquer le retard dans l’obtention de ces éléments de preuve. Cependant, selon son témoignage, sa mère vit avec sa demi-sœur, une femme de 39 ans. La SAR a souligné que le demandeur n’a pas expliqué pourquoi sa demi-sœur n’aurait pas pu trouver et envoyer ces documents en temps opportun.

[5] La SAR a également souligné que le demandeur a présenté sa demande en 2017. L’audience a eu lieu un an et demi plus tard. La SAR a conclu que le demandeur avait eu plus que le temps nécessaire pour rassembler les éléments de preuve à l’appui de sa demande. Elle a conclu que la présentation par le demandeur des éléments un à quatre à titre de nouveaux éléments de preuve constituait un effort pour compléter un dossier lacunier. La Cour a déjà conclu qu’un appel devant la SAR ne constitue pas une occasion pour un demandeur d’asile de pallier les lacunes du dossier présenté à la SPR (Dor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 892 au para 78). En outre, la SAR a expliqué pourquoi le certificat de naissance, désigné comme élément numéro un, n’aurait pas satisfait aux critères de crédibilité énoncés dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230 [Singh] :

« Le document aurait été délivré le 18 juillet 1984 à Asmara. L’existence de ce document a été abordée durant l’audience de la SPR, à 38:00 approximativement de l’enregistrement audio11. L’appelant a déclaré que, lorsqu’il a demandé son certificat de naissance actuel en novembre 2009, il a d’abord dû retourner son ancien certificat de naissance, qui avait été délivré par le gouvernement éthiopien avant l’accession de l’Érythrée à l’indépendance. Il n’est pas crédible que, après avoir remis son ancien certificat de naissance aux autorités en 2009, l’appelant ait soudainement pu, d’une manière ou d’une autre, récupérer ce document dix ans plus tard pour le communiquer dans le cadre du présent appel. »

[6] Par ailleurs, en ce qui concerne les éléments cinq et six, la SAR a fait remarquer que le demandeur a déclaré que, le 1er décembre 2018, soit deux semaines seulement après le rejet de sa demande par la SPR, « par pure coïncidence, il a rencontré deux amis différents qu’il connaissait en Érythrée à une célébration de l’église érythréenne à Toronto ». Ces deux amis ont fourni des déclarations sous serment attestant de l’identité du demandeur. L’un d’eux a même écrit qu’il n’était jamais allé dans cette église auparavant. Tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une coïncidence remarquable que ces trois personnes se soient retrouvées au cours de la période d’un mois pendant laquelle le demandeur préparait son appel, la SAR a néanmoins admis ces deux affidavits en tant que nouveaux éléments de preuve.

[7] Le septième élément de preuve nouveau, auquel j’ai fait référence précédemment, constitue une copie de la carte d’identité de réfugié de la fille du demandeur, une carte alimentaire et une preuve d’inscription auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le tout joint à une lettre datée du 23 décembre 2019. Le 13 juillet 2020, la SAR a reçu une lettre de l’Agence éthiopienne pour les réfugiés/rapatriés, indiquant que Danait Yosef Haile est inscrite au camp de réfugiés de Hitsats. La lettre explique que son permis l’autorise à vivre à Addis-Abeba pour rester avec des membres de sa famille. Le nouvel élément de preuve de la fille du demandeur a également été admis par la SAR.

[8] Le demandeur a sollicité une audience. La SAR a rejeté sa demande. Elle a conclu ce qui suit :

L’appelant demande la tenue d’une audience. Cependant, les seuls nouveaux éléments de preuve qui ont été admis sont les documents relatifs à la demande d’asile de la fille de l’appelant et les deux affidavits des amis de l’appelant.

Le paragraphe 110(6) de la LIPR prévoit que la SAR peut tenir une audience si elle estime qu’il existe de nouveaux éléments de preuve qui, à la fois, soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de l’appelant, sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile et, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. En d’autres termes, selon les critères du paragraphe 110(6), les nouveaux éléments de preuve doivent être déterminants, non pas seulement quant à l’issue de l’appel, mais quant à l’ensemble de la demande d’asile. Je ne suis pas convaincu que c’est le cas en l’espèce. Pour les motifs exposés plus en détail ci-après, je souscris aux conclusions de la SPR selon lesquelles les pièces d’identité de l’appelant sont frauduleuses.

Si l’appelant est la personne qu’il prétend être, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’il soit en mesure de fournir des documents authentiques, comme son certificat de naissance, des dossiers scolaires et un permis de conduire, même s’il faut croire son récit sur la façon dont sa carte d’identité nationale a été confisquée. Ces types de documents doivent pouvoir être obtenus en Érythrée. Même si chacun des souscripteurs d’affidavit devait comparaître comme témoin, et même s’ils devaient présenter un témoignage parfaitement cohérent au sujet de l’identité de l’appelant, je ne serais pas disposé à admettre l’identité de l’appelant en me fondant sur leur témoignage et sur les documents relatifs à la demande d’asile de la fille de l’appelant. En ce qui a trait aux documents relatifs à la demande d’asile de la fille de l’appelant en Éthiopie, rien ne permet d’établir que le HCR a reconnu que la fille de l’appelant a qualité de réfugié au sens de la Convention ou a admis son identité déclarée. L’inscription en tant que réfugiée de la fille de l’appelant, qui a soutenu être une citoyenne érythréenne après le rejet de la demande d’asile de l’appelant, n’est pas suffisante pour établir l’identité de l’appelant. Pour illustrer l’argument, il serait de même inutile pour la fille de l’appelant de s’appuyer sur le fait que l’inscription de l’appelant en tant que demandeur d’asile érythréen au Canada constitue une preuve de son identité personnelle et nationale à elle.

Dans ce contexte, lorsqu’ils sont soupesés à la lumière du schème de fraude de l’appelant, les nouveaux éléments de preuve admis sont insuffisants pour établir l’identité de l’appelant, selon la prépondérance des probabilités. Les nouveaux éléments de preuve ne peuvent être déterminants quant à l’ensemble de la demande d’asile. Comme les nouveaux éléments de preuve ne satisfont pas aux critères prévus au paragraphe 110(6) de la LIPR, la demande d’audience est refusée.

[9] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable selon les paramètres établis dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, 441 DLR (4e) 1 [Vavilov]. Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en n’admettant pas les nouveaux éléments un à quatre proposés, et en rejetant sa demande d’audience. Il soutient que la SAR a déraisonnablement accordé peu ou pas de valeur probante aux nouveaux éléments de preuve admis. De plus, il soutient que la SAR a commis une erreur dans l’évaluation de son identité.

[10] En ce qui concerne l’admission des nouveaux éléments de preuve, la règle de base en appel est que la SAR se fonde sur le dossier de l’instance devant la SPR. Pour que la SAR déroge à cette règle de base, les conditions explicites énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR doivent être remplies, à savoir que le demandeur d’asile ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande d’asile par la SPR ou des éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il puisse les présenter, dans les circonstances, au moment du rejet (Singh, au para 35; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 336 au para 14). À mon avis, aux paragraphes 10 et 11 de sa décision, la SAR explique raisonnablement pourquoi elle n’était pas convaincue par l’explication donnée par le demandeur pour justifier le fait de ne pas avoir produit les nouveaux éléments de preuve proposés avant le rejet de sa demande par la SPR.

[11] Je me penche maintenant sur la décision de la SAR de rejeter la demande d’audience. La SAR ne peut accepter de tenir une audience que si le critère tripartite énoncé au paragraphe 110(6) de la LIPR est satisfait, à savoir : les nouveaux éléments de preuve admis a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile; c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. Toutefois, même si les conditions du paragraphe 110(6) sont remplies, la SAR a toujours le pouvoir discrétionnaire de refuser de tenir une audience (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028 [Siddiqui] au para 104). La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne seraient pas déterminants quant à la demande, parce qu’ils seraient insuffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, l’identité du demandeur. Je n’ai pas besoin de répéter ce qui a été cité précédemment au sujet de la tentative du demandeur d’utiliser la preuve de l’identité de sa fille pour prouver son identité.

[12] Je conviens que le raisonnement présenté pour ne pas tenir d’audience en ce qui concerne les affidavits des deux amis du demandeur est succinct. Cependant, cette preuve par affidavit est elle-même peu détaillée. Les affidavits fournis par les deux amis ne donnent pas suffisamment de détails pour contrebalancer le poids des éléments de preuve frauduleux concernant l’identité du demandeur.

[13] Après avoir apprécié le dossier dans son ensemble, y compris les affidavits incomplets des deux amis du demandeur, je conclus que la décision de la SAR de ne pas tenir d’audience est raisonnable dans les circonstances.

[14] Je conclus donc que, compte tenu des documents qui lui ont été présentés, la SAR a rendu une décision raisonnable selon les critères établis dans l’arrêt Vavilov. La décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard du droit et des faits pertinents (Vavilov, au para 85). Je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

[15] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et, au regard des faits et du droit, l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3562-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3562-20

 

INTITULÉ :

YOSIEF HAILE SIMONE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Seyfi Sun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Madeline Macdonald

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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