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Date : 20211210


Dossier : IMM-2249-21

Référence : 2021 CF 1396

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

MOHAMMAD SALMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Mohammad Salman, âgé de 33 ans, est un citoyen du Pakistan et appartient à la communauté des Mohajirs, des descendants d’immigrants musulmans de différentes régions de l’Inde qui, en 1947, avaient immigré au Pakistan nouvellement créé. M. Salman sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 5 mars 2021, rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR], laquelle confirmait la décision, datée du 27 avril 2021, de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui a rejeté la demande d’asile de M. Salman au motif qu’il disposait de possibilités de refuge intérieur (PRI) viables à Islamabad et à Hyderabad, au Pakistan. Même si elle a convenu que les Mohajirs pouvaient être l’objet de discrimination au Pakistan, la SAR a conclu qu’aucun élément de preuve n’établissait que cette discrimination équivalait à de la persécution ou que les autorités pakistanaises ciblaient systématiquement les membres de cette communauté.

[2] M. Salman est un citoyen du Pakistan, mais il n’y a jamais vécu. En 1986, son grand-père, son père et ses oncles se sont enfuis du Pakistan pour aller au Bahreïn après avoir été arrêtés et battus en raison de leur participation présumée au Mouvement national unifié. Le demandeur est donc né au Bahreïn et y a vécu toute sa vie. Il affirme que durant sa seule visite au Pakistan il y a environ 13 ans – de décembre 2008 à janvier 2009 –, il a été détenu par la police de Karachi, et que des policiers l’ont battu et lui ont fait subir des traitements cruels et inhumains; ils l’ont été accusé d’être un agent indien et un traître à cause de ses antécédents familiaux.

[3] En février 2014, M. Salman a épousé Aiza Salman au Bahreïn. Mme Salman, née à New Delhi au sein d’une famille Shastri hindoue, est arrivée au Bahreïn en septembre 2007, à l’âge de 22 ans, afin d’y travailler. Après sa rencontre avec M. Salman, elle s’est convertie à l’islam et le couple s’est marié dans la tradition islamique. M. et Mme Salman sont les parents de trois enfants d’âge mineur; les deux plus vieux sont nés au Bahreïn avec la citoyenneté indienne et le cadet, âgé d’un an, est né au Canada.

[4] La famille d’aucun des deux époux n’avait accepté leur mariage, et après que Mme Salman eut perdu son emploi au Bahreïn en juin 2019, elle a dû rentrer en Inde avec les deux enfants qui étaient nés à l’époque et retourner vivre avec sa mère et son frère. Ce dernier, un membre du Rashtriya Swayamsevak Sangh, a essayé de la forcer à se reconvertir à l’hindouisme en la menaçant et en l’agressant. Mme Salman a fui l’Inde en septembre 2019, après qu’elle eut appris que son frère avait l’intention de l’obliger à se reconvertir à l’hindouisme et à divorcer, sous peine de mort. Elle et M. Salman, qui vivait toujours au Bahreïn, avaient convenu de se retrouver à Abu Dhabi, puis de s’envoler vers les États-Unis. Ils sont finalement arrivés au Canada le 19 septembre 2019 et ont présenté une demande d’asile.

[5] La SPR avait jugé que l’histoire de Mme Salman était crédible, mais qu’elle et ses filles, étant des citoyennes de l’Inde, disposaient de PRI viables à Chandigarh, à Kochi ou à New Delhi. En ce qui concerne M. Salman, la SPR a exprimé des réserves quant à la crédibilité de son allégation de crainte de persécution, en particulier l’affirmation selon laquelle il aurait été mis en détention et menacé par les autorités pakistanaises en janvier 2009. La SPR a finalement conclu que le demandeur n’avait pas véritablement été mis en détention ni interrogé par les autorités du Pakistan.

[6] Dans ses observations devant la SPR, M. Salman a renvoyé à une réponse à une demande d’information (RDI) archivée et datée du 5 juillet 2012 qui porte sur la situation des Mohajirs au Pakistan, pour appuyer sa prétention qu’il serait persécuté par les autorités du pays s’il y retournait. La SPR n’en a pas moins établi que M. Salman [traduction] « n’a[vait] présenté aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation liée au prétendu risque prospectif de persécution par les autorités pakistanaises auquel il serait exposé du fait qu’il est un Mohajir. » De toute manière, la SPR a établi que M. Salman disposait par ailleurs de PRI viables à Islamabad ou à Hyderabad. En appliquant le critère à deux volets permettant d’évaluer une PRI, la SPR a jugé que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il était exposé à un risque prospectif parce qu’il appartenait à la communauté des Mohajirs. La SPR a convenu que la preuve documentaire établissait que les Mohajirs étaient victimes de discrimination au Pakistan, surtout lorsqu’il s’agit d’obtenir un emploi dans la fonction publique, mais pas au point que cette discrimination équivaille à de la persécution. Elle a de plus estimé que malgré le risque généralisé de violence au Pakistan, les conditions à Islamabad ou à Hyderabad ne seraient pas déraisonnables.

[7] La SAR n’a pas souscrit aux conclusions de la SPR au sujet de la demande de Mme Salman et de ses filles et a conclu qu’elles avaient qualité de réfugiées au sens de la Convention. La présente demande de contrôle judiciaire vise donc exclusivement M. Salman.

[8] S’agissant de M. Salman, la SAR a confirmé la décision de la SPR, mais a également refusé d’accepter de nouveaux éléments de preuve à l’appui de sa demande, en particulier une lettre d’un ami datée du 21 octobre 2020 – soit après la décision de la SPR – qui décrivait le traitement réservé aux Mohajirs au Pakistan. M. Salman a en outre voulu faire fond sur la RDI pour démontrer que les Mohajirs étaient persécutés partout au Pakistan, mais la SAR a refusé d’en tenir compte puisque seuls des extraits partiels du document avaient été présentés par le demandeur et que ceux-ci n’étaient pas datés. Par ailleurs, la RDI ne figurait pas dans le cartable national de documentation dont disposait le commissaire de la SAR.

[9] Relativement à la demande d’asile sur place de M. Salman, la SAR a conclu qu’il n’avait produit aucun élément de preuve démontrant son activisme politique contre le Pakistan pendant qu’il était au Canada. Enfin, la SAR a convenu avec la SPR que le demandeur bénéficiait de PRI viables à Islamabad et à Hyderabad.

[10] M. Salman a en outre allégué devant la SAR que la SPR avait manqué à l’équité procédurale en n’effectuant pas d’analyse au titre de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La SAR a conclu que la question de la PRI viable était déterminante pour décider si la demande devait être examinée au titre des articles 96 ou 97 de la Loi et a donc rejeté l’argument de M. Salman au sujet de l’équité procédurale.

[11] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire de M. Salman. En résumé, je conclus qu’il était raisonnable pour la SAR d’estimer que M. Salman disposait de PRI viables tant à Hyderabad qu’à Islamabad. La SAR n’a pas commis d’erreur en n’admettant pas la lettre de l’ami du demandeur comme nouvel élément de preuve et en ne tenant pas compte du rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qu’il a voulu soumettre. Elle n’a pas non plus omis d’effectuer, comme le prétend M. Salman, une analyse au titre de l’article 97 de la Loi ni omis d’évaluer sa demande d’asile sur place.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision raisonnable; je suis d’accord (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]). Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour devrait intervenir seulement si la décision ne possède pas « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et si la décision n’est pas justifiée « au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99).

[13] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

III. Analyse

A. La SAR a raisonnablement refusé d’accueillir la lettre d’un ami de M. Salman à titre de nouvel élément de preuve.

[14] Le paragraphe 110(4) de la Loi énonce les critères que doit respecter un nouvel élément de preuve pour être admis par la SAR :

Éléments de preuve admissibles

 

Evidence that may be presented

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

 

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[15] M. Salman soutient que la SAR n’a pas considéré la lettre de son ami, datée du 21 octobre 2020, dans laquelle ce dernier corrobore le récit de la détention du demandeur par la police de Karachi et les agressions qu’il aurait subies aux mains de celle-ci en 2008 et 2009. La SAR a refusé d’admettre la lettre pour les motifs suivants :

Bien que la déclaration soit nouvelle (postérieure au rejet par la SPR), les renseignements qu’elle contient ne le sont pas. MA affirme que les Mohajirs font l’objet de mauvais traitements au Pakistan. Il parle du fait que 25 000 Mohajirs ont été enterrés vivants dans les collines de Margalla. Aucune date n’a été fournie au sujet de cet incident. Il parle du massacre de Pukka Qila à Hyderabad. Il ne s’agit pas d’un nouvel élément de preuve. Il s’agit d’événements qui ont suivi le rejet par la SPR. L’appelant associé fait référence à ces incidents dans son témoignage.

[16] M. Salman affirme que la SAR a omis d’analyser la lettre et qu’elle s’est méprise sur l’élément de preuve. Je ne suis pas d’accord. La lettre ne contenait pas clairement d’information que ne détenait pas déjà la SPR, qu’elle l’ait obtenue sous forme d’éléments de preuve ou lors du témoignage de M. Salman. Comme il est précisé dans la décision Olori c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1308, la présentation de faits connus au moment où la SPR a rendu sa décision dans le but de produire un nouveau document, la lettre d’un ami en l’espèce, ne rend pas les éléments de preuve nouveaux. Dans la présente affaire, l’information n’était pas nouvelle, et je ne vois pas en quoi la conclusion de la SAR à ce sujet est déraisonnable.

B. La SAR n’a pas commis d’erreur en n’évaluant pas la RDI.

[17] La SAR a souligné que M. Salman s’appuyait sur un extrait non daté de la RDI – qu’elle appelle un « rapport » – sur la situation des Mohajirs et les violences qu’ils subissent. Dans sa décision, la SAR a affirmé ce qui suit :

[...] Ce rapport ne figure pas dans le CND de mars 2020 ni dans celui de janvier 2021; il ne fait pas partie du CND de février 2020 dont la SPR était saisie au moment de la décision. Les appelants n’ont pas remis ce rapport à la SPR ni à la SAR. Par conséquent, je ne suis pas en mesure d’évaluer l’ensemble du rapport. Selon ce rapport, les Mohajirs peuvent être victimes de discrimination, mais il n’y a pas de persécution. Je ne peux pas me fier à ce rapport, car je ne l’ai pas devant moi en entier.

[18] M. Salman soutient que le problème a pris naissance à l’audience devant la SPR. Étant donné que le conseil de M. Salman n’avait pas de copie de la RDI, le commissaire de la SPR a entrepris d’en trouver un exemplaire à la fin de l’audience, en précisant qu’il devrait y avoir accès. Comme je l’ai mentionné précédemment, il semble que le « rapport » ait été une partie d’une RDI archivée, qui, m’a expliqué M. Salman, avait été retirée du cartable national de documentation sur le Pakistan avant l’audience devant la SPR. La SPR a finalement tenu compte de la RDI, puis conclu malgré tout que M. Salman n’avait présenté aucun élément de preuve démontrant un risque prospectif. La SPR a examiné la RDI, car elle concernait les Mohajirs à Islamabad, à Lahore et à Faisalabad, et a conclu qu’il y avait certes une discrimination notoire là-bas, mais qu’elle n’équivalait pas à de la persécution.

[19] La SAR a refusé de s’appuyer sur le rapport, d’une part parce qu’elle n’en avait qu’une partie, et d’autre part parce qu’elle ignorait quand il avait été publié. Le demandeur n’en a pas présenté de copie complète à la SAR.

[20] M. Salman soutient maintenant que la SAR a injustement omis de tenir compte de la RDI, qui corroborait sa crainte de discrimination systématique au Pakistan, y compris à Hyderabad et à Islamabad. Il allègue que la SAR n’a pas fourni de motifs suffisants pour justifier le rejet du rapport.

[21] Je ne suis pas d’accord. À l’évidence, elle a examiné les extraits accessibles de la RDI, car elle a admis ce qui avait été signalé, à savoir que les Mohajirs faisaient l’objet de discrimination au Pakistan, mais elle n’a trouvé aucun élément de preuve démontrant que le niveau de discrimination en question équivalait à de la persécution. Quoi qu’il en soit, M. Salman a fourni ce qui semble être un exemplaire complet de la RDI dans le dossier qu’il a présenté à la Cour. Cependant, je n’y ai rien vu qui contredise les conclusions de la SAR.

C. La SAR n’a pas omis d’effectuer une analyse au titre du paragraphe 97(1) de la Loi.

[22] M. Salman demande l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Il soutient que la SAR n’a pas tenu compte de sa demande fondée sur le paragraphe 97(1) de la Loi parce que le critère à appliquer n’exige pas que l’on conclue à une crainte subjective de persécution, mais plutôt que l’on conclue que M. Salman, s’il était renvoyé du pays, serait exposé à la torture,à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans certaines circonstances.

[23] M. Salman soutient que les éléments requis pour établir le bien-fondé d’une demande présentée en vertu du paragraphe 97(1) de la Loi diffèrent de ceux requis en regard de l’article 96. Je suis d’accord avec lui sur ce point et j’accepte la proposition énoncée dans la décision Bouaouni c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CF 1211 [Bouaouni], selon laquelle « [b]ien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d’elles soit considérée distincte » (Bouaouni, au para 41; Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1121 au para 16 [Shah]). Or, pas plus l’affaire Shah que l’affaire Bouaouni ne concerne une situation où il avait été conclu que le demandeur disposait d’une PRI viable.

[24] L’existence d’une PRI est une question déterminante en l’espèce (Solis Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 203 aux para 13, 37-61 [Solis Mendoza]). Comme l’a déclaré le juge Phelan au paragraphe 14 de la décision Balakumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 20 :

La conclusion d’une PRI valable est en général suffisante pour trancher une demande présentée en vertu de l’article 97. Toutefois, comme je l’ai dit dans la décision Gnanasekaram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 297, la Commission commet une erreur lorsqu’elle ne procède à aucune analyse du risque (dans cette affaire, comme en l’espèce, le risque à Colombo) dans une situation où la preuve du risque est présentée.

[25] Contrairement à l’affaire Balakumar, la SPR a bel et bien effectué une analyse du risque dans le cas de M. Salman. Par conséquent, la conclusion relative à l’existence d’une PRI viable permet de trancher la demande d’asile présentée au titre de l’article 97.

D. La SAR n’a pas omis d’évaluer la demande d’asile sur place de M. Salman.

[26] M. Salman soutient que la SAR n’a pas évalué sa demande d’asile sur place. Je ne suis pas d’accord. La SAR a conclu que « [r]ien ne permet d’établir que [M. Salman] ait été actif sur le plan politique. À part ses déclarations, il n’existe aucun élément de preuve laissant croire qu’il va protester. Il n’est ni militant, ni journaliste, ni blogueur. Son argument selon lequel il continuera de protester est sans fondement. » M. Salman n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que la SAR n’avait pas tenu compte, dans son évaluation, de sa demande d’asile sur place. Je ne relève rien de déraisonnable dans la conclusion de la SAR sur cette question.

E. La SAR a raisonnablement conclu que M. Salman disposait de PRI viables à Hyderabad et à Islamabad.

[27] J’ai eu l’occasion de résumer ainsi le critère relatif à la PRI au paragraphe 15 de la décision Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 [Feboke] :

[15] Les décisions Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, ont établi un critère en deux volets qui doit être appliqué pour trancher la question de savoir s’il existe une PRI : (i) il ne doit exister aucune possibilité sérieuse que l’intéressé soit persécuté dans la région de la PRI (selon la prépondérance des probabilités); et (ii) les conditions dans la PRI proposée doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable, dans toutes les circonstances, que l’intéressé y cherche refuge (Reci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 833, au par. 19; Titcombe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1346, au par. 15). Les deux volets doivent être remplis pour pouvoir conclure que le demandeur d’asile dispose d’une PRI. Ce critère en deux volets assure la conformité du Canada aux normes internationales en ce qui touche les PRI (Principes directeurs de l’UNHCR, aux par. 7, 24 à 30).

[28] M. Salman soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle il disposait de PRI viables à Islamabad et à Hyderabad n’était pas raisonnable. Il affirme que la SAR a omis, dans son évaluation, de tenir compte du critère en deux volets établi par la Cour d’appel dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF). Il ajoute que la SAR a refusé d’accepter que les autorités de l’État aient été les agents de persécution qui le ciblaient parce qu’il était un Mohajir.

[29] Je ne suis pas d’accord. Tout d’abord, il incombait à M. Salman de réfuter l’un des deux volets du critère relatif à la PRI (Feboke, au para 15; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF); Solis Mendoza au para 26; Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF) au para 13).

[30] Je suis d’avis que la SAR a appliqué le critère en deux volets de manière raisonnable. Contrairement à M. Salman, je ne crois pas que la SAR a refusé d’accepter que les autorités de l’État aient été les agents de persécution. Nous sommes plutôt dans une situation où la preuve est insuffisante. La SAR a reconnu qu’il y avait « des preuves de violence ethnopolitique à Karachi entre les Mohajirs et les Pachtounes, et [que] cette violence remonte à longtemps », et que « [d]ans les années 1990, les Rangers et la police (principalement du Pendjab) ont arrêté et harcelé de jeunes hommes Mohajirs sous le couvert d’opérations de sécurité ». Cependant, la SAR a jugé que « rien ne permet[tait] d’établir que le niveau de discrimination équivaut à de la persécution » ou « d’établir que les hommes Mohajirs soient systématiquement ciblés par les Rangers ou par la police, qu’ils ne puissent pas fréquenter l’école ou l’université et qu’ils ne puissent pas trouver d’emploi ». Elle a aussi conclu que « [r]ien ne permet[tait] d’établir que les autorités pakistanaises recherch[aient] [M. Salman] ».

[31] Comme je l’ai mentionné dans la décision Sani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1337, la « SAR n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve sur lequel elle a fondé sa décision. De plus, elle est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait ». Comme l’a quant à elle déclaré la juge McVeigh au paragraphe 14 de la décision Kheimehsari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1149 :

[14] J’amorce mon analyse sur cet élément en soulignant que la SAR est censée avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait, qu’elle en fasse expressément mention dans ses motifs ou non. Il incombe à la partie qui prétend le contraire d’en faire la preuve (Jorfi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 365 au para 31). Le demandeur soutient que l’omission de la SAR de renvoyer expressément aux états bancaires compromettait le fondement de ses conclusions et a rendu la décision déraisonnable. Il revient au demandeur de prouver ses assertions.

[32] M. Salman a cité six documents qu’il avait soumis à la SAR et qui portaient prétendument sur les persécutions que subissaient les Mohajirs au Pakistan. Or, les documents semblent plutôt traiter de la situation critique que vivent les personnes membres du Mouvement national unifié – dont M. Salman a précisé qu’il ne faisait pas partie – ou de problèmes dans des villes autres que celles proposées comme PRI.

[33] En définitive, la SAR a conclu que les affirmations de M. Salman selon lesquelles la discrimination équivalait à de la persécution n’étaient pas fondées. Il n’a pas démontré que la SAR avait omis de tenir compte d’éléments de preuve pour parvenir à sa décision, et je n’ai pas été convaincu que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables.

IV. Conclusion

[34] Je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2249-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2249-21

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD SALMAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 décembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 10 décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Birjinder P. S. Mangat

Pour le demandeur

Matthew Chao

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Office

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

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