Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211208


Dossier : IMM‑2239‑20

Référence : 2021 CF 1378

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 8 décembre 2021

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

KAN CHAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Kan Chan [la demanderesse] est une citoyenne de Hong Kong. Lorsqu’elle était étudiante, elle a participé au Mouvement des parapluies, un mouvement prodémocratie, en 2014. En juillet 2017, le président chinois s’est rendu à Hong Kong. Le même mois, la police de Hong Kong a mené une enquête sur la demanderesse relativement à une infraction de voies de fait simples liée à un incident qui s’était déroulé une quarantaine de jours plus tôt.

[2] En juillet et en août 2017, la police de Hong Kong a communiqué avec la demanderesse à plusieurs reprises et s’est présentée au domicile de cette dernière relativement aux voies de fait alléguées. La demanderesse a finalement été arrêtée et mise en liberté sous caution.

[3] La demanderesse a reçu un avis l’enjoignant à se présenter de nouveau au poste de police le 11 septembre 2017 pour une séance d’identification, mais elle ne l’a pas fait. Elle est plutôt arrivée au Canada ce jour‑là et a présenté une demande d’asile environ un mois plus tard.

[4] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile à l’égard de Hong Kong au motif qu’elle n’avait pas établi l’existence d’un risque de persécution au titre de l’article 96 ou d’un risque de préjudice au titre de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR]. Dans une décision datée du 16 mars 2020, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR.

[5] La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de cette décision au motif que le commissaire de la SPR avait été [traduction] « président » d’un tribunal administratif à Hong Kong et qu’en conséquence, il existait une crainte raisonnable de partialité dans la procédure de la SPR, à laquelle l’appel devant la SAR n’avait pas remédié. En outre, la demanderesse soutient que la décision de la SAR comportait une évaluation déraisonnable du risque de persécution auquel elle était exposée à Hong Kong à titre d’étudiante prodémocratie.

[6] Je conclus que la SAR a évalué de façon déraisonnable le risque de persécution auquel la demanderesse était exposée à Hong Kong. Je conclus également que le comportement du commissaire de la SPR à l’audience – mais pas sa nomination antérieure à la région administrative spéciale [la RAS] de Hong Kong – a fait naître une crainte raisonnable de partialité, à laquelle l’appel devant la SAR n’a pas remédié.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[7] Pour les besoins des procédures devant la SAR, le commissaire a tenu pour acquis que le témoignage de la demanderesse était crédible. Par conséquent, les faits énoncés ci‑dessous ne semblent pas être contestés.

[8] En 2014, la demanderesse a participé au Mouvement des parapluies, un mouvement prodémocratie. Pendant trois jours, elle a participé à des manifestations silencieuses à l’extérieur des immeubles législatifs pour réclamer le suffrage universel à Hong Kong.

[9] Le 6 juin 2017, la demanderesse est allée récupérer des biens perdus au bureau de sécurité du campus de l’Université baptiste de Hong Kong, où elle étudiait. Là‑bas, elle a eu une discussion animée avec l’un des gardes de sécurité. Elle estimait que ce garde lui avait manqué de respect et a signalé la situation à un superviseur, mais rien n’a été fait.

[10] Le 14 juillet 2017, la police de Hong Kong a communiqué avec la demanderesse pour lui demander de se rendre au poste de police, au motif qu’une enquête était en cours sur son implication dans des voies de fait commises le 6 juin 2017. La demanderesse a informé la police qu’elle devrait demander congé à son nouvel employeur pour se rendre au poste de police de jour, lorsque le policier était en service. Un policier lui a téléphoné de nouveau le 19 et le 24 juillet 2017, et lui a alors proposé de se rendre lui‑même à l’appartement de la demanderesse. La demanderesse a répondu qu’elle préférerait plutôt se présenter au poste de police. Le 26 juillet 2017, elle a observé une voiture de police devant chez elle et a entendu un policier dire [traduction] « elle ne s’en sortira pas comme ça ».

[11] Le 31 juillet 2017, à son arrivée chez elle, la demanderesse a aperçu trois policiers devant son domicile. Pendant qu’elle ouvrait la porte, un policier a saisi les clés dans sa main et lui a dit que si elle ne lâchait pas les clés, il l’accuserait d’avoir attaqué un policier.

[12] La demanderesse a demandé aux policiers de lui montrer leur mandat de perquisition avant d’entrer chez elle. Ils n’en avaient pas et sont entrés quand même. La demanderesse leur a demandé si elle était en état d’arrestation et elle s’est fait répondre qu’elle était déjà en état d’arrestation. Elle a ensuite été conduite au poste de police, où on ne lui a pas fourni d’avocat, même si elle avait demandé de parler avec un avocat. La demanderesse a appris que le garde de sécurité du campus avait allégué qu’elle l’avait agressé avec un sac de couleur pâle. La demanderesse a demandé au policier si des membres de son équipe avaient visionné la vidéo de l’incident sur le système de télévision en circuit fermé. Il a répondu que oui, mais selon la demanderesse, s’ils avaient visionné cette vidéo, ils auraient vu qu’aucun acte de violence physique n’avait été commis.

[13] La demanderesse a été ramenée chez elle, où elle a récupéré le sac correspondant le mieux à celui décrit par les policiers. Elle a ensuite payé 150 dollars de Hong Kong (environ 25 dollars canadiens) pour être mise en liberté, et a reçu la directive de retourner au poste de police pour la séance d’identification.

[14] La demanderesse affirme que les policiers tentaient de l’accuser faussement sans preuve. Elle ne pouvait pas demander de l’aide à l’État et l’organisation responsable des plaintes contre la police était inefficace. Elle a tenté de communiquer avec un avocat, mais n’avait pas les moyens de retenir ses services.

[15] Le commissaire de la SPR J. W. Campbell a entendu la demande d’asile de la demanderesse le 27 septembre 2018. La demanderesse n’était pas représentée par un conseil à l’audience devant la SPR. Sa demande d’asile a été rejetée le 15 octobre 2018.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[16] La demanderesse a interjeté appel devant la SAR, là encore sans être représentée par un conseil. Elle a présenté des observations écrites à la SAR, dont une déclaration selon laquelle le commissaire de la SPR s’était appuyé sur son point de vue personnel, mais elle n’a pas utilisé expressément le terme [traduction] « partialité ». En outre, avant d’interjeter appel devant la SAR, elle a fait une recherche en ligne sur le commissaire de la SPR et a découvert qu’il avait déjà travaillé pour le gouvernement de la RAS de Hong Kong, mais elle n’a pas soulevé ce point devant la SAR.

[17] La SAR a traité de plusieurs motifs d’appel soulevés par la demanderesse et a indiqué qu’ils n’étaient « pas assez développés ». Elle a tiré plusieurs conclusions, dont les suivantes :

  • a) l’argument selon lequel la situation des droits de la personne s’est détériorée à Hong Kong depuis la rétrocession est général de nature et il n’y a aucun lien entre le récit de la demanderesse concernant les protestations ou la brève détention en raison de soupçons de voies de fait simples et le déni de droits particuliers. Rien ne permet d’affirmer que la situation à Hong Kong s’est tellement détériorée depuis la rétrocession qu’il existe une possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée ou une probabilité de préjudice;

  • b) la SPR n’a pas mentionné dans sa décision qu’elle avait examiné tous les documents que l’appelante avait présentés, mais la plupart de ceux‑ci ne sont pas pertinents pour sa demande d’asile. En particulier, le résumé que les policiers ont rédigé au sujet de leur interaction avec la demanderesse le 31 juillet 2017 – dont la demanderesse a contesté l’exactitude – était peu pertinent, car il appuie l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait été détenue;

  • c) l’argument de la demanderesse selon lequel la manière avec laquelle la loi est appliquée à Hong Kong est en contradiction avec le contenu de la loi n’est pas étayé. L’exemple de la décision de la Chine d’arrêter des citoyens canadiens apparemment en représailles à l’arrestation d’une responsable de Huawei par le Canada n’est guère utile. Premièrement, l’allégation que les arrestations constituaient des représailles n’est pas appuyée dans la preuve; deuxièmement, il est difficile d’établir comment de telles arrestations en représailles (si c’était effectivement le cas) ont une quelconque incidence sur le dossier de la demanderesse, et, finalement, l’affaire concerne les autorités chinoises et non celles de Hong Kong;

[18] Quant à la question de savoir si le commissaire de la SPR s’est appuyé sur son « point de vue personnel pour juger la présente affaire et sa crédibilité », la SAR a rejeté l’argument et n’a relevé aucun cas où le commissaire a considéré la situation à Hong Kong selon une « perspective canadienne ».

III. Les questions en litige

[19] La demanderesse a retenu les services d’un avocat après le rejet de son appel devant la SAR. C’est devant notre Cour que la demanderesse a soulevé pour la première fois la crainte de partialité du commissaire Campbell du fait qu’il avait déjà été président du Tribunal d’appel (immeubles) [le Tribunal] pour le gouvernement de la RAS de Hong Kong. À l’appui de son allégation de partialité, la demanderesse présente des éléments de preuve concernant le profil du commissaire Campbell sur la plateforme LinkedIn, qui indique qu’il a été président du Tribunal, au sein de l’organe exécutif de la RAS de Hong Kong, de 2010 à 2012. La demanderesse ajoute que les commissaires du Tribunal sont nommés par le chef de l’exécutif de Hong Kong, qui détermine le salaire et la durée du mandat de chaque personne nommée, en plus d’avoir le pouvoir de destituer des commissaires du Tribunal de leurs fonctions.

[20] En outre, la demanderesse soutient que le comportement du commissaire à son égard pendant l’audience contribue à prouver le manque d’impartialité du commissaire.

[21] La demanderesse soulève les questions suivantes :

A. Est‑ce l’emploi récent du commissaire de la SPR au sein de l’organe exécutif de Hong Kong et son comportement à l’audience font naître une crainte raisonnable de partialité dans la façon dont il a tranché la demande d’asile de la demanderesse à l’égard de Hong Kong, crainte à laquelle l’appel devant la SAR n’a pas remédié?

B. Dans sa décision, est‑ce que la SAR a omis de s’attaquer à la question fondamentale soulevée par la demanderesse, à savoir si elle risque d’être arrêtée et détenue arbitrairement en raison de sa sympathie présumée pour le mouvement pour la démocratie à Hong Kong et de sa participation à ce mouvement?

C. La SAR a‑t‑elle mal interprété ou omis d’examiner des éléments de preuve cruciaux concernant le mouvement pour la démocratie à Hong Kong, qui est dirigé par des jeunes, le profil de la demanderesse et l’enquête policière qui l’a poussée à s’enfuir de Hong Kong?

[22] Le défendeur demande à notre Cour de ne pas tenir compte de l’allégation de partialité, car la demanderesse n’a pas soulevé cette question dans son appel devant la SAR, et il fait valoir que la décision était raisonnable.

IV. La norme de contrôle

[23] La norme de contrôle présumée à l’égard du fond des décisions administratives est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 25. La décision de la SAR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 296 au para 8. Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il incombe à la demanderesse de démontrer que la décision était déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100).

[24] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux questions en litige est celle de la décision raisonnable. Les parties soutiennent aussi que la norme de contrôle applicable pour les questions relatives à la partialité est celle de la décision correcte (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 633 au para 32), ce à quoi je souscris.

V. Analyse

A. Est‑ce l’emploi récent du commissaire de la SPR au sein de l’organe exécutif de Hong Kong et son comportement à l’audience font naître une crainte raisonnable de partialité dans la façon dont il a tranché la demande d’asile de la demanderesse à l’égard de Hong Kong, crainte à laquelle l’appel devant la SAR n’a pas remédié?

(1) Notre Cour peut‑elle examiner les allégations de partialité que la demanderesse formule à l’endroit du commissaire de la SPR?

[25] Je me penche d’abord sur la question de savoir si je dois examiner les allégations de partialité formulées par la demanderesse. Cette question comporte deux aspects. Premièrement, la demanderesse a‑t‑elle renoncé à son droit de soulever la question de la partialité du fait qu’elle ne l’a pas soulevée devant la SAR? Deuxièmement, les éléments de preuve concernant l’emploi antérieur du commissaire sont‑ils admissibles dans le cadre du contrôle judiciaire?

[26] La demanderesse reconnaît qu’elle savait que le commissaire de la SPR avait occupé un emploi au sein de l’organe exécutif de Hong Kong avant la procédure devant la SAR, mais qu’elle n’a pas soulevé cette question à ce moment‑là. Le défendeur fait valoir que la demanderesse a renoncé à son droit d’invoquer la partialité. Il s’appuie sur l’arrêt Love c Canada (Commissariat à la protection de la vie privée du Canada), 2015 CAF 198 au para 27 [Love], dans lequel la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’« [i]l est bien établi en droit que des allégations de [partialité] doivent être présentées au décideur administratif et ne peuvent être présentées pour une première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire ».

[27] La demanderesse fait valoir qu’elle avait l’intention de soulever la question de l’impartialité devant la SAR, mais elle n’était pas représentée par un avocat et ne connaissait pas le concept juridique de la partialité. Elle renvoie aux observations qu’elle a présentées devant la SAR :

[traduction]

Le commissaire a étalé certaines de ses connaissances sur Hong Kong pendant l’audience […] Il voyait manifestement Hong Kong d’une certaine façon, mais j’espère qu’il peut voir Hong Kong selon la perspective d’une personne non étrangère, car cela peut être radicalement différent… Le commissaire se fonde constamment sur son point de vue personnel pour juger la présente affaire et sa crédibilité.

[28] Le défendeur fait valoir que ces brèves observations ne soulevaient pas clairement la grave question de la partialité.

[29] La demanderesse renvoie à la décision Khakh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3007 (CF), [1994] 1 CF 548, dans laquelle le juge Nadon a constaté que le demandeur avait soulevé la question de la partialité pour la première fois au cours du contrôle judiciaire, mais qu’il n’était pas représenté par un avocat lors de sa comparution devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ni lui ni son représentant, qui n’était pas un avocat, ne connaissaient le droit de soulever une objection pour cause de partialité, et par conséquent, le demandeur n’avait pas renoncé à son droit de soulever une objection lors du contrôle judiciaire. Toutefois, comme le défendeur le souligne, la décision Khakh a été écartée dans la décision Johnpillai c Canada (Secrétaire d’État), [1995] ACF no 194, dans laquelle le juge Reed a conclu qu’il ne faut pas considérer que le juge Nadon a énoncé une règle selon laquelle un demandeur d’asile qui n’est pas représenté par un avocat se trouve dans une situation plus avantageuse que celui qui est représenté par un avocat.

[30] Le défendeur ne traite pas du paragraphe suivant de la décision Johnpillai, dans lequel le juge Reed affirme qu’« il peut arriver que le manque de connaissance mène effectivement à une conclusion selon laquelle la renonciation implicite est viciée » (cité dans Anguiano Acuna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1222 au para 38).

[31] Cela dit, dans l’arrêt International Relief Fund for the Afflicted and Needy (Canada) c Canada (Revenu national), 2013 CAF 178 au para 19 [International Relief Fund], rendu plus récemment, tout comme dans l’arrêt Love, la Cour d’appel fédérale ne semble pas laisser place à une telle exception fondée uniquement sur le manque de connaissances.

[32] Toutefois, je suis d’avis que la présente affaire se distingue des arrêts Love et International Relief Fund, car la demanderesse a bel et bien soulevé devant la SAR la question de l’impartialité du commissaire et du comportement de celui‑ci à l’audience, bien qu’elle n’ait pas utilisé des termes juridiques précis pour parler de la crainte de partialité.

[33] Dans son affidavit, la demanderesse a reconnu qu’elle était convaincue, à l’audience devant la SPR, que le commissaire Campbell avait des liens avec la Chine et Hong Kong, en raison de ses connaissances au sujet de Hong Kong et de sa capacité à s’exprimer en mandarin, et que cela avait suscité chez elle un sentiment de malaise et des craintes quant au manque d’ouverture d’esprit du commissaire. Cependant, ce n’est qu’après cette audience qu’elle a fait une recherche en ligne sur le commissaire et a découvert qu’il avait déjà travaillé pour le gouvernement de RAS de Hong Kong. La demanderesse a trouvé cela [traduction] « très troublant » et estimait qu’il s’agissait d’un problème pour sa cause. Cependant, elle ne croyait pas qu’elle devait se plaindre à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, car celle‑ci avait pris la décision d’affecter le commissaire Campbell à sa cause, et elle supposait que la Commission connaissait les antécédents de celui‑ci.

[34] Malgré son hésitation à déposer une plainte contre le commissaire Campbell, dans son appel, la demanderesse s’est dite préoccupée par le fait que le commissaire utilisait [traduction] « son point de vue personnel pour juger la présente affaire et sa crédibilité ». J’ajoute que dans les observations qu’elle a adressées à la SPR à la suite de l’audience, la demanderesse a fait part de ses préoccupations sur les présomptions du commissaire sur sa cause :

[traduction]

Vous présumez que j’ai commis cet acte criminel et vous présumez que je serai déclarée coupable. Vous n’examinez pas cette affaire de façon neutre. Vous vous appuyez plutôt sur votre présomption personnelle et un préjudice subjectif; vous supposez que la police [de Hong Kong] agissait en toute légalité, vous présumez que la preuve a été obtenue légalement et vous faites abstraction des faits que vous avez directement sous les yeux. Vous vous en tenez au préjudice et à la présomption qui vous conviennent.

[35] Bien qu’elle n’ait jamais utilisé le terme [traduction] « partialité », il ressort clairement du paragraphe cité ci‑dessus que la demanderesse alléguait l’existence d’un [traduction] « préjudice » et le manque d’impartialité du commissaire Campbell, en s’appuyant sur le comportement qu’il avait adopté à l’audience.

[36] Plus important encore, la SAR a traité, quoique brièvement, des craintes de la demanderesse relatives à l’impartialité du commissaire en raison du comportement de celui‑ci :

[…] je constate qu’il n’y a aucune preuve – ni dans l’enregistrement de l’audience ni la décision – qui montrerait que le commissaire de la SPR s’est fondé sur son « point de vue personnel pour juger la présente affaire et sa crédibilité ». Sans élaboration sur ce point par l’appelante – comprenant, de préférence, un exemple de l’endroit où le commissaire s’est fondé sur son point de vue personnel – je ne vois aucun motif pour l’allégation selon laquelle le commissaire s’est fondé sur son expérience ou point de vue personnels.

[37] Cela indique qu’à tout le moins, le commissaire de la SAR comprenait que la demanderesse soulevait une question d’impartialité et a par conséquent décidé d’examiner une transcription ou un enregistrement audio de l’audience, mais n’a pas jugé que le comportement du commissaire de la SPR à l’audience était préoccupant.

[38] Ainsi, étant donné que la demanderesse a fait part de ses préoccupations au sujet du comportement du commissaire Campbell au cours de son appel devant la SAR, je conclus qu’elle n’a pas renoncé à son droit de soulever la question de la partialité relativement au comportement du commissaire à l’audience.

[39] Cependant, je conclus qu’elle a renoncé à son droit de soulever la question de la partialité du commissaire en raison de l’emploi antérieur de ce dernier au sein du gouvernement de la RAS de Hong Kong. Même si la demanderesse ne pouvait pas connaître les liens que le commissaire Campbell avait eus avec la RAS de Hong Kong avant la fin de l’audience devant la SPR, lorsqu’elle a interjeté appel devant la SAR, elle était tout à fait au courant du poste que le commissaire avait occupé au sein du Tribunal. Je comprends que la demanderesse était inquiète à l’idée de porter plainte contre une personne qui a le pouvoir de trancher sa demande d’asile, mais sa décision de garder le silence sur les faits qu’elle avait découverts et de soulever uniquement après le rejet de son appel devant la SAR la question de la partialité du commissaire en raison de son emploi antérieur correspond précisément au type de situation que la Cour d’appel fédérale a désapprouvée dans l’arrêt International Relief Fund, au para 19, et ne devrait pas être cautionnée par notre Cour.

[40] En outre, même si la demanderesse n’avait pas renoncé à son droit de soulever la question de la partialité, je suis d’avis que, en soi, l’emploi antérieur du commissaire ne soulève pas de crainte raisonnable de partialité.

[41] Le critère bien établi applicable à la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait à elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[42] La demanderesse soutient qu’un observateur raisonnablement bien informé ferait les déductions suivantes du fait de l’emploi antérieur du commissaire de la SPR : loyauté envers le gouvernement de la RAS de Hong Kong et du chef de l’exécutif de Hong Kong, soutien ou tolérance des arrangements politiques entre Hong Kong et la Chine, et réticence à conclure que le système juridique qu’il a représenté récemment peut entraîner des résultats constituant de la persécution.

[43] Je ne souscris pas à cette prétention.

[44] Comme le fait valoir le défendeur, les commissaires de la SPR sont présumés être impartiaux et sont tenus de prêter un serment d’impartialité. Cette présomption s’applique indépendamment de leur emploi antérieur. En l’espèce, le commissaire Campbell avait travaillé environ deux ans pour le gouvernement de la zone administrative de Hong Kong et il a cessé d’occuper cet emploi avant même le début du Mouvement des parapluies.

[45] Comme l’a souligné le défendeur, la SPR exige, aux termes de sa propre politique, une période d’abstention d’un an avant que les commissaires puissent comparaître à titre de conseils devant la Commission. L’audience de la demanderesse a eu lieu environ six ans après que le commissaire Campbell eut cessé de travailler pour la zone administrative spéciale de Hong Kong. Une période d’abstention de six ans devrait être plus que suffisante pour permettre au commissaire Campbell d’avoir pris des distances d’avec son ancien employeur lorsqu’il est saisi de demandes d’asile en provenance de Hong Kong.

[46] De façon générale, l’argument de la demanderesse pourrait empêcher de nombreuses personnes qualifiées de chercher à obtenir un poste dans des tribunaux administratifs ou d’entendre des affaires uniquement en raison de leur emploi antérieur.

[47] J’aurais peut‑être tiré une conclusion différente si le commissaire avait travaillé directement pour la police de Hong Kong, soit l’agent de persécution direct allégué dans la demande d’asile de la demanderesse, et s’il avait occupé cet emploi il y a moins longtemps. Cependant, même dans cette situation, je formulerais une mise en garde contre le danger de tirer une conclusion de partialité s’appuyant uniquement sur l’emploi antérieur du décideur, sans aucun autre élément de preuve à l’appui.

[48] En résumé, je conclus que la demanderesse n’a pas renoncé à son droit de soulever la question de la partialité relativement au comportement du commissaire à l’audience, mais elle a renoncé à ce droit en ce qui concerne l’emploi antérieur du commissaire.

[49] Compte tenu de cette conclusion, je ne suis pas tenue de me pencher sur la question de savoir s’il convient d’admettre les nouveaux éléments de preuve concernant l’emploi antérieur du commissaire Campbell.

(2) Le comportement du commissaire à l’audience soulève‑t‑il une crainte raisonnable de partialité?

[50] Au paragraphe 58 de l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, la Cour suprême a souscrit à la définition suivante de la partialité :

[…] une tendance, une inclination ou une prédisposition conduisant à privilégier une partie plutôt qu’une autre ou un résultat particulier. Dans le domaine des procédures judiciaires, c’est la prédisposition à trancher une question ou une affaire d’une certaine façon qui ne permet pas au juge d’être parfaitement ouvert à la persuasion. La partialité est un état d’esprit qui infléchit le jugement et rend l’officier judiciaire inapte à exercer ses fonctions impartialement dans une affaire donnée.

[51] Comme la demanderesse le fait valoir dans son mémoire, pour trancher la question de savoir si les interventions d’un décideur peuvent justifier une allégation éventuelle de partialité, il faut effectuer une [traduction] « analyse factuelle » et [traduction] « examiner le dossier d’instruction en totalité et évaluer les interventions contestées de façon cumulative, et non comme des événements isolés, du point de vue d’un observateur raisonnable tout au long de l’instruction » (Chippewas of Mnjikaning First Nation v Chiefs of Ontario, 2010 ONCA 47 au para 230).

[52] La demanderesse soutient que les aspects suivants de l’audience, de façon cumulative, donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité :

  • le commissaire de la SPR a immédiatement et indûment limité la portée des questions à trancher en l’espèce et a insisté pour que la demanderesse relève, dans le comportement de la police de Hong Kong, un manquement au principe de l’application de régulière de la loi – la demanderesse n’a pas l’expertise nécessaire pour faire une telle chose, et en outre, il ne s’agit pas d’un élément fondamental de la demande d’asile;

  • il a invoqué à maintes reprises la perspective de la police de Hong Kong et a pris l’initiative de défendre les actions des policiers devant la demanderesse;

  • il a exprimé son scepticisme à l’égard de la demanderesse et du Mouvement des parapluies;

  • il a interrompu continuellement la demanderesse;

  • il a ri des réponses de la demanderesse.

[53] Le défendeur soutient qu’une allégation de partialité « ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur » (Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au para 8), et que les impressions du père de la demanderesse ou de l’étudiant en droit qui ont écouté l’audience ne constituent pas un fondement approprié d’une allégation de partialité. Le défendeur ajoute que les commissaires de la SPR ne peuvent pas jouer un rôle passif et sont censés être proactifs lorsqu’ils examinent des demandes d’asile. Je souscris à ces observations.

[54] Toutefois, je ne souscris pas à l’observation du défendeur selon laquelle le commissaire n’a pas adopté une attitude belliqueuse envers le témoin, mais tentait plutôt d’éviter les répétitions et de faire avancer l’audience en posant des questions déterminantes. Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience, je conclus que le comportement du commissaire Campbell donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[55] Premièrement, je conclus que dès le début de l’audience, le commissaire Campbell a tenté de limiter la portée des questions en litige, en reformulant la demande d’asile de la demanderesse de façon à faire en sorte qu’elle soit fondée uniquement sur les allégations selon lesquelles la police de Hong Kong avait [traduction] « commis un abus de pouvoir » et [traduction] « accusé à tort » la demanderesse. La demanderesse semblait initialement souscrire à la façon dont le commissaire avait formulé la question, mais au fil de l’audience, il est devenu évident que la demande d’asile de la demanderesse n’était pas tant fondée sur sa crainte d’être accusée de voies de fait simples, mais surtout sur la façon dont la police et le gouvernement de Hong Kong – de même que le gouvernement chinois – traitent les personnes qui ont le même profil qu’elle, à savoir une étudiante prodémocratie.

[56] On entend plusieurs fois la demanderesse demander si elle peut ajouter ou dire quelque chose, et le commissaire Campbell lui couper la parole. Les interruptions étaient particulièrement marquées lorsque la demanderesse tentait de décrire – en réponse à une question du commissaire – le comportement illégal qu’auraient adopté les policiers lorsqu’ils interagissaient avec elle. Le commissaire Campbell a interrompu à répétition le témoignage de la demanderesse et parlait parfois en même temps qu’elle. Au lieu de permettre à la demanderesse de donner des explications supplémentaires, à un certain moment, le commissaire changeait de sujet et posait une nouvelle série de questions, empêchant ainsi la demanderesse d’apporter des précisions sur son propre témoignage.

[57] Dans certains cas, on pouvait entendre le commissaire reformuler la question, puis dire à la demanderesse qu’elle n’avait pas établi le bien‑fondé de sa cause. Par exemple, le commissaire a dit à la demanderesse que sa demande d’asile était fondée sur la [traduction] « force excessive » des policiers, puis l’a réprimandée de ne pas avoir inclus dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile toute [traduction] « blessure grave » qu’elle aurait subie aux mains des policiers, même si la demanderesse a confirmé que la blessure qu’elle avait subie – lorsqu’un policier a attrapé sa clé – n’était pas grave, et elle n’a jamais allégué que les policiers avaient eu recours à une force excessive.

[58] On pouvait aussi entendre le commissaire réprimander la demanderesse pour son défaut de coopérer avec la police. Il l’a aussi réprimandée d’avoir débattu avec les policiers d’une [traduction] « toute petite erreur grammaticale », car elle voulait corriger une inexactitude dans une déclaration de la police laissant entendre qu’elle avait été arrêtée le [traduction] « jour même » des voies de fait alléguées au lieu d’un mois plus tard.

[59] Lorsque la demanderesse a tenté de répondre à la question du commissaire à savoir pourquoi elle n’avait pas porté plainte auprès de la police, ce dernier l’a interrompue deux fois, puis est passé à un autre sujet, sans donner à la demanderesse l’occasion de fournir une explication. Par la suite, la demanderesse a laissé entendre que, si elle avait voulu porter plainte, les policiers lui auraient dit qu’elle n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve. Le commissaire Campbell a répondu d’un ton dédaigneux à la demanderesse : [traduction] « Vous n’avez aucune preuve. »

[60] On pouvait aussi entendre le commissaire Campbell contester le point de vue de la demanderesse sur ce qui constitue une conduite policière légale et défendre ainsi les actions des policiers. En outre, il a passé beaucoup de temps à faire la morale à la demanderesse sur ce qui aurait pu se produire si elle était demeurée sur place pour subir un procès, s’appuyant apparemment sur ses propres connaissances du système judiciaire de Hong Kong. En particulier, il a tenté de la convaincre, en réponse à ses préoccupations sur le fait que les policiers sont entrés chez elle sans mandat, que la loi fondamentale de Hong Kong s’appliquerait et aurait pour effet d’exclure tout élément de preuve obtenu illégalement. On pouvait entendre la demanderesse tenter d’expliquer, sans succès, que la loi fondamentale de Hong Kong, telle que rédigée par l’ancien gouvernement britannique, est appliquée différemment par le gouvernement de la RAS de Hong Kong et le gouvernement chinois.

[61] Dans sa décision, le commissaire a rejeté toutes les explications que la demanderesse avait tenté de fournir et a affirmé qu’elle s’était [traduction] « disputée inutilement » avec le garde de sécurité et avait été [traduction] « argumentatrice » avec les policiers. Il a affirmé que sa décision [traduction] « de refuser l’aimable proposition [des policiers] de se rendre chez elle et de lui éviter l’inconvénient était illogique ».

[62] Je souligne également que le commissaire Campbell semble avoir commis des erreurs en ce qui a trait aux dates et aux faits importants lorsqu’il a tenté d’obtenir des réponses de la demanderesse en s’appuyant sur sa propre lecture erronée des documents. Par exemple, il s’est trompé quant à la date à laquelle la police avait pris la déposition de la demanderesse. Il a aussi utilisé en alternance les termes [traduction] « arrestation » et [traduction] « enquête » pour décrire l’interaction de la demanderesse avec la police, comme si les deux concepts étaient synonymes, alors qu’il s’affairait à convaincre la demanderesse que les policiers n’avaient rien fait de mal.

[63] Je reconnais que le rôle de la SPR est de nature inquisitoire et que les commissaires doivent poser les « questions difficiles » qui pourraient être inappropriées si elles provenaient d’un juge : Bozsolik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 432 au para 16; Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 199 au para 21. Comme notre Cour l’a souligné, « ce travail inquisitoire pourra donner lieu à des interrogatoires parfois approfondis et énergiques, à des expressions d’impatience ou pertes de sang‑froid momentanées et même à des paroles dures ou sarcastiques, sans que cela n’entraîne pour autant une crainte raisonnable de partialité » : Aloulou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1236 au para 28.

[64] La Cour d’appel de l’Ontario a souligné l’importance que le juge de première instance [traduction] « ne donne pas l’impression, par les questions qu’il pose, d’avoir adopté une position sur les faits, les questions en litige ou la crédibilité des témoins », bien que [traduction] « la volonté d’un juge de première instance à discuter ouvertement de questions factuelles et juridiques avec les avocats ne devrait pas servir de fondement à une crainte raisonnable de partialité » : Chippewas of Mnjikaning First Nation v Chiefs of Ontario, 2010 ONCA 47 aux para 238, 243.

[65] D’autre part, notre Cour a aussi affirmé que la SPR a « le droit de contre‑interroger le demandeur et si les circonstances l’exigent, cette contre‑interrogation peut être agressive », mais qu’« il ne faut pas confondre la poursuite de la vérité et le harcèlement du demandeur » : De Leon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 852 au para 19. Dans cette affaire, la Commission avait effectué un « contre‑interrogatoire digne d’un procès criminel », qui a probablement fait en sorte que le demandeur était « convaincu que sa cause était perdue d’entrée en jeu », et, « [e]n plus de se faire accuser de contradictions là où il n’y en avait pas, [le demandeur] a aussi dû supporter des remarques qui lui auraient paru insultantes » (aux para 17, 20).

[66] Dans la même veine, notre Cour a infirmé une décision de la SPR dans une situation où, « dès le départ, […] le commissaire n’était aucunement intéressé à entendre le témoignage du demandeur », l’audience « t[enait] plus d’une enquête policière [que d’une] audition devant un tribunal » et le commissaire se lançait dans de « longues tirades […] sur des aspects périphériques n’ayant aucune pertinence véritable (sinon qu’elles démont[raient] de façon éloquente les préjugés et les partis‑pris du commissaire) » : Guermache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 870 aux para 10‑11. La Cour a conclu que les « commentaires gratuits et déplacés ainsi que le ton, l’impatience et l’agressivité manifestées à l’audition par le commissaire n’étaient pas justifiés » (au para 12).

[67] En l’espèce, l’interrogatoire du commissaire a dépassé les limites de la curiosité et est tombé dans l’argumentation. Son ton tout au long de l’audience était méprisant et constituait presque un outrage, comme l’a illustré sa façon de [traduction] « rire » ou de se [traduction] « moquer » des réponses de la demanderesse. De façon cumulative, son comportement a rendu la demanderesse si mal à l’aise qu’elle a décidé de faire une recherche en ligne pour savoir s’il existait un quelconque lien entre le commissaire et la RAS de Hong Kong. Le fait que la demanderesse a senti le besoin d’agir ainsi en dit long sur sa perception au sujet de l’impartialité ou du manque d’impartialité du commissaire en raison du comportement de celui‑ci. Après avoir écouté l’enregistrement audio, je conclus que toute « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » aurait les mêmes préoccupations que la demanderesse.

[68] En restreignant injustement la question au cœur de la demande d’asile, en interrompant à maintes reprises le témoignage de la demanderesse, en argumentant avec celle‑ci et en employant un ton méprisant, le commissaire Campbell a affiché à l’audience un comportement qui, globalement, soulevait bel et bien une crainte raisonnable de partialité.

(3) L’examen effectué par la SAR a‑t‑il remédié à une quelconque crainte raisonnable de partialité de la part de la SPR?

[69] À mon avis, la décision de la SAR n’a pas remédié à l’apparence de partialité pour deux raisons. Premièrement, la SAR a rejeté l’argument de la demanderesse concernant l’impartialité (argument que j’ai accepté en l’espèce) et n’est par conséquent pas intervenue pour corriger le manquement à l’équité procédurale. Deuxièmement, comme la crainte de partialité découle du comportement du commissaire à l’audience, il est possible que cette crainte ait eu une incidence sur la façon dont la demanderesse a livré son témoignage, et même sur la façon dont elle a formulé la question dans sa demande d’asile. En acceptant presque toutes les conclusions de la SPR telles quelles, la SAR a aggravé l’injustice créée par le manquement à l’équité procédurale au cours de l’audience devant la SPR.

B. La décision était‑elle raisonnable?

[70] La demanderesse soulève deux arguments en ce qui concerne le fond de la décision : la décision ne répond pas aux questions qu’elle a soulevées et fait fi d’éléments de preuve cruciaux.

(1) La décision était‑elle raisonnable compte tenu de la façon les arguments de la demanderesse y sont traités?

[71] La demanderesse soutient que la SAR a mal interprété son allégation de persécution, du fait qu’elle a considéré que cette allégation était fondée sur le fait qu’elle avait été arrêtée parce qu’elle avait manifesté, et non sur le fait qu’elle avait été harcelée et intimidée relativement au soutien qu’elle aurait accordé au mouvement pour la démocratie. Elle soutient également que la SAR a mal interprété son argument selon lequel elle craint d’être arrêtée et détenue arbitrairement, et a plutôt considéré qu’elle faisait valoir que le droit applicable en ce qui a trait aux voies de fait simples équivalait en soi à de la persécution, bien qu’elle ait déclaré qu’elle ne craignait pas de se voir imposer une peine pour des voies de fait simples, mais bien d’être persécutée par la police. À l’appui de sa position, elle cite l’arrêt Vavilov, au para 127, qui est reproduit ci‑dessous :

[127] Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties. Le principe suivant lequel la ou les personnes visées par une décision doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position est à la base de l’obligation d’équité procédurale et trouve son origine dans le droit d’être entendu : Baker, par. 28. La notion de « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » est inextricablement liée à ce principe étant donné que les motifs sont le principal mécanisme par lequel le décideur démontre qu’il a effectivement écouté les parties.

[72] Le défendeur fait valoir que la SAR a examiné les arguments qui lui avaient été présentés (tout en soulignant que c’était « difficile » du fait qu’ils n’étaient « pas assez développés »), qu’elle a supposé que le compte rendu était crédible et qu’elle n’a pas pu examiner des arguments dont elle n’était pas saisie.

[73] La demanderesse soutient que la SAR aurait dû garder à l’esprit que la demanderesse n’était pas représentée par un conseil. La SAR aurait dû examiner les arguments de la demanderesse, même si ceux‑ci étaient exprimés en langue profane. Je ne rejette pas cette position, mais je souligne qu’il était difficile de suivre les observations écrites de la demanderesse et je reconnais les efforts que la SAR a déployés pour les examiner.

[74] Je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a pas pleinement débattu la question de son profil de jeune étudiante. Elle a néanmoins soulevé la question. La demanderesse a déclaré devant la SPR que de nombreux jeunes sont arrêtés en secret. Elle a parlé de la façon dont les jeunes étudiants étaient particulièrement ciblés, car ils sont éduqués et refusent d’être [traduction] « forcés d’obéir à des ordres ». Elle a renvoyé à l’arrestation de certains étudiants qui retenaient l’attention du public et au fait que même les élèves du primaire n’étaient pas épargnés par la brutalité policière. Dans le mémoire qu’elle a présenté à la SAR, elle a mentionné son profil d’étudiante et affirmé, par exemple, que [traduction] « Beijing perçoit maintenant les étudiants comme des ennemis à abattre, parce qu’ils sont jeunes, bien éduqués, intelligents et assez braves pour lui désobéir », et que [traduction] « les gouvernements de Beijing et de Hong Kong n’accordent plus d’importance à la question de savoir si les étudiants participent ou non aux mouvements; dès qu’il se passe quelque chose autour d’eux, ils devraient en être tenus pour responsables », et ils serviront [traduction] « d’exemple de ce qui arrive aux personnes qui ne se soumettent pas à Beijing ».

[75] Toutefois, je souligne que la SPR a conclu, dans sa décision, que son allégation selon laquelle le fait qu’elle est étudiante et membre d’un mouvement pour la démocratie [traduction] « équivaut au motif [de persécution] des opinions politiques ». La SAR a utilisé un raisonnement semblable et a indiqué que sa demande d’asile était fondée sur ses opinions politiques en raison de son soutien au mouvement prodémocratie.

[76] Je précise que la SAR a traité sa demande d’asile comme si celle‑ci découlait « du fait de son ancienne participation au Mouvement des parapluies (ou d’autres mouvements semblables) ou de sa brève détention et de la demande de coopération en juillet 2017 ». La SAR a finalement rejeté sa demande, non pas parce qu’elle n’a pas examiné l’argument quelque peu sous‑développé de la demanderesse, mais bien en raison de sa conclusion relative à la preuve, dont je traite ci‑dessous.

[77] La SAR n’a peut‑être pas formulé la question exactement comme la demanderesse l’avait fait, mais cela est en partie attribuable aux observations quelque peu décousues de la demanderesse. Dans l’ensemble, je conclus que la SAR a cerné les questions fondamentales soulevées dans la demande d’asile de la demanderesse. Par conséquent, je rejette l’argument de la demanderesse sur cette question.

(2) La décision de la SAR était‑elle raisonnable compte tenu de la façon dont elle a traité la preuve?

[78] La demanderesse soutient que la SAR n’a pas tenu compte du contexte social et politique, comme le prouve le cartable national de documentation, qui indique que le mouvement pour la démocratie était déjà commencé en 2017 et n’était pas limité aux journées de manifestations très médiatisées. La demanderesse renvoie à différentes sources comportant des éléments de preuve portant sur la situation au pays, y compris au cartable national de documentation, indiquant que l’intimidation policière et l’arrestation de militants pour la démocratie ont augmenté au cours de la période précédant la visite du président chinois Xi Jinping à Hong Kong en juillet 2017, soit le mois où la demanderesse a été arrêtée, et à des éléments de preuve indiquant que Hong Kong est redevable à Beijing.

[79] Le défendeur répond que la SAR a traité de la situation des droits de la personne à Hong Kong et a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir de lien entre cet élément de preuve et sa demande d’asile.

[80] Abstraction faite de la question de savoir si la demanderesse a établi un lien entre les éléments de preuve et son profil d’étudiante, je conviens avec elle que la SAR a fait fi d’éléments de preuve concernant l’influence grandissante de Beijing sur Hong Kong.

[81] Contrairement à la conclusion de la SAR selon laquelle l’argument de la demanderesse concernant les conditions dans le pays n’était « pas étayé » ou « général de nature », le cartable national de documentation contenait des éléments de preuve qui démontraient l’influence croissante de Beijing sur Hong Kong. La demanderesse renvoie à un rapport de la Henry Jackson Society, qui faisait partie du cartable national de documents du 31 août 2018, et cite un extrait de ce rapport, à savoir qu’on a observé [traduction] « une diminution surprenante et dramatique des droits démocratiques et des garanties juridiques à Hong Kong en seulement 10 ans », et que [traduction] « la Chine a utilisé différentes façons directes et indirectes de contourner le processus législatif et le système judiciaire à Hong Kong, de sorte que ces secteurs sont redevables à Beijing ».

[82] En outre, la SAR disposait d’articles concernant la perte prématurée de l’indépendance de Hong Kong par rapport à la Chine, une vingtaine d’années avant la fin de la promesse [traduction] « un pays, deux systèmes », faite dans la déclaration commune sino‑britannique. Il y avait entre autres un article du 16 octobre 2017 de Hong Kong Free Press indiquant que des avocats de droit international de six pays différents, dont le Canada, avaient formulé des préoccupations au sujet de l’arrestation de jeunes militants pour la démocratie et avaient qualifié ces arrestations de [traduction] « grave menace à la primauté du droit et de manquement au principe de “double incrimination” à Hong Kong ». Ce même article, citant le juge Kemal Bokhary de Cour d’appel finale de Hong Kong, qui a averti que de [traduction] « sombres nuages » planaient sur la magistrature en raison de la pression exercée par Beijing cinq ans plus tôt, faisait état de graves préoccupations concernant l’indépendance de la magistrature à Hong Kong. Cet article mentionnait aussi que la Chine avait publié un livre blanc en 2014, déclarant que Beijing détient une [traduction] « compétence étendue sur Hong Kong », tandis que la déclaration commune sino‑britannique et la loi fondamentale prévoyaient un [traduction] « degré élevé d’autonomie ».

[83] Compte tenu des éléments de preuve mentionnés ci‑dessus et d’autres articles publiés en 2017 qui ont été versés au dossier, il est difficile de comprendre comment la SAR a raisonnablement pu en arriver à la conclusion que « la preuve ne permet pas de conclure que la situation à Hong Kong s’est détériorée tellement depuis la rétrocession ».

[84] Je tiens à formuler la remarque incidente suivante : je prends connaissance d’office de la mise en liberté récente des « deux Michael » (Michael Spavor et Michael Kovrig) immédiatement après la mise en liberté de Meng Wangzhou, qui semble corroborer l’allégation de la demanderesse concernant les représailles qu’exerce la Chine contre le Canada en raison de l’arrestation de la responsable de Huawei, une allégation que la SAR a rejetée au motif qu’elle n’était pas pertinente et n’était pas étayée par des preuves suffisantes.

[85] La demanderesse a manifestement le fardeau de prouver qu’il existe une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée, et à cette fin, elle doit établir un lien entre sa demande d’asile et le contexte social et politique en général. Cependant, la conclusion de la SAR au sujet de la détérioration de la situation des droits de la personne à Hong Kong depuis la rétrocession était déraisonnable. Je ne peux pas me prononcer sur la mesure dans laquelle cette conclusion erronée a eu une incidence sur la conclusion de la SAR relativement à la demande d’asile de la demanderesse, et il n’est pas nécessaire que je le fasse.

[86] Compte tenu du grave manquement à l’équité procédurale et de la conclusion déraisonnable de la SAR en ce qui concerne la détérioration de la situation à Hong Kong, la présente affaire doit être renvoyée à la SAR pour être tranchée par un autre commissaire.

VI. Certification

[87] La Cour a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier. Ils ont indiqué qu’il pouvait y avoir une question à certifier relativement à la partialité. Comme ma conclusion sur la question de la partialité porte précisément sur les faits et les circonstances de l’espèce, je ne crois pas que la présente affaire soulève de question grave de portée générale.

VII. Conclusion

[88] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la SAR pour être tranchée par un autre commissaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2239‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2239‑20

 

INTITULÉ :

KAN CHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Erin Simpson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Erin Simpson

Landings LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.