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Date : 20211123


Dossier : IMM-994-21

Référence : 2021 CF 1286

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MICHAEL OLAJIDE ZOMACHI

EUNICE MFON ZOMACHI

DELIGHT INEM ZOMACHI

JEMIMAH AYOMIDE ZOMACHI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR ou le tribunal] le 27 janvier 2021 dans laquelle la SPR a rejeté leur demande d’asile qui était fondée sur une crainte des mutilations génitales féminines [les MGF] que leurs deux filles mineures risquaient de subir aux mains de deux oncles ainsi que de l’ensemble de la communauté de Sagamu, s’ils retournaient au Nigéria.

I. La décision faisant l’objet du contrôle

[2] La SPR, dans une décision détaillée qui reposait sur le témoignage des demandeurs, ainsi que l’exposé circonstancié de leur formulaire Fondement de la demande d’asile [le FDA], leur preuve documentaire et la preuve objective de la situation du pays, était d’avis que la question déterminante était la crédibilité, en se fondant sur quatre conclusions clés.

[3] Premièrement, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas de preuve objective du risque de persécution invoqué dans la région où les demandeurs craignaient que les MGF aient lieu. La conclusion se fondait sur la preuve de la situation générale du pays contenue dans le Cartable national de documentation (le CND) pour le Nigéria et sur la pièce D-16, un article rédigé par quatre universitaires qu’ont présenté les demandeurs concernant les MGF dans la région de Sagamu dans l’État d’Ogun. Vu l’ensemble des éléments de preuve présentés, y compris différentes conclusions des universitaires figurant dans la pièce D-16, le tribunal a conclu que ce sont les parents qui prennent habituellement la décision de soumettre leurs filles à des MGF et qu’un refus de leur part n’engendre habituellement pas de conséquences dans la région natale des demandeurs au Nigéria.

[4] Deuxièmement, la SPR a conclu que les autres éléments de preuve à l’appui étaient problématiques, notamment un affidavit du frère de M. Zomachi (le demandeur principal), qui mentionnait que les anciens se réuniraient au domicile de son frère pour une réunion de famille, mais ne mentionnait pas les MGF. Le tribunal n’a pas non plus donné de poids à une lettre du propriétaire du logement des demandeurs à Abuja (où ils s’étaient installés après avoir quitté Sagamu, leur ville natale), dans laquelle il était indiqué que des personnes étaient venues chercher la famille et avaient endommagé l’entrée en tentant de la forcer. En outre, le tribunal a conclu que les documents concernant l’état psychologique des demandeurs, dans lesquels il est question de la possibilité qu’ils souffrent du syndrome de stress post-traumatique, n’avaient aucune valeur probante en ce qui concerne les allégations.

[5] Troisièmement, le tribunal a relevé plusieurs points où les témoignages des demandeurs concernant les menaces envers les membres de la famille ne concordaient pas et a donc tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité. Il a relevé des omissions et des incohérences entre les témoignages présentés à l’audience et les faits mentionnés dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA, notamment en ce qui concerne les menaces reçues lors de visites et d’appels téléphoniques en 2014, puis à nouveau en 2016. Il a aussi relevé des déclarations contradictoires au sujet des menaces envers la mère du demandeur principal.

[6] Quatrièmement, le tribunal a constaté que les demandeurs ont choisi de rester au Nigéria pendant un certain temps après avoir reçu les menaces de mort alléguées en 2014 et 2016, puis d’obtenir leurs visas pour les États-Unis [les É.-U.] en octobre 2017, et de rester à nouveau dans le pays plusieurs semaines avant de partir pour les É.-U. En outre, le tribunal a constaté que les demandeurs n’avaient pas demandé l’asile aux É.-U. au cours de leur séjour de six mois dans ce pays et a rejeté les explications qu’ils ont fournies pour justifier la situation, laquelle découlait prétendument de conseils douteux qui leur avaient été donnés par des sources d’information peu fiables. Le tribunal a conclu que le défaut des demandeurs de présenter une demande l’asile aux É.‑U. démontrait l’absence d’une crainte subjective.

[7] Finalement, à la lumière de ce qui précède, le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de fondement crédible ou d’élément de preuve digne de foi sur lequel il aurait pu s’appuyer pour rendre une décision favorable, considérant que toutes les allégations des demandeurs étaient contredites par des éléments de preuve documentaire objectifs et par l’article des universitaires qu’ils ont fourni, et qu’aucune explication crédible n’avait été fournie pour justifier les contradictions.

II. Analyse

[8] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, que la Cour suprême du Canada a exposée en détail dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[9] Les demandeurs fondent leur contestation des conclusions de la SPR entièrement sur ce qu’ils qualifient de lecture sélective et mal interprétée de la pièce D-16, un document présenté par les demandeurs intitulé [traduction] Les circoncisions et les pratiques liées à la naissance des enfants à Sagamu (État d’Ogun), au Nigéria coécrit par quatre universitaires. Ils affirment qu’il s’agit d’un vice fondamental parce que la SPR elle-même a déclaré que, selon la pièce D‑16, les MGF n’étaient pas pratiquées à Sagamu, et que la contradiction avec l’affirmation des demandeurs [traduction] « est au cœur de la demande », en particulier compte tenu de la conclusion [traduction] « d’absence de fondement crédible » et de ses implications.

[10] J’estime que l’argument des demandeurs comporte deux vices fondamentaux. Premièrement, bien que la pièce D-16 indique que certaines communautés de Sagamu pratiquent la circoncision masculine (par exemple, à la section 5.2) et fasse état de pratiques divergentes dans la région en ce qui concerne la circoncision masculine, il est souligné d’emblée, sous [traduction] « Résultats et analyse » (à la section 5.1) que :

[traduction]

Les enfants de sexe féminin ne sont pas circoncis du tout dans cette communauté, quelle que soit leur appartenance religieuse. Une participante parmi les femmes a déclaré :

Ici à Sagamu, nous pratiquons la circoncision masculine […] et nous ne pratiquons pas du tout la circoncision féminine.

[11] D’autres conclusions des auteurs font écho à cette affirmation (notamment à la section 5.3). Certes, la pièce D-16 signale certains cas de circoncision féminine où [traduction] « les hommes prennent des décisions majeures qui concernent la famille, y compris les femmes », entre autres dans les [traduction] « communautés non pratiquantes ». Cependant, comme je l’ai mentionné ci-dessus, le tribunal a conclu que les parents jouent un rôle central dans ces décisions. Par conséquent, lorsqu’elle est lue dans son ensemble, l’évaluation de la pièce D‑16 par la SPR concernant les MGF à Sagamu était transparente, justifiée et intelligible compte tenu de tous les éléments de preuve et, par conséquent, raisonnable.

[12] De plus, je ne peux pas accepter l’argument général des demandeurs selon lequel la SPR, en se fondant uniquement sur l’analyse de la pièce D-16, a mal interprété la preuve, sur la base de décisions comme Sarissky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 186, Hernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1060, et Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), [1999] 1 CF 53, 1998 CanLII 8667 (CF). Encore une fois, la pièce D-16 était loin d’être le seul élément de preuve de la situation du pays que la SPR a examiné et analysé relativement à la question des MGF qui touche les Nigérians. Au contraire, le tribunal a cité de nombreuses sources du CND pour arriver à ses conclusions sur la preuve objective qui sont incompatibles avec les risques soulevés par les demandeurs.

[13] Ma conclusion quant au premier vice, à savoir l’accent mis par les demandeurs sur un seul document faisant partie d’un vaste ensemble de preuves, découle directement du deuxième vice, c’est-à-dire que, même si j’acceptais leur position selon laquelle la SPR a commis une erreur déraisonnable dans son interprétation de la pièce D-16, ils ne soulèvent aucune objection aux différentes autres conclusions relatives à la crédibilité formulées ailleurs dans les conclusions clés, comme l’indique le résumé de la décision de la SPR ci-dessus. Les conclusions relatives à la crédibilité comportent des incohérences et des contradictions entre : i) le témoignage des demandeurs adultes et les renseignements contenus dans le formulaire FDA et ii) la crainte subjective.

[14] En bref, même si je reconnaissais l’existence d’une faiblesse dans la conclusion contestée par les demandeurs, laquelle conclusion reposerait uniquement sur la pièce D-16, cela ne rendrait pas l’ensemble de la décision déraisonnable étant donné les différentes autres conclusions relatives à la crédibilité qui n’ont pas été contestées (voir, par exemple, Obinna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1152 au para 34). Un contrôle judiciaire, après tout, n’est pas une chasse au trésor, à la recherche d’une erreur (Vavilov, para 102).

III. Conclusion

[15] Considérée dans son ensemble, je suis d’avis que la décision de la SPR est raisonnable et je rejetterai donc la demande, pour laquelle les parties n’ont soulevé aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-994-21

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé de la cause est corrigé afin de désigner correctement le défendeur, soit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Les parties ne proposent aucune question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  4. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-994-21

INTITULÉ :

ZOMACHI ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 NovembrE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 NovembrE 2021

COMPARUTIONS :

Aboubcar Sidiki Coulibaly

POUR LES DEMANDEURS

Andrea Shahin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ASC Avocat Montréal

Cabinet d’avocat

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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