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Date : 20211206


Dossier : IMM-3049-20

Référence : 2021 CF 1360

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

KEWEI XIAO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Kewei Xiao, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 11 mai 2020 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté l’appel qu’elle avait interjeté contre le rejet, par un agent des visas (l’agent), de sa demande de parrainage présentée au titre de la catégorie du regroupement familial à l’égard de sa fille (la demande de parrainage).

[2] La SAI a confirmé la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’avait pas respecté les exigences du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), aux termes duquel la demande de parrainage devait être présentée avant que sa fille, Mme Jiayu Cao (la fille de la demanderesse), atteigne l’âge de 22 ans.

[3] La demanderesse soutient qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale et à la justice naturelle en raison de l’inefficacité et de l’incompétence dont a fait preuve son ancien consultant en immigration, M. Jeffrey Hemlin (le consultant), qui l’a représentée dans le cadre de la demande de parrainage et de l’appel devant la SAI. La demanderesse affirme que le consultant a) n’a pas déposé la demande de parrainage en temps opportun, b) n’a été ni honnête ni franc et c) a continué à représenter la demanderesse lors du processus de demande de parrainage et d’appel, malgré l’existence d’un conflit d’intérêts.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le droit de la demanderesse à l’équité procédurale a été enfreint en raison des actes et omissions du consultant. En conséquence, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits

A. La demanderesse

[5] La demanderesse est une ressortissante de la Chine. En 2017, elle a présenté une demande d’immigration au Canada et elle est devenue résidente permanente le 4 juin 2018. Elle n’a pas inclus sa fille à titre d’enfant à charge dans sa demande de résidence permanente.

[6] En août 2018, la demanderesse a décidé de parrainer sa fille au titre de la catégorie du regroupement familial en tant qu’enfant à charge âgée de moins de 22 ans. La fille de la demanderesse est née le 19 janvier 1997 et a eu 22 ans le 19 janvier 2019.

[7] Le 9 novembre 2018, la demanderesse a retenu les services du consultant afin qu’il l’aide à remplir sa demande de parrainage. Le consultant était titulaire d’un permis d’exercice délivré par le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada (le CRCIC).

[8] Du 9 novembre 2018 au 15 novembre 2018, la demanderesse a fourni au consultant les informations requises pour compléter la demande de parrainage.

[9] Le 18 novembre 2018, la fille de la demanderesse a reçu un courriel du consultant qui renfermait des formulaires qu’elle devait signer. Elle l’a fait, et a renvoyé les formulaires à sa mère le 22 novembre 2018. Dès le lendemain, soit le 23 novembre 2018, la demanderesse a remis en main propre les formulaires au consultant et, avec l’aide d’un interprète, elle lui a expressément demandé de présenter la demande de parrainage à temps de façon à ce qu’IRCC la reçoive avant que sa fille n’atteigne l’âge de 22 ans.

[10] Le 22 décembre 2018, la demanderesse a reçu un message de son interprète l’avisant que le consultant avait confirmé avoir envoyé la demande de parrainage [traduction] « le 5 ou le 6 décembre 2018 ».

[11] Or, le reçu et le cachet postal du service Xpresspost de Postes Canada indiquent qu’en réalité, la demande a été envoyée par la poste le 18 janvier 2019. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a toutefois reçu la demande de parrainage le 23 janvier 2019, soit quatre jours après que la fille de la demanderesse a atteint l’âge de 22 ans.

[12] Dans une lettre datée du 11 mars 2019, IRCC a informé la demanderesse qu’elle répondait aux conditions pour devenir un répondant. La demande de parrainage a ensuite été envoyée au bureau d’IRCC à Hong Kong, où son traitement a franchi une étape supplémentaire.

[13] Le 17 octobre 2019, l’agent a fait savoir qu’il doutait que la fille de la demanderesse satisfasse à la définition d’« enfant à charge », puisqu’elle avait déjà 22 ans au moment où IRCC a reçu la demande de parrainage. Le 16 novembre 2019, le consultant a répondu à l’agent afin de lui expliquer qu’il avait envoyé la demande de parrainage par le biais de Postes Canada le 18 janvier 2019, alors que la fille de la demanderesse était toujours âgée de 21 ans. Le consultant a fait valoir que la demande de parrainage devait être considérée comme ayant été déposée à la date à laquelle elle avait été oblitérée par Postes Canada. Le consultant n’a pas informé la demanderesse de la lettre de l’agent ni des préoccupations qu’elle soulevait.

[14] Le 3 janvier 2020, l’agent a rejeté la demande de parrainage au motif qu’à la date de la réception de la demande par IRCC, la fille de la demanderesse avait dépassé l’âge limite jusqu’auquel elle pouvait être considérée comme une « enfant à charge » au titre de la catégorie du regroupement familial.

[15] Selon la demanderesse, après avoir éprouvé quelques difficultés à contacter le consultant, elle l’a rencontré le 27 janvier 2020 pour signer l’avis d’appel. Le même jour, le consultant a dit à la demanderesse que sa demande de parrainage et son appel ne devraient poser [traduction] « aucun problème ».

[16] L’avis d’appel de la décision prise par l’agent a été déposé auprès de la SAI le 31 janvier 2020. Dans ses observations écrites, le consultant a fait valoir que l’agent aurait dû conclure que la date [traduction] « déterminante » quant à l’âge de la fille de la demanderesse était le jour où la demande a été envoyée par messagerie et oblitérée par Postes Canada, soit le 18 janvier 2019, et non le jour où la demande a été reçue par IRCC, soit le 23 janvier 2019.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[17] Le 11 mai 2020, la SAI a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Dans les motifs de sa décision (la décision de la SAI relative au parrainage), la SAI a conclu que la date « déterminante » d’une demande de parrainage présentée au titre de la catégorie du regroupement familial est celle où IRCC reçoit la demande, et non celle de son envoi par la poste ou par messagerie. La SAI a jugé que l’agent avait retenu la bonne date et qu’il n’avait commis aucune erreur de fait ou de droit en refusant de délivrer un visa de résident permanent à la fille de la demanderesse. En outre, la SAI a statué qu’en l’espèce, l’article 65 de la LIPR ne lui conférait pas le pouvoir discrétionnaire de faire des exceptions pour des motifs d’ordre humanitaire.

[18] La demanderesse affirme qu’elle n’a pris connaissance de la décision de la SAI que le 6 juillet 2020 et qu’elle a reçu une copie de la décision le 10 juillet 2020.

[19] Le 17 juillet 2020, la demanderesse a avisé le consultant par courriel et par télécopieur des allégations qu’elle avait l’intention de formuler contre lui.

C. La deuxième décision de la SAI

[20] Le 18 septembre 2020, la demanderesse a déposé une demande de réouverture de l’appel auprès de la SAI au motif que la négligence de son ancien conseil avait entraîné un déni de justice.

[21] Le 10 décembre 2020, la SAI a rejeté la demande de réouverture de l’appel présentée par la demanderesse (la deuxième décision de la SAI). La SAI a reconnu que la négligence et l’incompétence du consultant, ainsi que son défaut de soumettre la demande de parrainage en temps opportun, avaient causé un préjudice grave à la demanderesse, en lui faisant perdre la possibilité de parrainer sa fille alors que celle-ci avait toujours l’âge requis pour être admissible à titre d’enfant à charge appartenant à la catégorie du regroupement familial. La SAI a également conclu qu’un déni de justice avait donc découlé de la décision de l’agent parce que la demanderesse avait été privée de la possibilité de faire valoir des arguments qui auraient pu faire en sorte que la demande de parrainage soit accueillie pour des motifs d’ordre humanitaire aux termes de l’article 25 de la LIPR.

[22] Toutefois, la SAI n’a pas jugé que la réouverture de l’appel de la demanderesse était justifiée, car il n’avait pas été établi que sa fille faisait partie de la catégorie du regroupement familial au moment où la demande de parrainage a été reçue par IRCC. La SAI a conclu qu’en conséquence, elle n’avait plus compétence pour statuer sur l’appel.

[23] La SAI a également jugé que les erreurs du consultant n’avaient pas entraîné un déni de justice en l’espèce, car l’article 65 de la LIPR ne permet pas à la SAI de tenir compte de motifs d’ordre humanitaire lorsqu’elle a analysé les conséquences des erreurs commises par le consultant une fois qu’il a été établi que l’intéressée n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial.

III. Question en litige et norme de contrôle

[24] La seule question en litige en l’espèce consiste à savoir si le droit de la demanderesse à l’équité procédurale et à la justice naturelle a été enfreint dans le cadre de son appel devant la SAI.

[25] Les deux parties soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, car la présente affaire soulève des questions d’équité procédurale et de justice naturelle. Je suis d’accord (Satkunanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 470 (Satkunanathan) au para 31; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (Chemin de fer Canadien Pacifique) aux para 37-56; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23).

[26] La norme de la décision correcte est une norme de contrôle qui ne commande aucune déférence. La question essentielle qui se pose pour les questions d’équité procédurale est celle de savoir si la procédure a été équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21-28, (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54).

IV. Analyse

[27] La demanderesse soutient que son droit à l’équité procédurale a été enfreint parce que le consultant a fait preuve de négligence et d’incompétence lorsqu’il l’a représentée dans le cadre du processus de demande de parrainage et de l’appel devant la SAI, et que les actes et omissions du consultant ont entraîné un déni de justice.

[28] Dans la décision Satkunanathan, mon collègue le juge Pamel a souligné qu’il est établi « qu’un conseil inefficace ou incompétent peut être un motif suffisant pour déterminer qu’il y a eu manquement à la justice naturelle » (au para 33). Suivant les principes énoncés dans la décision Satkunanathan, le demandeur qui invoque l’incompétence ou la négligence de son ancien conseil doit établir a) que les actes ou omissions du conseil en cause relevaient de l’incompétence et b) que les actes ou omissions du conseil ont entraîné une erreur judiciaire (Satkunanathan, aux para 35-36; voir également Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 aux para 36-38).

A. La question de savoir si les actes ou omissions du consultant relevaient de l’incompétence

[29] La demanderesse soutient que les actes et omissions du consultant vont à l’encontre des normes de conduite imposées par sa profession et relèvent de l’incompétence.

[30] Au Canada, les normes professionnelles qui s’appliquent aux consultants sont régies par le code d’éthique professionnelle du CRCIC. Ce code exige que les consultants en immigration soient compétents (paragraphes 5.1 et 5.2), qu’ils maintiennent en tout temps la qualité des services qu’ils offrent (paragraphe 6.1) et qu’ils soient honnêtes et francs lorsqu’ils conseillent leurs clients (paragraphe 7.1).

[31] Aux termes de l’alinéa 117(1)b) du RIPR, un étranger appartient à la catégorie du regroupement familial s’il est l’enfant à charge du répondant. L’article 2 du RIPR prévoit que les enfants de moins de 22 ans tombent sous le coup de la définition d’ « enfant à charge ».

[32] Selon le guide opérationnel d’IRCC qui décrit la procédure à suivre pour déposer une demande de parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial, la date à laquelle une demande est considérée comme « faite » est celle du jour où IRCC reçoit la demande dûment complétée. L’âge de l’enfant à charge est donc arrêté le jour où IRCC reçoit la demande, qui est la date « déterminante ».

[33] Selon la demanderesse, le défaut par le consultant de déposer la demande avant que la date « déterminante » de l’âge ne soit trop tardive et son manquement aux obligations prescrites par le code d’éthique de sa profession relèvent de l’incompétence. La demanderesse a souligné que le consultant disposait déjà de tous les formulaires et documents requis pour envoyer la demande de parrainage le 23 novembre 2018, mais qu’IRCC n’avait reçu la demande que le 23 janvier 2019, alors que la fille de la demanderesse avait déjà 22 ans.

[34] Je souscris à l’argument de la demanderesse selon lequel le respect des échéances est un élément important du devoir d’un consultant envers son client. Le paragraphe 6.2.1 du Code d’éthique professionnelle exige que les consultants en immigration déploient tous les efforts possibles pour s’assurer que les documents sont remis à IRCC dans les délais prescrits. Dans la présenter affaire, le fait que le consultant n’ait pas respecté l’échéance applicable au regard de la date « déterminante » de l’âge de l’enfant à charge et qu’il n’ait pas soumis la demande de parrainage en temps opportun a entraîné l’inadmissibilité de la fille de la demanderesse en tant qu’ « enfant à charge » âgée de moins de 22 ans.

[35] Je conclus que le consultant a également manqué à ses obligations d’honnêteté et de franchise lorsqu’il a induit la demanderesse en erreur en lui disant qu’il avait déposé la demande de parrainage au début du mois de décembre 2018.

[36] Dans l’ensemble, je conviens avec la demanderesse que le consultant a fait preuve d’incompétence et qu’il a failli aux obligations que lui impose le Code d’éthique professionnelle, à savoir fournir un service de qualité, présenter les documents en temps utile et faire preuve d’honnêteté et de franchise. Je partage également l’avis de la demanderesse selon lequel le défaut du consultant de justifier ses actes et ses omissions, alors qu’il a eu de multiples occasions de le faire, appuie la conclusion selon laquelle le consultant a agi de manière incompétente. Il s’agit d’une conclusion semblable à celle tirée par le juge Barnes dans la décision Enye c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 481, au paragraphe 10:

[10] Ma conclusion selon laquelle le consultant a été négligent est aussi appuyée par l’absence de réponse de ce dernier aux allégations faites par la demanderesse dans la présente instance : voir Tapia Fernandez c Canada (MCI), 2020 CF 889, [2200] ACF no 937.

[37] En conséquence, je conclus que les actes et omissions du consultant relèvent de l’incompétence.

B. La question de savoir si les actes ou omissions du consultant ont entraîné un déni de justice.

[38] La demanderesse soutient qu’elle a subi un préjudice important en raison de l’incompétence du consultant, car la décision de l’agent selon laquelle sa fille n’était pas une « enfant à charge » appartenant à la catégorie du regroupement familial découlait directement et exclusivement du fait que le consultant n’avait pas déposé la demande de parrainage en temps opportun. En conséquence, la demanderesse n’a pas pu parrainer sa fille en vue de son immigration au Canada et a été victime d’un déni de justice.

[39] La demanderesse soutient que, comme le consultant lui a caché qu’il avait reçu le 17 octobre 2019 une lettre d’équité procédurale dans laquelle l’agent indiquait qu’à première vue, il doutait que sa fille réponde à la définition d’« enfant à charge », elle a été privée de la possibilité de solliciter un avis juridique au sujet des actes ou omissions du consultant et de répondre à cette lettre.

[40] La demanderesse s’appuie sur la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 402 (Yang), affaire dans laquelle les représentants de la demanderesse – une agence d’immigration en Chine et un avocat canadien – n’avaient pas informé la demanderesse d’une lettre d’équité procédurale qui mettait en lumière une omission faite par erreur. Au paragraphe 43 de la décision Yang, le juge Manson a déclaré ce qui suit :

Les actes du représentant canadien et de la mandataire au printemps 2018 constituent aussi de l’incompétence. Plutôt que d’informer la demanderesse de l’existence de la lettre relative à l’équité procédurale et, ainsi, d’admettre que des omissions avaient été faites par erreur dans le formulaire IMM5669 mis à jour, la mandataire a délibérément pris des mesures pour induire la demanderesse et IRCC en erreur. Bien qu’il soit possible que le représentant canadien n’ait pas été au courant de cette tentative délibérée d’induire la demanderesse en erreur, elle a été faite avec son autorisation, et il doit en être tenu responsable. La retenue délibérée par la mandataire de la lettre relative à l’équité procédurale, par ailleurs autorisée de manière implicite par le représentant canadien, ne fait pas non plus partie du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable qui aurait pu — et aurait dû — être fournie.

[41] Certes, la Cour a conclu, dans la décision Yang, que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il existait une probabilité raisonnable que le résultat de la décision aurait été différent si les représentants n’avaient pas caché l’existence de la lettre d’équité procédurale (Yang, au para 50), mais le juge Manson a jugé que l’omission des représentants de divulguer la lettre d’équité procédurale constituait de l’incompétence (Yang, au para 44).

[42] La demanderesse soutient en outre qu’un manquement à un principe de justice naturelle peut être constaté même si la SAI elle-même n’est pas à l’origine de cette atteinte. En vertu de l’alinéa 67(1)b) de la LIPR, la SAI peut accueillir un appel si elle est convaincue qu’il y a eu un manquement à un principe de justice naturelle :

Fondement de l’appel

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Appeal allowed

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[43] Pour étayer cette position, la demanderesse s’appuie sur la décision Satkunanathan au paragraphe 39 (citant Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3026 (CAF), [1994] 2 CF 51 (Shirwa) aux pages 60-61):

[39] En outre, comme une audience devant la SAI a effectivement eu lieu, la décision qui en découle ne peut être examinée que sur la base d’un manquement aux principes de justice naturelle. Le juge Denault affirme ce qui suit dans l’arrêt Shirwa, aux pages 60‑61:

Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des « circonstances extraordinaires », lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir « l’étendue du problème » et que le contrôle judiciaire a « pour fondement des faits très précis ». Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l’insatisfaction d’ordre général ressentie à l’égard de la qualité de la représentation assurée par l’avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. Toutefois, lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit.

(non souligné dans l’original)

[44] La demanderesse soutient qu’en l’espèce, la négligence et l’incompétence du consultant « ressort[ent] de la preuve de façon suffisamment claire et précise », conformément à la définition énoncée par la Cour dans la décision Satkunanathan et dans l’arrêt Shirwa, et que, par conséquent, la conduite du consultant était en soi préjudiciable à la demanderesse, même si le comportement ayant causé le préjudice ne peut être imputé à la SAI elle-même.

[45] La demanderesse soutient que le consultant s’est placé en situation de conflit d’intérêts avec elle en continuant de la représenter dans le cadre de l’appel devant la SAI. En vertu de l’alinéa 11.1.1(iii) du Code d’éthique professionnelle, le consultant doit se retirer d’une affaire si sa participation continue de le placer en conflit d’intérêts. La demanderesse fait valoir que le consultant avait intérêt à dissimuler l’erreur qu’il avait commise et à continuer de présenter des arguments non fondés, tandis que la demanderesse avait intérêt à expliquer qu’elle avait été victime d’un déni de justice en raison de l’erreur du consultant. La demanderesse soutient qu’elle a subi un préjudice dans le cadre de la procédure de la SAI en raison de la malhonnêteté du consultant et de sa décision de la représenter dans la procédure devant la SAI.

[46] Le défendeur fait valoir que ce n’est pas en raison d’un manquement à la justice naturelle que la demanderesse a été empêchée de présenter des arguments suffisants dans le cadre de son appel devant la SAI, mais plutôt parce qu’elle ne s’est pas enquise des arguments qui seraient avancés devant la SAI et qu’elle a continué de s’en remettre au consultant bien que certains indices tendaient à indiquer son incompétence et la médiocrité de ses services. Le défendeur soutient que « l’omission de la part d’un avocat, librement choisi par un client, ne saurait, en aucun cas à l’exception du cas le plus extraordinaire, entraîner l’annulation d’une décision à l’occasion d’un appel ou d’un contrôle judiciaire » (Sathasivam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 438 au para 23, citant Huynh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 21 Imm LR (2d) 18 (CF1re inst) au para 23). En outre, selon le défendeur, il n’y a pas lieu d’accueillir une demande de contrôle judiciaire lorsque le demandeur « s’intéresse peu ou pas à ce qui arrive à sa demande » (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 833 (Khan) au para 29, citant Mussa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1994] A.C.F. n2047 au para 3).

[47] Le défendeur reconnaît qu’il peut y avoir des situations où la négligence ou l’incompétence du représentant peut avoir pour conséquence qu’un justiciable soit privé d’une audience équitable. Toutefois, il convient de conclure à un manquement à l’équité procédurale uniquement « dans les cas où il n’y a eu aucune négligence ou faute contributive de la part [du demandeur] », et lorsque le demandeur a agi avec la diligence requise, mais a subi une injustice due à des circonstances entièrement indépendantes de sa volonté. En l’espèce, le défendeur soutient que la demanderesse a fait preuve de négligence et qu’elle n’a ni cherché à participer aux démarches relatives à la demande de parrainage et à l’appel auprès de la SAI, ni sollicité l’intervention d’un autre conseil après avoir constaté qu’elle n’avait obtenu que de piètres résultats, des échanges inadéquats et des réponses insuffisantes de la part du consultant.

[48] À l’audience, l’avocat de la demanderesse a répliqué que la demanderesse ne possédait pas la formation professionnelle nécessaire pour comprendre les questions juridiques et que c’était précisément pour cette raison qu’elle avait retenu les services du consultant afin qu’il l’aide à remplir la demande de parrainage. La demanderesse s’attendait à ce que le consultant lui fournisse les conseils dont elle avait besoin et ne s’attendait pas à devoir surveiller ses faits et gestes. Je conviens avec l’avocat de la demanderesse que le recours aux services d’un conseil perd sa raison d’être si la demanderesse est tenue d’examiner minutieusement son travail.

[49] Dans la décision Satkunanathan, aux paragraphes 88 à 90, le juge Pamel reconnaît qu’un demandeur est généralement lié à son avocat ou conseil. Toutefois, ce n’est pas le cas lorsque le représentant a commis une erreur :

[88] Je conviens qu’un demandeur est généralement lié à son avocat (Jouzichin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1886 (QL), 1994 CarswellNat 1592, au par. 2 […]). Toutefois, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où le conseil a simplement commis une erreur.

[89] Après avoir examiné la preuve, il me semble que l’ancien conseil ne possédait tout simplement pas une connaissance suffisante des principes fondamentaux ou des principes de droit applicables au travail précis qu’il a entrepris, de sorte qu’il puisse percevoir la nécessité de vérifier les règles de droit qui s’appliquent à chaque point pertinent (Central Trust, aux par. 58 et 59). En outre, c’est en raison de tels manquements de la part de l’ancien conseil que la demanderesse a été privée de son droit à une audience en bonne et due forme devant la SAI (Mathon c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 707 (QL)).

[90] Par conséquent, en ce qui concerne strictement l’appel interjeté par la demanderesse devant la SAI, je conclus que la conduite de l’ancien conseil a été en deçà de la norme à laquelle on peut raisonnablement s’attendre de la part d’un avocat compétent et qu’elle ne correspond pas à ce qui constitue un jugement professionnel normal.

[50] Dans l’affaire Satkunanathan, l’avocat de la demanderesse n’avait pas sollicité de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire et n’avait pas informé la demanderesse de l’existence de cette voie de recours. Le défendeur fait une distinction entre l’affaire Satkunanathan et celle qui nous occupe en faisant valoir que, dans l’affaire Satkunanathan, la négligence professionnelle se rapportait à une question qui relevait avant tout de l’avocat, alors que, dans la présente affaire, la négligence reprochée au consultant ne concernait pas une question juridique qui devait raisonnablement relever du conseil seulement. Le défendeur soutient que le simple dépôt d’une demande de parrainage ne requiert en soi aucune expertise juridique, et qu’il incombait à la demanderesse de s’en acquitter. Selon le défendeur, bien que la demanderesse ait choisi de déléguer cette tâche au consultant, elle avait toujours la responsabilité de s’assurer que les documents soient déposés correctement et en temps opportun.

[51] Je ne suis pas d’accord avec la position du défendeur. La demanderesse a souligné ce qui suit dans son affidavit:

[traduction]

À plusieurs occasions, j’ai fait part à M. Hemlin de mes préoccupations quant à la présentation de la demande de parrainage en temps opportun, et il m’a toujours dit de ne pas m’inquiéter et qu’il ne devrait pas y avoir de problème.

Si j’avais su que M. Hemlin n’avait pas déposé la demande de parrainage en temps utile, j’aurais demandé un avis juridique sur ce que je pouvais faire, que ce soit dans le cadre de la demande de parrainage ou de l’appel devant la SAI.

[52] La demanderesse, n’ayant pas reçu une formation professionnelle qui lui aurait permis de comprendre les questions juridiques, a compté sur l’expertise et la formation du consultant en immigration et l’a chargé de présenter la demande de parrainage à temps et de représenter ses intérêts devant la SAI. Si le consultant n’avait pas fait preuve de négligence et d’incompétence, et s’il n’avait pas enfreint le code d’éthique qui régit sa profession, la demande de parrainage de la demanderesse aurait été présentée en temps opportun.

[53] Je souligne qu’aux termes du paragraphe 13.2.1 du Code d’éthique professionnelle, lorsqu’un consultant en immigration découvre que ses actes ou omissions ont causé ou sont susceptibles d’avoir causé un préjudice à un client, il est tenu d’en informer le client et de lui recommander de solliciter les conseils d’un avocat quant aux droits qu’il pourrait exercer du fait de ces actes ou omissions. Je conviens avec la demanderesse que le consultant lui a causé un préjudice, car il ne lui a pas exposé en toute honnêteté les motifs du rejet de la demande et qu’il ne s’est pas retiré en tant que représentant en raison de son erreur. À cause des erreurs du consultant, la demanderesse a été privée de la possibilité d’obtenir des conseils juridiques au sujet des actes et omissions dont il était l’auteur, de la suite à donner à l’appel et des autres voies de recours possibles. Je conclus que le consultant n’a pas fait preuve « de diligence, de compétence et de connaissances raisonnables » (Shirwa, aux pages 60-61) dans la prestation de ses services, contrairement à ce qui est exigé des membres de sa profession.

[54] Lors de l’audience, l’avocat du défendeur a fait valoir que, même si la Cour devait conclure que la décision de la SAI relative au parrainage était entachée d’un manquement à l’équité procédurale, ce manquement avait été compensé par la deuxième décision dans laquelle la SAI a statué sur la demande de réouverture de l’appel. Le défendeur a fait valoir que, bien que la deuxième décision de la SAI ne fasse pas l’objet du présent contrôle judiciaire, le simple fait que cette décision ait été rendue a permis à la demanderesse de bénéficier de l’équité procédurale dans le cadre de l’appel qu’elle a interjeté contre le rejet par la SAI de sa demande de parrainage, en plus d’avoir remédié à tous les actes ou omissions du consultant. Dans sa réponse, l’avocat de la demanderesse a déclaré que cet argument les désavantageait injustement, car le défendeur ne l’avait pas soulevé dans ses observations écrites. La demanderesse aurait certes pu faire valoir que la deuxième décision de la SAI était erronée, mais cette décision ne fait pas l’objet du présent contrôle judiciaire. Je suis d’accord avec la demanderesse. La deuxième décision de la SAI revêt un caractère strictement indicatif : la Cour peut l’avaliser, l’écarter ou l’utiliser pour obtenir des informations supplémentaires, mais elle n’est pas liée par cette décision. Je considère que l’argument selon lequel le manquement à l’équité procédurale a été corrigé ne constitue pas une question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[55] La demanderesse a également expliqué qu’elle ne prétend pas que la SAI a compétence pour rendre une décision sur la base de motifs d’ordre humanitaire, mais plutôt que l’alinéa 67(1)b) de la LIPR habilite la SAI à accueillir un appel fondé sur un manquement à la justice naturelle. À l’appui de cette position, la demanderesse invoque la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mora, 2013 CF 332, dans laquelle la Cour a déclaré, au paragraphe 31, « que la SAI a compétence pour instruire de nouveau un appel d’une décision en matière de parrainage qui a été viciée ou annulée par suite d’un manquement à un principe de justice naturelle ». La question qui se pose dans le cadre du présent contrôle judiciaire consiste à savoir s’il a été remédié à un manquement à l’équité procédurale, et je conclus par la négative. En l’espèce, l’incompétence du consultant a entraîné un déni de justice selon les principes énoncés dans la décision Satkunanathan (aux para 35‑36).

V. Conclusion

[56] Je conclus que les actes et omissions du consultant témoignent d’une incompétence qui a entraîné un déni de justice et une atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale. Le consultant n’a pas veillé à ce que la demande de parrainage soit reçue à temps par IRCC, et il n’a par la suite pas non plus reconnu ses erreurs avec honnêteté et franchise et a continué de représenter la demanderesse dans le cadre des procédures auprès de la SAI. En conséquence, la demanderesse n’a pas pu répondre à la lettre d’équité procédurale envoyée par l’agent, elle n’a pas pu présenter l’ensemble de sa preuve et de ses arguments à la SAI, elle n’a pas eu le loisir de solliciter des conseils juridiques et elle a perdu la possibilité de parrainer sa fille au Canada en vue de son immigration au Canada. En conséquence, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et je renvoie l’affaire pour qu’un autre décideur statue à nouveau sur elle.

[57] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3049-20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3049-20

 

INTITULÉ :

KEWEI XIAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE juge AHMED

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 6 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Dean Pietrantonio

 

POUR La DEMANDEresse

 

Nima Omidi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR La DEMANDEresse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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