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                                                                                                                     Date : 20041008

                                                                                                        Dossier : IMM-6906-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1388

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                     OUMAROUBA TOURE

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]                Le demandeur, un citoyen de la Guinée, est arrivé au Canada le 25 mai 2002. Il a présenté une demande d'asile, prétendant craindre d'être persécuté parce qu'il avait eu une bagarre motivée par une aventure amoureuse et qu'il avait fait deux enfants à l'épouse du chef de la tribu. Il craindrait également d'être persécuté en raison de ses

opinions politiques.


[2]         Dans une décision datée du 12 août 2003, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Les conclusions de la Commission reposaient sur les constatations suivantes :

·            le témoignage du demandeur était confus et contradictoire, ce qui minait par le fait même sa crédibilité;

·            le demandeur n'a pas pu fournir une explication raisonnable relativement au témoignage contradictoire qu'il avait produit quant au nombre d'enfant qu'il avait;

·            bien que le demandeur ait prétendu avoir subi de longues tortures en raison de son aventure, il n'a apparemment pas eu besoin de soins médicaux;

·            le demandeur n'a pas présenté de demande d'asile en France ou aux États-Unis alors qu'il était de passage dans ces pays.

[3]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.


QUESTIONS EN LITIGE

[4]         La présente demande soulève les questions suivantes :

1.          La Commission a-t-elle contrevenu aux principes de justice naturelle ou d'équité procédurale en omettant de fournir au demandeur une possibilité valable de dissiper les doutes qu'elle avait?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions de fait abusives ou arbitraires en ne tenant pas compte de l'ensemble de la preuve dont elle disposait?

ANALYSE

Norme de contrôle


[5]         Les conclusions de fait tirées par la Commission ne peuvent être contrôlées que si elles sont erronées et que si la Commission les a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont elle disposait; autrement dit, elles sont assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable (Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1904 (QL)). Cependant, les questions d'équité procédurale ou de justice naturelle qui peuvent être soulevées, indépendamment de la norme de contrôle applicable, sont assujetties à la norme de la décision correcte (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. no 982 (QL)).

Question #1 : La Commission a-t-elle contrevenu aux principes de justice naturelle ou d'équité procédurale en omettant de fournir au demandeur une possibilité valable de dissiper les doutes qu'elle avait?

[6]         Le demandeur soutient qu'il n'a jamais eu la possibilité d'expliquer les contradictions apparentes quant au nombre d'enfants qu'il avait et à l'absence de toute preuve de soins médicaux reçus. De l'avis du demandeur, « [p]our que la Commission soit en droit de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité sur le fondement d'une incompatibilité imputée au demandeur sur laquelle on n'a pas attiré son attention, cette incompatibilité doit être grave, évidente et avoir trait à des questions qui ont trait à la demande » Selvakumaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 842 (QL). Le demandeur soutient que, vu qu'il s'agissait de questions [traduction] « importantes » , il fallait conclure que la Commission ne lui avait pas donné une « possibilité valable » de participer à tous les aspects de sa demande (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.S. no 39 (QL)).


[7]         Les règles de justice naturelle exigent que l'on donne au demandeur la possibilité d'être entendu (Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (QL)). Les règles de justice naturelle, en soi, ne précisent pas quelle forme doit prendre cette possibilité. Il aurait été préférable pour la Commission de faire part plus directement au demandeur de ces deux aspects de la demande. Cependant, l'omission de le faire ne signifie pas automatiquement que la Commission a commis une erreur. Un examen de la jurisprudence montre que la réponse à la question de savoir si le demandeur devrait être informé des contradictions relevées dépendra des faits particuliers de l'affaire à l'étude. On ne peut pas affirmer catégoriquement que le demandeur devrait être informé de toutes les contradictions relevées; on ne peut pas dire non plus qu'il n'est pas nécessaire de l'en informer. Cela dépend.

[8]         Les deux parties m'ont renvoyée à la décision Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1627, au paragraphe 16 (QL), où la juge Tremblay-Lamer a dit :

À mon avis, il s'agit de regarder dans chaque dossier la situation factuelle, la législation applicable et la nature des contradictions notées. Les facteurs suivants peuvent servir de guide:

1.             La contradiction a-t-elle été découverte après une analyse minutieuse de la transcription ou de l'enregistrement de l'audience ou était-elle évidente ?

2.             S'agissait-il d'une réponse à une question directe du tribunal ?

3.             S'agissait-il d'une contradiction réelle ou uniquement d'un lapsus ?

4.             Le demandeur était-il représenté par avocat, auquel cas celui-ci pouvait l'interroger sur toute contradiction ?

5.             Le demandeur communiquait-il au moyen d'interprète ? L'usage d'un interprète rend les méprises attribuables à l'interprétation (et alors, les contradictions) plus probables.


6.             Le tribunal fonde-t-il sa décision sur une seule contradiction ou sa décision est-elle fondée sur plusieurs contradictions ou invraisemblances ?

[9]         Compte tenu de cet éclairage utile, je vais me pencher maintenant sur le déroulement général de l'audience. Le demandeur a été représenté tout au long de la procédure, et ce, depuis l'étape initiale où il devait remplir son Formulaire de renseignements personnels (le FRP). L'audience s'est déroulée en français et le demandeur y a participé sans l'aide d'un interprète. Au début de l'audience, le demandeur a eu la possibilité de modifier ou de corriger son FRP, mais, bien que des corrections mineures aient été apportées, il n'a traité d'aucune de ces deux questions.

[10]       Pour ce qui est du nombre d'enfants du demandeur, le demandeur a répondu dans son FRP qu'il avait quatre enfants vivants avec son épouse légitime et deux enfants morts avec sa maîtresse. Le demandeur a été interrogé à deux reprises par la Commission quant à cet aspect de sa demande, et il a alors produit un témoignage contradictoire. Il s'agit d'une contradiction directe relativement à un aspect-clé du témoignage du demandeur. La question a été soulevée à deux reprises par la Commission. L'intérêt de la Commission sur ce point est évident et la nature de la contradiction est claire. Le représentant du demandeur, ayant participé à tous les aspects de la demande, aurait pu réinterroger le demandeur sur ce problème évident. Compte tenu des facteurs susmentionnés, j'estime que la Commission n'a pas commis d'erreur en omettant de faire part de cette question directement au demandeur.


[11]       Le demandeur prétend avoir été emprisonné et soumis à de longues et atroces tortures. Malgré cette allégation, il n'a pas dit s'il avait reçu des soins ou évaluations d'ordre médical. La question 41 du FRP demande au demandeur de mentionner non seulement « tous les évènements importants » , mais aussi s'il a reçu « au Canada ou ailleurs des soins ou évaluations médicales [...] reliés à cette demande » . On n'a pas fait mention de cette omission au moment de l'audience. Cependant, je note que le demandeur en l'espèce savait très bien que la preuve relative au traitement qu'il aurait reçu avait une importance cruciale quant à sa demande. Compte tenu des tortures horribles qu'il prétend avoir subies, il est contraire au bon sens d'affirmer que le demandeur n'aurait pas eu besoin de soins médicaux et qu'il n'aurait pas soumis cette preuve à la Commission. La Commission est autorisée à tirer une inférence défavorable lorsque le demandeur ne produit pas une preuve raisonnablement accessible et qui contient des éléments d'information importants et pertinents (Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (C.F. 1re inst.) (QL); Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (C.F. 1re inst.) (QL)). Dans les circonstances particulières de l'espèce, et compte tenu des facteurs susmentionnés, j'estime que l'inférence tirée par la Commission à partir de cette omission ne contrevenait pas aux règles de justice naturelle.


Question #2 : La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions de fait abusives ou arbitraires en ne tenant pas compte de l'ensemble de la preuve dont elle disposait?

[12]       Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que le fait qu'il n'ait présenté de demande d'asile ni en France ni aux États-Unis était un élément important. Le demandeur souligne qu'il est passé par ces pays pour se rendre au Canada; il a passé trois heures en France et une journée aux États-Unis. Le demandeur se fonde à cet égard sur la décision Tshibangu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1345 (C.F.) (QL), pour prétendre que l'omission de demander l'asile dans un autre pays signataire lorsqu'on est de passage dans ce pays n'est pas suffisant en soi pour justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[13]       En l'espèce, comme dans l'affaire Tshibangu, précitée, l'omission de présenter une demande d'asile lorsqu'on est de passage dans un pays est l'un des facteurs pris en considération dans l'évaluation de la crédibilité. Dans les circonstances de l'espèce, considérées dans leur ensemble, l'omission du demandeur de demander l'asile a manifestement joué contre lui dans l'esprit de la Commission. À mon avis, cela n'est pas manifestement déraisonnable.


Conclusion

[14]       Après avoir évalué les motifs à la lumière de l'ensemble de la preuve, je conclus qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer les conclusions qu'elle a tirées et que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée (Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 437 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[15]       Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée;

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6906-03

INTITULÉ :                                                    OUMAROUBA TOURE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                                   POUR LE DEMANDEUR

Diane Dagenais                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane                                                   POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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