Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20211115

Dossier : IMM-3965-21

Référence : 2021 CF 1237

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

YENI BEATRIZ BARAHONA MENDEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse a déposé une requête visant à interjeter appel d’une ordonnance de la protonotaire Ring, par laquelle cette dernière avait rejeté une requête en prorogation de délai, dont l’objet était de permettre à la demanderesse de mettre en état sa demande de contrôle judiciaire. À titre subsidiaire, elle demande par la présente requête que la Cour lui accorde une prorogation de délai fondée sur la preuve et les arguments qu’elle a présentés à la Cour en l’espèce.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, la requête est rejetée, parce que l’appel que souhaite interjeter demanderesse est interdit par l’alinéa 72(2)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. J’ai examiné divers arguments subsidiaires avancés par la demanderesse afin d’éviter cette interdiction, mais aucun d’eux ne justifie la réparation demandée, et ce, même si la Cour avait compétence pour accorder celle-ci.

II. Contexte

[3] La demanderesse est citoyenne du Salvador. Elle et sa sœur sont arrivées au Canada en 2014 à titre de travailleuses temporaires. En 2016, la sœur de la demanderesse est retournée dans son pays pour rendre visite à sa famille à San Salvador et a alors été ciblée par un gang local, la Mara 18. Les membres du gang l’ont menacée de mort et ont tenté de lui extorquer de l’argent, car ils croyaient qu’elle avait des ressources financières après avoir travaillé au Canada. La sœur de la demanderesse a par la suite présenté une demande d’asile au Canada, demande que la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a acceptée en février 2019. D’autres membres de la fratrie de la demanderesse ont demandé l’asile aux États-Unis.

[4] La demanderesse affirme avoir reçu des menaces et été harcelée tout comme l’avait été sa sœur quand elle est retournée dans son pays, en particulier lors d’un séjour qu’elle a effectué à San Salvador en 2018 pour rendre visite à ses parents. Elle a demandé l’asile après son retour au Canada. Sa demande a été instruite, puis rejetée par la SPR. Le manque de crédibilité de la demanderesse a été la question déterminante. Elle a interjeté appel devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR], qui a rejeté son appel et confirmé la décision de la SPR en mai 2021.

[5] Le 14 juin 2021, la demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SAR. Conformément à l’article 10 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, la demanderesse avait jusqu’au 14 juillet 2021 pour signifier et déposer son dossier de demande. Le 15 juillet 2021, la Cour a donné une directive par laquelle elle accédait à la demande informelle de prorogation de délai de la demanderesse, ce qui donnait à cette dernière jusqu’au 1er septembre 2021 pour signifier et déposer son dossier.

[6] Le 27 août 2021, la demanderesse a déposé une requête visant à obtenir une nouvelle prorogation de délai jusqu’au 3 décembre 2021 afin de recueillir et de déposer des éléments de preuve supplémentaire, parmi lesquels un rapport d’un psychiatre et des renseignements sur des demandes d’asile en cours de traitement que des membres de sa fratrie avaient présentées aux États-Unis. Le défendeur s’est opposé à la requête. Le 15 septembre 2021, la protonotaire Ring [la protonotaire] a rendu l’ordonnance qui fait l’objet du présent appel, par laquelle elle rejetait la requête de la demanderesse visant l’obtention d’une prorogation de délai supplémentaire [l’ordonnance].

III. L’ordonnance de la protonotaire

[7] Dans l’ordonnance, la protonotaire a souligné que le pouvoir de proroger un délai est discrétionnaire et que le critère applicable nécessite l’examen de la question de savoir si la partie requérante a démontré : a) une intention constante de poursuivre sa demande; b) que la demande est bien fondée; c) que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; d) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai (voir Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF no 846, 244 NR 399 [Hennelly] au para 3). La protonotaire a également souligné dans son ordonnance que la partie requérante n’est pas tenue de remplir tous les volets du critère pour que la Cour accorde une prorogation, et que la considération primordiale est de savoir si justice est faite entre les parties.

[8] Dans l’ordonnance, la protonotaire a affirmé que la Cour était convaincue que la demanderesse faisait preuve d’une intention constante de poursuivre la demande et que le défendeur ne subirait aucun préjudice si la prorogation de délai était accordée, mais que les deuxième et quatrième volets jouaient en la défaveur de la demanderesse.

[9] À propos du deuxième volet, soit le bien-fondé de la demande, la protonotaire a conclu que, dans son argumentation écrite, la demanderesse n’avait allégué aucune erreur de la part de la SAR, mais avait simplement affirmé que l’affaire était fondée. La protonotaire a aussi souligné que la demanderesse n’avait pas signé un affidavit renfermant des éléments de preuve quant au bien-fondé de son dossier, mais qu’elle avait plutôt déposé un affidavit d’un assistant juridique du cabinet de son avocat à l’appui de la requête. La protonotaire a expliqué que ce processus peut être acceptable lorsque le délai supplémentaire est court et que le bien-fondé de la demande est plus ou moins évident. Cependant, dans le contexte de la requête de la demanderesse en vue d’obtenir une prorogation du délai de trois mois, la protonotaire a jugé que l’affidavit d’un assistant juridique était insuffisant, surtout qu’au vu du dossier, le bien-fondé de la demande était discutable.

[10] La protonotaire a en outre conclu que, même si l’on accordait du poids à l’affidavit de l’assistant juridique, celui-ci ne contenait que de simples affirmations non étayées par la preuve, notamment que la demanderesse souffrait peut-être d’un trouble de stress post-traumatique [TSPT] ou d’un trouble d’apprentissage, et que la SAR avait refusé la demande d’asile, parce que la demanderesse avait été incapable d’en exprimer clairement les fondements. De plus, la protonotaire a conclu que la demanderesse n’avait pas expliqué ni démontré comment un rapport d’évaluation psychiatrique obtenu après les faits, dont la SAR ne disposait pas lorsqu’elle avait rendu sa décision, pourrait être à l’origine d’une erreur susceptible de contrôle lors de l’examen de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

[11] En ce qui concerne le quatrième volet du critère établi dans l’arrêt Hennelly, soit qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai, la protonotaire a conclu de l’explication de la demanderesse que cette dernière demandait plus de temps pour recueillir de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pas été déposés devant la SAR, dans le but de prouver que le raisonnement de celle-ci comportait des erreurs. Citant le paragraphe 20 de l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright], où sont établies les étroites catégories de nouveaux éléments de preuve recevables dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la protonotaire a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté d’argument selon lequel les nouveaux éléments de preuve correspondaient à l’une des exceptions au principe général suivant lequel, dans le cadre d’un contrôle, seule la preuve dont disposait le décideur doit être prise en considération.

[12] En l’absence d’argument de la demanderesse visant à établir que les nouveaux éléments de preuve correspondaient à l’une des exceptions reconnues dans l’arrêt Access Copyright et pouvaient donc être admis, la protonotaire a conclu que la prorogation de délai de trois mois supplémentaires pour le dépôt du dossier n’était pas raisonnablement justifiée.

[13] En dernier lieu, la protonotaire Ring a conclu que la requête en prorogation n’était pas dans l’intérêt de la justice et l’a rejetée.

IV. La requête de la demanderesse

[14] En vue d’obtenir l’annulation de l’ordonnance, la demanderesse a déposé un appel le 24 septembre 2021 à l’encontre de celle-ci, conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS 98-106 [les Règles]. Si l’appel est accueilli, ou même s’il ne l’est pas, la demanderesse demande aussi dans sa requête que la Cour fixe la date limite à laquelle elle pourra signifier et déposer son dossier de demande, y compris son exposé des arguments, et l’autorise, conformément à l’article 351 des Règles, à présenter des éléments de preuve supplémentaire dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce. Les éléments de preuve supplémentaire sont les suivants : a) un rapport psychiatrique; b) un affidavit de la sœur de la demanderesse, accompagné de la décision favorable de la SPR à l’égard de la demande d’asile de celle-ci; et c) des déclarations de membres de sa fratrie dont les demandes d’asile aux États-Unis sont en cours de traitement.

[15] Le 29 octobre 2021, soit le jour ouvrable précédant l’audition de la requête prévue le 1er novembre 2021, la demanderesse a signifié et a tenté de déposer un affidavit supplémentaire de l’assistant juridique de son avocat, en joignant à titre d’élément de preuve une lettre datée du 26 octobre 2021 rédigée par un psychiatre exerçant à Calgary, en Alberta [l’affidavit supplémentaire]. À l’audition de la requête, le défendeur s’est opposé au dépôt de l’affidavit supplémentaire.

V. Les questions en litige

[16] Compte tenu des observations écrites et orales des parties, je formulerais ainsi les questions que la Cour doit trancher en l’espèce :

  1. Le dépôt de l’affidavit supplémentaire présenté par la demanderesse devrait-il être accepté?

  2. L’alinéa 72(2)e) de la LIPR interdit-il à la demanderesse d’interjeter appel de l’ordonnance?

  3. Quelle est la norme de contrôle applicable à l’appel de l’ordonnance?

  4. L’ordonnance devrait-elle être modifiée en appel?

  5. Si l’appel était rejeté, la Cour pourrait-elle et devrait-elle accorder à la demanderesse : a) une prorogation de délai lui permettant de signifier et de déposer son dossier de demande, y compris un exposé des faits et du droit; b) l’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires?

VI. Analyse

A. Le dépôt de l’affidavit supplémentaire présenté par la demanderesse devrait-il être accepté?

[17] Le défendeur s’oppose à la tentative de la demanderesse de déposer l’affidavit supplémentaire, car, soutient-il, celui-ci constitue un élément de preuve extrinsèque sans rapport avec les questions que soulève la demande de contrôle judiciaire.

[18] J’aborderai les arguments du défendeur lorsque je traiterai du bien-fondé de la requête de la demanderesse. Toutefois, les efforts que la demanderesse déploie pour convaincre la Cour (d’abord devant la protonotaire et maintenant dans la présente requête visant à interjeter appel) du bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire sont considérablement liés à sa volonté de se fonder sur l’élément de preuve psychiatrique. Par conséquent, l’élément de preuve psychiatrique que la demanderesse a récemment obtenu est à tout le moins potentiellement lié aux questions que soulève la présente requête, et, dans mon ordonnance, j’autoriserai le dépôt de l’affidavit supplémentaire.

B. L’alinéa 72(2)e) de la LIPR interdit-il à la demanderesse d’interjeter appel de l’ordonnance?

[19] Le défendeur soutient que l’appel de la demanderesse est interdit par l’alinéa 72(2)e) de la LIPR, lequel est ainsi libellé :

Application

Application

72(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

72(2) The following provisions govern an application under subsection (1) :

[…]

[…]

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

(e) no appeal lies from the decision of the Court with respect to the application or with respect to an interlocutory judgment.

[20] En réponse, la demanderesse soutient que l’alinéa 72(2)e) ne s’applique pas en l’espèce, car il interdit les appels à l’encontre de décisions interlocutoires, et que l’ordonnance a un caractère définitif, car, si celle-ci n’était pas modifiée, elle l’empêcherait de mettre en état sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et en occasionnerait donc le rejet.

[21] L’argument de la demanderesse est incompatible avec la jurisprudence de la Cour. Le défendeur renvoie la Cour à la décision Lovemore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 171 [Lovemore], dans laquelle le juge Zinn a jugé que l’ordonnance d’un protonotaire, par laquelle celui-ci rejetait une requête en prorogation de délai pour la mise en état d’une demande de contrôle judiciaire dans une affaire en matière d’immigration, constituait une ordonnance interlocutoire et que, par conséquent, l’alinéa 72(2)e) de la LIPR privait la Cour de la compétence pour entendre l’appel.

[22] Le défendeur invoque également la décision Williams c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 32 [Williams], dans laquelle le juge Annis a conclu, suivant la jurisprudence de la Cour, que l’alinéa 72(2)e) privait celle-ci de sa compétence pour instruire un appel interjeté à l’encontre de la décision d’un protonotaire de rejeter une requête en prorogation du délai pour le dépôt du dossier de demande (au para 20). Cependant, la demanderesse souligne que le juge Annis a néanmoins entendu l’appel de la décision de la protonotaire, car le défendeur dans cette affaire a reconnu que l’interdiction prévue à l’alinéa 72(2)e) ne s’appliquait pas lorsque le décideur avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou lorsqu’une crainte raisonnable de partialité existait (au para 21).

[23] La jurisprudence à l’appui de cette exception n’est pas citée dans la décision Williams, mais la Cour d’appel fédérale a expliqué que les dispositions privatives n’empêchent pas une partie d’interjeter appel pour des motifs d’erreur de compétence, y compris une crainte raisonnable de partialité (voir, p. ex., Horne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 337). Toutefois, cette exception ne s’applique pas à la présente requête, à l’appui de laquelle la demanderesse n’allègue aucune erreur de compétence ou crainte de partialité de la part de la protonotaire, de la SPR ou de la SAR.

[24] Par conséquent, je conclus que l’alinéa 72(2)e) de la LIPR s’applique et que la Cour n’a pas compétence pour entendre un appel de l’ordonnance.

[25] Pour parvenir à la présente conclusion, j’ai pris en considération la demande que l’avocat de la demanderesse a formulée durant l’audition de la présente requête. L’avocat sollicitait, dans l’éventualité où j’étais disposé à rendre une décision défavorable à la demanderesse concernant l’alinéa 72(2)e), un ajournement pour permettre à cette dernière de préparer d’autres arguments en vue de contester la constitutionnalité de l’alinéa 72(2)e). Le défendeur s’oppose à la demande d’ajournement, et je refuse d’accéder à cette demande, car un ajournement serait inutile. Conformément à l’approche adoptée par le juge Zinn dans la décision Lovemore, j’ai examiné l’ordonnance et, comme il est expliqué ci-dessous, je ne décèle aucune erreur de la part de la protonotaire. Par conséquent, même si la Cour avait compétence pour entendre l’appel de la demanderesse, celui-ci ne serait pas accueilli.

C. Quelle est la norme de contrôle applicable à l’appel de l’ordonnance?

[26] La demanderesse est d’avis que la norme de contrôle applicable à l’appel de l’ordonnance est celle de la décision correcte. En toute déférence, je juge cet avis dénué de fondement.

[27] Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], la Cour d’appel fédérale a affirmé que, lorsque les juges de la Cour fédérale entendent un appel d’une décision d’un protonotaire de la Cour, la norme de contrôle qu’ils doivent appliquer est celle qui est énoncée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33. Comme il est expliqué au paragraphe 64 de l’arrêt Hospira, cette norme exige que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne soient infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits.

D. L’ordonnance devrait-elle être modifiée en appel?

[28] La demanderesse soutient que la protonotaire a commis une erreur en appliquant le critère établi dans l’arrêt Hennelly, qui guide l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans l’examen d’une demande de prorogation de délai. La demanderesse affirme à juste titre que la partie qui demande une prorogation de délai n’est pas tenue de satisfaire aux quatre volets du critère. En fait, la considération primordiale est de s’assurer que justice soit faite entre les parties. Toutefois, la protonotaire a expressément souligné ces deux points dans l’ordonnance.

[29] Comme il est expliqué ci-dessus, la protonotaire a conclu que la demanderesse ne remplissait pas le deuxième et le quatrième volet du critère. La protonotaire a conclu que la demanderesse n’avait ni présenté des éléments sur la base desquels la Cour pouvait conclure que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire constituait une cause défendable ni justifié le délai. De ce fait, la protonotaire n’était pas convaincue qu’il était dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation de délai demandée.

[30] Dans son application des deux volets du critère, la protonotaire a pris en considération l’affirmation de la demanderesse selon laquelle cette dernière souffrait peut-être d’un TSPT ou d’un trouble d’apprentissage l’ayant empêchée de s’exprimer clairement lorsqu’elle avait présenté sa demande d’asile à l’audience devant la SPR. La protonotaire a souligné que la demanderesse sollicitait une prorogation de délai qui lui permettrait d’obtenir un élément de preuve psychiatrique et des documents relatifs aux demandes d’asile des membres de sa famille. Dans une large mesure, les conclusions de la protonotaire, en ce qui concerne les deuxième et quatrième éléments du critère établi dans l’arrêt Hennelly, sont liées au fait que la demanderesse n’était pas parvenue à expliquer comment ces éléments de preuve, dont la SAR ne disposait pas lorsqu’elle avait rendu sa décision, pourraient être à l’origine d’une erreur susceptible de contrôle par la SAR dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire déposée devant la Cour. La protonotaire a appliqué les lignes directrices établies dans l’arrêt Access Copyright et a conclu que les nouveaux éléments de preuve proposés ne correspondaient à aucune des exceptions au principe général suivant lequel, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, il est interdit d’admettre en preuve un élément dont le décideur ne disposait pas.

[31] Dans sa présentation de l’appel de l’ordonnance, l’avocat de la demanderesse n’a encore là avancé aucune thèse défendable permettant d’expliquer comment la nouvelle preuve proposée pourrait constituer le fondement d’une conclusion selon laquelle la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle, alors qu’elle ne disposait pas de ces éléments de preuve.

[32] En appliquant la norme de contrôle établie dans l’arrêt Hospira, je ne peux déceler aucune erreur juridique que la protonotaire aurait commise dans sa sélection des principes à appliquer à la requête de la demanderesse ni aucune erreur manifeste et dominante dans l’application de ces principes aux faits. Par conséquent, si j’avais compétence pour entendre l’appel de la demanderesse, je ne décèlerais aucune erreur susceptible de contrôle dans l’ordonnance.

E. Si l’appel était rejeté, la Cour pourrait-elle et devrait-elle accorder à la demanderesse : a) une prorogation de délai lui permettant de signifier et de déposer son dossier de demande, y compris un exposé des faits et du droit; b) l’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires?

[33] En soulevant cette dernière question, la demanderesse soutient que, même si son appel de l’ordonnance était rejeté, la Cour demeurerait compétente pour accorder, et devrait accorder, d’une part, une prorogation de délai lui permettant de déposer son dossier de demande et son exposé des faits et du droit, de sorte qu’elle puisse mettre en état son appel, ainsi que, d’autre part, l’autorisation d’inclure des éléments de preuve supplémentaire. Comme elle l’a fait devant la protonotaire, la demanderesse demande qu’on lui accorde un délai suffisant pour recueillir d’autres éléments de preuves psychiatriques. Cependant, elle affirme aussi que, même si la Cour n’était pas disposée à lui accorder davantage que le délai actuel, celle-ci devrait lui accorder une prorogation nécessaire pour maintenant mettre en état son appel, au moyen de tous les éléments de preuve dont elle dispose actuellement.

[34] Le défendeur s’oppose à cette demande, car, soutient-il, la Cour n’a pas compétence pour faire droit à une requête qui vise à contourner la décision de la protonotaire. Il affirme qu’autoriser la demanderesse à demander à la Cour, à ce stade-ci, une réparation substantiellement identique à celle qui lui a été refusée dans l’ordonnance de la protonotaire, laquelle ne peut faire l’objet d’un appel, serait incompatible avec l’alinéa 72(2)e) de la LIPR.

[35] Je juge convaincante la position du défendeur quant à cette question de la compétence de la Cour. Cependant, comme elle a été soulevée pour la première fois à l’audience relative à la présente affaire, les parties ne m’ont pas présenté d’observations complètes ou des précédents à l’appui sur ce point. Par conséquent, je refuse de traiter de cette question, en particulier parce que (comme il est expliqué ci-dessous) les faits de la présente affaire ne justifieraient pas l’octroi de la réparation demandée si j’avais compétence pour l’accorder.

[36] La Cour dispose actuellement de plus d’éléments de preuve que n’en avait la protonotaire. Ces éléments comprennent un affidavit de la demanderesse accompagné de la transcription de son audience devant la SPR, un affidavit de la sœur de la demanderesse accompagné d’une copie de la décision favorable de la SPR à l’égard de cette dernière, une copie de la décision défavorable de la SPR à l’égard de la demanderesse et l’affidavit supplémentaire accompagné de la lettre du psychiatre.

[37] Je souligne que dans sa lettre datée du 26 octobre 2021, qui est fondée sur une consultation de trois heures avec la demanderesse ayant eu lieu le 21 octobre 2021, le psychiatre a présenté ses conclusions préliminaires selon lesquelles la demanderesse traversait un grave épisode dépressif, avait eu une enfance plutôt traumatisante qui pouvait avoir entraîné un TSPT, et semblait présenter des difficultés intellectuelles justifiant une évaluation approfondie. L’avis du psychiatre est bref et loin d’être définitif. Cependant, si celui-ci n’a aucune incidence sur le fondement de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse à l’égard de la décision de la SAR, ce n’est pas en raison de la nature de l’avis, mais, comme l’a souligné précédemment la protonotaire dans l’ordonnance, du fait que ni la preuve ni l’argument concernant les difficultés intellectuelles n’avaient été soulevés devant la SAR.

[38] Si j’évaluais la question indépendamment de l’analyse de la protonotaire et en prenant en considération les nouveaux éléments de preuve, j’arriverais à la même conclusion qu’elle. Comme le soutient le défendeur, les nouveaux éléments de preuve sont extrinsèques au processus administratif devant la SPR et la SAR. La demanderesse n’a pas avancé de thèse défendable permettant d’expliquer comment la preuve psychiatrique ou les éléments de preuve liés aux demandes d’asile des membres de sa famille, y compris celle de sa sœur qui avait été acceptée, pourraient appuyer la conclusion selon laquelle la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle, alors qu’elle n’en était pas saisie lorsqu’elle a rendu sa décision.

[39] En l’absence d’argument valable permettant de conclure que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR présentée par la demanderesse est fondée, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice d’accorder à cette dernière la prorogation de délai demandée.

LA COUR ORDONNE que :

  1. L’autorisation de déposer l’affidavit supplémentaire est accordée;

  2. La requête de la demanderesse est rejetée.

(vide)

« Richard F. Southcott »

(vide)

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3965-21

INTITULÉ :

YENI BEATRIZ BARAHONA MENDEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE (CALGARY)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER NOVEMBRE 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Devin Frank

POUR LA DEMANDERESSE

Camille Audain

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelson & Nelson

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.