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                                                                                                                     Date : 20040519

                                                                                                                 Dossier : T-476-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 730

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                       VREGE ARMOYAN

                                                                                                                               demandeur

et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]                M. Verge Armoyan, le demandeur, a voulu aménager la propriété située au bord de l'eau qu'il possède en Nouvelle-Écosse. En décembre 1999, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) lui a signifié un ordre de suspendre les travaux. Le 11 octobre 2000, M. Armoyan a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) une plainte dans laquelle il reprochait au MPO d'avoir fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique.


[2]                Un enquêteur a été chargé d'enquêter sur la plainte de M. Armoyan, et il a terminé son rapport d'enquête le 10 juillet 2001. Dans le rapport en question, l'enquêteur a recommandé à la Commission, en application de l'alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 1 (la Loi), de demander la désignation d'un tribunal des droits de la personne devant instruire la plainte pour le motif que :

[traduction] la preuve appuie l'allégation selon laquelle le défendeur a traité le plaignant d'une façon différente et défavorable en raison de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique.

[3]    Le MPO n'avait présenté aucune observation à l'enquêteur jusque-là.

[4]    Le 27 août 2001, le MPO a déposé une réponse de dix pages pour donner suite à la plainte de M. Armoyan. Cette réponse a été communiquée à M. Armoyan, qui a déposé ses contre-arguments le 20 septembre 2001.

[5]    Le 21 février 2002, les deux parties ont été avisées par lettre que suite à l'examen du rapport de l'enquêteur et de leurs observations, la plainte du demandeur avait été rejetée en application de l'alinéa 44(3)b) de la Loi, et ce, pour le motif suivant :

[traduction] [L]a preuve n'appuie pas l'allégation selon laquelle le défendeur a traité le plaignant d'une façon différente et défavorable en raison de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique.

[6]    Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Questions en litige

[7]    Au départ, M. Armoyan a soulevé plusieurs questions dans le dossier de la demande. Toutefois, après l'instruction de la présente affaire, il est devenu évident que l'unique question à trancher est de savoir si la Commission a commis une erreur ou a enfreint le droit de M. Armoyan à l'équité procédurale en omettant de donner des motifs suffisants à l'appui de sa décision.

Analyse

[8]    Lorsqu'elle reçoit les observations et un rapport d'un enquêteur, la Commission peut soit renvoyer l'affaire au Tribunal des droits de la personne pour instruction, soit rejeter la plainte. Ce choix est régi par le paragraphe 44(3) de la Loi, qui énonce :


Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

a)              peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(a)           may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied


(i)             d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

(i)     that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and         (ii)            d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

(ii)            that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

b)              rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b)            shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i)             soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(i)             that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii)            soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(ii)            that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).


[9]                En l'espèce, la Commission a décidé de rejeter la plainte en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[10]            La décision que la Commission doit prendre en application du paragraphe 44(3) de la Loi est discrétionnaire (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 181 aux paragraphes 78 et 79 (C.F. 1re inst.) (QL), conf. par [1996] A.C.F. no 385 (C.A.) (QL)). Par conséquent, la Cour ne peut intervenir que si M. Armoyan réussit à démontrer que la Commission a fait preuve de mauvaise foi, a enfreint les principes de justice naturelle ou s'est fondée sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi (Slattery, précitée, citation de Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernent du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, pages 7 et 8).


[11]            Les décisions rendues en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) ont été examinées dans deux décisions récentes de la Cour (MacLean c. Marine Atlantic Inc., [2003] A.C.F. no 1854 (C.F.) (QL); Gardner c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 616 (C.F.) (QL)). Dans MacLean, précitée, le juge O'Keefe a conclu (et le juge Gibson a souscrit à son opinion dans Gardner) que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission était la norme de la décision raisonnable simpliciter. Je suis du même avis.

[12]            Après avoir appliqué cette norme de contrôle et examiné les documents qui étaient à la disposition de la Commission, je suis convaincu que la Commission pouvait très bien tirer la conclusion qu'elle a tirée. Les observations que le MPO a présentées à ce stade faisaient état de faits additionnels et contenaient des explications supplémentaires au sujet des événements qui ont amené M. Armoyan à déposer sa plainte. Bien que je pusse en arriver à une autre conclusion, la décision de la Commission, qui est une experte en la matière, n'était pas irrationnelle ou insoutenable compte tenu de la preuve dont elle disposait.

[13]            Toutefois, cette conclusion ne règle pas la question. Même s'il a respecté la norme de contrôle applicable, un tribunal peut avoir commis une erreur en enfreignant les règles de justice naturelle. Il s'ensuit notamment que si M. Armoyan n'avait pas eu la possibilité de répondre aux observations du MPO ou si les documents sur lesquels la Commission a fondé sa décision ne lui avaient pas été communiqués, sa demande de contrôle judiciaire aurait été accueillie. La question du caractère suffisant des motifs pourrait tomber dans cette catégorie d'erreurs possibles.


[14]            M. Armoyan reproche à la Commission d'avoir manqué à son obligation de motiver sa décision. Son argument comporte deux volets.

1.         Le paragraphe 42(1) de la Loi exige que la Commission motive sa décision. Il énonce :


Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

Subject to subsection (2), when the Commission decides not to deal with a complaint, it shall send a written notice of its decision to the complainant setting out the reason for its decision.


2.          La conclusion de la Commission selon laquelle [traduction] _ la preuve n'appuie pas l'allégation [...] _ contredit la conclusion selon laquelle [traduction] _ la preuve appuie l'allégation [...] _. Compte tenu de cette contradiction, la Commission était tenue d'expliquer pourquoi elle était parvenue à une conclusion diamétralement opposée.

Le paragraphe 42(1) exige-t-il que la Commission motive sa décision?


[15]            L'argument de M. Armoyan voulant que la Commission soit tenue de motiver sa décision en application du paragraphe 42(1) est dénué de fondement. Cette disposition vise uniquement les décisions prises à l'étape de l'examen préalable dans lesquelles la Commission conclut à l'irrecevabilité de la plainte. Par conséquent, si la Commission avait décidé que la plainte de M. Armoyan était irrecevable, elle aurait été tenue de motiver sa décision en application du paragraphe 42(1). Contrairement au paragraphe 42(1), le paragraphe 44(3) n'exige pas que la Commission motive sa décision de rejeter une plainte.

Une obligation de motiver la décision existe-t-elle malgré tout?

[16]            Les faits de la présente affaire ressemblent aux faits dont était saisi le juge Gibson dans l'affaire Gardner, précitée. Dans cette dernière, deux rapports d'enquête avaient été établis concernant la plainte déposée par la demanderesse. La Commission avait examiné les deux rapports et avait donné à la demanderesse la possibilité de présenter toutes les observations voulues à l'appui de ses plaintes et de répondre aux observations des ministères visés par les plaintes. Le premier rapport, qui recommandait l'examen d'une des plaintes, avait été adopté par la Commission et n'était pas visé par la demande de contrôle judiciaire soumise au juge Gibson. Le deuxième rapport, qui portait sur trois plaintes distinctes, recommandait à la Commission de nommer un conciliateur. Pour ce qui est de la deuxième recommandation, la Commission avait décidé de rejeter les plaintes en disant simplement que [traduction] _ compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, un autre examen n'est pas justifié _. Aucun autre motif n'avait été énoncé. La demanderesse n'avait pas demandé que des motifs lui soient fournis. Le juge Gibson était parvenu à la conclusion suivante au paragraphe 36 :


Par conséquent, je conclus que la Commission n'a pas omis de respecter son obligation d'agir de façon équitable en fournissant des motifs insuffisants. Je conclus en ce sens, en raison de l'absence d'obligation législative de fournir des motifs et aussi de l'omission de la demanderesse de demander des motifs après avoir été informée de la décision qui rejetait ses plaintes et avant de présenter la présente demande de contrôle judiciaire. Dès lors, la Commission n'a pas commis une erreur susceptible d'être révisée lorsqu'elle a rejeté les plaintes de la demanderesse, malgré l'opinion de la demanderesse selon laquelle, d'après les preuves présentées à la Commission, il était « clair et manifeste » que la demanderesse avait fait l'objet de discrimination fondée sur sa situation de famille et le rapport de l'enquêteur apportait un certain appui à cette opinion.

[17]            Il est impossible de faire une distinction entre les faits de la présente affaire et ceux dont était saisi le juge Gibson, et ce, étant donné que :

·            dans les deux affaires, les rapports des enquêteurs recommandaient à la Commission de donner suite aux plaintes;

·            dans chacune des affaires, en rejetant les plaintes la Commission était arrivée à une conclusion diamétralement opposée à la recommandation de leur donner suite;

·            les demandeurs avaient, dans les deux affaires, reçu les observations de la partie adverse et s'étaient vu accorder la possibilité d'y répondre;


·            dans les deux affaires, les demandeurs avaient omis de demander que leurs soient fournis les motifs de la décision de la Commission.

[18]            Les faits dont était saisi le juge O'Keefe dans MacLean, précitée, étaient eux-aussi très semblables. Je souscris au raisonnement exposé par mes collègues dans Gardner et dans MacLean, et je conclus que, tout comme dans ces deux affaires, la Commission n'était pas tenue de fournir d'autres motifs en l'espèce.

Conclusion

[19]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La Cour ordonne que la demande soit rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

                                                                              « Judith A. Snider »             

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-476-02

INTITULÉ :                            VREGE ARMOYAN

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :      HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 13 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :           LE 19 MAI 2004

COMPARUTIONS :

R. Barry Ward                                                  POUR LE DEMANDEUR

Melissa R. Cameron                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kimberly-Lloyd Developments Limited                          POUR LE DEMANDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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