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Date : 20211203


Dossier : IMM-2840-20

Référence : 2021 CF 1351

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ABDULLA VOKSHI

ARTA VOKSHI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 19 juin 2020 par laquelle un agent d’immigration a rejeté leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Comme je l’ai mentionné à l’issue de l’audience, la demande est rejetée.

II. Contexte

[3] Les demandeurs sont des citoyens de l’Albanie et de l’Italie. Ils sont arrivés au Canada le 30 août 2018 à titre de visiteurs. Trois semaines plus tard, le 22 septembre 2018, le demandeur, alors âgé de 66 ans, a fait un accident vasculaire cérébral pendant qu’il mangeait au restaurant. M. Vokshi a été admis et traité à un hôpital de Toronto, où il a notamment subi une chirurgie crânienne pour soulager la pression et reçu des médicaments pour l’hypertension. Dans le sommaire de congé de l’hôpital, daté du 3 octobre 2018, il est écrit que M. Vokshi avait déjà fait un accident vasculaire cérébral pour lequel il avait été traité en Italie en 2009. Le sommaire fait état du traitement qu’il avait reçu lors de cet accident et recommande que le patient soit suivi en Italie. Le personnel de l’hôpital s’est chargé de nommer un neurochirurgien en Italie à cette fin.

[4] Le défendeur a reçu la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire le 17 octobre 2018. La demande était accompagnée d’une lettre de l’avocat des demandeurs qui contenait quelques paragraphes succincts au sujet de ces derniers. Les formulaires habituels qui doivent être déposés à l’appui d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, ainsi que le sommaire de congé de l’hôpital, étaient joints à la lettre. Aucun autre document n’était fourni.

[5] En ce qui concerne l’établissement, l’avocat des demandeurs affirmait dans sa lettre que, durant leur court séjour au Canada, soit moins de deux mois, les demandeurs [traduction] « se sont rapidement intégrés dans leur collectivité, ont participé et participent toujours aux activités de l’église et ont fait du bénévolat auprès de divers organismes à but non lucratif ». L’avocat n’a fourni aucun autre renseignement sur la nature de leur intégration et les activités de bénévolat. Il a fait référence au frère de la demanderesse, qui est citoyen canadien, ainsi qu’à leurs deux fils qui résident au Canada et qui souhaitaient également obtenir un statut pour demeurer un pays.

[6] Dans sa lettre, l’avocat des demandeurs affirmait que [traduction] « le médecin de M. Vokshi a suggéré à ce dernier de ne pas voyager en ce moment, car cela pourrait être dangereux pour sa santé ». Cette affirmation n’était pas étayée par une lettre du médecin. L’avocat affirmait qu’il était également important pour M. Vokshi d’être entouré de tous les membres de sa famille en raison de ses problèmes de santé.

[7] Aucune autre information ne semble avoir été présentée à l’appui de la demande entre son dépôt le 17 octobre 2018 et la décision du 19 juin 2020.

[8] Dans les motifs de la décision, l’agent a indiqué qu’aucun document n’avait été fourni concernant l’établissement des demandeurs au Canada et qu’aucun élément de preuve n’avait été produit concernant les conditions défavorables de l’Italie et le risque auquel ils seraient exposés là‑bas. L’agent a pris acte du contenu du sommaire de congé de l’hôpital, tel qu’il a été décrit précédemment.

[9] Dans ses remarques conclusives, l’agent a fait référence aux renseignements fournis par l’avocat et au sommaire de congé de l’hôpital. Il a fait remarquer que le sommaire n’indiquait pas que le demandeur ne devait pas voyager et, compte tenu de la recommandation de suivi en Italie, il a conclu que le demandeur pourrait se faire traiter là‑bas. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que les demandeurs avaient fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il fallait lever tout ou partie des critères applicables pour des considérations d’ordre humanitaire.

[10] Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, les demandeurs ont présenté l’affidavit du demandeur et celui souscrit par l’un de leurs fils après l’autorisation accordée. Dans leurs affidavits, les déposants disent craindre la persécution et soulignent l’absence de médicaments et de traitement en Albanie. L’agent ne disposait pas de ces renseignements.

III. Analyse

[11] La seule question en litige consiste à savoir si la décision de rejeter la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est raisonnable.

[12] Il va de soi qu’il incombait aux demandeurs de soulever les facteurs d’ordre humanitaire à l’appui de leur demande et de présenter des éléments de preuve pour étayer ces facteurs. À l’audition de la demande en l’espèce, l’avocat des demandeurs, qui avait également agi en leur nom dans la présentation des documents à l’appui de la demande, a reconnu que les facteurs n’étaient pas solides. Il a néanmoins fait valoir que l’agent avait commis une erreur en ne tenant pas compte des difficultés auxquelles seraient confrontés les demandeurs à leur retour en Italie. Il a affirmé que l’agent avait fait fi de certains éléments de preuve, n’avait pas accordé suffisamment de poids aux liens que les demandeurs ont au Canada et n’avait pas apprécié globalement les facteurs d’ordre humanitaire présentés par ces derniers.

[13] Les demandeurs soutiennent que l’agent a eu tort de ne pas tenir compte du risque auquel ils seraient exposés en Albanie. Or, cet argument n’avait pas été invoqué devant l’agent et aucun élément de preuve n’avait été présenté à l’appui de cet argument. Ainsi, on ne peut reprocher à l’agent de ne pas l’avoir pris en considération : Efe-Agbonaye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 1263 au para 19.

[14] De plus, l’agent ne disposait d’aucune preuve démontrant que les demandeurs devraient retourner en Albanie si leur demande était rejetée. Les documents présentés à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire indiquent clairement que les demandeurs sont des citoyens de l’Italie, où ils ont vécu pendant de nombreuses années, et qu’ils détenaient des passeports délivrés par l’Italie, qui sont valides jusqu’en 2026. Rien dans le dossier certifié du tribunal ne démontre que le statut des demandeurs en Italie est en péril. Cet argument a peut‑être été invoqué dans une demande d’asile subséquente des demandeurs, mais l’agent n’était pas saisi de cette demande.

[15] Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 7, pour faire valoir que la preuve présentée dans le cadre d’une demande d’asile peut être prise en compte pour trancher la question de savoir si un demandeur rencontrera ou non des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » en cas de renvoi dans l’État étranger.

[16] Il incombe néanmoins aux demandeurs de fournir une telle preuve à l’agent saisi de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il n’appartient pas à l’agent « d’aider les demandeurs à s’acquitter du fardeau de plaider leur cause » : Nicayenzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 595 au para 16; voir aussi Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 (CanLII) aux para 43-45; Egwuonwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 231 aux para 68-69; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 (CanLII) au para 5.

[17] Les deux facteurs d’ordre humanitaire qui ont été soulevés étaient l’établissement des demandeurs au Canada ainsi que les difficultés qu’ils éprouveraient s’ils devaient quitter le Canada. L’agent disposait de très peu de renseignements, hormis les simples déclarations de l’avocat au sujet des liens familiaux des demandeurs, de leur collectivité et de leur église qui figuraient dans la lettre jointe aux formulaires de demande. Il appartient à l’agent de décider quel poids accorder aux éléments de preuve dont il dispose et, dans la mesure où la décision est raisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir : Jacques c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 423 au para 12. Compte tenu du peu d’éléments de preuve à l’appui des déclarations de l’avocat, la décision était raisonnable.

[18] Quant à l’état de santé du demandeur, l’agent a examiné le sommaire de congé de l’hôpital. La déclaration figurant dans la lettre de l’avocat selon laquelle le demandeur avait été avisé de ne pas voyager n’était pas étayée par une preuve médicale. Le rapport indiquait que le demandeur serait suivi par un neurochirurgien en Italie. Rien ne permettait de conclure que le demandeur ne pouvait voyager ni d’étayer l’affirmation selon laquelle le demandeur dépend de ses fils pour ses soins quotidiens. Dans les circonstances, il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur pourrait être traité dans son pays de citoyenneté et de résidence.

IV. Conclusion

[19] Il incombait aux demandeurs d’établir, au moyen d’une preuve suffisante, que tout ou partie des critères applicables devaient être levés. Les demandeurs ne se sont pas acquittés de ce fardeau et ont soulevé de nouveaux arguments dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire qui n’avaient pas été invoqués devant l’agent. La décision de l’agent de rejeter la demande des demandeurs constitue une issue raisonnable compte tenu du droit et de la preuve. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Tant le processus que l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[20] Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2840-20

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2840-20

INTITULÉ :

ABDULLA VOKSHI, ARTA VOKSHI v LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRAITON

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 DÉCEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Robert Gertler

POUR LES DEMANDEURS

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gertler Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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