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Date : 20050919

Dossier : IMM-10054-04

Référence : 2005 CF 1275

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

MAGED ZARIF RASEM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]                M. Maged Zarif Rasem est un citoyen d'Égypte qui demande, au Canada, la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger. Il demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR ou tribunal) de rejeter sa demande.

[2]                M. Rasem a dit, dans son témoignage devant la SPR, qu'il était un copte chrétien et qu'il jouait un rôle très actif au sein de son église en Égypte. À compter de 1997, il a versé régulièrement des dons à l'église, tout particulièrement pour aider les jeunes chrétiens sur qui s'exerçaient des pressions pour qu'ils se convertissent à l'Islam. M. Rasem allègue qu'à cause de cette aide, il a eu des altercations avec des intégristes qui ont tenté de l'agresser. Le policier a refusé d'établir un rapport et lui a dit de régler le problème lui-même.

[3]                Dans son témoignage, M. Rasem a dit qu'en août 1988, des intégristes l'avaient menacé en exigeant qu'il leur verse une « jizya » de 200 livres égyptiennes par mois. On lui a dit que s'il refusait, il serait agressé physiquement et on vandaliserait et dévaliserait la bijouterie familiale. On a dit également à M. Rasem de cesser de faire des dons à son église. Croyant qu'il ne serait pas protégé par la police, M. Rasem a versé la « jizya » .

[4]                M. Rasem prétend qu'à la fin du mois d'octobre 2000, ces mêmes intégristes sont venus à la bijouterie et l'ont accusé d'avoir eu des relations sexuelles avec une employée nommée Fatima. On lui a dit qu'il devait se convertir à l'Islam et épouser Fatima, sinon il serait assassiné. Le demandeur a déclaré qu'il avait été incapable de convaincre les intégristes que les allégations étaient fausses et qu'il avait demandé à Fatima de parler aux intégristes. À sa grande surprise, Fatima avait dit que M. Rasem l'avait forcé à avoir des relations sexuelles. Les intégristes avaient accepté de laisser partir M. Rasem à condition qu'il leur remette 100 000 livres égyptiennes. Il leur avait dit qu'il aurait besoin de temps pour payer cette somme.

[5]                M. Rasem a dit, dans son témoignage, qu'il avait ensuite tenté de réduire son inventaire et de trouver un endroit où installer son commerce au Caire dans l'espoir d'échapper au harcèlement dont il faisait l'objet. Fatima a remarqué la diminution de l'inventaire et a fait part des intentions du demandeur aux intégristes. Ces derniers sont retournés au magasin de M. Rasem et lui ont dit qu'ils étaient au courant de son intention de déménager au Caire. Ils ont pris tout ce qui se trouvait dans la bijouterie et ils ont menacé d'assassiner M. Rasem s'il tentait de s'enfuir. M. Rasem leur a dit qu'il les paierait dès qu'il aurait amassé suffisamment d'argent. L'un des intégristes a sorti un fusil et a menacé de tuer M. Rasem s'il [traduction] « jouait des jeux » avec eux. Ils ont dit qu'il ne serait pas le premier chrétien à se faire tuer dans des circonstances semblables. Ils ont ajouté que le meurtrier d'un chrétien qui a eu des relations sexuelles avec une femme musulmane va au paradis.

[6]                M. Rasem affirme avoir réalisé que sa situation en Égypte était devenue extrêmement précaire et il en a discuté avec son prêtre. Ce dernier lui a conseillé de s'enfuir de l'Égypte. Le 14 décembre 2000, il a quitté l'Égypte et est venu au Canada en passant par les États-Unis. Peu après son arrivée au Canada, il a demandé l'asile.

[7]                En rejetant la demande de M. Rasem, la SPR a conclu que les questions déterminantes étaient la crédibilité de M. Rasem et son retard à quitter l'Égypte.

[8]                M. Rasem allègue que la SPR a commis une erreur :

            1.          en décidant que le temps qu'il avait mis à quitter l'Égypte mettait en doute l'existence de sa crainte subjective;

2.          en concluant que le fait qu'il n'avait pas demandé l'asile aux États-Unis mettait en doute l'existence de sa crainte subjective;

            3.          en tirant une inférence négative en matière de crédibilité du fait qu'aucune preuve documentaire n'étayait les allégations selon lesquelles des hommes chrétiens instruits et spécialistes étaient obligés de se convertir à l'Islam pour épouser des musulmanes;

            4.          en concluant qu'il était peu probable que les villageois ou la police de la ville où vivait M. Rasem n'aient pas entendu parler de l'agression sexuelle alléguée de Fatima;

            5.          en jugeant qu'il était peu probable que Fatima « se transforme soudainement en fondamentaliste islamique et accuse [M. Rasem] de viol pour l'obliger à se convertir [à l'Islam] » ;

            6.          en jugeant qu'il était peu probable que Fatima sacrifie sa réputation en admettant avoir été agressée sexuellement;

            7.          en concluant qu'il était peu probable que M. Rasem ait continué de travailler seul dans la bijouterie avec Fatima après l'agression alléguée.

[9]                Les trois premières erreurs alléguées visent la crédibilité de M. Rasem, tandis que les quatre dernières visent la vraisemblance de son témoignage. Comme telle, la norme de contrôle applicable est de savoir si les conclusions ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la SPR disposait. Voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 38; Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315, au paragraphe 4. Cette norme est assimilable à la décision manifestement déraisonnable.

[10]            Une erreur manifestement déraisonnable est une erreur qui est immédiatement apparente; par exemple, une décision carrément irrationnelle ou contraire à la raison est manifestement déraisonnable. Si on applique la norme de la décision manifestement déraisonnable, il faut que l'instance révisionnelle ait été convaincue que même si plusieurs réponses à la question auraient été appropriées, la réponse ne pouvait pas être celle sur laquelle le décideur s'était fondé. Voir les propos du juge Binnie au paragraphe 164 de l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539.

[11]            Pour décider si les conclusions tirées par la SPR étaient manifestement déraisonnables, il faut lire la décision dans son ensemble et l'interpréter dans le contexte de la preuve dont la SPR était saisie. Voir Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81 (1re inst.), au paragraphe 3.

[12]            En l'espèce, comme l'a dit le tribunal, le droit musulman ou la shari'a est devenu la principale source de législation en Égypte en 1982. M. Rasem reconnaît que c'est une honte profonde pour une musulmane d'admettre qu'elle a été victime d'une agression sexuelle et que si le Gam'a al-Islamiya confirme le viol, le responsable sera tué. De plus, il reconnaît que bien des femmes des pays islamiques sont punies pour des activités sexuelles malgré le fait qu'elles aient eu lieu contre leur gré.Compte tenu de la preuve dont le tribunal était saisi, il n'était donc pas manifestement déraisonnable de conclure qu'il était peu probable qu'une jeune femme musulmane dévote et célibataire qui travaillait avec M. Rasem depuis douze ans et qui était une amie de la famille sacrifie son honneur pour de l'argent ou pour obtenir la conversion de M. Rasem. Dans le même ordre d'idées, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure que, s'il y avait eu une telle allégation, les intégristes musulmans n'auraient pas permis à M. Rasem de continuer de travailler seul avec Fatima.

[13]            Pour ce qui concerne l'absence de preuve documentaire, la preuve dont la SPR était saisie décrivait avec force détail la conversion forcée de jeunes filles chrétiennes. Cette preuve ne mentionnait pas la conversion forcée d'hommes chrétiens instruits pour qu'ils épousent une femme musulmane. Il n'était pas manifestement déraisonnable pour la SPR de tirer une inférence négative en matière de crédibilité du fait que la preuve documentaire n'étayait pas la prétention de M. Rasem. En outre, il y avait une preuve documentaire démontrant qu'un « cheik du voisinage » ou un cadi ne peut pas forcer un chrétien à se convertir à l'Islam pour épouser une musulmane qui l'accuse d'agression parce qu'il s'agit d'un processus complexe qui exige notamment une entrevue entre le chrétien qui souhaite se convertir et un prêtre chrétien.

[14]            En outre, le tribunal a mentionné, et M. Rasem a reconnu, que son témoignage concernant les véritables desseins des intégristes musulmans était contradictoire. Quand on lui a posé des questions concernant les objectifs des intégristes, M. Rasem a dit qu'ils voulaient très certainement l'obliger à se convertir à l'Islam. Il a ajouté toutefois que les extrémistes voulaient tout simplement de l'argent et qu'en fait, ils avaient promis de le laisser tranquille s'il leur remettait une somme importante. M. Rasem a également mentionné que les extrémistes avaient dit qu'ils le tueraient s'il ne se convertissait pas à l'Islam pour épouser Fatima. Enfin, il a expliqué que l'objectif principal des fondamentalistes islamiques était la conversion et qu'ils se servaient de l'argent comme moyen de pression. Il n'était pas manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure que cette incohérence nuisait à la crédibilité de M. Rasem.

[15]            Après avoir lu la décision de la SPR dans son ensemble, dans le contexte de la preuve dont elle était saisie, je suis convaincue que la SPR n'a pas tiré une conclusion manifestement déraisonnable en jugeant que la demande de M. Rasem n'était pas crédible. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[16]            Cela dit, les conclusions de la SPR au sujet de la crainte subjective de M. Rasem sont préoccupantes. M. Rasem a examiné la possibilité de s'installer au Caire conformément à son obligation, en droit, de trouver une possibilité de refuge intérieur sécuritaire. Quant au fait qu'il n'a pas demandé l'asile aux États-Unis, la preuve révèle que pendant les cinq jours que M. Rasem a passés aux États-Unis, il a rencontré un avocat qui lui a dit que, dans des cas semblables, la plupart du temps, les demandes étaient refusées et que, parce que M. Rasem avait un visa pour le Canada, il devrait s'y rendre et y présenter une demande d'asile. Compte tenu de cette preuve, il m'est difficile de comprendre comment le fait que M. Rasem se soit ensuite rendu au Canada pour y demander rapidement l'asile soit incompatible avec l'existence d'une crainte subjective. Toutefois, je suis convaincue qu'une erreur, quelle qu'elle soit, relativement à la crainte subjective de M. Rasem, n'est pas pertinente pour ce qui concerne la décision du tribunal. La SPR a rejeté la demande de M. Rasem parce qu'elle a conclu que l'élément principal de sa demande était peu vraisemblable et qu'il n'était pas étayé par la preuve documentaire. Tel que susmentionné, les conclusions du tribunal ne sont pas manifestement déraisonnables.

[17]            Les avocats n'ont soumis aucune question aux fins de certification et je conviens qu'aucune question de portée générale n'est soulevée en l'espèce.

ORDONNANCE

[18]            LA COUR ORDONNE QUE :

1.          La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-10054-04

INTITULÉ :                                        MAGED ZARIF RASEM

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 29 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 19 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker                                  POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada        POUR LE DÉFENDEUR

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