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Date : 20211206

Dossier : IMM‑1652‑20

Référence : 2021 CF 1353

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2021

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

GYORGY SANTHA

TIMEA SANTHANE HOMONNAI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR], prise après un nouvel examen le 4 février 2020. La SPR y a tiré les conclusions suivantes : a) par application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés [la Convention] des Nations Unies, 28 juillet 1951, [1969] RT Can no 6, et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], LC 2001, c 27, Gyorgy Santha [le demandeur] n’a pas droit à l’asile et b) Timea Santhane Hommai [la demanderesse] n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2] Les demandeurs avancent que la décision de la SPR est déraisonnable et qu’elle comporte les erreurs suivantes : a) avoir conclu que le demandeur n’a pas droit à l’asile; b) avoir omis de conduire une analyse appropriée fondée sur les articles 96 et 97, notamment pour ce qui a trait à la preuve relative à la situation dans le pays et au profil des demandeurs; c) avoir omis d’examiner leurs allégations de persécution fondée sur des motifs cumulés et d) avoir conclu que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée dans son intégralité.

II. Contexte

[4] Les demandeurs sont des citoyens de la Hongrie d’origine ethnique rom. Ils sont époux et épouse. Les demandes d’asile des demandeurs étaient fondées sur leur crainte de persécution du fait de leur origine ethnique et des mauvais traitements généralisés infligés aux Roms en Hongrie par le gouvernement et la population hongroise non rom en général. Les demandeurs se sont fondés sur les incidents précis mentionnés ci‑dessous et avancent qu’ils comportaient de la discrimination.

  1. Entre 2000 et 2010, les demandeurs ont été forcés de déménager six fois, car ils ont fait l’objet de discrimination et de harcèlement à cause de leur origine ethnique.

  2. En 2007, le demandeur et un ami se sont vu refuser l’entrée dans une boîte de nuit parce qu’ils étaient Roms.

  3. En janvier 2009, la clôture des demandeurs a été détruite. Puisqu’ils étaient les seuls Roms qui habitaient dans cette rue et que seulement leur propriété avait été endommagée, les demandeurs ont présumé que la destruction de leur clôture était plus qu’un acte fortuit de vandalisme. Les demandeurs ont communiqué avec la police pour déposer un rapport. Or, ils affirment que la police n’a rien fait.

  4. En novembre 2009, une voiture noire s’est arrêtée près du demandeur, et trois membres de la Garde hongroise sont sortis de la voiture et l’ont interpellé. Ils l’ont insulté (le traitant de [traduction] « sale gitan »), l’ont menacé en lui disant qu’ils savaient où il vivait et qu’ils allaient le tuer, lui et sa famille, puis l’ont agressé physiquement. Cependant, il a pu s’échapper et, pendant qu’il fuyait, il a entendu les gardes continuer de proférer des menaces de mort à l’endroit de sa famille.

  5. Quelques semaines après cet événement en novembre 2009, des gens se sont présentés au domicile des demandeurs et ont tenté de s’introduire par effraction, en criant des injures et des menaces. Le demandeur a appelé la police et ces individus sont partis. Le demandeur a signalé cet incident et l’incident de novembre 2009 à la police, laquelle a fait savoir qu’elle mènerait une enquête. Un mois plus tard, le demandeur a reçu une lettre de la police l’informant qu’elle avait clos l’enquête, sans procéder à des arrestations et sans lui demander d’identifier ses agresseurs.

  6. En janvier 2010, le propriétaire des demandeurs a obtenu une ordonnance pour les expulser de leur appartement à cause de plaintes formulées par leurs voisins qui ne voulaient pas habiter près de personnes d’origine rom.

  7. En février 2010, pendant que le demandeur revenait du magasin, deux membres de la Garde hongroise l’ont abordé et ont commencé à l’insulter et à le pousser pour qu’il tombe par terre. Il s’est relevé et s’est enfui. Pendant sa fuite, il pouvait toujours entendre leurs insultes.

  8. Le 6 avril 2010, deux hommes ont agressé la demanderesse. Ils l’ont insultée et battue. Elle est allée faire soigner ses blessures, puis elle a fait un signalement auprès de la police. Pendant l’agression, l’un des hommes a poussé la poussette de sa fille et l’a fait tomber par terre. Bien que sa fille n’ait subi aucune blessure, elle a eu peur, tout comme les deux autres fils de la demanderesse qui l’accompagnaient au moment de l’agression.

  9. Entre septembre 2009 et avril 2010, au moment de commencer l’école, le fils des demandeurs a été victime de discrimination à cause de son origine rom. L’enseignant l’a séparé du reste de la classe en le plaçant loin des autres élèves. Pendant la récréation, les autres élèves le harcelaient constamment. Il rentrait de l’école toujours angoissé.

[5] Le 16 avril 2010, le demandeur a demandé l’asile au Canada. La demanderesse et ses enfants ont demandé l’asile au Canada le 30 avril 2010.

[6] Dans leurs formulaires de renseignements personnels, les demandeurs ont précisé qu’ils n’ont jamais fait l’objet de poursuites, arrestations, détentions par la police, l’armée ou toute autre autorité dans aucun pays, et qu’ils n’avaient jamais commis de crime dans aucun pays, ni fait l’objet d’accusations ou condamnations pour un crime.

[7] Or, il a été ensuite établi que, pendant qu’il était en Hongrie, avant d’arriver au Canada, le demandeur avait été inculpé et reconnu coupable de deux chefs d’accusation de fraude, cinq chefs d’accusation d’incitation à la fraude, onze chefs d’accusation de complicité dans la falsification de documents et un chef d’accusation de falsification de documents. Le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans et huit mois. Il n’a pas contesté ses condamnations ni sa peine, et a admis avoir fui la Hongrie pour se rendre au Canada pour éviter de purger sa peine d’emprisonnement.

[8] De plus, il a ensuite été conclu que, pendant qu’elle était en Hongrie et avant son arrivée au Canada, la demanderesse avait été accusée et reconnue coupable de deux chefs pour fraude et deux chefs pour fabrication de faux documents. La demanderesse a d’abord été condamnée à une peine d’emprisonnement d’un an, qui a par la suite été réduite à deux ans de probation.

[9] Le 20 août 2013, la SPR a rendu sa première décision quant aux demandes d’asile des demandeurs et de leurs enfants [la première décision]. La SPR a conclu que les demandeurs ne pouvaient pas demander l’asile par application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

[10] Les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la première décision. Sur consentement des parties, le 23 janvier 2015, la Cour a fait droit à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, cassé la première décision et renvoyé l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR.

[11] Au départ, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada a fait part de son intention d’intervenir à l’audience de réexamen pour faire valoir que, a) conformément à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et à l’article 98 de la LIPR, le demandeur était potentiellement exclu du droit à l’asile prévu par la Convention et que b) la crédibilité des demandeurs a été mise en doute, car ils n’ont pas déclaré leurs condamnations criminelles en Hongrie au moment de demander l’asile. Le ministre a finalement changé d’avis et a retiré son intervention sur l’exclusion, mais a maintenu sa position quant à la crédibilité.

[12] L’audience de la SPR s’est déroulée sur deux jours. Le ministre y a participé seulement en présentant des documents.

III. Décision en litige

[13] Dans sa décision de réexamen, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas droit à l’asile par application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la LIPR, et que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

A. Le demandeur

[14] Même si le ministre a retiré son intervention portant sur l’exclusion du demandeur du droit d’asile prévu par la Convention pour la commission d’un crime grave de droit commun, la SPR a conclu qu’il incombait toujours au tribunal d’établir si le demandeur était interdit de territoire au Canada et que la non‑participation du ministre ne faisait pas obstacle à une conclusion d’exclusion.

[15] S’agissant de la question de savoir s’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun, la SPR a d’abord évalué les diverses infractions criminelles dont le demandeur avait été accusé, y compris celles auxquelles se rapportait l’intervention initiale du ministre, à savoir a) un chef d’accusation de fraude à répétition avec incitation, au titre du paragraphe 318(1), du paragraphe (2), alinéa c), et du paragraphe (5), alinéa b); b) cinq chefs d’accusation de fraude à répétition avec incitation, au titre de l’article 318, paragraphe (1), alinéa c), et paragraphe (5), alinéa b); c) un chef d’accusation de fraude criminelle, au titre de l’article 318, paragraphes (1), (2) et (5), alinéa b), ainsi que de l’article 16; d) un chef d’accusation de fraude criminelle, au titre de l’article 318, paragraphes (1), (2) et (4), alinéa b); e) onze chefs d’accusation de fabrication de faux documents, au titre de l’article 276 (acte d’accusation, articles 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 14 et 16) et f) un chef d’accusation de fabrication de faux documents, au titre de l’article 276 (acte d’accusation, article 15), tous prévus au code pénal hongrois.

[16] La SPR a conclu que les articles applicables du code pénal hongrois étaient équivalents à l’alinéa 380(1)a) du Code criminel du Canada, LRC, 1985, c C‑46, qui traite de l’infraction de fraude lorsque la valeur de l’objet de l’infraction dépasse 5 000 $ et qui prévoit un emprisonnement maximal de 14 ans. La SPR a conclu que le demandeur avait été accusé et déclaré coupable de sept chefs d’accusation de fraude, pour lesquels il aurait pu recevoir la peine maximale s’il avait commis au Canada les infractions reprochées.

[17] Quant à savoir si le demandeur a commis un crime grave de droit commun, la SPR a conclu que les accusations de fraude sont de toute évidence des crimes de droit commun. En ce qui concerne la gravité des infractions, la SPR a déterminé que celle‑ci dépend de la peine potentielle, plutôt que la peine réellement imposée. La SPR s’est fondée sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CSC 68, pour constater que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être prononcée si le crime avait été commis au Canada. Étant donné que l’article 380 du Code criminel impose une peine maximale de dix ans ou plus pour l’infraction de fraude, la SPR a conclu que, à première vue, les condamnations pour fraude du demandeur étaient des condamnations pour des crimes graves.

[18] Pour déterminer s’il y avait des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur avait commis les crimes en cause, la SPR a tenu compte de l’effet cumulatif de la mise en accusation, des aveux du demandeur quant à ses condamnations et à son plaidoyer de culpabilité, et elle a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis un crime grave de droit commun.

[19] La SPR s’est ensuite demandé si la présomption selon laquelle les infractions en cause étaient graves avait été réfutée conformément à l’arrêt Febles. Ainsi, elle a examiné les divers facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, à savoir les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité.

[20] La SPR a tiré les conclusions suivantes quant aux facteurs susmentionnés :

  1. Éléments constitutifs du crime : les dispositions législatives applicables du code pénal hongrois et du Code criminel canadien ont été jugées très similaires. La SPR a également constaté que le demandeur a déclaré que l’activité frauduleuse consistait, entre autres, en des demandes de crédit frauduleuses pour des prêts, des biens de consommation et des voitures d’occasion. Les demandeurs de prêts et de crédit étaient tous des Roms. Dans certains cas, ils renvoyaient les reçus, en tout ou en partie, au demandeur. Le demandeur a avancé que les vendeurs des concessionnaires d’automobiles étaient au courant de la fraude et y ont participé en fournissant des documents pour les prêts automobiles frauduleux.

La SPR a également rappelé que les articles 374 et 375 du Code criminel du Canada portent sur la contrefaçon et les infractions ressemblant à de la contrefaçon. Ces articles en font des infractions punissables passibles d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

  1. Mode de poursuite et peines prévues : le demandeur a été déclaré coupable de douze chefs d’accusation de fabrication de faux documents et a été reconnu coupable d’une infraction moins grave quant à cinq autres chefs d’accusation. Au moins cinq de ces chefs d’accusations de fraude ont été portées en vertu du paragraphe 318(5) de la loi hongroise, qui prévoit une peine plus sévère et reconnaît que les fraudes ont été commises dans le cadre d’un complot criminel, sur les lieux d’un danger public ou d’une manière [traduction] « commerciale » selon la législation hongroise. À cet égard, le demandeur a admis que les fraudes avaient été commises à l’égard d’entreprises commerciales. Douze chefs d’accusation ont également été portés contre le demandeur pour avoir produit des documents contrefaits. Ces accusations ont été portées par voie de mise en accusation ce qui laissait entendre, selon la SPR, que les infractions en question étaient considérées comme des infractions graves. La SPR a également conclu que, vu la peine d’emprisonnement prévue de plus de deux ans, il s’agissait d’infractions qui étaient traitées comme des crimes graves et non comme des infractions mineures.

  2. Faits : d’après l’acte d’accusation, le demandeur était impliqué dans des activités frauduleuses qui concernaient des banques, des épiceries, des magasins de produits électroniques et des concessionnaires d’automobiles. Le montant en question est compris entre 58 060 et 1 680 000 forints hongrois. Or, dans une lettre, l’avocat hongrois du demandeur a déclaré que les victimes des fraudes pour lesquelles le demandeur a été déclaré responsable ont subi des dommages financiers d’environ 4 162 $ CA, au total. Dans son témoignage, le demandeur n’a pas contesté les faits relatifs aux fraudes énoncés dans l’acte d’accusation. Au contraire, il a donné plus de contexte sur les chefs d’accusation, et a déclaré que la conduite criminelle a duré au‑delà des trois mois précisés dans l’acte d’accusation et s’est étendue sur trois ou quatre ans. Le demandeur a également admis avoir reçu des « pots‑de‑vin » de la part des individus qu’il a aidés à obtenir des biens et des prêts au moyen de faux documents.

  3. Circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes aux déclarations de culpabilité : le demandeur a soutenu que les facteurs atténuants pertinents comprenaient son identité rom, le fait qu’il est devenu un bouc émissaire et s’est vu infliger une peine plus sévère en raison de son origine ethnique, la nature financière des crimes, le fait que les crimes ne comportaient aucune forme de violence et le fait que les montants en cause n’étaient pas très importants.

La SPR a reconnu que le plaidoyer de culpabilité du demandeur constituait un facteur atténuant, puisqu’il permettait d’éviter les dépenses relatives à un procès. Cela dit, elle a estimé que les autres justifications présentées par le demandeur ne consistaient pas en des facteurs atténuants satisfaisants. Elle a conclu que les crimes financiers comportent, eux aussi, des victimes, qu’un demandeur d’asile peut être exclu pour des raisons économiques, que celui‑ci savait qu’il se livrait à une activité frauduleuse, que le demandeur avait tiré profit du stratagème en question, qui avait comme seul objectif l’obtention de biens et d’argent par la fraude, auquel personne ne l’a obligé de prendre part, et qu’il n’éprouvait pas de remords.

De plus, la SPR a admis que les délinquants roms peuvent éprouver plus des difficultés au sein du système de justice hongrois, tout en soulignant qu’aucun élément de preuve indépendant n’attestait que le demandeur s’était vu infliger une peine plus sévère. Au fait, sa peine initiale a été raccourcie en appel. Par ailleurs, en vertu de la loi hongroise, le demandeur aurait pu recevoir une peine maximale de cinq ans pour au moins une des quatorze infractions. Comme il ne s’est vu infliger qu’une peine totale de deux ans et huit mois, la SPR n’était pas d’avis que le demandeur n’avait pas été traité avec clémence ou que la peine avait été augmentée à cause de son origine ethnique.

Quant aux circonstances aggravantes, la SPR a conclu que le demandeur n’assume pas la responsabilité de ses actes qui, d’après ce qu’il a admis, portaient, en fait, sur trente transactions. Il a parlé de façon évasive de sa participation aux fraudes (qu’il a qualifiées de minimes), a soutenu que d’autres auraient dû être accusés avec lui, a fait valoir qu’il n’était pas le cerveau de l’opération, qu’il aurait seulement dû avoir à payer une amende, et affirme avoir fui la Hongrie pour éviter de purger sa peine. La SPR a conclu que le départ de la Hongrie à ce moment‑là était un acte délibéré de la part du demandeur et, ce faisant, il est devenu un fugitif recherché par la justice. Elle a rejeté l’argument du demandeur selon lequel sa condamnation était viciée, avait été annulée ou n’avait plus d’effet après le verdict rendu par le secrétaire pour les mesures d’exécution de la loi au pénal de la Cour de justice de Miskolc en 2018. La SPR n’était pas d’accord. Elle a conclu que le verdict disait seulement que le demandeur ne serait pas envoyé en prison parce que le délai de prescription à l’intérieur duquel la peine aurait dû commencer à être imposée s’était écoulé. Or, il n’a pas rendu le procès, la condamnation et la peine caducs.

[21] La SPR a conclu en citant le paragraphe 53 de l’arrêt Febles, dans lequel la Cour suprême du Canada a abordé le double objectif de l’alinéa Fb) de l’article premier, qui consiste à éviter que les fugitifs se soustraient aux punitions pour leurs crimes et à protéger la sécurité des États, et a confirmé l’affirmation selon laquelle l’alinéa Fb) de l’article premier ne peut pas être interprété comme s’il limitait l’exclusion à ceux qui sont des fugitifs recherchés par la justice. Conformément à ces principes, la SPR a conclu que, puisqu’il est un fugitif recherché par la justice, le demandeur était exclu de la protection des réfugiés au sens de la Convention.

[22] Ayant conclu que le demandeur était exclu de la protection des réfugiés, la SPR n’a pas examiné l’aspect relatif à l’inclusion dans sa demande d’asile.

B. La demanderesse

[23] La SPR a pris note que la demanderesse s’était fondée sur les allégations de persécution du demandeur et qu’elle avait adopté le témoignage de son époux à l’audience.

[24] La SPR a conclu que les chefs d’accusation de fraude et de fabrication de faux documents dont elle a été reconnue coupable n’étaient pas des raisons sérieuses de penser qu’elle avait commis un crime grave de droit commun avant de venir au Canada. Par conséquent, la SPR a conclu qu’elle n’était pas visée par l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et qu’aucune question relative à l’exclusion ne se posait.

[25] La SPR a déterminé que la seule question à trancher était celle de savoir si la demanderesse pouvait démontrer de façon crédible qu’il existait une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée en Hongrie.

[26] La demanderesse a avancé que ce qui lui est arrivé par le passé, qui a été résumé plus haut, donnait lieu à une crainte fondée de persécution en Hongrie, et que la situation des Roms dans ce pays s’était aggravée depuis son départ en 2010.

[27] La SPR a conclu que la crédibilité de la demanderesse avait été compromise par ses actes, puisqu’elle avait omis de déclarer qu’elle avait été accusée et déclarée coupable de crimes en Hongrie. Ainsi, la SPR a conclu qu’elle était disposée à induire les autorités canadiennes en erreur, ce qui entachait l’ensemble de sa preuve. La SPR a reconnu que la demanderesse, du fait qu’elle est Rom, a probablement été victime de discrimination et de harcèlement à l’école, tout en constatant que, à son avis, la discrimination qu’elle a vécue n’équivalait pas à de la persécution.

[28] Ainsi, la SPR a tiré les conclusions suivantes quant aux diverses allégations relatives à la discrimination :

  1. Discrimination à l’école : au vu de la preuve documentaire qui décrit les conditions généralement défavorisées dans lesquelles les enfants roms sont instruits, le tribunal a accepté les allégations de discrimination et de harcèlement de la demanderesse portant sur ses années à l’école. Or, les événements de discrimination et de harcèlement étaient alors trop lointains pour constituer de la persécution.

  2. Discrimination en matière d’emploi : la demanderesse a occupé un emploi rémunéré à partir du moment où elle a quitté l’école jusqu’à son arrivée au Canada. Elle ne peut donc pas dire qu’elle ne pouvait pas gagner sa vie. Ainsi, la discrimination en matière d’emploi à laquelle elle aurait été exposée n’équivalait pas à de la persécution.

  3. Discrimination quant au logement : les diverses allégations de discrimination quant au logement étaient de nature hypothétique ou n’étaient pas crédibles et dignes de foi. Selon la prépondérance des probabilités, la raison pour laquelle les demandeurs ont dû déménager à maintes reprises n’avait rien à voir avec leur origine ethnique rom. De plus, même si le tribunal croyait les demandeurs, il appert de leur témoignage et de leurs éléments de preuve que, pendant au moins une décennie, ils ont vécu principalement dans des quartiers qui n’étaient pas majoritairement roms. Cette situation contredit leur témoignage selon lequel ils étaient victimes de discrimination dans le choix d’un logement. La SPR a conclu que les demandeurs avaient exagéré leur situation.

  4. Agression à l’endroit du demandeur : le témoignage du demandeur concernant l’agression de novembre 2009 et le second incident ayant suivi peu de temps après n’était pas fiable, car il n’était pas plausible que, dans une ville de 600 000 habitants, où le demandeur ne connaissait pas ses agresseurs, ces derniers, sans le suivre, aient su où il vivait et aient tenté de s’introduire dans sa maison. La SPR a donc rejeté cet aspect de son témoignage. L’omission du demandeur de communiquer ses antécédents criminels démontre qu’il était disposé à induire en erreur les autorités canadiennes de l’immigration, ce qui a miné sa crédibilité. De plus, même sans rejeter ses allégations selon lesquelles des membres de la Garde hongroise l’auraient agressé à deux reprises, la discrimination dont il aurait fait l’objet n’équivalait pas à de la persécution, puisqu’elle n’était pas fréquente. Comme la demanderesse s’est fondée principalement sur l’exposé circonstancié du demandeur pour démontrer le bien‑fondé de sa demande d’asile, la même conclusion s’appliquait à ce qu’elle avançait à l’égard de ces allégations de discrimination.

  5. Incidents survenus après le départ du demandeur de la Hongrie : après avoir pris note des actes décrits précédemment, la SPR a fait remarquer que la demanderesse avait déposé un rapport de police et présenté un rapport médical qui avait été rédigé le lendemain de ladite agression. La SPR a conclu que le rapport médical était équivoque, en ce qu’il était intrinsèquement incohérent quant à la description des blessures. Ainsi, peu d’importance a été accordée au rapport. En bref, la SPR ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les gardes hongrois avaient agressé et battu la demanderesse.

[29] Quant à la protection de l’État, la demanderesse a affirmé qu’elle ne pourrait pas s’en prévaloir en Hongrie et s’est fondée sur le témoignage du demandeur sur la réaction de la police à l’incident mettant en cause leur clôture. La SPR a conclu que cet élément n’était pas suffisant pour démontrer qu’il n’y a pas de protection de l’État, puisqu’il était évident que la police avait pris des mesures après l’incident et avait ouvert une enquête. La SPR a conclu que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État.

IV. Questions à trancher

[30] La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. La décision de la SPR, selon laquelle le demandeur était exclu de la protection du Canada en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la LIPR, était‑elle déraisonnable?

  2. L’analyse relative à l’article 96 menée par la SPR et fondée sur le profil des demandeurs à titre de Roms était‑elle déraisonnable?

  3. L’évaluation par la SPR des allégations de persécution des demandeurs fondée sur des motifs cumulés était‑elle déraisonnable?

  4. L’analyse que la SPR a faite de la demande d’asile des demandeurs quant à l’article 97 était‑elle déraisonnable?

  5. La conclusion de SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État était‑elle déraisonnable?

V. Norme de contrôle

[31] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[32] Une cour de révision commence son examen du caractère raisonnable d’une décision par l’analyse des motifs énoncés, et ce, avec « une attention respectueuse », et décide si la décision « dans son ensemble » est raisonnable [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 68 aux para 84‑85]. Pour ce faire, la Cour doit décider si la décision est justifiée, transparente et intelligible. Une décision doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » [voir l’arrêt Vavilov, précité, aux para 85 et 99]. Autrement dit, une décision est justifiée, transparente et intelligible si elle permet à la Cour de comprendre les motifs pour lesquels la décision a été prise et de déterminer si elle fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » [voir l’arrêt Vavilov, précité, au para 86].

VI. Analyse

A. La décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur était exclu de la protection du Canada en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés était‑elle déraisonnable?

[33] Aux termes du paragraphe 107(1) de la LIPR, la SPR « accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger ». L’article 96 de la LIPR définit le réfugié au sens de la Convention et l’article 97 de la LIPR définit la personne à protéger.

[34] Cependant, la LIPR établit expressément des catégories de personnes qui sont exclues de ces définitions. L’article 98 de la LIPR prévoit que la personne visée à la section E ou F de l’article premier de la Convention ne peut avoir la qualité de réfugié ni la qualité de personne à protéger. Au moyen de cette disposition, le Parlement a incorporé les clauses d’exclusion de la Convention sur les réfugiés et, à l’étape de la détermination du statut de réfugié, a étendu précisément les clauses d’exclusion à la « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR. La clause d’exclusion qui s’applique en l’espèce est celle de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, qui est ainsi libellée :

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[…]

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés […]

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that.

(b) he has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee; …

[35] La Cour d’appel fédérale a confirmé que, pour que l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier s’applique, le ministre n’a qu’à démontrer, en satisfaisant à une norme qui est moindre que la prépondérance des probabilités habituelle en matière civile, qu’il y a des motifs sérieux de penser que le demandeur a commis les actes reprochés. Dans l’arrêt Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178 au para 56, le juge Nadon confirme le principe suivant :

[56] […] Le ministre n’a pas à prouver la culpabilité de l’intimé. Il n’a qu’à démontrer – et la norme de preuve qu’il doit satisfaire est « moindre que la prépondérance des probabilités » […] – qu’il a des raisons sérieuses de penser que l’intimé est coupable. […]

[Non souligné dans l’original.]

[36] Quant à ce qui constitue un crime « grave », la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 donne les instructions suivantes au paragraphe 62 :

[62] Dans les arrêts Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 17150 (CAF), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (GoodwinGill et McAdams, p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste.

[Non souligné dans l’original.]

[37] Au paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404 au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale définit ainsi les facteurs permettant d’apprécier si le crime qui a été commis est « grave » pour l’application de l’alinéa Fb) de l’article premier :

Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑­jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S v. Refugee Status Appeals Authority; S & Ors v. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157 (Cours royales de Justice, Angleterre); Miguel­Miguel v. Gonzales, 500 F.3d 941 (9th Cir. 2007), 29 août 2007, aux pages 945, 946 et 947). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités.

[Non souligné dans l’original.]

[38] Par conséquent, comme l’a récemment résumé la juge Strickland dans la décision Okolo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 1100 au para 27, un crime de droit commun est considéré au départ comme un crime grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée s’il avait été commis au Canada. Cependant, cette présomption est réfutable. Pour évaluer la gravité d’une infraction, la SPR doit examiner les éléments constitutifs de l’infraction, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité.

[39] Les demandeurs affirment que la SPR a adopté une approche trop étroite à l’égard des arrêts Febles et Jayasekara quant à ce qui constitue un crime grave aux fins de la Convention. Ils avancent que, de ce fait, la SPR n’a pas respecté son obligation d’évaluer adéquatement la demande d’asile du demandeur.

[40] Plus précisément, les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur de droit en ce qui concerne la conclusion selon laquelle le demandeur était un fugitif recherché par la justice, car les éléments de preuve présentés à la SPR démontraient que celui‑ci n’avait pas à purger sa peine puisqu’elle avait été expiée à l’expiration du délai de prescription. Les demandeurs concèdent que le demandeur ait pu être un fugitif recherché par la justice au moment où il est parti de la Hongrie, mais affirment qu’il ne l’était plus au moment de l’audience de la SPR. Ainsi, ils font valoir que l’appui que la SPR a trouvé dans la partie de l’arrêt Febles qui porte sur les fugitifs recherchés par la justice était théorique. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une erreur susceptible de révision, et que la SPR ne tient pas compte de la décision de la Cour dans l’affaire Rihan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 123 au para 26.

[41] Je rejette l’affirmation des demandeurs. Tout d’abord, la partie de la décision Rihan sur laquelle les demandeurs se sont fondés consistait en un résumé de la position du demandeur dans cette affaire et ne reflétait pas la décision de la Cour. Ensuite, ce qui est encore plus important, la Cour suprême du Canada a expressément conclu, au paragraphe 41 de l’arrêt Febles, que l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier ne s’applique pas uniquement aux criminels fugitifs, et la gravité du crime n’a pas à être mise en balance avec des facteurs extrinsèques au crime, tels que l’expiation subséquente au crime. Par conséquent, le fait que la peine d’emprisonnement du demandeur ait expiré par application du droit hongrois n’est pas pertinent pour l’examen par la SPR relatif à son exclusion.

[42] De plus, le demandeur admet qu’il a fui la Hongrie pour éviter de purger sa peine d’emprisonnement et qu’il était un fugitif recherché par la justice au moment où il a présenté sa demande d’asile. Les demandeurs n’ont évoqué aucun fondement, devant la Cour, pour étayer leur affirmation selon laquelle, pour déterminer si le demandeur est un fugitif recherché par la justice, la seule période pertinente est la date de l’audience de la SPR. Je n’ai rien à reprocher à la SPR pour sa conclusion que le demandeur était un fugitif recherché par la justice à son entrée au Canada.

[43] De plus, à mon avis, il était loisible à la SPR de se servir de cette conclusion, qui a été considérée comme une circonstance aggravante dans l’analyse exigée par l’arrêt Jayasekara qu’elle a conduite et qu’elle a mentionnée dans son examen de la justification derrière l’exclusion par application de l’alinéa Fb) de l’article premier (entre autres, empêcher que les fugitifs se soustraient à leur châtiment).

[44] De plus, les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur dans son évaluation des crimes commis, des peines, des circonstances aggravantes et atténuantes et des accusations canadiennes comparables, car elle aurait mal interprété les éléments de preuve présentés par le demandeur et son avocat. D’après les demandeurs, la SPR a mal interprété l’arrêt Febles de la Cour suprême, car elle a conclu que la peine maximale de dix ans était suffisante pour démontrer la gravité du crime. En outre, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis les erreurs suivantes dans l’application des directives énoncées dans l’arrêt Jayasekara :

  1. La SPR n’a pas dûment tenu compte de certains facteurs, notamment de la courte peine imposée par rapport au nombre de condamnations et de la peine maximale. Les demandeurs affirment que, malgré le fait que quatorze chefs de fraude ont été portés contre le demandeur et que les procureurs hongrois aient choisi de traiter cette affaire comme si elle comportait des actes criminels passibles d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement, la peine effective n’était que de deux ans et huit mois, ce qui laisse entendre que le tribunal hongrois a compris que les crimes n’étaient pas graves et qu’il y avait de nombreux facteurs atténuants.

  2. La SPR n’a pas tenu compte du fait que la peine infligée au demandeur se situait parmi les peines les moins sévères infligées pour ce crime au Canada.

  3. Il était déraisonnable que la SPR rejette les éléments de preuve du demandeur sur les facteurs atténuants, comme le fait qu’il était le seul coaccusé à avoir plaidé coupable, qu’il n’était pas le cerveau derrière les crimes et qu’il n’avait été jugé complice que dans cinq des chefs d’accusation.

  4. La SPR a commis une erreur, car elle a fait fi des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays qui attestent des plus grandes difficultés pour les Roms en Hongrie. Les demandeurs affirment que, compte tenu de la discrimination généralisée, il n’y avait aucune raison de conclure qu’ils n’étaient pas également victimes d’un tel traitement dans le système de justice pénale. Ils ajoutent que, au vu des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays, rien ne permettait à la SPR de conclure qu’il n’y avait pas de préjudice envers les Roms dans la poursuite et la détermination de la peine du demandeur.

  5. La SPR ne disposait pas d’éléments de preuve lui permettant de conclure qu’il n’y avait pas de préjugé envers les Roms. Le fait que le tribunal hongrois n’ait pas considéré les crimes comme étant graves et qu’il a conclu à l’existence de circonstances atténuantes très favorables ne signifie pas que la procédure judiciaire était exempte de préjudice envers les Roms.

[45] Je me dois de rejeter la position du demandeur. Je conclus que la SPR a bien pris en compte les principes juridiques applicables énoncés dans l’arrêt Febles au moment de conclure que les condamnations pour fraude du demandeur en Hongrie étaient, de toute évidence, graves, puisqu’une peine maximale de dix ans, voire plus, aurait pu être imposée si ces crimes avaient été commis au Canada. La SPR s’est ensuite demandé à juste titre si cette présomption pouvait être réfutée et a mené un examen détaillé suivant chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara.

[46] Même si les demandeurs ne souscrivent pas à l’issue de l’examen par la SPR des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, la Cour a reconnu que la SPR dispose d’une certaine marge de manœuvre au moment d’évaluer la preuve présentée par le défendeur et de trancher si une condamnation donnée constitue un crime grave de droit commun [voir la décision Radi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 16 au para 22]. De plus, il est clair que la SPR a tenu compte de la courte peine imposée au demandeur et des peines prescrites, de tous les facteurs atténuants potentiels évoques par les demandeurs et a conclu que le plaidoyer de culpabilité du demandeur était un facteur atténuant. La SPR a également examiné les éléments de preuve à sa disposition sur les conditions dans le pays, et a pris acte des difficultés auxquelles sont généralement confrontées les personnes d’origine rom. Les demandeurs n’ont évoqué aucun élément de preuve dont disposait la SPR, et qu’elle aurait négligé, selon lequel une peine plus sévère aurait été imposée spécifiquement au demandeur ou qu’il aurait fait l’objet d’autres traitements injustes dans la procédure pénale. En l’absence de tels éléments de preuve, il était tout à fait raisonnable que la SPR conclue que son origine ethnique rom n’était pas un facteur atténuant.

[47] Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur, car elle n’aurait pas tenu compte du fait que la peine imposée au demandeur se situait parmi les peines les moins sévères infligées pour ce crime au Canada. Or, je rejette cette affirmation. La SPR a pris acte de l’échelle de peines prévues au Canada pour la fraude et la contrefaçon et a correctement tenu compte de la peine finalement imposée pour les nombreuses déclarations de culpabilité en cause (sans tenir compte des nombreuses autres infractions que le demandeur a admis à la SPR avoir commises).

[48] À l’audience relative à la demande, les demandeurs ont affirmé que le demandeur avait été mis sous accusation en Hongrie pour fraude d’une valeur de moins de 5 000 $ (environ 4 162 $), ce qui est passible d’une peine maximale de deux ans d’emprisonnement au Canada conformément à l’alinéa 380(1)b) du Code criminel, laissant entendre que la décision de la SPR selon laquelle les crimes étaient présumément graves était erronée. Or, cet argument n’a pas été soulevé par les demandeurs dans leur mémoire des arguments ni dans leur réplique. De plus, ils ne se sont pas prévalus de la possibilité de signifier et de déposer un autre mémoire des arguments soulevant cette question. Il s’ensuit que cette question n’a pas été présentée correctement à la Cour, et elle ne sera pas étudiée. Cela dit, la Cour relève les éléments suivants :

  1. Le demandeur a déclaré à l’audience de la SPR, de son propre gré, que, en réalité, il a pris part à plein d’autres fraudes pour lesquelles il n’a pas été accusé. Ainsi, la SPR aurait pu conclure raisonnablement que la valeur concernée par les fraudes dépassait 5 000 $ dans les circonstances.
  2. De plus, la SPR n’a pas seulement pris en compte les déclarations de culpabilité pour fraude du demandeur. Elle a aussi tenu compte de ses nombreuses condamnations pour contrefaçon, et a rappelé que son équivalent canadien consiste en une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement maximale prescrite de 14 ans. Par conséquent, même s’il était jugé que la SPR avait commis une erreur en concluant que les accusations de fraude étaient présumément graves au vu d’une conversion dans le droit canadien qui comportait des lacunes, il n’y aurait pas eu de telles lacunes pour ce qui est des accusations de contrefaçon. À mon avis, une telle erreur ne serait pas suffisante pour rendre la décision de la SPR déraisonnable, surtout au vu du fait que les accusations de contrefaçon, à elles seules, auraient déclenché la présomption de gravité.

[49] En conclusion, j’estime que les motifs de la décision de la SPR selon lesquels le demandeur est exclu de l’asile au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention sont justifiés, intelligibles et transparents. Ainsi, en ce qui concerne le demandeur, il n’est pas fait droit à la demande de contrôle judiciaire.

B. L’analyse relative à l’article 96 conduite par la Section de la protection des réfugiés et fondée sur le profil des demandeurs à titre de Roms était‑elle déraisonnable?

[50] Nonobstant les préoccupations quant à la crédibilité de la SPR à l’égard de la demanderesse, les demandeurs affirment que la SPR était tenue d’effectuer une analyse relative à l’article 96 de la LIPR portant sur le profil de la demanderesse au vu des éléments de preuve sur les conditions dans le pays à sa disposition, ceux‑ci figurant dans le cartable national de documentation [CND] de la CISR, que les demandeurs ont présentés. Ils soutiennent que les éléments de preuve sur les conditions dans le pays présentés à la SPR font état d’incidents de discrimination dans presque tous les aspects de la vie des Roms en Hongrie. Ils font valoir que, en faisant fi des éléments de preuve objective sur les mauvais traitements subis par les Roms en Hongrie, la SPR n’a pas évalué adéquatement les menaces auxquelles la demanderesse serait exposée advenant leur renvoi en Hongrie.

[51] Je rejette leurs observations. Il était tout à fait loisible à la SPR d’entreprendre son analyse relative à l’article 96 en soulignant le manque général de crédibilité de la demanderesse du fait qu’elle n’avait pas fait part de ses condamnations au criminel [voir les décisions Cho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 398 au para 9; et Gulabzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 547 au para 9].

[52] Les demandeurs font observer, justement, que la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Jama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 668, confirme que la SPR a l’obligation de tenir compte des renseignements inscrits dans le CND dans son analyse relative à l’article 96. Cela dit, je rejette leur affirmation selon laquelle la SPR n’a pas tenu compte des conditions dans le pays et de la discrimination à l’égard des Roms dans l’examen de la demande d’asile présentée par la demanderesse au titre de l’article 96. La SPR a analysé le bien‑fondé de chaque allégation présentée par les demandeurs (comme il est décrit plus haut), ce qui a comporté l’examen de la documentation sur les conditions dans le pays. Il était loisible à la SPR de tirer une conclusion fondée sur les éléments de preuve dont elle disposait et sur ses constats au sujet du manque de crédibilité des demandeurs. Par conséquent, je juge que cet aspect de l’évaluation de la SPR de la demande d’asile présentée au titre de l’article 96 ne comporte aucune erreur.

C. L’évaluation par la Section de la protection des réfugiés des allégations de persécution des demandeurs fondée sur des motifs cumulés était‑elle déraisonnable?

[53] Dans les cas où la preuve atteste une série d’actions qui sont considérées comme de la discrimination plutôt que de la persécution, la SPR doit tenir compte de la nature cumulative de cette conduite. Cette exigence reconnaît que de vieux incidents peuvent constituer le fondement de la crainte actuelle [voir la décision Mete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 840 au para 5; et l’arrêt Retnem c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 428 (QL)]. La Cour a statué à maintes reprises que le défaut de donner une vraie explication de la raison pour laquelle les actes cumulatifs de discrimination ne constituent pas de la persécution constitue une erreur susceptible de révision [voir les décisions Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Balogh, 2014 CF 932, au paragraphe 32; et Hegedüs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1366, au paragraphe 2].

[54] D’après les demandeurs, la SPR n’a pas évalué le traitement subi par la demanderesse pour des motifs cumulés; elle a plutôt rejeté les aspects de persécution un par un et a conclu que le traitement n’avait pas atteint le niveau de la persécution. Cela dit, les demandeurs ne précisent pas les conclusions ponctuelles relatives à la discrimination qui auraient dû être prises en compte de façon cumulative par la SPR, et dont l’omission constitue selon eux une erreur.

[55] Selon une interprétation juste de sa décision, la SPR a conclu que la demanderesse faisait l’objet de discrimination en ce qui a trait à ses études. Or, la SPR n’a tiré aucune autre conclusion relative à la discrimination. Au contraire, pour ce qui est des autres événements, elle a conclu, de façon explicite, soit qu’il n’y avait pas eu de discrimination, soit que le témoignage au sujet des faits qui auraient comporté de la discrimination n’était pas crédible, ce qui portait au rejet du témoignage. Dans une démarche caractérisée par la prudence, la SPR s’est ensuite exprimée au sujet de certaines allégations et a expliqué que même si le témoignage des demandeurs était crédible, les événements de discrimination ne constituaient pas de la persécution. J’estime que ces déclarations prudentes ne correspondent pas à des conclusions de discrimination. En l’espèce, il n’y a eu qu’une seule conclusion quant à l’existence de discrimination. Ainsi, il n’était pas nécessaire que la SPR procède à une évaluation cumulative. Par conséquent, je conclus que la SPR n’a pas commis d’erreur, contrairement à ce qu’avancent les demandeurs.

D. L’analyse que la Section de la protection des réfugiés a faite de la demande d’asile des demandeurs quant à l’article 97 était‑elle déraisonnable?

[56] Les demandeurs font valoir que la jurisprudence de la Cour établit qu’une demande d’asile présentée en vertu de l’article 97 de la LIPR doit comporter des références aux éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays qui se rapportent au demandeur d’asile, peu importe la présence de toute préoccupation quant à la crédibilité. Les demandeurs soutiennent donc que la SPR a commis une erreur, car elle n’a pas effectué d’analyse résiduelle relative à leur demande d’asile présentée au titre de l’article 97, au vu de leur profil de Roms, indépendamment de ses conclusions quant à la crédibilité.

[57] Pour ce qui est du demandeur, comme la SPR a conclu qu’il n’était pas admissible à l’asile en raison de ses infractions antérieures, elle n’était pas tenue de procéder à une analyse relative à l’article 97 [voir la décision Xie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250 au para 38]. Par conséquent, il était raisonnable que la SPR ne mène pas d’analyse sur le demandeur quant à l’article 97.

[58] Pour ce qui est de la demanderesse, je suis d’accord avec elle lorsqu’elle affirme que les préoccupations quant à la crédibilité peuvent ne pas comporter le rejet d’une demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. Le juge Blanchard résume très bien les facteurs à prendre en considération pour l’analyse d’une demande d’asile fondée sur l’article 97, au paragraphe 41 de la décision Bouaouni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211 :

Une revendication fondée sur l’article 97 doit être appréciée en tenant compte de toutes les considérations pertinentes ainsi que du comportement en matière de droits de la personne du pays concerné. Bien que la Commission doive évaluer objectivement la revendication du demandeur, il lui faut individualiser son analyse. J’estime cette interprétation conforme non seulement aux décisions du CCT des Nations Unies examinées précédemment, mais aussi au libellé même de l’alinéa 97(1)a) de la Loi, qui fait mention d’une personne qui « serait personnellement, par son renvoi […] exposée […] ». Il peut y avoir des cas où l’on conclut qu’un revendicateur du statut de réfugié, dont l’identité n’est pas contestée, n’est pas crédible pour ce qui est de la crainte subjective d’être persécuté, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger. Il s’ensuit qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l’article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien‑fondé d’une revendication aux termes de l’article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l’article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d’elles soit considérée distincte. Une revendication fondée sur l’article 97 appelle l’application par la Commission d’un critère différent, ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l’exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. On peut soutenir que la Commission pourrait également avoir à appliquer une norme de preuve différente, mais cette question devra être approfondie une autre fois, puisqu’on ne l’a pas fait valoir dans le cadre de la présente demande. La question de savoir si la Commission a valablement examiné les deux revendications doit être tranchée, en tenant compte des éléments différents qui sont requis pour démontrer le bien‑fondé de chacune, en fonction des faits d’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[59] Cela dit, la Cour, ainsi que la Cour d’appel fédérale, ont également reconnu qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité suffit pour rejeter une demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur d’asile [voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 au para 3; et les décisions Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 102 au para 41; et Gutierrez c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 4 au para 59].

[60] Je ne suis pas convaincue que, dans les circonstances de l’affaire, il était nécessaire de conduire une analyse distincte au titre de l’article 97 de la nature que les demandeurs ont invoquée auprès de la Cour, qui aille au‑delà de l’analyse de la SPR sur la question de la protection de l’État. Il incombe à la demanderesse de démontrer qu’il existe des éléments de preuve indépendants et crédibles à l’appui de sa demande d’asile fondée sur l’article 97 [voir l’arrêt Sellan, précité, au para 3]. Pour avancer l’erreur alléguée, la demanderesse n’a attiré l’attention de la Cour sur aucun élément de preuve indépendant et crédible en particulier, qu’elle aurait présenté à la SPR à l’appui de sa demande fondée sur l’article 97, sans parler du fait qu’elle n’a pas mentionné d’élément de preuve ayant ces qualités que la SPR aurait omis d’examiner ou aurait mal interprétée. Il ne suffit pas qu’un demandeur se limite à citer des principes juridiques, puis fasse valoir que la SPR a commis une erreur. Il incombe au demandeur de démontrer à la Cour que l’application de ces principes aux faits de son affaire révèle une erreur de la part de la SPR. Or, les demandeurs ne l’ont tout simplement pas fait en l’espèce. Dans les circonstances, il était raisonnable que la SPR ne procède pas à l’analyse résiduelle fondée sur l’article 97 que les demandeurs invoquaient.

E. La conclusion de Section de la protection des réfugiés selon laquelle la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État était‑elle déraisonnable?

[61] Tout demandeur d’asile qui cherche à réfuter la présomption d’une protection adéquate de l’État assume une charge de présentation ainsi qu’une charge de persuasion. Le demandeur d’asile doit d’abord présenter des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État, puis démontrer que la preuve permet d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est insuffisante [voir l’arrêt Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 aux para 17‑20]. Il ne suffit pas que la preuve soit fiable pour que le demandeur s’acquitte de sa charge de persuasion; elle doit aussi avoir une valeur probante suffisante pour satisfaire à la norme de preuve [voir l’arrêt Flores Carillo, précité, aux para 28‑30].

[62] Le critère relatif à la protection de l’État est celui du caractère adéquat et vise à déterminer si « la protection est effectivement assurée » dans le pays en question [Harinarain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1519 au para 27]. La Cour a répété à maintes reprises que les « efforts sérieux » déployés pour assurer la protection de l’État ne sauraient être assimilés à une protection de l’État réelle et adéquate [Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 565 au para 28].

[63] Comme l’a souligné le juge Manson dans la décision Tanarki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1337 au para 48 :

La Cour a déclaré à plusieurs reprises que la situation en Hongrie est difficile à évaluer et que l’appréciation du caractère adéquat de la protection de l’État dépendra de la preuve dans chaque cas particulier (décision Ruszo II, précitée, par. 28) La question de savoir si la Hongrie peut et veut protéger correctement ses citoyens roms suscite la controverse et pose de graves problèmes. La décision dépendra de la preuve et des observations présentées au décideur administratif, ainsi que des questions soulevées dans le cadre du contrôle devant la Cour (Tar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 767, par. 75 et 76).

[Non souligné dans l’original.]

[64] En l’espèce, la demanderesse affirme que la SPR a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État, étant donné la preuve contenue dans le CND et la jurisprudence de la Cour fédérale. De plus, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en concluant que la seule interaction des demandeurs avec la police était suffisante pour démontrer que l’État offre sa protection. Les demandeurs affirment qu’ils n’avaient aucune obligation de demander la protection de l’État en premier lieu, et qu’une seule enquête ouverte par la police et close sans résultat ne peut pas être considérée comme la preuve de l’adéquation de la protection de l’État dont disposent les Roms en Hongrie, notamment au vu des différentes formes de discrimination dont ils sont victimes dans leur vie.

[65] Cependant, le problème avec la position des demandeurs est qu’il leur incombe de démontrer à la Cour l’erreur que la SPR aurait commise. Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve ou observation à la Cour sur ce qui a été présenté à la SPR pour tenter de réfuter la présomption de protection de l’État, et que celle‑ci n’aurait pas examiné ou mal interprété. En général, les demandeurs affirment que les éléments de preuve contenus dans le CND à la disposition de la SPR appuient leur position. Or, leur mémoire des arguments et leur réplique ne mentionnent aucun élément de preuve précis du CND. De plus, les demandeurs ne peuvent pas s’appuyer sur des conclusions sur le caractère inadéquat de la protection de l’État offerte aux personnes d’ethnie rom en Hongrie, qui proviennent d’autres décisions de la présente Cour, car de telles conclusions étaient fondées sur des éléments de preuve précis qui ont été présentés à la SPR dans ces affaires [voir l’affaire Tanarki].

[66] S’agissant des motifs de la SPR sur la question de la protection de l’État, en l’absence de clarté quant aux éléments de preuve et aux observations présentés à la SPR et compte tenu des propres éléments de preuve des demandeurs au sujet de leurs interactions avec la police en Hongrie, je conclus que la raison pour laquelle la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État était raisonnable.

VII. Conclusion

[67] La demande de contrôle judiciaire est rejetée en ce qui concerne les deux demandeurs.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑1652‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée dans son intégralité.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1652‑20

INTITULÉ :

GYORGY SANTHA, TIMEA SANTHANE HOMONNAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 6 DÉCEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Alexandra Veall

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Veall Immigration Law

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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