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Date : 20050630

Dossier : IMM-6853-04

Référence : 2005 CF 927

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

HANY TUGGRH

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Le demandeur, Hany Tuggrh, est un citoyen égyptien qui prétend être un réfugié au sens de la Convention. Chrétien copte orthodoxe, il dit craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion.


[2]         Le 12 juillet 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Elle a aussi considéré que le demandeur n'était pas crédible au regard de plusieurs des incidents allégués et qu'il n'avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l'État.

[3]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[4]         La présente demande soulève les questions suivantes :

1.       Les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission sont-elles erronées?

2.       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l'État?


[5] La décision de la Commission et, en particulier, les conclusions relatives à la crédibilité appellent la plus grande retenue et doivent être examinées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982). C'est cette norme qui s'applique également à la conclusion relative à la possibilité d'obtenir la protection de l'État (Nawaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1584, par. 11 et 19). Cette norme de contrôle - la plus rigoureuse - ne dégage pas la Commission de son obligation d'expliquer clairement ses conclusions concernant la crédibilité et de préciser les éléments de preuve sur lesquels celles-ci sont fondées. Lorsque la décision s'appuie sur des conclusions défavorables concernant la vraisemblance, la Commission doit expliquer ces conclusions et non simplement déclarer qu'un événement ou un acte particulier lui paraît invraisemblable. En outre, la Commission ne peut ignorer des éléments de preuve solides contraires (Ilyas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1270, par. 59 et 60).

[6] En l'espèce, la Commission a tiré un certain nombre de conclusions et de déductions qui ne sont pas étayées par la preuve ou qui ne sont pas expliquées assez clairement. Ces conclusions et déductions sont décrites ci-dessous.

(a) Promotion

[7] La Commission conclut que les musulmans ne s'intéressaient pas au demandeur après que celui-ci a été promu au poste de directeur adjoint par son premier employeur. La Commission ne disposant d'aucune preuve de l'identité de cet employeur, cette conclusion n'est pas du tout étayée par la preuve.

(b) Agression du 13 juin 2003

[8] La Commission estime que le témoignage du demandeur concernant une agression qui serait survenue le 13 juin 2003 n'est pas crédible, en particulier parce qu'il prétendait s'être adressé à la police après l'agression. La Commission a manifestement commis une erreur puisque le demandeur n'a jamais dit qu'il était allé voir la police après l'agression.


(c) Attaque à l'aéroport

[9] La Commission conclut que les extrémistes musulmans ne s'intéressaient pas au demandeur parce que, dans le cas contraire, ils l'auraient attaqué à l'aéroport lors de son voyage d'Athènes au Caire en 2003. Cette conclusion d'invraisemblance ne résiste pas à un examen minutieux. En d'autres termes, la Commission dit que les extrémistes musulmans qui sont à la recherche d'un individu passent leur temps à l'aéroport au cas où, par hasard, celui-ci descendrait d'un avion. Cette déduction n'est pas logique et ne constitue certainement pas un fondement solide pour une conclusion d'invraisemblance. De plus, la Commission écrit à ce sujet que « le tribunal lui a demandé [au demandeur] s'il avait eu des difficultés à l'aéroport du Caire à son retour en Égypte; il a répondu non » . Or, cette déclaration est erronée : la transcription ne contient aucune question ou réponse semblable. L'information a peut-être été déduite du Formulaire de renseignements personnels du demandeur, mais il est inacceptable que la Commission [traduction] « invente » des questions et des réponses pour étayer ses conclusions.

(d) Profil du demandeur

[10]             La Commission indique qu'elle ne croit pas que le demandeur ait le profil d'une personne à laquelle les extrémistes musulmans s'intéressent, sans préciser cependant de quel profil il s'agit ou à qui elle compare le demandeur. Si la Commission entend établir une norme par rapport à laquelle la preuve doit être vérifiée, elle doit, à mon avis, expliquer ce qu'est ce « profil » . Elle a commis une erreur en ne le faisant pas.


(e) Comportement des extrémistes musulmans

[11]             La Commission conclut que « si les musulmans avaient voulu l'attaquer [le demandeur], ils ne lui auraient pas permis de faire affaire avec des musulmans et l'auraient attaqué dans la rue alors qu'il se rendait chez des clients musulmans » . Elle n'explique pas cependant sur quels éléments de preuve elle s'appuie pour exprimer un tel point de vue sur le comportement des musulmans. Il ne s'agit pas seulement d'appliquer le bon sens à la situation : il faut que la Commission connaisse le comportement des extrémistes musulmans. Si cette conclusion était fondée sur ses connaissances spécialisées concernant le comportement des extrémistes musulmans, il aurait fallu qu'elle le dise expressément.

(f) Sécurité de l'État

[12]             La Commission rejette la crainte du demandeur et les raisons qu'il a données pour expliquer pourquoi il ne s'était pas adressé à la Sécurité nationale. Pour elle, la crainte du demandeur constitue des « conjectures, véhiculées par la rumeur, selon lesquelles il pourrait disparaître [...] il ne connaissait personne qui aurait disparu après avoir porté plainte à la Sécurité nationale » . La Commission ne dit rien cependant des documents produits en preuve qui faisaient état de disparitions aux mains de la Sécurité nationale. En outre, je ne vois pas, compte tenu de la preuve documentaire, en quoi le fait que le demandeur ne connaissait personne qui avait disparu est pertinent.

(g) Protection de l'État


[13]             En ce qui concerne la protection de l'État, la Commission renvoie à seulement un paragraphe des nombreux documents produits en preuve et conclut hâtivement que, « selon l'extrait qu'on vient de lire, la police offre protection aux chrétiens coptes » . On ne sait pas comment la Commission en est arrivée à considérer que ces quelques lignes illustraient la situation à laquelle sont confrontés les chrétiens coptes en Égypte. Je vois deux problèmes à cette analyse : en plus de ne pas démontrer que la Commission a pris en considération la preuve documentaire sur la protection de l'État, ce passage pourrait mener à la conclusion que les chrétiens ne sont pas bien protégés. La Commission n'ayant procédé à aucune analyse de la preuve documentaire, elle n'avait aucune raison de conclure que « le demandeur n'a pas réfuté la présomption de la protection de l'État » .

[14]             En conclusion, je suis d'avis que, compte tenu des nombreux défauts et erreurs qu'elle renferme, la décision ne devrait pas être maintenue. Aucune partie n'ayant proposé une question à des fins de certification, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   la demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour réexamen.

      « Judith A. Snider »      

      Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-6853-04

INTITULÉ :                                                            HANY TUGGRH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                   LE 29 JUIN 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                           LE 30 JUIN 2005

COMPARUTIONS :                 

Hart Kaminker                                                          POUR LE DEMANDEUR

Ladan Shahrooz                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hart Kaminker                                                          POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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