Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051222

Dossier : IMM-7042-05

Référence : 2005 CF 1735

OTTAWA (Ontario), le 22 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE PAUL U.C. ROULEAU

ENTRE :

UZKAR, IMAM

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit en l'espèce de deux requêtes demandant le sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi émise contre le demandeur. Ces requêtes sont respectivement greffées à :

a)          la décision refusant la demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR), (IMM-7041-05); et

b)          la décision refusant au demandeur une dispense de l'obligation d'obtenir son visa de résident permanent à l'extérieur du canada en raison de l'existence de considérations d'ordre humanitaire (CH), (IMM-7042-05)

La date prévue pour le renvoi est le 27 décembre 2005.

[2]                 Ces décisions ERAR et CH ont été rendues le 11 octobre 2005 par l'agent d'ERAR, Jaqueline Schoepfer.

[3]                 Le demandeur est citoyen de la Turquie. Il est âgé de 40 ans, marié et père de trois filles. Son épouse, ses trois enfants et ses parents demeurent en Turquie.

[4]                 Le 1er juin 2001 il aurait quitté son pays et est arrivé au Canada le 11 juin 2001. Il s'est présenté aux autorités d'immigration et a revendiqué le statut de réfugié trois mois plus tard, soit le 10 septembre 2001.

[5]                 Le 24 octobre 2002, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu qu'il n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni de personne à protéger. La décision reposait principalement sur l'absence de crédibilité du demandeur.

[6]                 Le 28 mars 2003, la demande d'autorisation d'en appeler de cette décision présentée par le demandeur a été rejetée par cette Cour.

[7]                 En mars 2005, le demandeur a déposé une demande d'évaluation des risques avant renvoi (ERAR).

[8]                 Le 11 octobre 2005, l'agente a rejeté la demande ERAR et la demande CH du demandeur. C'est à l'encontre de ces deux décisions que le demandeur a présenté des demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire auxquelles est greffé la présente requête en sursis.

[9]                 Dans l'arrêt Toth c. M.E.I., 86 N.R. 302, la Cour d'appel fédérale a retenu trois critères qu'elle a importés de la jurisprudence en matière d'injonction, plus particulièrement de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd. [1982] 1 R.C.S. 110. Ces trois critères sont :

a)          l'existence d'une question sérieuse à trancher;

b)          l'existence d'un préjudice irréparable; et

c)          l'évaluation de la balance des inconvénients.

[10]            Les trois critères doivent être rencontrés pour que cette Cour accorde le sursis demandé. Si un seul d'entre eux n'est pas rencontré, cette Cour ne peut pas accorder le sursis demandé.

[11]            Dans ses prétentions, le demandeur soutient que l'agent qui a rendu les décisions défavorables a simplement déterminé que le demandeur n'était pas crédible, se fondant sur la décision du Statut et ce malgré le dépôt de documents additionnels destinés à l'agent d'ERAR pour appuyer son allégation de crainte s'il devait retourner dans son pays natal. Il soumet qu'elle a simplement balayé ou rejeté du revers de la main l'importance de cette nouvelle preuve sans y accorder aucune force probante.

[12]            Le demandeur soulève également le manque d'objectivité de la part de l'agent qui aurait été chargée d'évaluer les deux demandes, soit la dispense d'obligation en raison de l'existence de considérations d'ordre humanitaire ainsi que la décision refusant la demande d'examen des risques avant renvoi.

[13]            Le demandeur maintient qu'il est à risque en Turquie du fait qu'il est Kurde et Alevi, qu'il est recherché par les autorités de l'État, que plusieurs membres de sa famille qui sont Kurde et qui comme lui craignent la persécution ont été acceptés comme réfugiés en Angleterre, que dans son pays il y a violation des droits de l'homme, que les Kurdes Alevis sont assujettis à des arrestations et détentions arbitraires. Il souligne de plus son absence d'assimilation et son refus de renier ses origines et sa religion.

[14]            Il soumet de plus que l'agent aurait dû lui offrir l'opportunité de s'expliquer de vive voix plutôt que de simplement disqualifier arbitrairement la nouvelle preuve, concluant à un manque de crédibilité.

[15]            Il serait opportun à ce stade-ci d'identifier quelques faits saillants. Le demandeur était résident d'Istanbul depuis 14 ans. Il s'est marié dans la capitale et, lorsqu'il s'est enfui, il a laissé derrière lui une épouse, trois enfants, sa mère et son père. Dans son récit en réponse à la question 37 dans sa revendication du statut de réfugié, il a bel et bien indiqué qu'en février il avait décidé de participer aux activités de l'HADEP qui organise des activités culturelles musicales et folkloriques Kurdes pour empêcher l'assimilation. Il avait participé le 21 mars 2000 à une fête organisée par l'HADEP. Il indiquait avoir subi du harcèlement, avoir été conduit au poste de police où on l'a interrogé puis relâché quelques heures plus tard. De plus, il a allégué que le 24 juillet 2001 il a participé à un festival de l'HADEP et qu'il aurait été arrêté sur le chemin du retour par des policiers qui l'auraient détenu, battu à coups de pieds et de poings et par la suite relâché. Il indiquait avoir quitté le pays en juin 2001.

[16]            En ce qui concerne la question de l'assimilation du demandeur et de son refus de renier ses origines et sa religion, comme le disait l'agent d'ERAR dans sa décision, bien qu'il affirme n'être pas assimilé, le demandeur a bel et bien vécu pendant 14 ans à Istanbul et il n'a pas démontré qu'il était personnellement ciblé par les autorités Turques, ni qu'il était engagé politiquement.

[17]            Devant la Section de protection des réfugiés, qui avait déterminé qu'il y avait des incohérences et un manque de crédibilité, le demandeur avait indiqué avoir été détenu en juillet 2000. Il n'avait aucunement mentionné qu'il aurait été harcelé en mars 2000. Le tribunal a constaté que le demandeur avait omis de mentionner dans son récit initial les visites hebdomadaires des policiers à domicile, les convocations au poste de police à toutes les semaines pendant des mois, de même que les accusations de complicité avec des membres d'une organisation terroriste.

[18]            En ce qui concerne la prétention du demandeur relativement à un manque d'objectivité de la part de l'agent qui était chargée d'évaluer la dispense d'obligation d'ordre humanitaire et aussi responsable de l'examen des risques avant renvoi, la Cour s'est prononcée à maintes reprises sur ce sujet.

[19]            Le principe énoncé dans Monemi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [2004] A.C.F. no 2004 a été confirmé dans l'arrêt Malekzai c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 256 F.T.R. 199, où le juge O'Keefe mentionnait ce qui suit :

40       De plus, le défendeur prétend que les agents d'immigration peuvent exécuter diverses obligations législatives prévues par la LIPR et qu'ils le font. La Cour a statué, dans la décision Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1596 (QL), 2003 CF 1274, que les agents d'exécution de la loi ont le pouvoir de rendre des décisions à l'égard des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire et, dans la décision Haddad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 579 (QL), 2003 CFPI 405, que le fait d'exercer un type de fonction n'empêche pas un agent d'immigration d'exercer une autre fonction. Ces décisions, selon le défendeur, minent la prétention du demandeur selon laquelle il faut maintenir une barrière stricte entre les divers organismes décisionnels établis par la loi et celle selon laquelle l'omission de le faire dans l'Unité des crimes de guerre laisse planer la menace de l'iniquité.

[20]            L'argument à l'effet que des cousins et des oncles du demandeur ont été acceptés comme réfugiés dans d'autres pays ne peut résoudre le fardeau imposé au demandeur de satisfaire la Section du protection des réfugiés qu'il était un réfugié au sens de la Convention puisqu'on ne connaît pas les circonstances entourant les déterminations dans les pays étrangers relativement à ces cousins et oncles.

[21]            Le demandeur soutient que l'agent d'ERAR a erré en n'accordant aucune force probante aux nouveaux documents déposés à l'audience de l'ERAR et en rejetant cette nouvelle preuve du revers de la main. Il soumet que, si on doutait de sa crédibilité, on aurait dû le convoquer afin qu'il puisse fournir de plus amples informations.

[22]            Les nouveaux documents qui ont été soumis avaient été émis à la demande du père du demandeur par les autorités en Turquie en février 2002. Un premier document indiquait que M. Uzkar aurait été impliqué dans un crime le 21 mars 2000 et qu'il y avait eu arrestation par contumace le 24 juillet 2000. Un second document, également émis en février 2002, convoquait le demandeur au poste de police pour le 15 février 2002 « pour les fins de déclarations » . Il est à noter que ces deux documents étaient disponibles à compter de février 2002 et que lors de sa comparution devant la Section de la protection des réfugiés en octobre 2002 le demandeur n'a produit aucun de ces documents à l'audience. Je suis satisfait que l'agent d'ERAR a analysé cette preuve avant de la rejeter. D'ailleurs, elle s'exprimait comme suit dans sa décision relativement à ces documents :

Monsieur Uzkar déclare qu'après son départ de la Turquie, les policiers auraient déposé une convocation à son nom auprès de son épouse. Il soumet une copie de cette convocation émise le 10 février 2002 qui lui demande de se présenter au poste de police en date du 15 février 2002. Il soumet également une copie d'une décision du 1er tribunal de sécurité de l'État pour un crime commis le 21 mars 2000 (avoir/faire des activités au nom de l'Organisation illégale M.L.K.P.). Il est noté que « la date d'arrestation par contumace (défaut) » était le 24 juillet 2000.

Le demandeur n'a pas présenté ces éléments de preuve lors de son audition devant la CISR le 8 octobre 2002. Il aurait été pourtant raisonnable de s'attendre è ce qu'il les produise et il en aurait eu amplement le temps. Il ne fournit aucune explication sur cette omission. De plus, il avait indiqué dans son FRP n'être pas recherché ni qu'il avait reçu une convocation de la police, alors qu'il était en communication constante avec son épouse. Pour toutes ces raisons, je n'accorde pas de force probante à ces deux documents.

[23]            Il est évident que l'agent d'ERAR n'a pas simplement rejeté du revers de la main les documents en question. De plus, il n'était pas question de manque de crédibilité comme le soulève le demandeur. L'agent en a fait une analyse et mentionne que ces documents étaient disponibles depuis février 2002 et que le demandeur ne les a pas produits devant la Section de protection des réfugiés en octobre 2002. Elle constate aussi qu'il n'y a aucune mention dans le FRP du demandeur à l'effet qu'il était recherché. En fait, il avait déclaré n'avoir aucune convocation de la part de la police et qu'il était en constante communication avec son épouse. Malgré les doutes concernant l'authenticité de ces documents, l'agent en a néanmoins examiné le contenu. Considérant l'ensemble des lacunes eu égard à ces documents, l'agent d'ERAR ne leur a accordé aucune valeur probante.

[24]            Le demandeur ne m'a pas convaincu que le défaut de l'agent de l'avoir convoqué pour fournir des explications concernant les documents ou que ces documents eux-mêmes seraient suffisants pour casser la décision et renvoyer l'affaire pour réexamen.

[25]            Je n'ai pas été convaincu qu'il y a matière à soutenir l'existence d'une question sérieuse à trancher.

[26]            En ce qui a trait à l'existence d'un préjudice irréparable, pour que l'on suspende le renvoi d'un individu vers son pays d'origine, il faut que l'on soit convaincu qu'il existe un risque et qu'il a la qualité d'une personne à protéger.

[27]            En l'espèce, la Section de protection des réfugiés avait déterminé que le demandeur n'était pas crédible et qu'il n'était pas un réfugié ou une personne à protéger. Il est maintenu que l'expulsion ne constitue pas une question sérieuse ni un préjudice irréparable et que, sans aucun doute, les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire si accordées, continueront peut importe l'endroit où se trouverait le demandeur.

[28]            L'agent d'ERAR, après un examen approfondi de la décision antérieure, a bien évalué les risques. Elle soulève dans son analyse que le demandeur, même s'il n'a pu contester la décision du CISR, n'a apporté aucun commentaire ou éclaircissement quant aux nombreuses contradictions soulevées. Comme elle l'indique, il convient d'évaluer la situation du demandeur compte tenu des nouveaux éléments de preuve soumis depuis le rejet de la demande d'asile.

[29]            Elle souligne que divers documents relatent que les autorités Turques causent des ennuis aux gauchistes et aux militants Kurdes mais soumet que cette détermination n'est pas reliée au cas personnel du demandeur. Elle ne doute pas qu'effectivement il puisse y avoir du harcèlement, des arrestations et de la détention mais ce traitement est surtout destiné aux personnalités publiques Kurdes. Le demandeur ne se conforme pas à ce profil.

[30]            L'agent d'ERAR souligne également que les Turcs retournant dans leur pays ne sont pas persécutés simplement parce qu'eux ou des membres de leur famille ont cherché refuge à l'étranger. Cette allégation de la part du demandeur n'est soutenue par aucune preuve documentaire objective récente.

[31]            Il est soumis que si le demandeur est retourné en Turquie, son renvoi rendrait son droit d'appel illusoire. Comme le disait le juge Pinard dans l'arrêt Kaur c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2005] A.C.F. no 36 :

« Puisque l'appel pourra être habilement plaidé par une avocate d'expérience, en l'absence des appelants, et puisque, si les appelants obtiennent gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada aux frais de l'État, je ne puis souscrire à l'idée que leur renvoi rendra illusoire leur droit d'appel. »

[32]            En ce qui concerne l'évaluation de la balance des inconvénients, étant donné ma détermination concernant la question sérieuse et le préjudice irréparable, je n'ai pas à me prononcer.

ORDONNANCE

            La demande de sursis est rejetée.

« Paul U.C. Rouleau »

JUGE SUPPLÉANT


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          IMM-7042-05

INTITULÉ :                                         IMAM UZKAR c. LE MINISTRE DE

                                                            LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal, Qc

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 19 décembre 2005

MOTIFS :                                            L'HONORABLE PAUL U.C. ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                       le 22 décembre 2005

COMPARUTION :

Me Johanne Doyon                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Isabelle Brochu                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DOYON & ASS.                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal, Québec                    

MORRIS, ROSENBERG                    POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.