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Date : 20211201


Dossiers : IMM‐1685‐20

IMM‐7417‐19

Référence : 2021 CF 1335

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2021

En présence de madame la juge Strickland

Dossier : IMM‐1685‐20

ENTRE :

SAIMA SHAHID

SHAHID MASOOD BUTT

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM‐7417‐19

ET ENTRE :

FARIDA NUSRAT

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Saima Shahid et Shahid Masood Butt sont mariés. Ils sont des musulmans ahmadis, des citoyens du Pakistan et les demandeurs dans le dossier IMM‐1685‐20. Ils demandent le contrôle judiciaire de deux décisions, datées du 17 février 2020, par lesquelles un délégué du ministre a conclu que, selon l’alinéa 101(1)c.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], leurs demandes d’asile respectives étaient irrecevables et ne pouvaient pas être déférées à la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Farida Nusrat est aussi une musulmane ahmadie, une citoyenne du Pakistan et la demanderesse dans le dossier IMM‐7417‐19. Elle demande le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 3 mars 2020, par laquelle une déléguée du ministre a conclu que, selon l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR, sa demande d’asile était irrecevable et ne pouvait pas être déférée à la SPR.

[2] Dans une ordonnance du 28 septembre 2021, les affaires ont été mises au rôle pour être instruites en même temps.

I. Contexte

[3] Avant de présenter une demande d’asile au Canada, Mme Shahid, M. Butt et Mme Nusrat [collectivement les demandeurs] ont chacun présenté une demande d’asile dans un autre pays avec lequel le Canada a conclu une entente d’échange de renseignements en matière d’immigration.

[4] M. Butt et Mme Shahid soutiennent qu’ils craignaient d’être persécutés par l’État pakistanais et des musulmans orthodoxes parce qu’ils sont ahmadis. En mai 2017, ils ont quitté le Pakistan et se sont rendus en Nouvelle‐Zélande. Leurs demandes de visas en Australie, où habitent leurs deux fils, ont été rejetées, mais ils croyaient à tort qu’ils avaient obtenu le statut de réfugié en Nouvelle‐Zélande et pourraient ensuite s’établir avec leurs fils en Australie ou vice versa. M. Butt et Mme Shahid ont présenté des demandes d’asile en Nouvelle‐Zélande. Cependant, ils soutiennent que M. Butt n’arrivait pas à trouver du travail, et qu’en l’absence de membres de sa famille en Nouvelle‐Zélande, il trouvait la vie difficile là‐bas et il est devenu déprimé. Par conséquent, suivant les conseils du médecin de M. Butt, ils ont quitté la Nouvelle‐Zélande et sont retournés au Pakistan même s’ils craignaient toujours d’être persécutés là‐bas. Des lettres du service d’immigration de la Nouvelle‐Zélande indiquent que M. Butt et Mme Shahid ont quitté la Nouvelle‐Zélande le 28 septembre 2017, et qu’en conséquence, leurs demandes, qui n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision, avaient été considérées comme retirées. En décembre 2019, M. Butt et Mme Shahid ont quitté le Pakistan pour se rendre au Canada. M. Butt et Mme Shahid ont présenté des demandes d’asile au Canada en janvier 2020. Le délégué du ministre a conclu que, selon l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR, leurs demandes d’asile respectives étaient irrecevables et ne pouvaient pas être déférées à la SPR parce qu’ils avaient déjà présenté des demandes d’asile en Nouvelle‐Zélande.

[5] Mme Nusrat soutient elle aussi qu’elle a été persécutée par le gouvernement pakistanais du fait de sa foi et qu’elle a été victime de discrimination de la part d’intervenants non gouvernementaux parce qu’elle est ahmadie. Mme Nustrat soutient qu’elle a obtenu en 2013 un visa lui permettant de se rendre au Royaume‐Uni [R.‐U.] Selon les documents qu’elle a joint à l’affidavit qu’elle a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, elle s’est rendue à Londres le 17 mai 2014. Elle a déposé une demande d’asile le 3 juin 2014. Cette demande a été refusée le 8 octobre 2014 et l’appel interjeté à l’encontre de cette décision a été rejeté. Mme Nusrat fait valoir qu’elle a alors réussi à obtenir un permis de résidence pour regroupement familial de cinq ans dans l’Union européenne, parce qu’elle était appuyée par sa fille, qui habitait et travaillait en Irlande. Pour des raisons qui ne sont pas claires, Mme Nusrat soutient qu’elle a perdu ce statut. Entre‐temps, elle a obtenu un visa pour se rendre au Canada, ce qu’elle a fait en mai 2019 pour rendre visite à son fils. Un mois plus tard, elle est retournée au Pakistan avec son fils. Elle soutient qu’en raison de la situation des Ahmadis au Pakistan, elle est retournée par la suite au Canada. Elle est arrivée le 1er août 2019, ou vers cette date, et a présenté une demande d’asile le 19 septembre 2019. La déléguée du ministre a conclu que, selon l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR, cette demande d’asile était irrecevable et ne pouvait pas être déférée à la SPR parce que Mme Nusrat avait déjà présenté une demande d’asile au R.‐U.

II. Décisions faisant l’objet du contrôle

[6] Dans les formulaires intitulés [traduction] « Examen du délégué du ministre » datés du 17 février 2020, le délégué du ministre a souligné que Mme Shahid et M. Butt, respectivement, n’étaient pas des citoyens ni des résidents permanents du Canada, n’étaient pas munis de visa de résident permanent ou d’autres documents requis par règlement, avaient présenté une demande d’asile et avaient l’intention de rester au Canada. Les résultats de l’échange systématique de l’information biométrique des immigrants avec la Nouvelle‐Zélande ont confirmé qu’ils avaient tous deux fait prendre leurs empreintes digitales là‐bas le 17 août 2017 relativement à des demandes d’asile présentées directement en Nouvelle‐Zélande. Par conséquent, il a été conclu que leurs demandes étaient irrecevables et que, selon l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR, elles ne pouvaient pas être déférées à la SPR. Les décisions respectives indiquent que des ordonnances de renvoi ont été rendues contre Mme Shahid et M. Butt et prendraient effet conformément au paragraphe 49(2) de la LIPR.

[7] L’examen de la déléguée du ministre du 3 mars 2020 concernant Mme Nusrat indique également que celle‐ci n’est pas une citoyenne ni une résidente permanente du Canada, n’est pas munie d’un visa de résident permanent ou d’autres documents requis par règlement, a présenté une demande d’asile et a l’intention de rester au Canada. Il précise qu’une demande d’échange de renseignements a été transmise au R.‐U., un pays partenaire. La réponse reçue a confirmé qu’avant de présenter une demande d’asile au Canada, Mme Nusrat avait présenté une demande d’asile au R.‐U. le 3 juin 2014, laquelle avait été rejetée le 8 octobre 2014. Par conséquent, il a été conclu que, selon l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR, sa demande était irrecevable et ne pouvait pas être déférée à la SPR. La décision indique que l’ordonnance de renvoi a été rendue et prendrait effet conformément au paragraphe 49(2) de la LIPR.

III. Questions en litige

[8] La question soulevée par les demandeurs dans les dossiers IMM‐7417‐19 et IMM‐1685‐20 est la suivante :

  1. L’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR viole‐t‐il l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44 [Déclaration canadienne des droits]?

[9] Dans le dossier IMM‐7417‐19, Mme Nusrat soulève une deuxième question, à savoir :

  1. L’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR viole‐t‐il le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [Charte], et le cas échéant, l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR est‐il justifié au regard de l’article premier de la Charte?

IV. Norme de contrôle

[10] Les parties soutiennent que les questions en litige doivent être tranchées selon la norme de contrôle de la décision correcte, et je suis de leur avis.

[11] Les questions constitutionnelles font exception à la présomption selon laquelle les décisions administratives feront l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Lorsque cela est nécessaire pour respecter la primauté du droit, ces questions doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 53, 69). Bien que la Déclaration canadienne des droits ne fasse pas partie de la Constitution, il a été conclu qu’elle bénéficie d’un « statut quasi constitutionnel » (Veleta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 572 [Veleta] au para 77). Toute disposition contestée qui est contraire à la Déclaration canadienne des droits sera déclarée inopérante, à moins qu’elle ne déclare expressément qu’elle s’applique nonobstant la Déclaration canadienne des droits (Hassouna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 473 [Hassouna] au para 67; La Reine c Drybones, 1969 CanLII 1 (CSC), [1970] RCS 282). Pour ces motifs, l’interprétation de la Déclaration canadienne des droits, comme l’interprétation de la Charte, doit être effectuée selon la norme de la décision correcte (Compagnie de chemin de fer du Littoral nord de Québec et du Labrador inc c New Millennium Capital Corp, 2011 CF 765 au para 28).

[12] En outre, comme l’a fait valoir le défendeur, l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits est axé sur les droits procéduraux des demandeurs, soit une raison supplémentaire justifiant l’application de la norme de la décision correcte (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

V. Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

101 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

[...]

c.1) confirmation, en conformité avec un accord ou une entente conclus par le Canada et un autre pays permettant l’échange de renseignements pour l’administration et le contrôle d’application des lois de ces pays en matière de citoyenneté et d’immigration, d’une demande d’asile antérieure faite par la personne à cet autre pays avant sa demande d’asile faite au Canada;

[...]

112 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

[...]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

...

113.01 À moins que la demande de protection ne soit accueillie sans la tenue d’une audience, une audience est obligatoire, malgré l’alinéa 113b), dans le cas où le demandeur a fait une demande d’asile qui a été jugée irrecevable au seul titre de l’alinéa 101(1)c.1).

114 (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‐227 [RIPR]

168 Si une audience est requise, les règles suivantes s’appliquent :

a) un avis qui indique les date, heure et lieu de l’audience et mentionne les questions de fait qui y seront soulevées est envoyé au demandeur;

b) l’audience ne porte que sur les points relatifs aux questions de fait mentionnées dans l’avis, à moins que l’agent qui tient l’audience n’estime que les déclarations du demandeur faites à l’audience soulèvent d’autres questions de fait;

c) le demandeur doit répondre aux questions posées par l’agent et peut, à cette fin, être assisté, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil;

d) la déposition d’un tiers doit être produite par écrit et l’agent peut interroger ce dernier pour vérifier l’information fournie.

Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44

2 Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

[...]

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

Charte canadienne des droits et libertés

15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

VI. L’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR viole‐t‐il l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits?

(1) (IMM‐1685‐20 et IMM‐7417‐19)

B. Position des demandeurs

[13] Les demandeurs font valoir que l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits nécessite un processus en deux étapes ou un processus comptant deux [traduction] « pôles ». Le premier « pôle » étant une audition complète visant à statuer sur le fond de la demande d’asile des demandeurs (renvoyant à Singh c Canada (Emploi et Immigration), [1985] 1 RCS 177 aux para 103‐110 [Singh]), et le deuxième « pôle » étant le processus de demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] visant à éviter le refoulement. Les demandeurs soutiennent que l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR a pour effet de priver les demandeurs d’asile du degré d’équité procédurale requis par les arrêts Singh et Kreishan c Canada, 2019 CAF 223 [Kreishan], ce qui contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Ils font valoir qu’il en est ainsi, selon l’alinéa 101(1)c.1), leurs demandes sont irrecevables devant la SPR. Par conséquent, l’audience relative à l’ERAR est la seule occasion pour les demandeurs de présenter leur position. Ils soutiennent que la portée du processus d’ERAR est trop limitée pour leur permettre de le faire équitablement. En outre, ils soutiennent que l’alinéa 101(1)c.1) a pour effet de retirer des dossiers à la SPR, un tribunal indépendant spécialisé et compétent, et de les confier à un organisme possédant une expertise moins spécialisée dont la capacité institutionnelle est largement insuffisante pour traiter les nombreux dossiers qui découleront de l’alinéa 101(1)c.1).

C. Position du défendeur

[14] Le défendeur reconnaît que les demandeurs ont droit, d’une part, à un processus équitable visant à évaluer leurs demandes d’asile, et d’autre part, à une protection contre le refoulement, mais il rejette l’analogie de « pôle » qu’utilisent les demandeurs. Le défendeur soutient que rien n’exige que ces deux éléments soient examinés dans le cadre de processus distincts. Les demandeurs ont accès à ces deux éléments, y compris l’audition exigée selon les principes de justice naturelle, par l’entremise d’un seul processus à l’étape de l’ERAR. Selon l’article 113.01 de la LIPR, lorsqu’une demande de protection est jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)c.1) et ne peut être déférée à la SPR, une audience sera toujours tenue pour examiner la demande. Dans ce processus d’ERAR « amélioré », l’évaluation des demandes de protection tient compte des mêmes facteurs que ceux pris en compte dans une demande d’asile. Selon le paragraphe 114(1), le demandeur qui voit sa demande de protection accueillie obtiendra la même protection que s’il avait obtenu gain de cause devant la SPR. En outre, la Cour a déjà conclu, dans la décision Seklani c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2020 CF 778 [Seklani] aux paragraphes 46 à 48, que le processus d’ERAR amélioré est suffisant pour protéger les droits des demandeurs garantis par l’article 7 de la Charte. Dans cet arrêt, la Cour a aussi conclu que l’audience prévue dans le processus d’ERAR amélioré respecte les principes de justice fondamentale. Le défendeur fait valoir que le processus d’ERAR amélioré offrira aux demandeurs une procédure équitable visant à évaluer leurs demandes d’asile, conformément aux exigences de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.

D. Analyse

i. Contexte – alinéa 101(1)c.1)

[15] Pour situer le contexte, la Loi no 1 d’exécution du budget de 2019, LC 2019, c 29 [Loi d’exécution du budget], a reçu la sanction royale le 21 juin 2019. L’article 306 de la Loi d’exécution du budget a modifié l’article 101 de la LIPR, auquel il a ajouté l’alinéa 101(1)c.1), qui énonce une nouvelle exigence relative à l’irrecevabilité des demandes d’asile au Canada. Selon l’alinéa 101(1)c.1), si un demandeur a présenté une demande d’asile dans un autre pays avec lequel le Canada a conclu un accord ou une entente permettant l’échange de renseignements pour l’administration et le contrôle d’application des lois de ces pays en matière de citoyenneté et d’immigration, sa demande d’asile est irrecevable et ne peut pas être déférée à la SPR pour que celle‐ci rende une décision. Le Canada a conclu de tels accords ou ententes avec l’Australie, la Nouvelle‐Zélande, le R.‐U. et les États‐Unis. Ces pays, ainsi que le Canada, sont connus sous le nom du « Groupe des cinq » (voir X (Re), 2014 CAF 249 au para 6). L’article 308.1 de la Loi d’exécution du budget a aussi ajouté l’article 113.01 à la LIPR. L’article 113.01 prévoit que dans le cadre d’un processus d’ERAR, une audience est obligatoire s’il a été conclu que la demande était irrecevable et ne pouvait pas être déférée à la SPR en application de l’alinéa 101(1)c.1), à moins que la demande d’ERAR puisse être accueillie sans la tenue d’une audience.

[16] On utilise souvent le terme « amélioré » pour désigner ce processus d’ERAR. Il en est ainsi parce que l’article 113.01 de la LIPR crée une exception à la règle générale selon laquelle, dans une demande d’ERAR, une audience sera nécessaire uniquement s’il existe de nouveaux éléments de preuve soulevant des questions importantes en ce qui concerne la crédibilité du demandeur, si ces éléments de preuve sont importants pour la prise de la décision relative à la demande de protection, et si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection (LIPR, art 113b); RIPR, art 167).

[17] Notre Cour a déjà conclu que « l’objet général de l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR est de fournir un outil supplémentaire pour gérer et décourager la présentation de demandes d’asile au Canada par des personnes qui ont déjà présenté des demandes d’asile dans des pays avec qui le Canada échange des renseignements, tout en maintenant un régime d’asile équitable et sensible aux personnes qui sollicitent une protection » (Seklani, au para 60).

[18] Bien que l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR soit relativement récent, le dépôt d’une demande d’asile dans un autre pays membre du « Groupe des cinq » n’est pas le seul motif permettant de conclure qu’une demande d’asile est irrecevable et ne peut pas être déférée à la SPR. Comme l’a affirmé le juge Gascon dans la décision Seklani :

[10] L’alinéa 101(1)c.1) constitue le dernier ajout à une longue liste de demandes d’asile qui sont jugées irrecevables et qui ne peuvent être déférées à la SPR. Le Parlement a antérieurement déterminé, au paragraphe 101(1) de la LIPR, que plusieurs autres catégories de demandeurs d’asile ne peuvent pas présenter une demande à la CISR. Il s’agit notamment : des demandeurs dont l’asile a déjà été conféré au titre de la LIPR (alinéa 101(1)a)); des demandeurs dont la demande d’asile a déjà été rejetée par la CISR (alinéa 101(1)b)); des demandeurs à l’égard desquels la CISR a déjà rendu une décision prononçant l’irrecevabilité, le désistement ou le retrait de la demande (alinéa 101(1)c)); les demandeurs qui ont été reconnus comme réfugiés au sens de la Convention par un autre pays et qui peuvent être renvoyés dans ce pays (alinéa 101(1)d)); les demandeurs qui sont entrés au Canada en provenance des États‐Unis par un point d’entrée terrestre, en application de l’ETPS (alinéa 101(1)e)); les demandeurs qui ont été jugés interdits de territoire au Canada pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, sous réserve de certaines exceptions (alinéa 101(1)f)).

ii. Critère – alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits

[19] En ce qui concerne la contestation des demandeurs portant sur l’alinéa 101(1)c.1), les parties s’entendent pour dire qu’il convient d’appliquer un critère à quatre volets pour déterminer si l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits s’applique :

  1. le demandeur doit être une « personne » au sens de l’alinéa 2e);

  2. le processus doit constituer une « audition [...] pour la définition [des] droits et obligations [du demandeur] »;

  3. il doit être conclu que le processus enfreint « les principes de justice fondamentale »;

  4. le prétendu défaut dans le processus contesté doit résulter d’une « loi du Canada » à l’égard de laquelle il n’a pas été expressément déclaré qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits.

(Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Western Canadian Coal Corporation, 2007 CF 371 au para 22)

[20] Le défendeur reconnaît que le premier, le deuxième et le quatrième éléments du critère sont respectés. Ainsi, la question déterminante en l’espèce consiste à savoir si le processus de détermination du statut de réfugié offert aux demandeurs dont la demande a été jugée irrecevable en application de l’alinéa 101(1)c.1) viole les principes de justice fondamentale.

iii. Le processus de détermination du statut de réfugié offert aux demandeurs dont la demande a été jugée irrecevable en application de l’alinéa 101(1)c.1) viole‐t‐il les principes de justice fondamentale?

[21] Les demandeurs se fondent grandement sur l’arrêt Singh de la Cour suprême du Canada. Lorsque cet arrêt a été rendu, la procédure à suivre pour reconnaître si une personne était un réfugié au sens de la Convention était énoncée aux articles 45 à 48, ainsi qu’aux articles 70 et 71 de la Loi sur l’immigration de 1976. À l’issue de la décision initiale rendue aux termes de l’article 45, le demandeur a été interrogé sous serment par un agent d’immigration supérieur. La revendication et la copie de l’interrogatoire ont ensuite été soumises à un comité consultatif sur le statut de réfugié afin que celui‐ci donne son avis, après quoi le ministre devait décider si la personne était un réfugié au sens de la Convention.

[22] Selon le paragraphe 70(1), une personne dont la revendication du statut de réfugié a été refusée par le ministre pouvait présenter une demande de réexamen de sa revendication à la Section d’appel de l’immigration [SAI]. Les fonctions que devait remplir la SAI lorsqu’elle était saisie d’une demande de réexamen d’une revendication du statut de réfugié étaient énoncées à l’article 71. La SAI devait examiner la demande, et si elle était d’avis qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il était possible d’établir le bien‐fondé de la revendication à l’audition, la SAI devait permettre à la demande de suivre son cours. Dans le cas contraire, elle devait refuser que la demande suive son cours et décider que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Si la demande pouvait suivre son cours, la SAI devait aviser le ministre de la date et du lieu de l’audition, et lui donner l’occasion de se faire entendre.

[23] Les six juges de la formation de la Cour suprême ont convenu que ce processus violait les droits des demandeurs, mais les juges étaient partagés à parts égales sur la question de savoir si la décision devrait s’appuyer sur l’article 7 de la Charte ou l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (le juge Ritchie n’a pas pris part au jugement). S’exprimant par écrit au nom des membres de la formation qui ont tranché la question en s’appuyant sur l’article 7 de la Charte, la juge Wilson a souligné (au para 57) que tous les avocats s’entendaient pour dire que la notion de « justice fondamentale » qui figure à l’article 7 de la Charte englobe au moins la notion d’équité en matière de procédure énoncée par le juge en chef Fauteux dans l’arrêt Duke c La Reine, 1972 CanLII 16 (CSC), [1972] RCS 917. Celui‐ci affirme, à la page 923 :

En vertu de l’art. 2e) de la Déclaration des droits, aucune loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer de manière à le priver d’une "audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale". Sans entreprendre de formuler une définition finale de ces mots, je les interprète comme signifiant, dans l’ensemble, que le tribunal appelé à se prononcer sur ses droits doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et qu’il doit donner à l’accusé l’occasion d’exposer adéquatement sa cause.

[Non souligné dans l’original.]

[24] La juge Wilson a conclu qu’il n’est pas nécessaire que l’absence d’audition soit, dans tous les cas, incompatible avec la justice fondamentale. Sa préoccupation au sujet du système de procédure envisagé par les articles 45 à 48, 70 et 71 de la Loi sur l’immigration de 1976 résidait dans l’insuffisance de la possibilité qu’il offre à la personne qui revendique le statut de réfugié d’exposer sa cause et de savoir ce qu’elle doit prouver (Singh, au para 60).

[25] Le juge Beetz, s’exprimant par écrit au nom des membres de la formation qui ont tranché la question en s’appuyant sur l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, a affirmé ceci :

101. Ce dont les appelants sont principalement justifiés de se plaindre, à mon avis, c’est que leurs revendications du statut de réfugié ont été rejetées de manière définitive sans qu’ils aient pu bénéficier d’une audition complète à aucun moment au cours des procédures devant l’un ou l’autre des organismes ou fonctionnaires habilités à statuer sur le fond de leurs revendications. Ils ont en fait été entendus par un seul fonctionnaire qui n’a rien à dire dans cette affaire, à savoir un agent d’immigration supérieur. Mais ils n’ont été entendus ni par le comité consultatif sur le statut de réfugié qui pouvait conseiller le Ministre, ni par le Ministre qui jouissait d’un pouvoir décisionnel et qui a rejeté leur revendication, ni par la Commission d’appel de l’immigration qui n’a pas laissé leur demande suivre son cours et qui a décidé, en dernière analyse, qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[26] S’appuyant sur cette déclaration du juge Beetz, les demandeurs en l’espèce font valoir qu’ils n’auront pas droit à une audition impartiale selon les principes de justice fondamentale parce que leurs revendications ont été ou seront tranchées sans qu’ils puissent bénéficier d’une « audition complète ».

[27] Cependant, bien que les demandes soient irrecevables et ne puissent pas être déférées à la SPR au titre de l’alinéa 101(1)c.1), les demandeurs ne se voient pas nécessairement privés d’une audition. À l’étape de l’ERAR, ils auront droit à une audition, au cours de laquelle ils pourront exposer leur cause.

[28] Il importe de souligner que la Cour a déjà examiné en grande partie les arguments avancés par les demandeurs en l’espèce dans le contexte de l’article 7 de la Charte et du processus d’ERAR amélioré.

[29] Dans la décision Seklani, le demandeur a soutenu que l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR violait l’article 7 de la Charte. Il a affirmé que le fait de retirer le droit de présenter une demande à la SPR pour toute personne ayant déjà présenté une demande d’asile dans l’un des pays du « Groupe des cinq » augmentait le risque que cette personne soit renvoyée dans un pays où elle serait exposée à un risque de persécution, de torture, de traitements cruels ou inusités, ou de mort, sans que son risque de refoulement puisse être véritablement évalué. Il a maintenu que, puisque sa demande d’asile n’avait pas été évaluée aux États‐Unis – où il avait déjà présenté une demande d’asile – ou dans un autre pays, l’irrecevabilité introduite par l’alinéa 101(1)c.1) était arbitraire, trop large et exagérément disproportionnée par rapport aux objectifs de la LIPR. Il a soutenu que les violations de l’article 7 de la Charte résultant de cette disposition n’étaient donc pas conformes aux principes de justice fondamentale (Seklani, au para 3).

[30] Le juge Gascon a rejeté la demande dont il était saisi et a tiré la conclusion suivante :

[28] Pour les motifs exposés ci‐après, je conclus que l’irrecevabilité devant la SPR, créée par l’alinéa 101(1)c.1), ne déclenche pas l’application de l’article 7, puisque cette déclaration d’irrecevabilité ne porte pas atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne de M. Seklani, et n’augmente pas son risque de refoulement. De plus, le mécanisme d’ERAR [traduction] « amélioré » auquel peut avoir recours M. Seklani constitue une procédure adéquate pour obtenir l’asile. Enfin, M. Seklani n’a pas démontré que l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR est arbitraire, trop large ou exagérément disproportionné, et qu’il viole les principes de justice fondamentale.

[31] Pour rendre cette décision, particulièrement en ce qui concerne l’affaire dont je suis actuellement saisie, le juge Gascon a examiné la question de savoir si le processus d’ERAR amélioré auquel avaient accès les demandeurs dont la demande avait été jugée irrecevable constituait une solution de rechange adéquate pour évaluer les demandes d’asile conformément aux principes de justice fondamentale. Comme je souscris à ses motifs, qui sont clairs et exhaustifs, et comme je ne peux pas mieux exposer la question, je cite longuement le juge Gascon ci‐dessous. Il a conclu qu’il « existe des mécanismes visant à garantir que la demande d’asile de M. Seklani sera dûment examinée et évaluée par des agents d’ERAR, des agents de l’ASFC et la Cour, qui agiront comme gardiens pour assurer le respect de l’article 7 à l’étape du renvoi et veilleront au respect du principe de non‐refoulement », et il a ajouté ceci :

[46] Il est important de souligner que la LIPR prévoit expressément différentes voies pour examiner les demandes d’asile et établit trois grandes catégories de demandeurs d’asile (Saint Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 493 aux para 47‐48). La partie 2 de la LIPR traite de la protection des réfugiés et est elle‐même divisée en trois sections. La section 1 traite des « Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger », la section 2 traite des « Réfugiés et personnes à protéger », et la section 3 traite de l’« Examen des risques avant renvoi ». Le paragraphe 95(1) de la LIPR indique expressément que l’asile est la protection conférée à une personne qui fait partie de l’une des trois catégories énumérées, soit : 1) un réfugié au sens de la Convention (article 96); 2) une personne à protéger (article 97); ou 3) une personne à qui le Ministre accorde la demande de protection (article 112). La troisième option renvoie au processus de demande d’ERAR. En vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR, les personnes dont les demandes sont jugées irrecevables devant la SPR (comme c’est le cas de M. Seklani) ont généralement accès à un ERAR.

[47] Par conséquent, il est manifestement erroné de la part de M. Seklani d’affirmer que le processus devant la SPR et la CISR est la seule procédure au Canada conçue pour apprécier les demandes d’asile. Il est vrai que le processus devant la CISR est le processus habituel de détermination du statut de réfugié. Cependant, ce n’est pas le seul. La LIPR prévoit expressément [à l’article 114] que le processus d’ERAR peut entraîner l’octroi de l’asile. [...]

[48] L’asile accordé à la suite du processus d’ERAR n’est pas une catégorie de protection de seconde classe. Il s’agit simplement d’une voie différente offerte aux demandeurs d’asile pour obtenir une protection. Le processus d’ERAR a le même objectif que le processus d’asile devant la CISR. Il repose sur des bases similaires et confère le même niveau de protection aux demandeurs d’asile. En d’autres mots, la même approche sera appliquée pour examiner la question de savoir si une personne a besoin d’être protégée. Un demandeur dont la demande d’ERAR est accueillie bénéficie de l’asile aux termes de l’alinéa 114(1)a) de la LIPR, et il peut ensuite demander le statut de résident permanent de la même manière qu’un demandeur ayant obtenu, par la CISR, un statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

[49] Même si le nouvel alinéa 101(1)c.1) de la LIPR empêche M. Seklani et d’autres personnes dans la même situation de présenter une demande à la SPR, il ne leur sera donc pas interdit de demander l’asile et une protection au Canada. Ils peuvent toujours demander l’asile au Canada, mais on leur fera emprunter une autre voie, à savoir une demande d’ERAR. Ce n’est pas parce que ces demandeurs d’asile ne peuvent pas présenter une demande à la fois dans le cadre du processus devant la SPR et de celui relatif à l’ERAR, que l’option de l’ERAR devient soudainement une option de moindre importance ou valeur.

[50] M. Seklani fait en outre valoir que le processus d’ERAR — même amélioré par l’audience obligatoire maintenant prévue à l’article 113.01 de la LIPR — demeure une solution de rechange et un substitut inadéquat au processus de détermination du statut de réfugié devant la SPR, et qu’il porte atteinte à ses droits garantis par l’article 7. En d’autres mots, M. Seklani prétend que l’audience prévue dans le processus d’ERAR ne respecte pas les principes de justice fondamentale.

[51] Encore une fois, je ne suis pas convaincu par les observations de M. Seklani.

[52] L’article 7 de la Charte n’exige aucun type particulier de processus et n’accorde aucun droit positif à l’égard de l’asile. L’article 7 protège contre le renvoi vers un lieu où la personne serait exposée à un risque sérieux de mort, de torture, ou de traitement ou peine cruels ou inusités (Febles aux para 67‐68). Ainsi, une interdiction de présenter une demande à la SPR ne met pas en jeu les droits garantis par l’article 7, même si M. Seklani n’est pas autrement interdit de territoire au Canada ou exclu de la protection offerte aux réfugiés. L’article 7 exige plutôt une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause (Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 au para 20). Comme la CAF l’a fait remarquer dans Kreishan, les personnes qui font l’objet d’une mesure de renvoi possèdent essentiellement deux modes de protection constitutionnelle, soit 1) que les risques auxquels elles sont exposées soient évalués et qu’elles ne soient pas renvoyées, s’il est établi qu’il existe de tels risques, et 2) qu’une décision soit rendue sur leur demande en appliquant les garanties procédurales adéquates établies par la CSC dans Singh (Kreishan aux para 117, 130). M. Seklani ne m’a pas convaincu que, en soi, le processus d’ERAR amélioré auquel il a maintenant droit par l’application de l’alinéa 101(1)c.1) et de l’article 113.01 de la LIPR ne satisfait pas à ces deux exigences.

[53] Je fais remarquer que, dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision d’irrecevabilité de l’agent de l’ASFC, il est prématuré de statuer sur la question de savoir si le processus d’ERAR subséquent auquel M. Seklani aura droit offre toutes les garanties procédurales requises, puisqu’une telle question est fortement axée sur les faits. En fin de compte, la question de savoir si une audience particulière relative à l’ERAR aux termes de l’article 113.01 de la LIPR contrevient aux principes de justice fondamentale est une question qui pourra être tranchée ultérieurement. Les arguments soulevés par M. Seklani au sujet du processus d’ERAR ou de l’indépendance des agents d’ERAR doivent être appréciés en fonction du contexte factuel pertinent, et non en vase clos.

[54] Cela dit, je souligne que, contrairement à ce que prétend M. Seklani, l’arrêt de la CSC dans Singh ne justifie qu’une audience concernant les conclusions quant à la crédibilité, et non pas nécessairement concernant toutes les observations sur le plan juridique. Dans Singh, la CSC a déclaré que, lorsque le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne entre en jeu, comme dans un renvoi vers un lieu où un migrant serait exposé à un tel risque, et lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, rien de moins n’est suffisant que la tenue d’une audition complète avant la décision sur le fond. La CSC a donc conclu que, lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, elle devrait être tranchée par voie d’audition (Singh aux pp 213‐214). Bien que l’absence d’audition ne soit pas, dans tous les cas, incompatible avec la justice fondamentale, elle est nécessaire lorsque des questions de crédibilité sont en jeu. En raison de l’adoption de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du RIPR, le processus d’ERAR permet toujours la tenue d’une audience lorsqu’une question importante de crédibilité est en jeu.

[55] Pour M. Seklani et d’autres demandeurs dans une situation similaire, le nouvel article 113.01 de la LIPR va encore plus loin et prévoit que tous les demandeurs dont les demandes sont jugées irrecevables aux termes de l’alinéa 101(1)c.1) et qui présentent une demande d’ERAR seront entendus dans le cadre d’une audience, à moins que leur demande n’ait été accueillie. En d’autres mots, cette modification renforce l’assurance que les garanties procédurales requises, tel qu’elles sont énoncées et définies dans Singh, sont respectées à l’égard des demandeurs d’asile comme M. Seklani. Ce dernier ne m’a pas convaincu que ce processus d’ERAR amélioré est, en soi, incompatible avec les exigences décrites par la CSC dans Singh. En outre, je fais remarquer que, même si les ERAR ne donnent pas lieu à un processus d’appel (bien qu’elles puissent être l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour, avec autorisation), les principes de justice fondamentale n’exigent ni un processus d’appel ni un droit d’appel (Kreishan aux para 65, 122).

[56] Bien entendu, la Cour a le pouvoir de réexaminer le bien‐fondé et la légalité d’une décision d’ERAR dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, et de statuer sur la question de savoir si la procédure suivie durant un processus d’ERAR particulier respecte les principes de justice fondamentale. Dans le cas de M. Seklani, il ne m’appartient pas de rendre une telle décision à ce stade‐ci, et il appartiendra à la Cour de la rendre en temps opportun, si cela s’avère nécessaire à une étape ultérieure du processus de détermination du statut de réfugié de M. Seklani.

[Non souligné dans l’original.]

[32] En résumé, le juge Gascon a conclu que le processus d’ERAR amélioré protège le droit des demandeurs de faire évaluer les risques qu’ils courent (et si un risque est relevé, d’être protégés contre le refoulement), ainsi que leur droit de voir leur demande évaluée conformément aux garanties procédurales énoncées dans l’arrêt Singh. En outre, il importe de souligner que l’audience obligatoire prévue à l’article 113.01 de la LIPR est un mécanisme approprié pour trancher les demandes d’asile, conformément aux principes de justice fondamentale énoncés dans l’arrêt Singh.

[33] À mon avis, les arguments avancés par les demandeurs en l’espèce en ce qui concerne l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits sont identiques à ceux avancés par le demandeur dans la décision Seklani, dans laquelle le juge a tenu compte des principes de justice fondamentale dans le contexte de l’article 7 de la Charte. Les demandeurs ne renvoient pas à la décision Seklani et ne font pas valoir que la conclusion selon laquelle le processus d’ERAR amélioré respecte les principes de justice fondamentale énoncés dans l’arrêt Singh est d’une certaine façon différente dans une analyse s’appuyant sur l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.

[34] En outre, l’arrêt Singh n’appuie pas l’argument principal des demandeurs, qui repose sur l’existence d’un processus comptant deux pôles qui doit obligatoirement être respecté pour satisfaire aux exigences de justice fondamentale. L’arrêt Singh n’énonce pas de processus précis qui doit être suivi et ne précise pas qu’il doit y avoir deux processus distincts.

[35] À cet égard, les demandeurs font aussi valoir que l’arrêt Kreishan [traduction] « établit que les demandeurs d’asile au Canada ont droit à un processus comptant deux pôles ». Je ne suis pas de cet avis.

[36] L’arrêt Kreishan concernait l’Entente sur les tiers pays sûrs. Les demandeurs en provenance des États‐Unis qui ont des membres de la famille au Canada sont visés par une exception prévue à l’Entente sur les tiers pays sûrs. Ainsi, ils ont le droit de voir leur demande entendue par la SPR. Toutefois, en application du paragraphe 110(2) de la LIPR, ils n’ont aucun droit d’appel devant la SAR. Les demandeurs dans l’arrêt Kreishan ont fait valoir que cela contrevenait à leurs droits garantis par l’article 7 de la Charte. La Cour d’appel fédérale n’était pas de cet avis. Ses motifs traitent des exigences consacrées par l’arrêt Singh et des circonstances dans lesquelles l’article 7 s’applique.

[37] Dans le contexte du refoulement, la Cour d’appel fédérale a souligné que la Convention ne précise pas le processus de détermination du statut de réfugié que doivent appliquer les États membres :

[114] La Convention ne prescrit pas la manière dont les États signataires doivent s’acquitter de leur obligation en matière de non‐refoulement. La conception de la loi, y compris la nature de l’organisme juridictionnel – qu’il s’agisse d’un organisme administratif ou judiciaire, ou une combinaison des deux – relève du droit interne. Le droit international n’exige pas que le processus de détermination du statut de réfugié prenne une forme particulière, ni qu’un mécanisme d’appel y soit rattaché (Németh, au paragraphe 51). De même, ni la Convention, ni la Charte, n’exigent la mise en place de mécanismes de réexamen, encore moins d’un examen obligatoire par voie d’appel ou de contrôle judiciaire.

[38] La Cour d’appel fédérale a souligné que le législateur, conscient que les circonstances peuvent évoluer ou qu’un nouveau risque peut se manifester, a prévu d’autres mécanismes de protection au moment du renvoi. Le processus d’ERAR reconnaît que le principe de non‐refoulement est prospectif. Quant aux circonstances dans lesquelles les droits garantis par l’article 7 s’appliquent, la Cour d’appel fédérale a tiré la conclusion suivante :

[117] En termes généraux, le processus de détermination du statut de réfugié est encadré par deux modes de protection constitutionnel. L’article 7 exige ainsi que les demandeurs aient le droit d’être entendus par un décideur indépendant lorsqu’ils présentent une demande d’asile pour la première fois [Singh]. L’article 7 est de nouveau mis en jeu à la conclusion du processus, pour s’assurer que les demandeurs déboutés ou exclus qui sont renvoyés ne sont pas exposés aux risques prévus à l’article 7 (B010, au paragraphe 75). C’est pour cette raison que, comme je l’ai signalé précédemment, la discussion visant à déterminer si des demandeurs déboutés sont « refoulés » est un leurre. La jurisprudence est claire : les droits garantis par l’article 7 sont mis en jeu au moment du renvoi.

[118] La doctrine de la Cour suprême du Canada est cohérente : les éléments de fond de l’article 7 sont pris en compte à l’étape du renvoi.

[119] Dans l’arrêt Febles, par exemple, la Cour suprême a conclu que l’article 98 de la LIPR — qui précise les conditions dans lesquelles une personne ne peut même pas présenter de demande de protection — est compatible avec l’article 7 de la Charte, parce que même une personne ainsi exclue peut, aux termes des dispositions de la LIPR concernant l’ERAR, présenter une demande tendant à surseoir à une mesure de renvoi si cette personne est exposée à un risque de mort, de torture ou de traitements ou peines cruels ou inusités (au paragraphe 67).

[120] La faiblesse de l’argumentation des appelants ressort clairement de la comparaison de leur situation à celle de personnes qui sont privées du droit de présenter toute demande de protection. La Cour suprême a examiné la constitutionnalité de ces circonstances dans l’arrêt B010. Citant l’arrêt Febles, la Cour suprême a observé ce qui suit au paragraphe 75 :

[...] l’art. 7 de la Charte n’entre pas en jeu lorsque vient le temps de déterminer si un migrant est interdit de territoire au Canada selon le par. 37(1). La Cour a récemment conclu dans Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, que l’exclusion de la protection qu’offre le statut de réfugié au titre de la LIPR ne déclenchait pas l’application de l’article 7, car, « même s’il est exclu du régime de protection des réfugiés, l’appelant peut demander au ministre de surseoir à une mesure de renvoi pour le lieu en cause si le renvoi à ce lieu l’expose à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités » (par. 67). C’est à cette étape subséquente, l’examen des risques avant renvoi, du processus d’asile établi par la LIPR que l’art. 7 entre habituellement en jeu. Le raisonnement découlant de Febles, qui visait les décisions portant « exclusion » du statut de réfugié, vaut également pour les constats d’« inadmissibilité » au statut de réfugié tirés en vertu de la LIPR.

[Non souligné dans l’original.]

[121] Une analogie peut être établie avec les autres demandeurs d’asile qui, pour des raisons de criminalité ou de participation à des crimes contre l’humanité, sont inadmissibles au titre de l’article 1F de la Convention. Commentant le rôle de l’article 7 en lien avec cette catégorie de demandeurs, le juge Evans (tel était alors son titre) a observé, dans la décision Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 266, 154 F.T.R. 268 [Jekula], que « s’il est vrai qu’un verdict d’irrecevabilité dénie à la demanderesse l’exercice d’un droit important, ce droit n’est pas compris dans “le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » [...] « [l]a conclusion que la revendication n’est pas recevable n’est qu’une étape dans le processus administratif qui pourrait aboutir au renvoi hors du Canada » (aux paragraphes 31 et 32).

[122] Il en va de même du déni du droit d’interjeter appel à la SAR. Ce n’est qu’une mesure dans un processus qui pourrait aboutir au renvoi. Les droits que garantit l’article 7 à tous les demandeurs, quels que soit le motif administratif justifiant le rejet de leur demande – à l’exception des motifs prévus à l’article 1F, du rejet par la SAR ou par la SPR et de l’irrecevabilité de la demande en l’absence d’un minimum de fondement – sont protégés à l’étape du renvoi, que ce soit par la présentation d’une demande d’ERAR ou de report de la mesure de renvoi ou par le droit de demander à la Cour fédérale de surseoir au renvoi. Cet article n’exige pas qu’il soit donné la possibilité d’interjeter appel ou de demander un contrôle judiciaire à chaque étape du processus (Canada (Secretary of State) v. Luitjens (1991), 46 F.T.R. 267, 155 Imm. L.R. (2d) 40 (F.C.T.D.)).

[Non souligné dans l’original.]

[39] Ainsi, dans le contexte de l’article 7 de la Charte, l’arrêt Kreishan reconnaît que les demandeurs ont droit à « l’examen de leur demande d’asile (Singh) et à une appréciation des nouveaux risques avant leur renvoi (Febles, B010, Tapambwa, Atawnah) » (Kreishan, au para 130). Même si la demande du demandeur est jugée irrecevable devant la SPR ou la SAR, il s’agit d’une seule étape dans le processus pouvant mener à un renvoi. Leurs droits garantis par l’article 7 s’appliquent à l’étape du renvoi, y compris par l’entremise d’un ERAR.

[40] À l’appui de leur argument concernant les « pôles », les demandeurs se fondent sur le paragraphe 133 de l’arrêt Kreishan. Dans cet arrêt, au sujet des problèmes concernant les statistiques fournies par les demandeurs à l’appui de leur argument selon lequel le risque de refoulement était augmenté au point de mettre en jeu l’article 7, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes :

À quelle étape, le long du continuum des différents taux de réussite, le risque de refoulement devient‐il suffisamment atténué pour ne pas mettre en jeu les droits garantis par l’article 7? Il est bien sûr impossible de répondre à cette question, et c’est pourquoi la Cour suprême, dans ses motifs, s’est concentrée sur les pôles du processus – soit la décision initiale [Singh] et, conformément au droit international, le renvoi [Suresh, Febles, B010].

[41] À mon avis, cela n’aide pas les demandeurs.

[42] Comme je le mentionne plus haut, l’arrêt Kreishan confirme que le processus de détermination du statut de réfugié est encadré par deux modes de protection constitutionnelle. L’article 7 exige ainsi que les demandeurs aient le droit d’être entendus par un décideur indépendant lorsqu’ils présentent une demande d’asile pour la première fois (Singh). L’article 7 est de nouveau mis en jeu à la conclusion du processus, pour s’assurer que les demandeurs déboutés ou exclus qui sont renvoyés ne sont pas exposés aux risques prévus à l’article 7. Il est ainsi reconnu que le risque peut changer ou qu’un nouveau risque peut apparaître entre, d’une part, le moment où la demande d’asile initiale a été examinée et rejetée, et d’autre part, le moment du renvoi. Cependant, l’arrêt Kreishan ne donne pas à penser que le droit à une audition et l’examen du risque ne peuvent pas avoir lieu en même temps. Ainsi, comme la Cour l’a conclu dans la décision Seklani, dans le contexte de l’article 7 de la Charte, le processus d’ERAR amélioré respecte les garanties procédurales exigées dans les arrêts Singh et Kreishan (Seklani, aux para 52, 55).

[43] De même, j’estime que le fait qu’une audition ait lieu dans le cadre du processus d’ERAR ne porte pas atteinte au droit des demandeurs à une audition impartiale de leur cause, selon les principes de justice fondamentale, prévu à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Les arrêts Singh et Kreishan n’exigent pas que le droit à une audition et le droit à un examen du risque englobent deux processus distincts mis en œuvre séparément, c’est‐à‐dire qu’il doit exister ce que les demandeurs appellent un processus comptant deux « pôles ».

[44] Je ne souscris pas non plus à l’observation des demandeurs selon laquelle l’alinéa 101(1)c.1) a pour effet de priver les demandeurs d’asile du degré d’équité procédurale reconnu par les arrêts Singh et Kreishan.

[45] Les demandeurs font valoir que lorsqu’une demande d’asile est jugée irrecevable et ne peut pas être déférée à la SPR, cette [traduction] « demande d’asile prend fin » et le dossier du demandeur est traité dans un processus différent. Comme l’a indiqué le juge Gascon dans la décision Seklani, citée plus haut, il n’en est pas ainsi. L’asile accordé à la suite du processus d’ERAR n’est pas différent de celui accordé lorsque la SPR accueille une demande d’asile. Bien que le processus d’ERAR soit différent, sur le plan de la forme, de la procédure devant la SPR, il est de nature semblable aux décisions de la SPR portant sur le statut de réfugié, tant en ce qui concerne les facteurs factuels et juridiques pris en compte que le résultat final (voir Seklani, aux para 48‐49).

[46] L’article 168 du RIPR énonce la façon de tenir une audience relative à l’ERAR :

Procédure d’audience

168 Si une audience est requise, les règles suivantes s’appliquent :

a) un avis qui indique les date, heure et lieu de l’audience et mentionne les questions de fait qui y seront soulevées est envoyé au demandeur;

b) l’audience ne porte que sur les points relatifs aux questions de fait mentionnées dans l’avis, à moins que l’agent qui tient l’audience n’estime que les déclarations du demandeur faites à l’audience soulèvent d’autres questions de fait;

c) le demandeur doit répondre aux questions posées par l’agent et peut, à cette fin, être assisté, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil;

d) la déposition d’un tiers doit être produite par écrit et l’agent peut interroger ce dernier pour vérifier l’information fournie.

[47] Le défendeur renvoie au Guide opérationnel d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada – Audiences – Examens des risques avant renvoi (ERAR) [Guide opérationnel], qui sert à guider les agents dans la réalisation d’audiences relatives à l’ERAR. Le Guide opérationnel n’a pas force de loi et n’est pas contraignant, mais il s’agit d’un ensemble de lignes directrices utiles aux agents d’immigration lorsqu’ils exercent leurs fonctions et aux tribunaux lorsqu’ils se demandent si leurs décisions sont raisonnables (Duka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1071 au para 30; Frank c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 270 au para 21; John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 85 au para 7). En l’espèce, le Guide opérationnel est utile, car il précise le processus d’audience relative à l’ERAR amélioré prévu à l’article 113.01 de la LIPR.

[48] Le Guide opérationnel traite des points suivants :

  1. l’avis;

  2. l’inclusion de toutes les questions de fait mentionnées dans l’avis, plus précisément :

Pour tous les cas où une audience est tenue, le refus de la demande ne peut pas porter sur des questions déterminantes qui n’ont pas été discutées avec le demandeur. Dans les cas où une question survient après l’audience, l’agent de l’ERAR devrait aborder la question soit au moyen d’une lettre d’équité procédurale, soit d’une audience subséquente.

  1. la portée de l’examen, plus précisément que le but de l’audience est d’aborder les questions déterminantes par l’exploration des questions de fait. Dans une audience obligatoire, puisque l’agent n’est pas limité par les critères identifiés à l’article 167 du RIPR, la nature des questions abordées sera plus large et inclura à la fois les questions objectives et de crédibilité :

Tel qu’il est précisé aux alinéas R168a) et b), seules les questions de fait déterminantes doivent être discutées lors de l’audience. Ainsi, l’audience n’a pas pour vocation d’être un forum où faire valoir une défense juridique; c’est plutôt par des observations écrites que le demandeur fait valoir sa défense. L’audience est un processus informel qui permet uniquement de soulever des questions de fait déterminantes avec le demandeur pour lui permettre de répondre aux questions soulevées par l’agent, avec l’aide d’un représentant, au besoin [R168c)]. L’agent de l’ERAR ne rend pas la décision lors de l’audience.

  1. les directives générales sur la tenue d’une audience :

L’audience est de nature non accusatoire. L’agent dirige l’audience et veille à ce que celle‐ci se déroule de manière juste et efficace.

Tel qu’il est décrit à l’alinéa R168b), l’agent doit limiter la portée de l’audience aux questions mentionnées dans l’avis, mais il peut prendre d’autres questions de fait déterminantes en considération si elles sont soulevées par les déclarations du demandeur lors de l’audience. Lorsqu’une nouvelle question déterminante découle de déclarations du demandeur lors de l’audience, l’agent doit déterminer si un ajustement (comme une suspension, un ajournement ou la possibilité de présenter d’autres observations après l’audience) est nécessaire, compte tenu des principes d’équité procédurale.

Il n’est pas avisé, de la part du demandeur ou du conseil, de présenter des enjeux qui n’ont aucun rapport avec les questions décrites dans l’avis, à moins que ces questions découlent de déclarations du demandeur lors de l’audience. Il n’est pas non plus avisé de se servir de l’audience afin de faire valoir sa défense juridique ou de soumettre des arguments. Le but de l’audience n’est pas d’être un tribunal où la décision sera rendue, mais bien de fournir l’occasion d’aborder des questions de fait déterminantes avec le demandeur et de lui permettre de répondre aux questions soulevées par l’agent en se faisant aider, au besoin, par un conseil [R168c)]. C’est par des observations écrites que le demandeur présente des éléments de preuve et fait valoir sa défense juridique.

Tel qu’il est prévu à l’alinéa R168d), les éléments de preuve provenant d’autres personnes que le demandeur devraient également être présentés par écrit. Le demandeur ne peut pas venir accompagner d’autres témoins à l’audience à moins qu’un agent décide d’entendre les témoignages de personnes autres que le demandeur afin de vérifier la preuve fournie. Cela ne serait nécessaire que dans les cas où l’agent de l’ERAR ne soit d’avis que le questionnement d’un témoin soit nécessaire pour résoudre une question de fait déterminante.

[...]

Avant de conclure l’audience, l’agent devrait offrir au demandeur et son conseil la chance de fournir les informations supplémentaires reliées aux questions de fait discutées qu’ils souhaitent partager.

[...]

  1. le rôle du conseil :

Le processus d’ERAR prévoit un rôle important pour la participation du conseil, ce qui est à la fois conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et aux principes de justice naturelle. Le rôle du conseil consiste essentiellement à protéger les intérêts de ses clients et à veiller à ce qu’ils aient accès à un processus équitable.

Le conseil joue un rôle de soutien lors des audiences d’ERAR. Il est autorisé à appuyer le demandeur lors de l’audience afin de clarifier les questions, de l’aider à y répondre, d’obtenir des renseignements supplémentaires et d’intervenir si des déclarations préjudiciables étaient formulées en vue de clarifier ou de corriger les informations. Conformément aux principes de justice naturelle, il est entendu que, dans les cas où les questions sont plus complexes (notamment lorsqu’on soulève la possibilité d’une exclusion ou dans les cas concernant des personnes vulnérables), le conseil peut jouer un rôle plus important, car son aide pourrait se révéler particulièrement nécessaire.

[...]

[49] Les demandeurs soulignent les différences entre la procédure suivie au cours d’une audience devant la SPR et celle suivie au cours d’une audience devant un agent d’ERAR. Je reconnais que ces processus d’audience diffèrent. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’ils soient identiques, et le fait qu’ils soient différents n’établit pas en soi que le processus d’audience relative à l’ERAR ne respecte pas les exigences de justice fondamentale.

[50] À mon avis, les demandeurs n’ont pas prouvé que la portée d’une audience relative à un processus d’ERAR amélioré n’est pas suffisamment large pour leur permettre « d’exposer adéquatement [leur] cause » (Singh, au para 57). Je ne suis pas non plus convaincue que les demandeurs sont privés du degré d’équité procédurale requis par l’arrêt Singh, comme ils le font valoir. Comme la Cour l’a conclu dans la décision Seklani, conformément à l’arrêt Singh, une audience s’impose lorsque la crédibilité est en cause. L’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du RIPR font en sorte que le processus d’ERAR permet toujours la tenue d’une audience lorsqu’une question importante de crédibilité est en jeu. L’article 113.01 de la LIPR va encore plus loin et prévoit que tous les demandeurs dont les demandes sont jugées irrecevables au titre de l’alinéa 101(1)c.1) et qui présentent une demande d’ERAR seront entendus dans le cadre d’une audience, à moins que leur demande n’ait été accueillie. « En d’autres mots, cette modification renforce l’assurance que les garanties procédurales requises, tel qu’elles sont énoncées et définies dans Singh, sont respectées à l’égard des demandeurs d’asile comme M. Seklani » (Seklani, au para 55).

[51] Enfin, l’observation des demandeurs selon laquelle ils ne pourront pas bénéficier d’un arbitre indépendant, car leurs demandes seront tranchées par un agent du même organisme qui a pris la décision de ne pas les déférer à la SPR, est dénuée de tout fondement.

[52] Je tiens tout d’abord à souligner que, selon l’alinéa 101(1)c.1), une conclusion selon laquelle une demande est irrecevable et ne peut être déférée à la SPR dépend d’une seule décision factuelle que doit prendre le délégué du ministre. Un autre pays avec lequel le Canada a conclu une entente d’échange de renseignements a confirmé que le demandeur avait déjà présenté dans ce pays une demande d’asile, laquelle avait été jugée irrecevable. Il n’y a aucun pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, il est difficile de voir comment un examen effectué par un délégué du ministre pourrait donner lieu à une absence d’indépendance, réelle ou perçue, de la part de l’agent examinant ultérieurement un ERAR.

[53] Quoi qu’il en soit, les demandeurs ne présentent aucun élément de preuve pour démontrer l’existence d’une partialité institutionnelle ou l’absence d’impartialité et d’indépendance à l’appui de leur simple affirmation. Le défendeur soutient que notre Cour a déjà rejeté des arguments selon lesquels le processus d’ERAR était inconstitutionnel du fait qu’un agent d’ERAR n’est pas suffisamment indépendant du ministre (Abdollahzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1310 aux para 42‐43; Muhammad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 448 aux para 137‐144 [Muhammad]; voir aussi Dunova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 438 au para 69).

[54] Je suis d’accord pour dire qu’à défaut d’éléments de preuve contraires, l’auteur de la décision est présumé être impartial (Muhammad, au para 141). En l’espèce, les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve réfutant cette présomption.

[55] Aucun élément de preuve n’appuie l’argument des demandeurs selon lequel les agents d’ERAR constituent [traduction] « un organisme possédant une expertise moins spécialisée dont la capacité institutionnelle est largement insuffisante ».

[56] Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que bien qu’il n’y ait aucun droit permettant d’interjeter appel dans un processus d’ERAR, les principes de justice fondamentale n’exigent ni un processus d’appel ni un droit d’appel (Seklani, au para 55; Kreishan, au para 122), et que ni la Convention ni la Charte n’exigent la mise en place de mécanismes de réexamen (Kreishan, au para 114).

[57] En conclusion, pour les motifs énoncés ci‐dessus, je conclus que l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR, aux termes duquel les demandes des demandeurs sont irrecevables et ne peuvent pas être déférées à la SPR pour une audience, ne viole pas l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, car le processus d’audience relative à l’ERAR amélioré est conforme aux principes de justice fondamentale énoncés dans les arrêts Singh et Kreishan.

VII. L’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR viole‐t‐il le paragraphe 15(1) de la Charte, et le cas échéant, l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR est‐il justifié au regard de l’article premier de la Charte?

(1) (IMM‐7417‐19)

VIII. Article 15

A. Position de la demanderesse

[58] Mme Nusrat soutient que l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR est discriminatoire en raison de l’incidence de deux principales différences dans le processus d’arbitrage des demandes d’asile au R.‐U. comparativement au processus de détermination du statut de réfugié appliqué au Canada. Essentiellement, elle fait valoir que, selon l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR, le Canada a [traduction] « délégué » à des gouvernements étrangers ses obligations relatives à son système de détermination du statut de réfugié. La première différence concerne le processus d’examen initial du dossier, lequel aurait donné lieu à une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité au R.‐U. La deuxième différence concerne ce que Mme Nusrat décrit comme la norme considérablement plus élevée appliquée au R.‐U. relativement aux demandes d’asile présentées par des Ahmadis du Pakistan. Selon Mme Nusrat, cela fait en sorte qu’elle, tout comme d’autres personnes dans une situation semblable, subit un désavantage lié à un motif énuméré ou analogue. Ils sont renvoyés à un processus de détermination du statut de réfugié de moindre importance en raison de caractéristiques immuables, comme le sexe, la religion et la capacité physique.

B. Position du défendeur

[59] Le défendeur soutient que le législateur n’a pas délégué le processus de détermination du statut de réfugié à d’autres pays. L’alinéa 101(1)c.1) et l’article 113.01 de la LIPR créent une voie distincte et un processus d’examen des demandes d’asile dans les situations où un demandeur a déjà présenté une demande d’asile dans un pays du « Groupe des cinq ». Cela ne constitue pas de la discrimination à l’endroit de Mme Nusrat pour l’un des motifs énumérés à l’article 15 de la Charte ni pour un motif analogue. En fait, sa demande d’asile est irrecevable et ne peut pas être déférée à la SPR pour un examen en application de ce processus, car elle a déjà présenté une demande d’asile au R.‐U. Cela n’est aucunement lié à une quelconque caractéristique personnelle immuable, ni directement ni par un effet préjudiciable disproportionné.

C. Analyse

[60] Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 au para 27 [Fraser], le paragraphe 15(1) reflète un engagement profond à promouvoir l’égalité et à prévenir la discrimination contre les groupes défavorisés (Fraser, au para 27). La discrimination par suite d’un effet préjudiciable survient lorsqu’une loi en apparence neutre a une incidence disproportionnée sur des membres de groupes bénéficiant d’une protection contre la discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue. Plutôt que de cibler explicitement ceux qui font partie des groupes protégés contre une différence de traitement, la loi les désavantage indirectement (Fraser, aux para 30, 45). La discrimination par suite d’un effet préjudiciable va à l’encontre de la norme d’égalité réelle (Fraser, au para 47).

[61] Les parties conviennent que le critère à deux volets servant à évaluer une allégation de violation de l’article 15 de la Charte, ou l’analyse de l’égalité réelle, est bien établi :

  1. La loi contestée crée‐t‐elle, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

  2. Dans l’affirmative, est‐ce que la loi impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage?

(Voir : Québec (Procureure générale) c Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17 au para 25, citant Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30 aux para 19‐20 [Kahkewistahaw]; Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 au para 30 [Withler]; Fraser, au para 27.)

[62] La Cour suprême a énoncé la façon de réaliser une analyse fondée sur l’article 15 dans l’arrêt Kahkewistahaw :

[16] L’approche relative au par. 15(1) a été énoncée le plus récemment dans Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 319‐347. Cet arrêt a clarifié le fait que le par. 15(1) de la Charte exige « une analyse souple et contextuelle visant à déterminer si la distinction a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard du demandeur, du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue » (par. 331 (italiques ajoutés)).

[17] La Cour a confirmé à maintes reprises que l’art. 15 protège l’égalité réelle (Québec c. A, par. 325; Withler c. Canada (Procureur général), [2011] 1 R.C.S. 396, par. 2; R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 16; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143). Cette démarche reconnaît que des désavantages systémiques persistants ont eu pour effet de restreindre les possibilités offertes aux membres de certains groupes de la société et elle vise à empêcher tout acte qui contribue à perpétuer ces désavantages. Ainsi que le juge McIntyre l’a fait observer dans l’arrêt Andrews, cette approche repose sur l’idée que toute différence de traitement ne produira pas forcément une inégalité et qu’un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités (p. 164).

[18] L’article 15 vise donc les lois qui établissent des distinctions discriminatoires, c’est‐à‐dire des distinctions qui ont pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard d’une personne du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue (Andrews, p. 174‐175; Québec c. A, par. 331). L’analyse à laquelle on procède pour l’application du par. 15(1) s’intéresse donc au contexte social et économique dans lequel s’inscrit la plainte d’inégalité et aux effets de la loi ou de l’acte contesté sur le groupe demandeur (Québec c. A, par. 331).

[19] Le premier volet de l’analyse fondée sur l’art. 15 consiste donc à se demander si, à première vue ou de par son effet, une loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue. Limiter les demandes à celles fondées sur des motifs énumérés ou analogues — qui « constituent des indicateurs permanents de l’existence d’un processus décisionnel suspect ou de discrimination potentielle » —, permet d’écarter « les demandes [traduction] qui n’ont rien à voir avec l’égalité réelle et de mettre l’accent sur l’égalité dans le cas de groupes qui sont défavorisés dans un contexte social et économique plus large » (Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 8; Lynn Smith et William Black, « The Equality Rights » (2013), 62 S.C.L.R. (2d) 301, p. 336). Le demandeur peut fonder son allégation sur un ou sur plusieurs motifs, selon l’acte de l’État en cause et son interaction avec le désavantage infligé aux membres du groupe dont il fait partie (Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 37).

[20] Le second volet de l’analyse est axé sur les désavantages arbitraires — ou discriminatoires —, c’est‐à‐dire sur la question de savoir si la loi contestée ne répond pas aux capacités et aux besoins concrets des membres du groupe et leur impose plutôt un fardeau ou leur nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage dont ils sont victimes :

À la base, l’art. 15 résulte d’une prise de conscience que certains groupes ont depuis longtemps été victimes de discrimination, et qu’il faut mettre fin à la perpétuation de cette discrimination. Les actes de l’État qui ont pour effet d’élargir, au lieu de rétrécir, l’écart entre le groupe historiquement défavorisé et le reste de la société sont discriminatoires. [Québec c. A, par. 332]

[21] Pour établir qu’il y a eu à première vue violation du par. 15(1), le demandeur doit par conséquent démontrer que la loi en cause a un effet disproportionné à son égard du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue. À la seconde étape de l’analyse, la preuve précise requise variera selon le contexte de la demande, mais « les éléments tendant à prouver qu’un demandeur a été historiquement désavantagé » seront pertinents (Withler, par. 38; Québec c. A, par. 327).

[63] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’allégation de Mme Nusrat ne satisfait pas au premier volet du critère du paragraphe 15(1).

[64] En effet, bien que l’alinéa 101(1)c.1) crée une distinction, celle‐ci n’est pas fondée sur un motif énuméré ou analogue. Cette distinction est entre les demandeurs d’asile dont la demande sera déférée à la SPR pour une audience et ceux dont la demande est irrecevable en application de ce processus et sera plutôt traitée dans le cadre d’un processus d’ERAR amélioré. Cette distinction est fondée uniquement sur la question de savoir si le demandeur a déjà présenté une demande d’asile dans un pays avec lequel le Canada a conclu une entente d’échange de renseignements. Cette distinction n’est pas fondée sur un motif énuméré – la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences physiques, comme Mme Nusrat le soutient – ou sur un motif analogue, que Mme Nusrat n’a pas invoqué.

[65] À mon avis, les arguments de Mme Nusrat sont mal fondés et mélangent le critère à deux volets servant à évaluer une allégation de violation de l’article 15 de la Charte. Je les résume ci‐dessous.

  • ˗ Mme Nusrat affirme que l’alinéa 101(1)c.1) a un effet préjudiciable sur les personnes visées par celui‐ci, car il [traduction] « considère comme suffisants le processus et les normes se rapportant à la protection des réfugiés et à l’asile qu’utilisent d’autres pays [les autres pays du Groupe des cinq] », ce qui est contraire aux obligations du Canada en matière de droit international de veiller à ce qu’une demande d’asile soit traitée conformément à la Convention relative au statut des réfugiés et au droit canadien. Selon Mme Nusrat, l’alinéa 101(1)c.1) va à l’encontre de ces obligations, car il présume qu’une personne qui a demandé l’asile dans un autre pays a eu droit à un processus de détermination du statut de réfugié aussi robuste que celui offert au Canada.

  • ˗ Mme Nusrat fait valoir que, selon l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR, le législateur a délégué à des gouvernements étrangers une partie de ses obligations internationales relatives à son système de détermination du statut de réfugié. Les personnes qui présentent une demande d’asile au Canada sont défavorisées, car l’alinéa 101(1)c.1) les empêche d’avoir accès à un processus de détermination du statut de réfugié équivalent à celui qu’offrirait la SPR. Si la demande d’asile est fondée sur un motif énuméré ou analogue, ou fait autrement intervenir un tel motif, ce désavantage est lié à un motif énuméré ou analogue et est discriminatoire.

  • ˗ Mme Nusrat affirme que sa demande est fondée sur [traduction] « un enchaînement » de motifs énumérés, y compris la religion, le sexe et les déficiences. Elle soutient que la norme et le processus appliqués au Royaume‐Uni pour traiter les demandes d’asile des Ahmadis du Pakistan sont nettement différents du processus appliqué au Canada. À cet égard, elle souligne également que la SPR a récemment indiqué que les demandes se rapportant à la persécution religieuse des Ahmadis au Pakistan peuvent entrer dans la catégorie des « demandes d’asile moins complexes », qui sont appropriées pour le processus d’audience courte et le processus d’examen du dossier, car il s’agit de demandes solidement fondées. Elle donne aussi un exemple de désavantage imposé par l’alinéa 101(1)c.1) pour illustrer que la loi applicable aux États‐Unis est nettement différente de celle applicable au Canada en ce qui concerne, d’une part, la question de savoir si les victimes de violence familiale peuvent être membres d’un groupe social en particulier, et d’autre part, la façon de traiter les questions relatives à la protection de l’État. Elle soutient que cette distinction se rapporte au sexe, un motif énuméré, et établit que les personnes qui ont présenté une demande d’asile aux États‐Unis ne profiteront pas de la protection complète que confèrent les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

  • ˗ Mme Nusrat affirme qu’elle est une femme âgée qui est atteinte de déficiences. Elle n’a pas divulgué tous les renseignements médicaux concernant ses déficiences dans la demande d’asile qu’elle a présentée au R.‐U., ce qui a donné lieu à une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Elle soutient que si elle n’avait pas été atteinte de déficiences, elle n’aurait eu à divulguer aucun renseignement médical. Elle ajoute que le défaut de communiquer des renseignements médicaux lors de l’admission initiale au Canada n’aurait pas eu un effet semblable sur les questions relatives à la crédibilité. Elle affirme que les [traduction] « conséquences de la décision du R.‐U. et le processus utilisé par le R.‐U. ont fait en sorte que la demande d’asile de Mme Nusrat n’a pas été déférée à la SPR; cette situation lui a fait subir un désavantage. Comme le désavantage est lié à des motifs énumérés ou analogues des déficiences, il est discriminatoire et contraire à l’article 15 de la Charte. »

[66] Je tiens d’abord à souligner que Mme Nusrat ne fournit aucun élément de preuve à l’appui de son observation selon laquelle le législateur a délégué le processus d’évaluation des demandeurs, ou un quelconque pouvoir décisionnel, à d’autres États. Je ne souscris pas non plus à l’observation qui m’a été présentée lors de l’audience selon laquelle il est logiquement possible de déduire que le Canada a adopté des dispositions législatives étrangères. Cette observation s’appuyait sur l’idée qu’il fallait considérer que le Canada avait jugé que le processus étranger d’examen des demandes d’asile était suffisamment robuste pour permettre au Canada d’offrir uniquement une audience d’ERAR, et non une audience devant la SPR, aux personnes dont la demande était jugée irrecevable selon l’alinéa 101(1)c.1). Cette observation n’est tout simplement pas fondée.

[67] En outre, le simple fait que Mme Nusrat est visée par l’alinéa 101(1)c.1) n’établit pas que son âge, son sexe, sa religion ou ses déficiences ont un quelconque lien avec l’irrecevabilité de sa demande.

[68] Même si le rejet de sa demande d’asile au R.‐U. était lié à ses déficiences, ce qui ne semble pas le cas au vu du dossier (selon les documents versés au dossier, Mme Nusrat a été rencontrée en entrevue relativement à sa demande d’asile et a affirmé qu’elle entrait au R.‐U. parce que sa vie était en danger au Pakistan, mais que sa demande avait été rejetée pour des motifs se rapportant à la crédibilité parce qu’elle n’avait pas divulgué cette crainte à l’agent d’immigration à son arrivée au R.‐U.), l’alinéa 101(1)c.1) s’applique que sa demande ait été rejetée, retirée ou laissée en suspens. Ainsi, l’alinéa 101(1)c.1) n’est pas lié au processus d’évaluation du statut de réfugié d’un autre État, mais bien au seul fait qu’une demande d’asile a été présentée.

[69] En résumé, les distinctions entre le processus de traitement des demandes d’asile dans le système d’immigration canadien et ce processus au R.‐U. ou dans d’autres pays du « Groupe des cinq » ne sont pas pertinentes en ce qui a trait à l’application de l’alinéa 101(1)c.1).

[70] Le premier volet du critère de l’article 15 peut être satisfait lorsqu’une disposition législative d’apparence neutre, comme l’alinéa 101(1)c.1), a un effet disproportionné sur un groupe ou une personne identifiable par des facteurs liés à des motifs énumérés ou analogues (Fraser, aux para 30, 45‐47). Cependant, comme le défendeur le fait valoir, un fondement de preuve est nécessaire pour que soit retenu un argument selon lequel une disposition législative a un effet disproportionné, et cette preuve doit comprendre « davantage qu’une accumulation d’intuitions » (Kahkewistahaw, au para 34). Bien que la demande de Mme Nusrat comprenne certains éléments de preuve concernant les motifs énumérés sur lesquels elle s’appuie (religion, sexe, déficiences), elle ne comporte autre élément de preuve, statistique ou autre, établissant un lien entre ces caractéristiques personnelles et une disparité découlant de l’alinéa 101(1)c.1).

[71] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que Mme Nusrat suppose que l’impossibilité d’avoir accès au processus de la SPR aura un effet préjudiciable, mais elle ne fournit aucun élément de preuve indiquant que le processus d’ERAR amélioré entraînera, ou est plus susceptible d’entraîner, le rejet d’une demande d’asile fondée. Comme je le mentionne plus haut, dans cette situation, les agents d’ERAR appliquent les mêmes critères au titre des articles 96 et 97 de la LIPR que la SPR et peuvent tenir compte d’autres facteurs, comme les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. En ce qui concerne le processus de traitement des demandes d’asile moins complexes auquel Mme Nusrat aurait eu droit, selon elle, si sa demande n’avait pas été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)c.1), je souligne que ce processus n’aurait pas garanti l’obtention de l’asile. Cependant, dans la mesure où le ministre a déterminé que les Ahmadis sont à risque au Pakistan et a par conséquent mis en œuvre ce processus, je ne vois pas pourquoi ce facteur ne serait pas pris en compte dans l’ERAR. En fait, dans le cadre du processus d’ERAR amélioré, une demande peut être accueillie sans la tenue d’une audience si le bien‐fondé de cette demande est suffisamment établi.

[72] Essentiellement, Mme Nusrat soutient qu’en raison du fait que sa demande d’asile s’appuie sur des motifs énumérés ou analogues, l’alinéa 101(1)c.1) est aussi lié à ces motifs. Ce n’est toutefois pas le cas. Mme Nusrat n’a pas démontré que la distinction découlant de l’alinéa 101(1)c.1) a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue (Kahkewistahaw, aux para 16, 18‐19). Autrement dit, Mme Nusrat n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir que l’alinéa 101(1)c.1) fait en sorte que les demandes d’asile des personnes possédant les mêmes caractéristiques immuables seront rejetées de façon disproportionnée.

[73] Par conséquent, je conclus que la distinction créée par l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR n’est pas fondée sur un quelconque motif énuméré ou analogue.

[74] Comme le premier volet du critère du paragraphe 15(1) n’est pas satisfait, il n’est pas nécessaire que j’examine le deuxième volet du critère, à savoir si l’alinéa 101(1)c.1) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage. Cependant, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que Mme Nusrat n’a fourni aucun élément de preuve établissant que l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR accentue la stigmatisation ou le désavantage historique, le cas échéant, des demandeurs d’asile dans la même situation qu’elle.

[75] Comme j’ai conclu que l’alinéa 101(1)c.1) de la LIPR ne viole pas le paragraphe 15(1) de la Charte, je n’ai pas à déterminer si cette disposition est justifiée au regard de l’article premier.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM‐1685‐20 ET IMM‐7417‐19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée pour certification, et cette affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐1685‐20

 

INTITULÉ :

SAIMA SHAHID, SHAHID MASOOD BUTT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM‐7417‐19

 

INTITULÉ :

FARIDA NUSRAT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 1ER DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Blenkinsop

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Don Klaassen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CLASSIC (Community Legal Assistance Services for Saskatoon Inner City Inc.)

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ministère de la Justice

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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