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Date : 20211201


Dossier : IMM-4031-20

Référence : 2021 CF 1332

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

DEHONG CHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, monsieur Dehong Chen, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] M. Chen est un citoyen de la Chine qui a affirmé craindre d’être persécuté à titre d’adepte du Falun Gong. À la suite d’une descente effectuée auprès de son groupe de pratique du Falun Gong, M. Chen a vécu caché pour échapper au Bureau de la sécurité publique (le PSB), qui était à sa recherche. Il a appris par son père qu’un autre adepte avait été arrêté. Il s’est enfui au Canada avec l’aide d’un passeur et a demandé l’asile.

[3] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile de M. Chen au motif qu’il manquait de crédibilité et qu’il n’avait pas démontré le bien-fondé de sa demande d’asile sur place dans laquelle il alléguait que ses activités au Canada l’exposeraient à des risques s’il devait retourner en Chine. Elle a conclu que M. Chen n’est pas un véritable adepte du Falun Gong et qu’il n’était pas recherché par le PSB.

[4] La SAR a rejeté l’appel interjeté par M. Chen. En dépit du fait qu’elle ne souscrivait pas à certaines conclusions tirées par la SPR, la SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle M. Chen n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre des articles 96 ou 97 de la LIPR. La question déterminante était celle de la crédibilité.

[5] M. Chen soutient que la décision de la SAR est déraisonnable parce que cette dernière s’est fondée sur des éléments qui étaient secondaires eu égard à sa demande d’asile —notamment, le fait qu’il a détruit son passeport et qu’il a menti sur l’itinéraire qui l’avait mené au Canada —en tant que fondement d’une conclusion globale défavorable quant à sa crédibilité. De plus, il prétend que la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SAR a entaché l’appréciation par celle-ci de sa demande d’asile sur place, ce qui l’a rendue déraisonnable.

[6] Pour les motifs exposés ci-après, M. Chen n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Question en litige et norme de contrôle

[7] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[8] La norme de contrôle de la décision raisonnable est appliquée conformément aux directives qui sont énoncées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable — soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99). Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La Cour doit également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125).

III. Analyse

[9] M. Chen soutient que la SAR a apprécié sa crédibilité à la loupe, en se concentrant sur des questions accessoires eu égard à sa demande d’asile. Il affirme que le fait d’avoir voyagé muni de faux documents, d’avoir détruit ses titres de voyage ou d’avoir menti à leur sujet à son arrivée au Canada a peu de valeur quand il s’agit d’établir la crédibilité d’un demandeur d’asile, et qu’il est erroné de fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité uniquement sur des questions se rapportant au voyage à partir du pays où l’on craint d’être persécuté : Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587 au para 18 [Rasheed]; Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444, 1989 CarswellNat 736 à la p. 2 (CAF) [Attakora]; Ahangaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 72 au para 5, 168 FTR 315 (CFPI) [Ahangaran]. M. Chen prétend que le fait d’avoir détruit son passeport et d’avoir menti au sujet de l’itinéraire qui l’a mené au Canada a peu d’incidence sur la question essentielle qui est celle de savoir s’il est un véritable adepte du Falun Gong qui serait exposé à un risque de persécution s’il retournait en Chine. La SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en invoquant ces éléments pour contester sa crédibilité globale.

[10] De plus, même s’il a menti au sujet de l’itinéraire qu’il avait suivi pour venir au Canada, M. Chen prétend que la SAR était tenue de décider s’il est devenu un véritable adepte du Falun Gong au Canada, et elle ne l’a pas fait. Il souligne les conclusions tirées par la SAR selon lesquelles « il poss[édait] nettement des connaissances de base » du Falun Gong et selon lesquelles la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à sa crédibilité fondée sur son manque de connaissances. Il affirme que la SAR a en fait conclu que ses connaissances du Falun Gong étaient suffisantes pour démontrer l’authenticité de son adhésion à cette discipline, si ce n’était des conclusions erronées quant à la crédibilité qui ont entaché l’appréciation effectuée par la SAR de sa demande d’asile sur place et qui ont amené celle-ci à conclure que ses connaissances résultaient d’une préparation pour les besoins de demande d’asile.

[11] Le défendeur affirme que chaque affaire repose sur les faits qui lui sont propres, et qu’il n’y a pas de règle générale selon laquelle les questions se rapportant aux titres de voyage et aux itinéraires suivis ne peuvent pas être prises en compte dans l’appréciation de la crédibilité. Il relève un certain nombre de décisions de la Cour fédérale dans lesquelles des appréciations de la crédibilité analogues avaient été jugées raisonnables : Toora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 828 au para 45; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 453 aux para 15-16; Olaya Yauce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 784 au para 18; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 877 au para 22 [Li]): Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 216 au para 23 [Wang]. Le défendeur soutient que la SAR a apprécié la crédibilité de M. Chen de façon raisonnable en l’espèce.

[12] Je suis d’accord avec le défendeur. La SAR a pris en compte le contexte factuel dans son ensemble quand elle a apprécié sa crédibilité —ce n’était pas une appréciation à la loupe. Les efforts déployés par M. Chen pour échapper à la persécution alléguée en Chine faisaient partie de son récit, sur lequel il s’est fondé pour étayer sa demande d’asile. Il a prétendu qu’il avait détruit son passeport, qu’il avait utilisé un faux itinéraire et qu’il avait menti aux autorités frontalières canadiennes sur la façon dont il était entré au Canada parce que son passeur l’avait prévenu qu’il serait renvoyé en Chine s’il ne respectait pas ces instructions. Ce n’était pas des questions secondaires.

[13] La SAR a fait observer qu’aucun élément de preuve – outre le témoignage du demandeur – n’atteste l’existence de son passeport, d’un visa canadien prétendument contrefait dans ce passeport, ou du passeur. La SAR a pris en compte le témoignage de M. Chen selon lequel il n’avait pas de photocopie de son passeport et il ne se souvenait pas du moment où celui-ci avait été délivré. De plus, M. Chen a menti à plusieurs reprises aux autorités frontalières canadiennes, en dépit de leurs avertissements que le fait de mentir pouvait avoir une incidence défavorable sur sa crédibilité devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et même après avoir été confronté à des éléments de preuve contredisant ses affirmations et après avoir eu la possibilité de dire la vérité. La SAR a affirmé : « Plus tard, quand il a préparé l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) avec l’aide d’un conseil, il a changé ses déclarations pour reconnaître ce que savaient déjà les agents des douanes ».

[14] La SAR a pris en compte l’explication donnée par M. Chen pour avoir détruit son passeport et pour avoir menti aux autorités frontalières canadiennes, et l’a rejetée. Elle a conclu que M. Chen avait fait de fausses déclarations aux autorités canadiennes sans comprendre pourquoi le passeur lui avait dit d’agir ainsi ou en quoi cela l’aidait, et elle a souligné qu’il n’y avait pas non plus d’éléments prouvant l’existence du passeur, outre le témoignage du demandeur. La SAR a raisonnablement conclu que la malhonnêteté du demandeur auprès des autorités gouvernementales, sans explication raisonnable, avait porté atteinte à sa crédibilité.

[15] En ce qui concerne la demande d’asile sur place, je relève que les observations que M. Chen a formulées devant la SAR ne soulevaient aucune erreur particulière dans l’analyse de la demande d’asile sur place effectuée par la SPR. M. Chen a plutôt soutenu que la SPR avait commis une erreur dans l’appréciation de son identité en tant que véritable adepte du Falun Gong — qu’il existe « un critère très peu exigeant » imposé aux demandeurs d’asile pour démontrer leurs connaissances religieuses, et que la SPR a indûment discrédité ses connaissances parce qu’il n’avait pas réussi à répondre correctement à une question portant sur la notion des attachements.

[16] La SAR a reconnu et a examiné exhaustivement l’argument avancé par M. Chen en concluant que, même si ses connaissances étaient « moins détaillées qu’elles ne pourraient l’être », il possédait des connaissances de base. Comme il est mentionné précédemment, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité fondée sur le manque de connaissances de M. Chen, et elle a affirmé qu’elle considérerait ses connaissances comme un facteur favorable dans l’évaluation de la crédibilité globale.

[17] C’est ce que la SAR a fait en évaluant les conclusions défavorables quant à la crédibilité et le peu de documents corroborants (y compris le manque d’éléments de preuve attestant les moyens par lesquels il s’est rendu au Canada) par rapport à ses connaissances des pratiques du Falun Gong. La SAR a conclu que M. Chen n’était pas un véritable adepte du Falun Gong, qu’il n’était pas pourchassé par le PSB et que, selon la prépondérance des probabilités, sa capacité de discuter du Falun Gong résultait d’une préparation pour les besoins de sa demande d’asile. De plus, elle a conclu que toute activité liée au Falun Gong que M. Chen avait entreprise au Canada avait pour but d’appuyer sa demande d’asile, et qu’aucun élément de preuve n’attestait que le gouvernement de la Chine était au courant de toute pratique du genre.

[18] L’argument avancé par M. Chen selon lequel la SAR a omis d’apprécier la question de savoir s’il était devenu un adepte véritable du Falun Gong au Canada, aux fins d’une demande d’asile sur place, doit échouer. L’appréciation effectuée par la SAR consistait en une conclusion sur la crédibilité globale qui s’appliquait à tous les aspects de la demande d’asile de M. Chen, y compris sa demande d’asile sur place. Il est permis à la SAR d’évaluer la demande d’asile sur place d’un demandeur au regard des préoccupations relatives à la crédibilité se rapportant à la demande d’asile initiale : Li, au para 29, citant Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 5 au para 23. Il est aussi permis à la SAR de confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 78.

[19] De plus, M. Chen n’a fait valoir aucune question précise quant à l’aspect « sur place » de sa demande asile en appel devant la SAR, sinon celle de savoir si ses connaissances du Falun Gong étaient suffisantes pour démontrer qu’il en était un véritable adepte. La SAR a examiné et apprécié pleinement cet argument. La SAR n’était pas tenue de procéder à une analyse additionnelle puisqu’aucune autre question n’avait été soulevée : Dahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1102 aux para 26, 30-39; Canada (Citoyenneté et Immigration) c R.K., 2016 CAF 272 au para 6.

[20] En résumé, la SAR a pris en compte de multiples facteurs dans son appréciation globale de la crédibilité de M. Chen, et elle a rejeté sa demande d’asile pour cette raison de manière raisonnable. Les circonstances de la présente affaire sont similaires à celles qui ont été examinées dans les décisions Wang et Li, et sont différentes de celles dans la décision Rasheed et les arrêts Attakora et Ahangaran. Les conclusions tirées par la SAR se justifient sur la foi du dossier et sont dûment justifiées dans ses motifs. L’appréciation et l’analyse effectuées par la SAR sont transparentes et intelligibles.

IV. Conclusion

[21] M. Chen n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22] Aucune des parties ne propose de question de portée générale en vue de sa certification. J’estime que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4031-20

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4031-20

 

INTITULÉ :

DEHONG CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par VIDéOCONFéRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

 

le 22 SEPTEMBRe 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

le 1er DéCEMBRe 2021

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

pour le demandeur

 

Zofia Rogowska

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McLaughlin & Chin Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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