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Date : 20211115


Dossier : IMM‑1967‑18

Référence : 2021 CF 1234

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

RAKESH KUMAR SOOD

et NARENDER SOOD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que les demandeurs, Rakesh Kumar Sood et Narender Sood, n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, car ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à New Delhi.

II. Contexte

[2] Les demandeurs (M. Rakesh Kumar Sood et Mme Narender Sood) sont des citoyens de l’Inde. Ils affirment qu’ils appartiennent à des castes différentes : M. Sood, à la caste des Sood (une caste « supérieure »), et Mme Sood, à la caste des Chhimba (qui fait partie des « autres classes arriérées »). Ils se sont mariés en mars 2002 et ils ont une fille et un garçon. Ils allèguent qu’ils sont exposés, eux et leurs enfants, à du harcèlement et à de la violence en raison de leur mariage intercaste.

[3] Après le mariage, ils ont emménagé chez les parents de M. Sood. Mme Sood allègue avoir été attaquée en juillet 2009, après avoir pris la parole lors d’un rassemblement contre les mauvais traitements infligés aux femmes. M. Sood allègue avoir été attaqué en août 2009 par des hommes qui ont évoqué la caste inférieure de sa femme. En mars 2010, les demandeurs ont divorcé. Ils expliquent que la mère de M. Sood avait blâmé Mme Sood pour l’attaque contre son fils, avait expulsé cette dernière du domicile, et avait insisté auprès de M. Sood pour qu’il divorce. Après ce divorce, M. Sood allègue avoir été harcelé et menacé par la famille de Mme Sood. En octobre 2012, Mme Sood a pris la parole lors d’un autre rassemblement, après quoi, selon ses dires, elle a été arrêtée et agressée sexuellement alors qu’elle était détenue par la police, puis accusée de devenir une meneuse des Dalits (la caste la plus basse, à laquelle elle n’appartient pas) et de les inciter à se soulever contre la police. Elle affirme en outre que la police était « à sa recherche » en novembre 2012. M. Sood affirme qu’au cours de ce même mois de novembre 2012, il a été enlevé et agressé, et que les agresseurs ont dit qu’il avait [traduction] « ruiné la vie de la fille de caste inférieure ».

[4] M. Sood affirme qu’il a été harcelé par des membres du Congrès national indien en raison de ses convictions politiques et du fait qu’il avait auparavant travaillé pour deux autres partis politiques. Il allègue que le Congrès national indien a exercé son influence sur la police pour le punir, d’où de fausses allégations de corruption, des passages à tabac par des policiers, une entrée par effraction au domicile de ses parents, et l’occupation illégale des propriétés de son père.

[5] Les demandeurs affirment qu’ils ont séparément quitté l’Inde à destination des États‑Unis : M. Sood, le 16 novembre 2012, et Mme Sood, le 20 décembre 2012. Leurs enfants sont demeurés en Inde avec les parents de Mme Sood. M. Sood a conclu un [traduction] « mariage de convenance » pour tenter de parrainer les enfants, mais ce projet a avorté. Les demandeurs ont présenté des demandes d’asile distinctes aux États‑Unis. Mme Sood s’est vu refuser sa demande d’asile et ne s’est pas présentée à son audience en avril 2017. Concernant la demande d’asile de M. Sood, aucune audience n’a été prévue. Plus tard la même année, les demandeurs sont entrés au Canada et ont séparément demandé l’asile, mais leurs demandes ont ensuite été jointes.

[6] Pour la SPR, la question déterminante était celle de la PRI viable à New Delhi qui s’offrait aux demandeurs. Aux fins de l’analyse de la PRI, le tribunal a considéré que les allégations des demandeurs étaient crédibles, puis il a proposé des PRI dans les villes de New Delhi, de Mumbai, de Kolkata et de Bangalore. La SPR a conclu que New Delhi offrait une PRI viable.

III. La question en litige

[7] En l’espèce, la question en litige est celle de savoir si la conclusion de la SPR, selon laquelle les demandeurs disposaient d’une PRI viable à New Delhi, était raisonnable.

IV. La norme de contrôle

[8] La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada au paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], « [l]orsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond […] [l]’analyse a […] comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable ». Cela étant, la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[9] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible pour les personnes concernées, et elle témoigne d’« une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif, le dossier dont disposait le décideur et les observations des parties sont pris en compte (Vavilov aux para 81, 85, 91, 94‑96, 99, 127‑128).

V. Analyse

[10] Le critère applicable pour déterminer l’existence d’une PRI viable est bien établi, et il a été exposé dans les décisions Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]. Le critère, qui comporte deux volets devant tous deux être satisfaits, est le suivant :

  1. « […] la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge »;

  2. De plus, la situation dans la partie du pays où l’on juge qu’il existe une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, d’y chercher refuge.

A. Le premier volet : un risque sérieux de persécution

[11] Le premier volet est la question de savoir s’il existe un risque sérieux de persécution à New Delhi. À cet égard, les demandeurs affirment que la SPR a déraisonnablement conclu 1) que les agents du préjudice n’auraient ni la capacité ni la volonté de les y retrouver, et 2) que, sur ce fondement, les demandeurs ne présentaient pas un profil de risque qui les exposerait à un risque sérieux de persécution.

[12] À propos du premier point, les demandeurs soutiennent que la SPR a déraisonnablement écarté la preuve contredisant sa conclusion. En particulier, la SPR s’est appuyée sur un guide jurisprudentiel et sur une réponse à une demande d’information, et elle a écarté deux rapports nationaux objectifs et plus récents qui traitent de l’amélioration de l’infrastructure permettant l’échange de renseignements policiers entre les États indiens, en plus d’une autre réponse à une demande d’information. Les demandeurs affirment que ces documents contredisaient la conclusion de la SPR selon laquelle la police de New Delhi ne pourrait accéder à des renseignements sur leurs interactions antérieures avec les autorités, et que, de ce fait, la SPR a commis une erreur en ne prenant pas en considération cette preuve contradictoire. Ils affirment en outre que la SPR a déraisonnablement écarté la preuve selon laquelle des policiers se sont présentés au domicile de la mère de Mme Sood pour vérifier si elle s’y trouvait, un geste qui attestait de leur volonté de la retrouver. Dans leurs observations, les demandeurs ont affirmé que la SPR s’était appuyée sur l’hypothèse qu’il n’y avait pas de renseignements sur eux, puisqu’aucune accusation n’avait été officiellement portée contre eux et qu’ils n’avaient donc pas de casier judiciaire. Selon les demandeurs, cette hypothèse est fausse, car ils ont seulement déclaré qu’à leur connaissance, leurs interactions n’avaient pas entraîné des accusations officielles ou la création d’un casier judiciaire. Il s’ensuit qu’il était conjectural de la part de la SPR de conclure qu’il n’existait pas de casier judiciaire, car les renseignements à cet égard manquaient.

[13] Quant au deuxième point, les demandeurs jugent déraisonnable la conclusion de la SPR selon laquelle ils ne présentaient pas un profil de risque qui les exposerait à un risque sérieux de persécution. En particulier, ils soutiennent que cette conclusion s’appuie sur deux motifs déraisonnables, soit 1) que Mme Sood n’avait pas un profil politique important qui attirerait l’attention de la police à New Delhi, et 2) que les attaques contre les Dalits (la caste la plus basse) n’étaient pas répandues ou systémiques.

[14] En ce qui a trait à leur profil politique, les demandeurs soutiennent que cette conclusion était conjecturale ou basée sur une mauvaise appréciation de la preuve. Ils affirment que les membres de castes inférieures persécutés n’ont pas nécessairement un profil politique important. Ils invoquent la décision Muresan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 819 [Muresan], pour soutenir que, lorsque la SPR conclut que les demandeurs ne risquent pas d’être persécutés là où une PRI est proposée sans s’appuyer sur la preuve, elle tire une conclusion déraisonnable. Concernant les mauvais traitements à l’encontre des castes inférieures en Inde, la SPR a affirmé qu’ils n’étaient pas « systématiques et qu’ils [ne survenaient pas] dans toutes les régions » du pays. Les demandeurs affirment que la source citée par la SPR contredit cette affirmation, puisqu’elle indique que les mauvais traitements sont systématiques, et ils ajoutent que la SPR a déraisonnablement conclu que l’expression « surtout dans les régions rurales » signifiait qu’il n’y avait pas de mauvais traitements ailleurs en Inde. Ils affirment en outre qu’une telle conclusion – à savoir qu’ils ne seront probablement pas persécutés à New Delhi – ne peut être tirée à partir des documents utilisés par la SPR, car ils traitent de l’Inde en général, et non pas d’une région en particulier.

[15] Toujours au sujet du risque sérieux de persécution, les demandeurs affirment que la conclusion selon laquelle Mme Sood ne serait pas exposée à un risque sérieux de persécution à New Delhi du fait de son appartenance à une caste inférieure (une des autres classes arriérées) ne tenait pas compte de la preuve. Ils citent des dizaines d’éléments de preuve figurant dans le dossier de demande qui se rapportaient à la situation à New Delhi, et ce, afin d’établir que le défaut de la part de la SPR de traiter précisément de ceux‑ci rend sa décision déraisonnable.

[16] De plus, les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle le fait qu’ils forment un couple intercaste ne les exposait pas à un risque sérieux de persécution était déraisonnable, parce qu’elle reposait sur une mauvaise interprétation de la preuve ou n’en tenait pas compte. Après avoir apprécié la preuve, la SPR a conclu que le risque qu’ils soient persécutés pour cette raison à New Delhi était moindre, ce qui était déraisonnable selon les demandeurs parce que, font‑ils valoir, une analyse de l’existence d’une PRI n’est pas un exercice de relativité : New Delhi n’étant pas exempte de persécution, ils soutiennent que cette conclusion était déraisonnable, car elle reposait non pas sur la preuve, mais sur une partie de celle‑ci; c’est ce le traitement sélectif de la preuve qui la rend déraisonnable.

[17] Je ne souscris pas aux arguments des demandeurs.

[18] Il est établi en droit qu’il incombe au demandeur d’établir que la PRI n’est pas viable et que, pour ce faire, il doit produire une preuve qui le démontre (Thirunavukkarasu au para 5). Le défaut de la part des demandeurs de démontrer que la police possédait des renseignements sur Mme Sood était une considération pertinente dans l’examen de la question de savoir si, le cas échéant, la possibilité de les transmettre rendait non sécuritaire la PRI à New Delhi. Compte tenu de l’incertitude, l’inexistence de ces renseignements n’était pas déterminante, mais elle n’était pas sans effet.

[19] Avant de conclure que les postes de police ne communiquaient pas suffisamment entre eux pour que le risque de transmission des renseignements entre la police du Pendjab et celle de New Delhi se pose, la SPR a apprécié les nombreux éléments de preuve dont elle disposait. Les demandeurs sont en désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par la SPR, mais le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas d’apprécier la preuve de nouveau (Vavilov au para 125).

[20] La SPR s’est appuyée sur plusieurs éléments de preuve pour conclure que les communications entre les postes de police de différents États étaient rares ou inexistantes. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que, comme les demandeurs n’avaient pas de casier judiciaire et ne faisaient pas l’objet d’accusations officielles, aucun renseignement ne pouvait être transmis d’un poste de police à un autre et ainsi permettre de les retrouver dans la ville offrant la PRI. Une partie de la preuve faisait état d’échange d’éléments de preuve entre postes de police de différentes villes, mais l’agent a choisi de s’appuyer sur le fait que les demandeurs, étant sans casier judiciaire, n’auraient donc même pas de profil. De ce fait, même s’il y avait échange d’information, la présence des demandeurs ne serait probablement pas signalée à la police de la ville offrant la PRI. Je ne reproche pas à l’agent le fait de s’être appuyé sur des renseignements selon lesquels un tel échange d’information n’était pas possible et, même si un tel échange devait être possible, l’absence de casier judiciaire des demandeurs leur évitait le risque d’être identifiés.

[21] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit trancher la question de savoir si la décision est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Vavilov au para 86). En l’espèce, la SPR a apprécié la preuve dont elle disposait – la preuve concernant les questions de savoir s’il existait des renseignements policiers sur la demanderesse qui seraient susceptibles d’être transmis et si les services de police en Inde pouvaient, le cas échéant, les transmettre – et elle a conclu d’après cette preuve que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque sérieux de persécution à New Delhi. Je juge cette conclusion raisonnable.

[22] Pour parvenir à sa conclusion, la SPR a jugé, sur ce fondement, que les demandeurs ne présentaient pas un profil de risque qui les exposerait à un risque sérieux de persécution. Les demandeurs contestent les analyses du « profil politique » et de la caste de Mme Sood effectuées par la SPR.

[23] Parmi d’autres facteurs figurant dans son ample analyse du profil de risque des demandeurs, la SPR a conclu que Mme Sood n’avait pas un profil politique important ni un profil de militante en faveur des droits des castes inférieures susceptibles de lui attirer une attention défavorable. Les demandeurs, s’appuyant sur plusieurs éléments de preuve dont le lien avec cette question est ténu, affirment que cette conclusion était erronée, parce que les membres de castes inférieures persécutés n’ont pas nécessairement un profil politique important. Mme Sood a renvoyé à divers renseignements sur la caste des Dalits. Celle‑ci et la caste à laquelle appartient Mme Sood sont semblables, mais les membres de l’une et de l’autre sont traités différemment. L’agent a traité de la situation des membres de sa caste de façon très détaillée. Mme Sood a un profil politique d’une importance relativement faible qui ne l’expose probablement pas à un risque sérieux, et ce, même si elle est membre d’une basse caste. Je ne conviens pas avec les demandeurs que le fait que la SPR a pris en considération le profil politique signifie qu’elle a fait fi d’autres facteurs. La conclusion de la SPR n’est pas uniquement fondée sur l’absence de profil politique de Mme Sood, et il est évident que la SPR était consciente de l’autre risque attribuable à sa caste inférieure. Le profil politique n’est que l’un des facteurs que la SPR a pris en considération, et je ne souscris pas à l’avis des demandeurs qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de le faire, ou d’en tirer la conclusion à laquelle elle est parvenue. Par conséquent, le recours à la décision Muresan n’est pas convaincant.

[24] Ensuite, la SPR a examiné le facteur suivant, soit le risque associé à la caste inférieure de Mme Sood. Elle a reconnu, tout en traitant d’ailleurs longuement de la question, que les personnes de castes inférieures étaient victimes de crimes et d’autres actes hostiles dans l’ensemble de l’Inde. Les demandeurs citent la preuve concernant la persécution de personnes de castes inférieures dans l’ensemble de l’Inde, et ils affirment que le défaut de la part de la SPR d’avoir pris en considération cette preuve contradictoire rend sa décision déraisonnable.

[25] Le défendeur soutient que la conclusion à cet égard était raisonnable. Je partage son avis. L’analyse qu’a effectuée la SPR montre qu’elle était au fait des mauvais traitements infligés aux personnes de castes inférieures, comme Mme Sood, dans l’ensemble de l’Inde. La SPR a souligné que cette violence était répandue, mais qu’elle n’était « pas systémique ». Néanmoins, le fait qu’elle ait mentionné que la violence était répandue, combiné à celui qu’elle était au fait des mauvais traitements infligés aux personnes de castes inférieures en Inde, suffit à démontrer que la SPR était consciente de cet enjeu. Il est vrai que les personnes de castes inférieures subissent des mauvais traitements dans l’ensemble de l’Inde, et aucune des parties ne l’a contesté. Les nombreux exemples cités par les demandeurs ne font que confirmer ce simple – et déplorable – fait. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SPR l’a reconnu et en a tenu compte pour parvenir à sa conclusion. Cependant, comme il a déjà été souligné, la SPR doit prendre en considération non seulement les éléments de preuve généraux concernant les autres personnes qui vivent dans la partie du pays où il existe une PRI, mais aussi la situation personnelle du demandeur. La SPR l’a fait dans le détail : elle a pris en considération les études de Mme Sood (ses trois diplômes) et la relative facilité pour cette dernière de se trouver un emploi, et elle a souligné que Mme Sood avait rapporté certaines difficultés professionnelles attribuables à sa caste. La SPR a aussi souligné qu’il serait en particulier plus difficile de savoir que Mme Sood appartient à une caste inférieure du fait qu’elle porte le nom de son mari. En somme, je suis d’avis que la SPR n’a pas fait fi de la preuve concernant le risque que Mme Sood soit persécutée en raison de sa caste, mais qu’elle a plutôt apprécié les éléments de preuve généraux et la situation personnelle de Mme Sood, et qu’elle en a tiré une conclusion raisonnable.

[26] La SPR a conclu que le fait de former un couple intercaste n’exposait pas les demandeurs à un risque sérieux de persécution. Ces derniers affirment que cette conclusion était déraisonnable, car, font‑ils valoir, l’analyse de la SPR était un exercice de relativité déraisonnable et son interprétation de la preuve dont elle disposait était erronée.

[27] Je constate que la SPR a pris en considération le fait que les couples intercastes en général étaient persécutés dans l’ensemble de l’Inde. Comme il a été mentionné dans mon analyse précédente, la SPR a jugé que les demandeurs n’avaient pas démontré que, compte tenu de leur situation personnelle, ils seraient exposés à une possibilité de persécution s’ils déménageaient précisément là où s’offre la PRI, c’est‑à‑dire à New Delhi. Cela ne signifie pas que la persécution contre les couples intercastes en général lui a échappé – elle en était clairement et explicitement consciente. Cependant, je le mentionne une fois de plus, il doit être démontré que les demandeurs en particulier sont exposés à un risque sérieux de persécution précisément là où la PRI a été proposée. La SPR a apprécié la preuve dont elle disposait – la situation du couple, le risque moindre de mauvais traitements dans les zones urbaines par rapport aux régions rurales, les facteurs culturels ainsi que le fait que de nombreux couples intercastes sont finalement acceptés – et elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils présentaient un profil de risque qui les exposerait à un risque sérieux de persécution à New Delhi. Contrairement à ce que les demandeurs font observer, et malgré qu’ils aient raison de relever qu’une analyse de la PRI n’est pas un [traduction] « exercice de relativité », il s’agit bien, dans un sens, d’un exercice de probabilité. Le critère n’est pas la question de savoir s’il existe un simple risque de persécution là où une PRI est proposée, comme l’affirment les demandeurs. Le mot « simple » donnerait à penser que l’exigence est minimale. Or, ce n’est pas le cas. La question que nous examinons est plutôt celle de savoir s’il existe un risque sérieux de persécution là où la PRI est proposée. En l’espèce, les demandeurs auraient préféré que la SPR parvienne à une conclusion différente. Toutefois, je conclus que leurs arguments se résument à un désaccord avec le poids que la SPR a accordé à la preuve, et le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas d’apprécier celle‑ci de nouveau (Vavilov au para 125). La conclusion de la SPR était raisonnable.

B. Le second volet : la décision n’était pas déraisonnable

[28] Concernant le second volet du critère, les demandeurs soutiennent que la SPR, en concluant qu’il était raisonnable qu’ils cherchent refuge à New Delhi, a commis une erreur, et ce, pour deux motifs.

[29] Premièrement, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’aucun obstacle important n’empêchait Mme Sood de se trouver un emploi à New Delhi. L’argument est le suivant : la SPR a fait fi de plusieurs éléments de preuve indiquant qu’il était difficile de se trouver un emploi pour une personne d’une caste inférieure comme Mme Sood, et le défaut d’examiner ces éléments de preuve amène à conclure que la SPR en a fait fi, ce qui rend la décision déraisonnable.

[30] Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle aucun obstacle n’empêchait les demandeurs de se trouver un logement à New Delhi était déraisonnable, car elle ne tenait pas compte de la preuve contradictoire. En particulier, ils citent la preuve concernant les communications policières interétatiques, qui pourraient les empêcher d’obtenir un certificat de police, et le défaut de la part de la SPR de prendre en considération certains éléments de preuve pertinents qui donnaient à penser que les couples de migrants intercastes se heurtaient à des difficultés à New Delhi. Ils soutiennent que le défaut de la part de la SPR de prendre en considération cette preuve signifie qu’elle en a fait fi, et que la décision était donc déraisonnable.

[31] À propos des obstacles à l’emploi, les demandeurs citent plusieurs éléments de preuve qui, selon leurs dires, vont à l’encontre de la conclusion de la SPR. L’argument avancé est le suivant : si ces éléments de preuve contenus dans les observations des demandeurs sont contradictoires, le défaut de les mentionner de la part de la SPR rend la décision déraisonnable.

[32] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs. Encore là, ces éléments de preuve démontraient qu’il était relativement difficile pour les personnes des castes inférieures de se trouver un emploi. La SPR n’a pas contesté ce fait. Cependant, contrairement aux exigences, ils ne démontraient pas que Mme Sood en particulier serait confrontée à une telle difficulté à New Delhi. Cette lacune est particulièrement importante, car ce volet du critère place la barre très haut. Considérant cela, ainsi que la capacité de Mme Sood de se trouver un emploi par le passé et son haut niveau d’études, la SPR a conclu qu’elle n’avait pas démontré qu’il lui serait impossible de se trouver un emploi à New Delhi. Je juge cette conclusion raisonnable. La SPR n’a pas fait fi de la preuve : elle a plutôt pris en considération les éléments de preuve généraux cités par les demandeurs conjointement à la situation personnelle de Mme Sood, telle que son conseil l’avait plaidée, et elle est parvenue à une conclusion sur ce fondement. Les demandeurs souhaiteraient peut‑être que la SPR ait accordé un poids différent à la preuve ou soit parvenue à une conclusion différente, mais le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas de les remettre en question (Vavilov au para 125).

[33] De même, à propos des obstacles au logement, les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en ne concluant pas qu’il leur serait difficile, en tant que couple intercaste, de se trouver un logement. En particulier, ils ont présenté plusieurs éléments de preuve traitant des difficultés que rencontraient les couples intercastes à New Delhi. Encore là, ces éléments de preuve portaient sur les difficultés que rencontraient de tels couples en général, difficultés dont la SPR a convenu. La conclusion de la SPR à cet égard s’appuyait sur l’absence de preuve selon laquelle de telles difficultés seraient engendrées par la situation personnelle des demandeurs. La SPR a pris celle‑ci en considération, y compris les difficultés alléguées liées à la police, et elle a conclu que les obstacles auxquels les demandeurs pouvaient se heurter en cherchant un logement ne satisfaisaient pas aux exigences de ce second volet. Comme il a été souligné, la barre à atteindre pour y satisfaire est haute, et, de ce fait, je juge que la conclusion de la SPR à cet égard appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Vavilov au para 86). Comme ce fut le cas pour plusieurs autres arguments des demandeurs, celui‑ci consistait à faire valoir que la SPR avait fait fi de la preuve, alors que celle‑ci consistait en des éléments généraux concernant la situation dans le pays et que la SPR les avait pris en considération et les avait appréciés par rapport à la situation personnelle des demandeurs. Par conséquent, contester cette appréciation revient à demander une nouvelle appréciation de la preuve, et ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov au para 125). Cette conclusion de la SPR était raisonnable.

[34] Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification, et l’argumentation n’en a soulevé aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1967‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1967‑18

 

INTITULÉ :

RAKESH KUMAR SOOD ET NARENDER SOOD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 OCTOBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Samuel E. Plett

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Desloges Law Group Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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