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Date : 20211202


Dossier : T‑1765‑21

Référence : 2021 CF 1341

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ADAM WOJDAN, ALANA MATHESON, ALEXANDER NEVIN HOBBS, ALEXANDRA BODE, ALEXANDRA JANE HARRISON, ALICIA DIAZ DE LA SERNA, ALLAN EMMETT NOLAN, AMANDA JOANNE WELLS, ANA LUCIC, ANA POTAKIS, ANASTASIA DALY, ANDREA B. MILLER, ANDREEA LIVIA MODREA, ANDRÉE‑FRANCE PAGÉ, ANGELA NATHALIE GUENTERT, ANIK MARIE‑LOU ARAND, ANNA DOROTA YAARY, ANNA MAGDALENA RATAJCZAK, ASHLEY GAIL BRUNET, AUDREY GENEVIEVE LACASSE, AUTUMN MARIE CARDY, BARBARA ANN BERGSMA, BELINDA KATO, BIANCA BOUCHER, BRANDON BRUCE LEO SMITH, BRANDON JAY MERRILL, BRENT R EPPS, CALVIN BEDROS, CALVIN JOHN KOTOWICH, CARL THIESSEN, CARLY VIOLA LARSEN, CAROL‑ANN MARY DODD, Carolee Anne Stewart, Catalina Mihai Obreja, CATALIN CAZAN‑MACISANU, CATALINE SOLOMAN, CHAD MICHAEL GAGNON, CHARLES‑PHILIPPE SAJOUS, CHRISTIAN FESTEJO, CHRISTIAN JOSEPH ANDRÉ GAGNÉ, CHRISTINE SERBAN, CHRISTINE SUSAN GRAY HUTCHINS, CHRISTINE SYLVIA DANIS, CHRISTOPH PHILIPPE DAUDIN, CHYLOW NADINE HALL, CINDY MILDRED DERAICHE, Claire Breton‑Pachla, Corey Gerald Joseph Gauthier, COREY JOHN CHARLES CRABTREE, Cory Lalonde, CRAIG STUART MCGUIGAN, DAISY‑IVY BODE, DANA TOMA, DANIEL EMANUEL ANINOIU , DANIEL GEORGE GERALD KRAUTER, DANIEL LIONEL GASTON GIROUX, DANIEL NATHAN BUDD, DANIEL WILLIAM ADSHADE, DANNY ALLEN EDWARD HONE, DAVID JOHN DEMPSTER, DAVID MCNICOLL, DEAN ALLAN LEROY DAVIS, DEANNA GETZ, Debbie Lynn Prevost, DENIS LECOMPTE, DENISE GABRIELLA NICOLE RAMSANKAR, DERRICK ANTHONY BELL, DÉSIRÉE‑LYNN ROCHON, Dheepa MurthY, DIANNE EVERLYNE MARIE FLYNN, Doneen Coxe, DONNA JUNE STAINFIELD, EDMUND MCLAUGHLIN, Elaine J. Heyink, ELENA PALMIERI, ELIZABETH JOSEPHINE DROCHOLL, EMILIE GABRIELLE CYR, FARRAH ESPERA, FILIPPAS LAVIDAS, FRANCE RENÉE PARADIS, FRANCIS EMOND, FRANCK ARMEL DIEDRO, FRANK MOURA RODRIGUES, GAËL BRASSARD, GIUSEPPE SALERA, GIUSEPPINA TRAPANI, GORDON WILLIAM HILL, GREGORY J D DALE, HAMID NAGHDIAN‑VISHTEH, HANNA “JOHN” GEBARA, HEIDI SCHENKEWITZ, HOLLY ANN JEFFERD, Ikechukwu Precious Arungwa, JACOB ALLEN ELLIOTT, Jacquelyn Ann Stevenson, JADE BERGERON, JAMES EDISON JOHN SNIVELY, JASBIR SINGH KAILA, JAY CHRISTOPHER SINHA, JEFFERY LADOUCEUR, JENNIFER ANN THIESSEN, JENNIFER LYNN MCKEOWN, JENNIFER LYNNE STANNARD, JENNIFER MARIE JUST, Jérémy Benoit, JESSICA LEIGH WADDELL, JILI LI, JohanNE Laroche, JOHN DONALD MARSHALL JR., JONATHAN CHARLES SERGIUS MANKOW, JONATHAN DAVID GIROUX, JONATHAN TASKER, JOSÉE SIVRE, JOSEPH BREFNI WARREN MACDONALD, JOSHUA NATHANIEL TORTORICI, JULIE BLOUIN, JULIE DIANE SOOK HARN MA, Julie Donna Mounce Comber, KALIN KOSTADINOV STOYANOV, KARINE MARIE ELIZABETH GÉLINAS, KATHLEEN BRIDGET MULHOLLAND, KELLY ANNE GRENIER, KELSEY WARNOCK, KERSTIN SYKES, KEVIN LYSIUS CÔTÉ, KHRISTEN VASSEUR, KIMBERLEY ANN GIROUX, KIMBERLY NATASHA JOY LANE, KIMBERLY ANNE LISSEL, KIRSTEN PATRICIA HALL, KRISTEN ALEXANDRA SOO, KRISTINE GRAVELLE, KYLE ROYCE STUPPLE, LANCE AARON STUART DIXON, LAURA PALMA HECIMOVIC, LAURA SUZANNE YKEMA, LILLIAM SCHULZ BECHARA, LINDA BENKAIOUCHE, LINDSAY VIRGINIA DAGENAIS, LISA JANE LAWR, LLOYD WILLIAM SWANSON, LOU ANN F. GOVEAS, LUC LAFLEUR, LUCAS BRETT REID, LUKE BEDROS‑ZAVODNI, LYANE Y. GIROUX, LYNE JOSEE SURETTE, MANON TREMBLAY, MARC HENRY DOMINIQUE, MARIE BETHIE THIMOT, MARIE CLAIRE SONIA CARIGNAN, MARIE GENEVIEVE PIERRETTE BERGERON, MARIE NICOLE DOROTHÉE LISE HOUDE, MARIE‑CLAUDE PAGÉ, MARIE‑FRANCE LADOUCEUR, MARILYN DUFRESNE, MARK LAVAL JAEKL, MARTINE JOSEPH, MARVIN ROLANDO CASTILLO, MARY DEANNA THOMPSON, MARY ELLEN RENAUT, MARY NATALIE DAWN VELLENDA, MARY‑ANN HUE, MATHIEU LEMAY, MATTHEW BRADEN CAPELL, MÉLISSA HÉLENE GAUTIER, MELISSA SHARON COOPER, MELISSA SUZANNE MARTIN, MERIEM MOKAIRITA‑LAMSSAHHAL MELISSA RICCIARDELLI, MICHAEL ALBERT FALCONE, MICHAEL DOUGLAS ANDERSON, MICHAEL ERIC LLOYD, MICHAEL STEVEN GENDRON, MICHAEL THEODORE SHOSTAK, MICHAL WALCZAK, MICHELLE LALANDE, MONA ABRAHAM KIAME, MONIQUE BRUYERE, MORGAN ANDREW WATTS, NADINE KASPICK, NANCY ANN DUNPHY, NATASHA MARIE BUDY, NATHALIE LACROIX, NICHOLAS GUENETTE, NICQUES MWILAMBWE YUMBA, OLIVIA LOUISE JENKINSON, PABLO ROMAN DICONCA, PANAGIOTA STAPPAS, PASCAL JOSEPH RAPHAEL MUSACCHIO, PATRICK HILBORN, PATRICK T DAVIDSON, PAWEL JAN SZOPA, PEREZ HONG, PIERRE‑MARC COTÉ, RADOSLAW WERONSKI, RAELEEN GAY KERELIUK, RAIMONDI ROSEMARY AMALIA STEFANIA, REID HOWARD MILLER, RENÉE JOELLE THÉORET, RENEE LEEANN FLOURY, RIANON BROOKE BABINEAU, RICHARD KENNETH GABBEY, RICHARD MICHEL JOSEPH BARRETTE, ROBERT BRUCE COSMAN, ROBERT JOHANNES DUECK, ROBERT MANDIC, ROBERT WEIR ROBSON, ROBYN ELAINE MCKELVIE DUNN, ROLAND MICHAEL CHARBONNEAU, ROSEDORE GOTTFRIEDE KANITZ, ROXANNE MARIE JOHANNE EVE LANTHIER, ROXANNE ROBERTSON, RYAN LAWRENCE SCHIPPER, SABRINA MICHELLE CANTIN, SABRINA NICOLE FONTANA, SABRINE BARAKAT, SALINNA BRANDY LACHANCE, SALMA TMOULIK, SAMANTHA JOYCE CURTIS, SANDRA ANNE HALEY, SANDRA ELAINE WHITING, SARAH ABDULJABBAR ABDULLATIF ALDOSARY, SASA DANICIC, SCOTT FAST, SEAN MICHAEL RUSENSTROM, SÉBASTIEN PROST, SESHA RABIDEAU, SÉVERINE HUGUETTE PARNAUDEAU, SHELLEY HARVEY, SHELLY ANN THERIAULT, SHERIE DAWN CRAIK, SHRIKANT SHARMA, SISTINO PAOLO COLATOSTI, SONIA PARISIEN, STÉPHANE LEBLANC, STÉPHANE PARISIEN, STEPHANE ROBY JOSEPH DUBÉ, STEPHANIE CHARLENE MCCANN, STEPHEN HOWARD KELLY, STEVEN BOLDUC, STEVEN RACINE, SUZAN CHERIE MOTTL, SVETLANA SHACHKINA, SYLVIA VERISSIMO, SZABOLCS PALL, TAMMY LYNN MYER, TANIA MICHAUD, TANJA DANICIC, THERESA GELDART, TIMOTHY JOHN HIEBERT, TRISTAN GRAVEL, TYLER MARK ALEXANDER BORG, VÉRONIQUE SANTOS, WE SEONG LIM, WENDY DENNIS, YANNICK VEZINA et ZACHARY WILLIAM ANTHONY LINNICK

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont des employés du gouvernement du Canada et sont membres de l’administration publique centrale. Ils sollicitent une injonction interlocutoire suspendant la mise en œuvre de la « Politique sur la vaccination contre la COVID‑19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada » [la Politique sur la vaccination], publiée par le Conseil du trésor du Canada le 6 octobre 2021, et ce, jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur demande de contrôle judiciaire.

[2] Pour divers motifs, les demandeurs refusent de se faire vacciner contre la COVID‑19. Ils affirment que la Politique sur la vaccination porte atteinte aux droits que leur confèrent la common law et la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), d’une manière qui ne peut se justifier au regard de l’article premier.

[3] La Politique sur la vaccination exige que les demandeurs soient entièrement vaccinés contre la COVID‑19 et qu’ils divulguent leur statut vaccinal à leurs employeurs. Les demandeurs soutiennent qu’ils ont été ou seront placés en congé administratif sans solde, suivant l’article 7.1.2.2 de la Politique sur la vaccination, compte tenu du fait qu’ils n’avaient pas fourni leurs attestations à la date butoir.

[4] Ils reconnaissent que l’article 4.1.8.2 de la Politique sur la vaccination ouvre la porte à ce que le dépistage obligatoire de la COVID‑19 soit utilisé comme solution de rechange à la vaccination pour « les employés qui ne peuvent pas être entièrement vaccinés en raison d’une contre‑indication médicale certifiée, de la religion ou d’un autre motif de distinction illicite prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce qui peut également inclure les employés partiellement vaccinés ». Or, la Politique sur la vaccination ne permet pas aux employés qui ne souhaitent tout simplement pas se faire vacciner ou qui ne consentent pas à la divulgation de leur statut vaccinal à leur employeur de recourir à cette solution de rechange.

[5] Les relations entre employeur et employé au sein de la fonction publique fédérale sont régies par des conventions collectives et par la législation fédérale. Lorsque le législateur a mis en place un régime exhaustif de règlement des différends liés au travail, ce processus ne devrait pas être mis en péril par un recours systématique aux tribunaux. De ce fait, les tribunaux devraient généralement refuser d’exercer leur pouvoir discrétionnaire d’instruire des différends liés au travail, et ce, même lorsqu’ils ont compétence en la matière.

[6] Les demandeurs n’ont pas établi que la Cour devrait exercer tout pouvoir discrétionnaire résiduel qu’elle peut avoir de façon à suspendre la mise en œuvre de la Politique sur la vaccination à l’égard des membres de l’administration publique centrale, ou pour les demandeurs à titre individuel. Ils n’ont pas non plus démontré qu’ils subiraient un préjudice irréparable si leur demande d’injonction était rejetée. Celle‑ci doit donc être rejetée, car que les demandeurs n’ont pas satisfait au critère d’établir qu’il y a une question sérieuse à juger ou qu’un préjudice irréparable serait subi.

II. Contexte procédural

[7] Le 11 novembre 2021, les demandeurs ont intenté une action (dossier de la Cour no T‑1704‑21) dans laquelle ils sollicitent essentiellement les mêmes réparations que celles qu’ils réclament dans la présente demande, ainsi que des dommages‑intérêts pécuniaires. Ils demandent à la Cour de rendre une injonction provisoire et interlocutoire.

[8] Dans une ordonnance du 16 novembre 2021, la Cour a jugé qu’une injonction provisoire contre tout office fédéral ne peut être obtenue que par la présentation d’une demande de contrôle judiciaire et non par une action (Wojdan c Canada, 2021 CF 1244). La Cour a aussi conclu que la requête en injonction provisoire avait été présentée tardivement et qu’elle était probablement irrecevable en raison de l’article 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 [la LRTSPF]. La requête en injonction provisoire a donc été rejetée.

[9] Le 17 novembre 2021, les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire, de pair avec la requête en injonction interlocutoire suspendant la mise en oeuvre de la Politique sur la vaccination pour tous les membres de l’administration fédérale centrale jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue quant à la demande.

III. Question en litige

[10] La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la requête en injonction interlocutoire des demandeurs devrait être accueillie.

IV. Analyse

[11] L’injonction interlocutoire est une forme de réparation extraordinaire en equity. Le demandeur doit établir les trois éléments suivants : (i) il y a une question sérieuse à juger, (ii) le demandeur subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée, (iii) la prépondérance des inconvénients joue en faveur du demandeur (RJR‑MacDonald c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p 334). Le demandeur doit satisfaire à chacun des trois volets du critère.

A. La question sérieuse

[12] Le critère pour établir l’existence d’une question sérieuse à juger est généralement peu rigoureux. La question ne doit être ni frivole ni vexatoire. Cependant, lorsque le fait d’accorder l’injonction provisoire a essentiellement pour effet d’accorder la réparation sollicitée dans l’instance sous‑jacente, le critère est plus rigoureux. La Cour doit examiner attentivement le fond de l’affaire et conclure que le demandeur est susceptible d’avoir gain de cause (RJR‑MacDonald à la p 338; Monsanto c Canada (Santé), 2020 CF 1053 au para 56; voir également Spencer c Canada (Procureur général), 2021 CF 361 aux para 58‑59).

[13] Le défendeur fait valoir qu’aucune question sérieuse n’est soulevée en l’espèce, parce que les prétentions des demandeurs au regard de la Politique sur la vaccination sont irrecevables en application de l’article 236 de la LRTSPF. Cette loi établit un régime exhaustif et exclusif pour trancher les différends liés à l’emploi.

[14] Les demandeurs prétendent que la Politique sur la vaccination n’a pas comme objectif de régir les relations de travail, mais est plutôt intégrée à une initiative gouvernementale plus large visant à encourager la population canadienne à se faire vacciner. Ils n’ont produit aucun élément de preuve pour étayer leur prétention. La preuve soumise par le défendeur confirme que la Politique sur la vaccination vise à promouvoir la santé et la sécurité au sein de l’administration publique centrale et à faciliter la reprise des activités normales. En outre, il n’existe pas de question plus essentielle dans le domaine des relations du travail que celle de savoir si un employé est rémunéré ou pas.

[15] Les relations entre employeur et employé dans la fonction publique fédérale sont régies par des conventions collectives et par la législation fédérale. Dans l’arrêt Vaughan c Canada, [2005] 1 RCS 146 [Vaughan], la Cour suprême a déclaré que, lorsque le législateur a établi un régime exhaustif pour le règlement des différends en matière de relations de travail, ce régime ne devrait pas être mis en péril en permettant l’accès systématique aux tribunaux, et ces derniers devraient généralement refuser d’exercer leur pouvoir discrétionnaire d’instruire des différends liés à l’emploi, même lorsqu’ils ont compétence en la matière (Vaughan au para 39).

[16] Le paragraphe 236(1) dispose ce qui suit :

236 (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

236 (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

[17] Tous les employés au sens du paragraphe 206(1) de la LRTSPF ont le droit le présenter un grief, qu’ils soient syndiqués ou non. Le défendeur soutient que ce droit englobe la présente contestation de la Politique sur la vaccination, parce qu’elle concerne les « conditions d’emploi », au sens où cette expression est employée à l’article 208 de la LRTSPF :

208 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé:

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

208 (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved (a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

[18] Un employé a le droit de présenter un grief individuel pour tout motif prévu à l’article 208. Selon le défendeur, le consentement de l’agent négociateur est exigé seulement pour les griefs qui portent sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. Le droit de présenter un grief est [traduction] « très large » et [traduction] « la plupart des conflits de travail peuvent faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208 de la LRTSPF » (Bron v Canada (Attorney General), 2010 ONCA 71 [Bron] aux para 14‑15).

[19] Le défendeur fait observer que les ministères ont fait état d’environ 90 griefs présentés par des employés en lien avec la Politique sur la vaccination. Au moins un des demandeurs à la présente instance a formulé un grief sous le régime de la LRTSPF relativement à la Politique sur la vaccination, avec l’appui de son agent négociateur.

[20] Le droit de présenter un grief est limité pour les membres de la GRC en application de l’article 238.24 de la LRTSPF, mais ils sont néanmoins titulaires d’autres droits de présenter un grief et d’interjeter appel sous le régime de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 [la Loi sur la GRC]. Les membres réguliers, les membres du personnel civil et les membres gendarmes spéciaux possèdent un droit d’une large portée de formuler un grief aux termes de l’article 31 de la Loi sur la GRC. Un membre peut présenter un grief à son superviseur ou à un bureau centralisé responsable de l’administration de la procédure de règlements de griefs et de l’instruction des appels. Selon le défendeur, le seul demandeur présentement membre de la Gendarmerie royale du Canada a sollicité une mesure d’accommodement conformément à la Politique sur la vaccination et n’a pas été placé en congé administratif sans solde en attendant l’issue de sa demande.

[21] Le paragraphe 236(1) de la LRTSPF a été reconnu comme une [traduction] « exclusion explicite » de la compétence des tribunaux (Bron au para 4). Comme l’a conclu la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Bouchard c Procureur général du Canada, 2019 QCCA 2067, une fois qu’il est établi qu’une affaire doit faire l’objet d’un grief, la procédure de griefs ne peut être contournée, même pour des motifs d’efficacité, par le recours à la compétence résiduelle des tribunaux.

[22] Dans l’arrêt Vaughan, la Cour suprême du Canada a confirmé que les tribunaux devraient refuser d’exercer toute forme de compétence résiduelle d’intervenir dans les affaires liées à l’emploi, hormis dans des [traduction] « cas exceptionnels ». Dans l’arrêt Lebrasseur c Canada, 2007 CAF 330, la Cour d’appel fédérale a mentionné qu’une exception pourrait être invoquée si, selon la preuve déposée dans un cas donné, il y avait atteinte à l’intégrité de la procédure applicable aux griefs par. Il incombe au demandeur d’établir qu’il est opportun pour une cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel (aux para 18‑19).

[23] Avant qu’une cour n’intervienne dans un différend relatif à l’emploi, le pouvoir de réparation de l’arbitre doit être limité d’une façon qui engendre la « privation réelle du recours ultime » (Weber c Ontario Hydro, [1995] 2 RCS 929 [Weber] au para 57). En l’espèce, les recours ultimes sollicités par les demandeurs englobent l’annulation de la Politique sur la vaccination, un jugement déclarant que leurs droits prévus à la Charte ont été bafoués, la réintégration dans leur poste et le versement du salaire dont ils ont été privés.

[24] Le demandeur Pascal Musacchio sollicite dans un grief présenté à l’encontre du refus de son employeur d’accueillir sa demande de mesures d’adaption au sens de la Politique sur la vaccination la prise des mesures correctives suivantes :

[traduction]

a) que l’Employeur cesse toute pratique discriminatoire à mon égard;

b) que l’on m’accorde des mesures d’adaptation;

c) qu’aucune mesure discriminatoire directe ou indirecte ne soit prise à mon égard par l’Employeur;

d) que l’on me verse une indemnité équivalant au montant de toute rémunération ou tout avantage perdu en raison de(s) action(s), omission(s) ou décision(s) de mon Employeur;

e) que je sois indemnisé pour tout congé pris ou que j’aurai à prendre en lien avec les actions ou omissions de mon employeur;

f) que je sois traité équitablement et conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à tout autre politique, règlement, directive, loi, principe, pratique ou document applicables;

g) que l’on m’accorde les dommages‑intérêts, tels que fixés par la Comission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral ou par tout autre décideur(s), pour m’indemniser de toute(s) action(s), omission(s) ou acte(s) discriminatoire(s) de mon Employeur à mon égard;

h) que je sois indemnisé de tous frais et dépenses que j’ai engagés à la suite de(s) action(s), omission(s) ou décision(s) de mon Employeur;

i) que l’on me verse les intérêts;

j) que l’on prenne toute mesure corrective qui permettra de m’indemniser intégralement.

[25] Ces mesures sont toutes des réparations qui peuvent être accordées par un arbitre du travail ou, le cas échéant, par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral [la CRTESPF]. En outre, comme le montre une décision récente relative à la politique de vaccination obligatoire de Postes Canada, un arbitre de griefs peut, lorsque requis, examiner en urgence une demande de réparation par voie d’injonction interlocutoire (Re Application for Interlocutory Cease and Desist Order in Relation to CUPW Grievance No N00‑20‑0008, le 30 novembre 2021).

[26] Les questions relatives à la Charte soulevées par les demandeurs font intervenir des préoccupations de principes globales, mais elles n’en sont pas moins l’élément d’un conflit de travail. Elles relèvent donc de la compétence d’un arbitre du travail (Weber au para 60). De plus, les tribunaux d’origine législative peuvent se voir reconnaître la compétence d’accorder des mesures de réparation au titre du paragraphe 24(1) de la Charte, dans la mesure où elles ont compétence à l’égard des parties, et ont le pouvoir de prononcer les ordonnances demandées.

[27] Les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer qu’un arbitre du travail ou la CRTESPF ne serait pas en mesure de décider du caractère applicable de la Politique sur la vaccination à leur emploi. Si la Politique sur la vaccination est jugée invalide ou inapplicable à la situation personnelle des demandeurs, un arbitre du travail ou la CRTESPF pourra les réintégrer dans leur poste ou leur accorder une indemnité pour les salaires non versés, les préjudices subis ou tout autre manquement aux droits garantis par la Charte ou par une autre loi sur les droits de la personne.

[28] Les demandeurs soutiennent que la compétence exclusive d’un arbitre du travail est assujettie à la compétence judiciaire résiduelle d’accorder des réparations qui ne relèvent pas du pouvoir de réparation de cet arbitre, notamment les injonctions interlocutoires lorsqu’elles sont nécessaires pour garantir qu’il n’y a pas de « privation réelle du recours ultime » (Office régional de la santé du Nord c Horrocks, 2021 CSC 42 au para 23). Cependant, comme le juge Sean Dunphy de la Cour supérieure de l’Ontario a l’a déclaré au paragraphe 17 de la décision Blake v University Health Network, 2021 ONSC 7139 :

[traduction]

[…] lorsque la Cour dispose d’un pouvoir discrétionnaire, ce pouvoir doit toujours être exercé partout judicieusement. La compétence résiduelle en jeu n’est pas une sorte de cheval de Troie qui peut être appliquée pour miner la compétence exclusive de l’arbitre du travail ou la compétence exclusive d’un syndicat de représenter ses membres au cours de ce processus. Considéré comme il se doit, le pouvoir discrétionnaire résiduel doit être vu comme complémentaire aux principes fondamentaux propres aux relations du travail et non pas comme lui portant atteinte.

[29] Comme la juge Catherine Kane l’a conclu au paragraphe 64 de la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2020 CF 481, le pouvoir discrétionnaire résiduel peut être exercé uniquement si la question n’est manifestement pas susceptible d’être réglée par grief, et même alors, le pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément aux prescriptions de la jurisprudence, qui indiquent que la procédure de règlement des griefs constitue le premier recours (au para 65, citant Bron et Vaughan).

[30] Dans la décision Amalgamated Transit Union, Local 113 v Toronto Transit Commission, 2021 ONSC 7658 [TTC], une affaire qui présente une grande ressemblance avec l’espèce, la juge Jasmine Akbarali de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu, dans des circonstances similaires à celles de la présente affaire, que la compétence résiduelle des tribunaux n’est tout simplement pas en jeu (au para 59).

[31] Si la Cour devait exercer tout pouvoir discrétionnaire résiduel d’instruire et de trancher la requête en injonction interlocutoire des demandeurs (dans l’éventualité où elle dispose d’un tel pouvoir), cela aurait pour effet de miner le processus de règlements des griefs mis en place par le législateur. La Cour empêcherait les arbitres de s’acquitter de leur fonction principale lorsqu’ils sont saisis de questions se rapportant à l’application de la Politique sur la vaccination et à la mesure dans laquelle il est possible de prétendre qu’elle porte atteinte aux aux droits des employés, et pour rendre une décision à savoir si cette atteinte pourrait être justifiée pour des motifs de santé publique, et, dans la négative, si les demandeurs sont en droit de réclamer une indemnité pécuniaire ou d’une autre nature. Une intervention judiciaire prématurée ne servirait pas les principes fondamentaux des relations de travail, mais contribuerait plutôt à les miner.

B. Le préjudice irréparable

[32] À la lumière de ma conclusion selon laquelle la Cour ne devrait pas exercer tout pouvoir discrétionnaire résiduel qu’elle peut avoir d’intervenir dans le différend de relations de travail en l’espèce, il n’est pas strictement nécessaire d’examiner les volets restants du critère dégagé dans l’arrêt RJR‑MacDonald. Toutefois, comme la juge Akbarali l’a fait remarquer dans la décision TTC, [traduction] « il existe un chevauchement avec l’analyse de la question de la compétence, en particulier avec le second volet du critère pour la réparation par voie d’injonction provisoire, soit celui de savoir si le demandeur subira un préjudice irréparable qui ne pourra pas être indemnisé par l’octroi de dommages‑intérêts » (au para 37).

[33] En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le péril auquel ils sont confrontés par l’application de la Politique sur la vaccination transcende la menace portée à leur emploi et la rémunération non versée. Selon eux, [traduction] « la présente instance n’est pas tant une question de sauvegarde de leur emploi qu’elle est à propos de la sauvegarde de leur droit de refuser un traitement médical sans subir de représailles financières, de stigmatisation ou de l’isolement social ».

[34] Premièrement, comme la Cour suprême l’a fait observer dans l’arrêt Weber, la qualification juridique d’une demande importe peu. Ce qui importe est de savoir si les faits entourant le litige sont visés par la convention collective ou le régime de règlements des griefs (Weber au para 44). C’est manifestement le cas en l’espèce.

[35] Deuxièmement, comme la juge Akbarali l’a expliqué dans la décision TTC, les demandeurs ont mal cerné le préjudice en cause. Le préjudice que les demandeurs pourraient subir est celui d’être placés en congé administratif sans solde ou d’être congédiés s’ils décident de demeurer non vaccinés. Ils ne sont pas forcés d’être vaccinés, ils sont plutôt forcés de choisir entre se faire vacciner et continuer de recevoir une rémunération d’un côté, ou alors ne pas se faire vacciner et cesser de recevoir une rémunération de l’autre (TTC au para 50, citant Lachance et al c Procureur général du Québec, le 15 novembre 2021, dossier de Cour no 500‑17‑118565‑210 au para 144 [Lachance]). Autrement dit, une obligation vaccinale ne cause pas de préjudice irréparable, parce qu’elle ne contraint pas un individu à se faire vacciner.

[36] La juge Akbarali a tenu les propos suivants aux paragraphes 52‑53 de la décision TTC :

[traduction]

Puisque j’ai jugé que le préjudice en l’espèce n’est pas les violations alléguées au principe du consentement éclairé, à l’intégrité physique ou à la probabilité raisonnable de subir un préjudice corporel à la suite d’une vaccination forcée, la preuve d’expert produite par les parties sur le caractère sécuritaire des vaccins n’est pas pertinente. Par conséquent, je n’ai pas besoin de l’examiner ou de décider si les experts doivent être désignés comme tels par le tribunal. Personne n’est forcé de se faire vacciner.

Abstraction faite du stress, tant émotionnel que financier, suscité par la perte d’un emploi, il est de droit constant que la perte d’un emploi est un préjudice réparable, voir par exemple Lachance. Le juge Marroco a tiré la même conclusion dans la décision Amalgamated Transit Union, Local 113 v Toronto Transit Commission, 2017 ONSC 2078, au para 79 (qui concerne les tests inopinés de drogue et d’alcool).

[37] Enfin, comme le juge Nicholas McHaffie a déclaré au paragraphe 7 de la décision Lavergne‑Poitras c Canada (Procureur général), 2021 CF 1232 [Lavergne‑Poitras], la perte d’un emploi, bien qu’il s’agisse d’une conséquence sérieuse et non négligeable, peut être compensée par des dommages‑intérêts.

[38] Les demandeurs n’ont donc pas démontré qu’ils subiraient un préjudice irréparable si une injonction n’est pas accordée.

V. Conclusion

[39] Les demandeurs n’ont pas démontré que la Cour devrait exercer tout pouvoir discrétionnaire résiduel qu’elle peut avoir de suspendre la mise en œuvre de la Politique sur la vaccination pour tous les membres de l’administration publique centrale. Ils n’ont pas non plus démontré qu’ils subiront un préjudice irréparable si une injonction n’est pas accordée. Par conséquent, la requête doit donc être rejetée au motif que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une question sérieuse à juger ou un préjudice irréparable, et n’ont donc pas satisfait au critère en ce sens.

[40] À titre subsidiaire, les demandeurs demandent à la Cour de suspendre la mise en œuvre de la Politique sur la vaccination à leur égard, en attendant l’épuisement des recours disponibles par la procédure de règlement des griefs. Cependant, le fait que les demandeurs ne soient pas parvenus à démontrer l’existence d’une question sérieuse ou d’un préjudice irréparable exclut l’octroi d’une réparation par voie d’injonction, que ce soit pour eux à titre individuel ou à titre de représentants de l’administration publique centrale (Lavergne‑Poitras au para 101). Le recours subsidiaire doit aussi être rejeté.

[41] Le défendeur ne sollicite pas d’adjudication des dépens de la présente requête, sous réserve de son droit de solliciter l’adjudication des dépens dans la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire ou dans l’action connexe si l’une de ces instances est instruite.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête d’injonction interlocutoire des demandeurs est rejetée, sans frais.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1765‑21

 

INTITULÉ :

ADAM WOJDAN ET AL. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE WESTMOUNT ET MONTRÉAL (QUÉBEC), ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 NOVEMBRE 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Michael N. Bergman

Dan Romano

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sharlene Telles‑Langdon

Claude Joyal

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bergman & Associates

Westmount (Québec)

Kalman Samuels s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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