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Date : 20211126

Dossier : T-1624-19

Référence : 2021 CF 1312

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

JEREMY KING

demandeur

et

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE INC. (FITN) et SA MAJESTÉ LA REINE (CANADA)

 

défenderesses

et

SERVICE ADMINISTRATIF DES TRIBUNAUX JUDICIAIRES

défendeur/

requérant

 

ORDONNANCE MODIFIÉE ET MOTIFS


[1] Par ordonnance du juge en chef datée du 24 février 2021, M. Jeremy King a été enjoint à comparaître devant un juge de la Cour pour faire valoir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être déclaré coupable d’outrage au tribunal [l’audience de justification]. L’audience de justification s’est tenue par vidéoconférence sur la plateforme Zoom le 23 septembre 2021, après signification d’un avis à toutes les parties, y compris à M. King.

[2] M. King a décidé de ne pas comparaître à l’audience de justification et n’était pas représenté par un avocat. Le fait qu’il n’ait pas comparu n’empêche pas l’instruction de l’affaire : voir, p. ex., Canada (Revenu national) c Cha, 2007 CF 917.

[3] Les avocats des parties nommées dans l’action principale (la Fédération des Indiens de Terre‑Neuve Inc. [la FITN] et Sa Majesté la Reine) étaient présents à l’audience de justification, mais ils n’y ont pas participé et ne se sont pas prononcés sur la question dont la Cour est saisie. L’audience de justification a été dirigée par l’avocat du Service administratif des tribunaux judiciaires [le SATJ], à qui la Cour avait accordé la qualité pour agir à cette seule fin dans une ordonnance datée du 14 juillet 2021.

[4] Par suite des interactions de M. King avec le personnel du greffe de la Cour, le juge en chef a rendu une ordonnance le 18 décembre 2020 enjoignant à M. King de respecter certains protocoles dans ses interactions avec la Cour et le personnel du greffe. Plus précisément, l’ordonnance du 18 décembre 2020 prévoyait ce qui suit :

[traduction]

LA COUR ORDONNE :

1. Le demandeur, M. Jeremy King, doit cesser et s’abstenir de communiquer verbalement avec la Cour et le personnel du greffe.

2. Sous réserve d’une autre directive ou ordonnance de la part du juge responsable de la gestion de la présente instance, M. King ne doit communiquer que par écrit avec le personnel du greffe et la Cour.

3. Dans ses communications écrites avec la Cour et le personnel du greffe, il est interdit à M. King d’utiliser un langage injurieux.

4. Un manquement à la présente ordonnance peut donner lieu à une accusation d’outrage au tribunal. Selon l’article 472 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

c) qu’elle paie une amende;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

5. La présente ordonnance entre en vigueur immédiatement.

[5] Comme M. King a reproduit son comportement dans ses interactions avec la Cour et le personnel du greffe, le juge en chef a rendu une ordonnance datée du 24 février 2021 [l’ordonnance de justification] dans laquelle il a déclaré être [traduction] « d’avis qu’il existe une preuve prima facie démontrant que M. King viole délibérément l’ordonnance du 18 décembre et qu’il convient de rendre une ordonnance de justification conformément à l’article 467 ». Le paragraphe 2 de l’ordonnance de justification expose les actes précis que M. King aurait posés :

[traduction]

Le demandeur est accusé d’avoir manqué à l’ordonnance du 18 décembre :

a) en persistant à communiquer verbalement avec la Cour et le personnel du greffe, notamment en appelant le personnel du greffe à de nombreuses reprises, soit les 8 janvier 2021, 11 janvier 2021, 18 janvier 2021, 27 janvier 2021, 2 février 2021, 11 février 2021 et 15 février 2021;

b) en refusant ou par ailleurs en omettant de communiquer avec le personnel du greffe et la Cour uniquement par écrit;

c) en utilisant un langage injurieux, insultant, blasphématoire ou autrement offensant dans ses courriels au personnel du greffe les 13 janvier 2021 et 15 février 2021.

[6] Le SATJ a appelé à comparaître 7 membres du personnel du greffe de la Cour, qui ont témoigné de vive voix concernant leurs interactions avec M. King. Par l’entremise de ces témoins, le SATJ a également déposé 13 documents, dont 11 courriels détaillant les interactions avec M. King. Conformément à mon ordonnance datée du 15 juin 2021, le SATJ a signifié à M. King un sommaire des dépositions de ces témoins ainsi que des copies des 13 documents produits en preuve. Ce qui suit résume cette preuve.

[7] Mme Natasha Brant est une fonctionnaire du greffe employée par le SATJ. Elle a témoigné que, le 11 janvier 2021, elle s’occupait de la réception et que, en raison de la pandémie de COVID-19, les appels au greffe étaient transférés à son cellulaire de bureau. Elle a dit que, vers 14 h 53, elle avait reçu un appel d’un inconnu (nom et numéro de l’appelant non affichés). M. King s’est identifié comme étant l’appelant. Il [traduction] « s’est nommé et a dit qu’il voulait que son dossier avance et que ses droits étaient violés ».

[8] Mme Brant était au courant de l’ordonnance du 18 décembre 2020 et a rappelé à M. King qu’il ne devait pas appeler le greffe ni parler à son personnel. Lorsqu’on lui a demandé quelle avait été sa réponse, Mme Brant a déclaré ce qui suit : [traduction] « Il a utilisé un langage blasphématoire, injurieux, agressif et juste, vous savez, des mots dégradants et s’est plaint de cette affaire. » Elle a ajouté qu’il a dit qu’il trouverait des manières d’être entendu et qu’il continuerait de communiquer avec la Cour et de trouver des manières d’être entendu. Après avoir raccroché la ligne au nez de M. King, Mme Brant a reçu à peu près 8 appels d’un numéro inconnu entre 14 h 53 et 15 h 6, environ.

[9] Mme Brant a envoyé le courriel suivant à Mmes Judy Charles et Catherine Doré du greffe le 11 janvier 2021, à 15 h 3 :

[traduction]

M. King a encore appelé aujourd’hui avec un numéro inconnu et/ou sans que son nom s’affiche. Au téléphone, j’ai mentionné l’ordonnance rendue par le juge en chef. Il a dit (de façon agressive) que, de toute façon, il allait continuer d’appeler et de trouver des manières de communiquer avec nous, puisque ses droits étaient violés, et que je ne devais rien dire, car je ne sais pas de quoi je parle. Après, j’ai simplement raccroché, et il continue maintenant d’appeler la réception.

[10] Lorsqu’on lui a demandé de décrire davantage le comportement de M. King, elle a dit qu’il était [traduction] « très impulsif et irrespectueux, en ce sens qu’il utilise un langage blasphématoire et qu’il est dégradant à l’égard du greffe et de la Cour ». Elle a dit qu’il [traduction] « jurait aussi beaucoup tout au long de l’appel et criait ».

[11] Mme Brant s’est encore une fois occupée de la réception du greffe le 11 février 2021 et a eu une autre interaction avec M. King. Il lui a encore donné son nom et son numéro de dossier. Elle lui a une fois de plus rappelé l’ordonnance du 18 décembre 2020. Comme la dernière fois, il lui a dit [traduction] « qu’il continuerait quand même d’appeler et qu’il souhaite être entendu dans cette affaire ». Ce jour-là encore, Mme Brant a consigné l’appel dans un courriel envoyé à Mme Judy Charles.

[12] M. Marc Medas, fonctionnaire du greffe à la Section des actions, a témoigné. C’est lui qui a envoyé par courriel l’ordonnance du 18 décembre 2020 à M. King à l’adresse courriel qui figurait au dossier de la présente action. Bien que M. King n’ait pas accusé réception du message, il n’y avait pas eu d’avis de « non-livraison » laissant croire que le message n’avait pas été reçu, et M. King a par la suite communiqué avec le greffe en utilisant cette adresse courriel.

[13] Mme Jean Lee, fonctionnaire du greffe au SATJ, a été la prochaine à témoigner. Elle a déclaré que le 8 janvier 2021, à 14 h 42, elle a envoyé à M. King une directive donnée par la protonotaire Molgat. Elle a témoigné que, dans les 15 minutes suivant l’envoi, [traduction] « M. King [l’avait] appelée avec son numéro de téléphone commençant par l’indicatif 519 ». Elle a reconnu le numéro et n’a pas répondu. Elle a dit que M. King a ensuite appelé en utilisant un numéro bloqué. Elle a répondu, et ils se sont parlé pendant une dizaine de minutes. Elle a déclaré que M. King était [traduction] « agité » et [traduction] « fâché » et qu’il [traduction] « blasphémait ». Il a notamment traité l’une de ses superviseurs de [traduction] « maudite salope ». Mme Lee l’a informé qu’elle devait mettre fin à l’appel et, tout de suite après, chaque minute pendant environ six minutes, elle a reçu des appels d’un numéro bloqué. Elle n’a répondu à aucun de ces appels.

[14] Mme Lee a indiqué que, chaque fois qu’elle a eu une communication verbale avec M. King, elle lui a mentionné l’ordonnance du 18 décembre 2020, et qu’elle lui a envoyé un courriel de rappel le 8 janvier 2021 à 15 h 14 : [TRADUCTION] « nous vous prions de communiquer avec le personnel du greffe et la Cour uniquement par écrit ». Il a répondu en envoyant le courriel suivant (tous les courriels de M. King sont reproduits textuellement) :

[traduction]

Non, j’ai communiqué en vertu de mes droits issus de traités et de mes droits constitutionnels. La cour n’a pas respecté ses propres principes et est complice des défendeurs, ce qui les rend coupables d’inconduite judiciaire comme il est indiqué dans les questions constitutionnelles énoncées au meilleur de mes capacités.

SI vous voulez m’accuser d’outrage au tribunal, vous n’avez pas la capacité de le faire, car je n’agis actuellement qu’en vertu des traités que ce gouvernement ne reconnaît pas et, par nature, je suis sur un territoire non cédé et je ne suis pas gouverné par le Canada

Cependant, je

Demande une rencontre d’urgence en personne dans cette affaire devant la cour fédérale pour qu’en vertu des questions constitutionnelles et de mes droits issus des traités autochtones au Canada qui ont été ignorés et violés, un représentant juridique me soit assigné, compte tenu de ces violations des traités qui visent à protéger les droits des Mi’kmaq.

[15] Le 13 janvier 2021, en réponse au courriel du 8 janvier 2021, M. King a également envoyé le courriel suivant à plusieurs membres du personnel du SATJ en mettant en pièce jointe la directive de la protonotaire Molgat :

[traduction]

Encore une fois, cette requête a été déposée et et les défendeurs ont présenté une preuve de signification et une confirmation. Revenez sur terre, arrêtez de défendre les défendeurs et faites votre travail et restez objectifs et remplissez la paperasse et présentez à nouveau tous les documents déposés depuis le début, y compris la requête en injonction, la requête en contrôle judiciaire, la requête en formulation de questions constitutionnelles et les plaintes d’inconduite judiciaire à l’encontre de ce greffe et d’abus de confiance pour entrave à une cause fédérale, ce qui n’a pas été reconnu jusqu’à présent. J’appellerai pour confirmer ce courriel.

[16] Encore une fois, Mme Lee lui a envoyé un courriel pour lui rappeler l’ordonnance du 18 décembre 2020. Il a répondu ainsi :

[traduction]

Cette ordonnance est invalide et viole les traités autochtones et les droits constitutionnels du demandeur. Elle fait également l’objet d’un appel et est invalide.

Rien n’indique que l’ordonnance a fait l’objet d’un appel.

[17] Le 13 janvier 2021, M. King a envoyé le courriel suivant au personnel du SATJ :

[traduction]

Notez également d’inclure l’affaire antérieure devant la cour supérieure ainsi que les plaintes relatives aux droits de la personne qui ont été déposées et consignées

Il n’existe aucun document faisant état des affaires auxquelles il fait référence.

[18] Le dernier courriel de cette série envoyé par M. King est daté du 27 janvier 2021, dans lequel il écrit ce qui suit :

[traduction]

Encore une fois, la cour fédérale ne dit rien à propos de documents déposés à nouveau et, encore une fois, il y a des représailles de la part de ce gouvernement et de ses forces policières. C’est une bonne chose qu’une injonction ait été déposée qui n’est pas respectée depuis plus d’un an.

Je demande une médiation immédiate de la part des tribunaux et une véritable réponse à la question de savoir pourquoi un avocat ne peut m’être assigné au titre d’une demande de type Rowbotham compte tenu de l’ampleur des représailles commises par les défendeurs pour empêcher le demandeur d’intenter des poursuites.

[19] Mme Lee a déclaré qu’elle avait reçu un appel de M. King le 1er février 2021 en provenance de son numéro de téléphone commençant par l’indicatif 519. Elle n’a pas répondu. Elle a également reçu un appel le 2 février 2021 et le 15 février 2021 d’un inconnu, qu’elle croyait être M. King. Elle n’a pas répondu à ces appels.

[20] Mme Lee a témoigné concernant un autre échange de courriels avec M. King le 15 février 2021. L’échange semble avoir commencé lorsque l’avocat du gouvernement du Canada a envoyé une lettre à la Cour concernant certains aspects du litige et qu’il a mis M. King en copie conforme. M. King a répondu ainsi en mettant la Cour en copie conforme :

[traduction]

Concernant votre pièce jointe et vos engagements antérieurs. Cette cour, ce personnel et ce juge déshonorants n’ont pas reconnu les documents qui ont été envoyés auparavant, y compris la requête en contrôle judiciaire, la requête en formulation de questions constitutionnelles, la requête en injonction à l’encontre des défendeurs, la demande de type Rowbotham pour le demandeur, et ont commis eux-mêmes une inconduite judiciaire pour les défendeurs en violant leurs propres principes et règles. J’ai demandé à de nombreuses reprises que ces questions soient réglées par les tribunaux, qui ne sont pas prêts à le faire et à agir de façon objective dans un litige où leur employeur, le « gouvernement du Canada », est le défendeur. De nombreuses plaintes ont chaque fois été déposées auprès des groupes de défense des droits, des médias et des tribunaux. Encore une fois, je demande aux tribunaux d’organiser une rencontre en personne à la cour fédérale à Toronto pour régler ces questions.

[21] Mme Lee a répondu en demandant à M. King de [traduction] « bien vouloir fournir ses renseignements sous la forme d’une lettre de manière à ce qu’elle soit ajoutée au dossier de la Cour » et en l’informant que, une fois ajoutée, elle serait déposée auprès de la Cour. Cette réponse a donné lieu au courriel suivant de la part de M. King :

[traduction]

Cela a été fait à de multiples reprises, mais cette cour et son personnel ont intentionnellement mal déposé mes documents afin d’aider les défendeurs dans cette affaire. J’ai aussi souvent essayé que les tribunaux organisent une rencontre avec moi et les défendeurs pour régler ces questions, mais malheureusement toutes les communications des tribunaux ont été coupées. J’ai également déposé des plaintes concernant le fait que les traités ne sont pas respectés en raison de l’interférence ou de l’inconduite judiciaire de la Cour dans cette affaire. Un jour, bientôt, cette cour regrettera de ne pas avoir fait ce qu’il fallait et de ne pas s’être mêlée de cette affaire. Cela reviendra hanter vous et le Canada. Le demandeur a été victime de ces politiques racistes et de discrimination. ALORS, SVP, faites votre maudit travail.

[22] Lorsqu’on lui a dit de ne pas oublier l’ordonnance du 18 décembre 2020, M. King a répondu ce qui suit :

[traduction]

N’oubliez pas que cette ordonnance est de nature discriminatoire et qu’elle ne respecte pas les traités qui ont été signés par les défendeurs et qui NE SONT PAS HONORÉS. Au lieu d’examiner cette affaire comme elle aurait dû le faire, la cour fédérale commet encore une inconduite judiciaire, viole la loi. Les plaintes sont toujours là, tout comme les questions constitutionnelles qui restent sans réponse. Faites votre maudit travail, transférez ceci à la cour et arrêtez d’entraver une cause de la cour fédérale.

[23] Mme Lee a témoigné que ses interactions avec M. King l’avaient rendue [traduction] « très mal à l’aise et qu’il [lui avait] fait craindre pour [s]a sécurité ».

[24] Le prochain témoin était Mme Annette Houle, fonctionnaire principale du greffe, responsable de la Section de la LIR et de la Section de la gestion des instances du greffe. Elle a décrit son interaction avec M. King, qui a eu lieu le 18 janvier 2021 alors qu’elle s’occupait de la ligne de la réception du greffe.

[25] Elle se rappelle avoir reçu un appel de M. King en provenance de son numéro de téléphone commençant par l’indicatif 519 et qu’il a dit qu’il avait interjeté appel de l’ordonnance du 18 décembre 2020 et qu’il voulait que sa demande de contrôle judiciaire soit instruite. Elle lui a rappelé le contenu de l’ordonnance et lui a dit qu’il ne devait communiquer avec le greffe que par écrit. Il lui a répondu que [traduction] « nos lois ne s’appliquent pas à lui » et que la Cour n’a pas compétence à son égard. Mme Houle a dit qu’elle avait mis fin à l’appel après qu’il avait commencé à être [traduction] « méchant », [traduction] « à utiliser un langage blasphématoire » et à faire des [traduction] « allusions à madame [la protonotaire] Molgat qui n’étaient pas très polies ou appropriées ». Après avoir mis fin à l’appel, Mme Houle a reçu un appel d’un numéro bloqué qui venait, selon elle, de lui et n’y a pas répondu.

[26] Mme Houle a eu une deuxième interaction avec M. King le 27 janvier 2021. Elle a de nouveau reçu un appel de son numéro de téléphone commençant par l’indicatif 519, mais, le reconnaissant, elle n’a pas répondu à l’appel. Elle a ensuite reçu un ou deux appels d’un numéro bloqué, auxquels elle n’a pas répondu.

[27] M. King a appelé deux fois le 2 février 2021. Il s’est tout d’abord identifié et a donné son numéro de dossier. Lorsqu’on lui a rappelé l’ordonnance du 18 décembre 2020, il a répondu ce qui suit : [traduction] « Accusez-moi d’outrage au tribunal. » Elle a décrit M. King comme étant grossier. Elle a dit qu’il jurait, [traduction] « puis [qu’]il disait “Oh, je suis désolé de jurer, mais je suis comme ça.” »

[28] Mme Houle a consigné ces conversations par écrit, et ses notes ont été produites en preuve.

[29] M. Jonathan Macena a ensuite témoigné. Il est fonctionnaire du greffe à la Section des actions. Il a eu une interaction avec M. King le 15 février 2021. M. Macena s’occupait de la réception, avec Mme Brant. Il a répondu à un appel de M. King. Il a déclaré que M. King voulait parler au juge en chef pour lui faire part de la manière dont les Autochtones étaient traités. M. Macena a décrit ainsi la nature de cet appel :

[traduction]

Il était très en colère et disait beaucoup de grossièretés. Il a traité ma superviseure de « maudite salope » et a menacé le greffe en disant qu’il allait barrer l’immeuble avec des chaînes et venir nous faire mal en personne.

[30] Après l’appel, M. Macena a écrit un courriel au greffe dans lequel il a écrit que M. King avait appelé, que l’appel avait été désagréable et que M. King avait menacé les employés de la Cour fédérale.

[31] Le prochain témoin était Mme Judy Charles. Elle est directrice des Procédures générales au greffe de la Cour fédérale. Elle a eu une interaction avec M. King le 8 janvier 2021. Après avoir été informée que M. King appelait le greffe et qu’il demandait à parler à un superviseur, elle lui a écrit pour lui rappeler l’ordonnance du 18 décembre 2020 et lui demander de lui soumettre ses préoccupations par courriel. M. King a répondu ainsi :

[traduction]

L’ordonnance supposément rendue viole les traités des peuples autochtones. De plus, des requêtes en formulation de questions constitutionnelles ont été ignorées et des plaintes d’inconduite judiciaire visant la protonotaire et vous ont été ignorées. Cette cour est coupable de discrimination et d’inconduite judiciaire. D’ici à ce que mes droits et les traités signés avec les Mi’kmaq soient respectés et qu’un représentant juridique me soit assigné pour pouvoir contester adéquatement l’ordonnance à laquelle vous faites référence, cette ordonnance n’a aucun mérite, peu importe qui l’a signée. Si vous ne partagez pas cet avis, demandez à la police de m’accuser d’outrage au tribunal pour avoir défendu ces droits.

Sans avoir à la présenter à nouveau physiquement, j’exige que toute la documentation au dossier soit soumise à nouveau au juge en chef Crampton et/ou à la Cour suprême et qu’une rencontre d’urgence soit tenue à la Cour fédérale à Toronto. J’interjette aussi appel verbalement de cette soi-disant ordonnance qui est de nature discriminatoire, étant donné que le demandeur a lui-même demandé un contrôle judiciaire et a formulé des questions constitutionnelles qui doivent être instruites et recevoir une réponse avec la représentation juridique prévue par mes droits au Canada. Si cela n’est pas fait, alors je n’ai aucun droit au Canada, et la cour considérerait les traités autochtones invalides et nuls.

[32] Le dernier témoin était Mme Nathalie Lemieux, commis générale aux services de soutien pour la Section des procédures générales du greffe. Elle a reçu un appel de M. King le 14 juillet 2021. Il a demandé à parler avec quelqu’un du greffe. Elle lui a dit qu’en raison des restrictions liées à la COVID-19, ce n’était pas possible et qu’elle prendrait son nom et son numéro en note. Il a insisté pour parler tout de suite à quelqu’un. Mme Lemieux a déclaré que, après qu’elle lui a dit que ce n’était pas possible, il a commencé à se fâcher, puis a dit ce qui suit :

[traduction]

Je ne suis pas loin du bureau de Toronto. Si je ne reçois pas un appel d’ici 15 h 30 – 16 h, alors je m’y rendrai et ils, puis je leur ferai savoir que je suis là.

[33] Inquiète pour la sécurité du personnel du bureau de Toronto, Mme Lemieux a produit un rapport pour les services de sécurité du SATJ :

[traduction]

À environ 13 h 50, j’ai reçu un appel de M. Jeremy King. Il voulait parler à quelqu’un du greffe, mais je lui ai dit que je prendrais son nom et son numéro de téléphone en note. Il a commencé à se fâcher, il voulait savoir ce qui se passait avec son dossier et il a dit que personne ne voulait lui parler. Il a dit qu’il était tanné de la situation. Il a dit que s’il ne parlait pas à quelqu’un, il n’était pas loin du bureau de Toronto et qu’il s’y rendrait vers 15 h 30 – 16 h et que nous pouvions être certains que nous entendrions parler de lui! Il semble s’agir d’une menace, et je crains pour la sécurité du bureau de Toronto.

[34] Le droit en matière d’outrage au tribunal est régi par les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], et la common law.

[35] Aux termes de l’alinéa 466b) des Règles, sous réserve de la tenue d’une audience de justification, « est coupable d’outrage au tribunal quiconque […] désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour ». L’article 469 des Règles prévoit que la déclaration de culpabilité dans le cas d’outrage au tribunal « est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable ».

[36] Aux paragraphes 21 à 25 de la décision Association canadienne de normalisation c P.S. Knight Co. Ltd., 2021 CF 770, la juge Pallotta a récemment énoncé les principes applicables à un outrage civil :

[21] Pour conclure à l’existence d’un outrage civil, trois éléments doivent être établis : l’ordonnance dont on allègue la violation doit formuler de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait; la partie à qui on reproche d’avoir violé l’ordonnance doit avoir été réellement au courant de son existence, et la personne qui aurait commis la violation doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige : Carey c Laiken, 2015 CSC 17 aux para 33-35 [Carey].

[22] Il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne à qui l’outrage au tribunal est reproché avait l’intention, en agissant comme elle l’a fait, « d’entraver la bonne administration de la justice ou de porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour ». Il suffit de conclure que l’ordonnance était « claire et que l’auteur de l’outrage au tribunal a commis l’acte interdit en connaissance de cause » : Apotex Inc c Merck & Co Inc, 2003 CAF 234 au para 60.

[23] L’outrage au tribunal est de nature criminelle ou quasi criminelle. Par conséquent, les éléments constitutifs de l’outrage doivent être établis selon la norme de preuve criminelle, soit la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable : art 469 des Règles des CF [italiques ajoutés]. La personne à qui l’outrage au tribunal est reproché bénéficie de la présomption d’innocence, et le fardeau de prouver l’outrage au tribunal incombe à l’accusateur et ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé : R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320 au para 36 [Lifchus]; Sweda Farms Ltd v Ontario Egg Producers, 2011 ONSC 3650 aux para 24-25 [Sweda Farms] (conf par 2012 ONCA 337).

[24] L’approche à l’égard des conclusions sur la crédibilité de la preuve contestée, en ce qui a trait aux éléments constitutifs de l’outrage au tribunal et à tout moyen de défense soulevé, exige que je prononce l’acquittement si je crois la preuve disculpatoire des parties accusées, si je ne crois pas la preuve disculpatoire mais que j’ai un doute raisonnable quant à la véracité de l’affaire, ou si la preuve que j’accepte ne me convainc pas, hors de tout doute raisonnable, que les parties accusées sont coupables d’outrage : Sweda Farms, au para 25. Un doute raisonnable doit reposer sur la raison et le bon sens et doit avoir un lien logique avec la preuve ou l’absence de preuve. Il n’exige pas une preuve correspondant à la certitude absolue : Lifchus, au para 36. La personne à qui l’outrage au tribunal est reproché n’est pas obligée de témoigner [traduction] « mais, [si elle] choisit de témoigner, son témoignage est soumis à un examen approfondi, et le tribunal peut en tirer des conclusions défavorables » : Sweda Farms, au para 24.

[25] Les pouvoirs de la Cour en matière d’outrage sont discrétionnaires et ne doivent être exercés qu’à titre de mesure de dernier recours et que lorsqu’il est nécessaire de protéger l’administration de la justice : Carey, au para 36; Morasse c Nadeau‑Dubois, 2016 CSC 44 au para 21.

[37] En appliquant ces principes à l’affaire dont je suis saisi, je conclus tout d’abord que l’ordonnance du 18 décembre 2020 dont on allègue la violation formule de manière claire et non équivoque ce que M. King devait et ne devait pas faire. Je conclus également qu’il était au courant de l’existence de l’ordonnance du 18 décembre 2020. Elle lui a été envoyée au moment où elle a été rendue et plusieurs fois par la suite. De plus, ses conditions lui ont été communiquées oralement au cours des nombreuses conversations qu’il a eues avec le personnel du greffe, ainsi que dans des courriels de suivi. Il a également reconnu qu’il connaissait ses conditions, ne serait-ce que pour contester leur application à son égard en tant qu’Autochtone.

[38] Enfin, selon la preuve non contestée, je conclus que M. King a intentionnellement agi de façon contraire à l’ordonnance du 18 décembre 2020. Plus précisément, je conclus que, contrairement à l’ordonnance du 18 décembre 2020 :

  • a) M. King a communiqué verbalement avec la Cour et le personnel du greffe à de nombreuses reprises, notamment les 8 janvier 2021, 11 janvier 2021, 18 janvier 2021, 27 janvier 2021, 2 février 2021, 11 février 2021 et 15 février 2021;

  • b) M. King a refusé ou a par ailleurs omis de communiquer avec la Cour et le personnel du greffe uniquement par écrit;

  • c) M. King a utilisé un langage injurieux, insultant, blasphématoire ou autrement offensant dans ses communications écrites à la Cour et au personnel du greffe les 13 janvier 2021 et 15 février 2021.

[39] Pour ces motifs, compte tenu de la preuve présentée, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que M. Jeremy King est coupable d’outrage au tribunal. Je demeure compétent pour déterminer la peine de M. King. Les parties auront la possibilité de présenter des observations concernant la peine qu’il convient d’infliger. La question des dépens sera tranchée à l’audience de détermination de la peine.

[40] Les présents motifs et la présente ordonnance seront signifiés aux parties par courriel, et une copie sera envoyée aux adresses figurant au dossier de la Cour.

[41] La présente affaire sera renvoyée au bureau de l’administrateur judiciaire pour que soit fixée la date de l’audience de détermination de la peine sur la plateforme Zoom.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1624-19

LA COUR, ayant conclu que M. Jeremy King est coupable d’outrage au tribunal, ORDONNE :

  1. La présente affaire est renvoyée au bureau de l’administrateur judiciaire pour que soit fixée la date de l’audience de détermination de la peine, qui se tiendra sur la plateforme Zoom. Lors de cette audience, les parties pourront présenter des observations concernant la peine qu’il convient d’infliger. Une autre ordonnance sera rendue après l’audience de détermination de la peine pour confirmer la conclusion que M. Jeremy King est coupable d’outrage au tribunal.

  2. La signification de la présente ordonnance se fera conformément au paragraphe 40 des motifs de la présente ordonnance;

  3. Des observations pourront être présentées au sujet des dépens à l’audience de détermination de la peine.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1624-19

 

INTITULÉ :

JEREMY KING c FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE-NEUVE INC. (FITN) ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SEPTEMBRE 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Aucune comparution

 

demandeur

Roger Horst

 

POUR LA DÉFENDERESSE (FITN)

Gail Soonarane

Christopher Rupar

 

POUR LA DÉFENDERESSE (SMLR – CANADA)

Mannu Chowdhury

 

POUR LE DÉFENDEUR/REQUÉRANT (SATJ)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

- Aucun -

 

LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE

Blaney McMurtry

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE (FITN)

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

POUR LA DÉFENDERESSE

(SMLR – CANADA)

 

Borden Ladner Gervais

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR/REQUÉRANT

(SATJ)

 

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