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Date : 20040204

Dossier : T-317-03

Référence : 2004 CF 155

Entre :

ANDRÉLE CORRE

Demandeur

Et :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DES

RESSOURCES HUMAINES DU CANADA

Défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN


[1]                                       La Cour est saisie d'une requête pour exercer un recours collectif, en vertu de la Règle 299.18(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), à l'encontre des défendeurs fondé sur l'omission de ces derniers d'utiliser des renseignements fiscaux en possession de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) pour informer des personnes âgées potentiellement admissibles au Supplément de revenu garanti (le "Supplément") des conditions d'admissibilité de cette prestation, omission qui constituerait une violation de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la "Charte").

[2]                         Le Ministère du développement des ressources humaines (le "Ministère") est responsable de l'administration de la Loi sur la sécuritéde la vieillesse (L.R.C. 1985, ch. O-9) (la "Loi") et des programmes de la sécurité du revenu qui y sont prévus. Les dispositions de cette législation régissent le programme de la Pension de la sécurité de la vieillesse qui comprend notamment en tant que bénéfices, la Pension de la sécurité de la vieillesse (la "Pension"), et le Suppément.

[3]                         La Pension a un caractère universel, elle est versée aux personnes âgées de 65 ans et plus qui en font la demande et qui répondent aux exigences de la Loi. Le Suppément est un revenu mensuel qui s'ajoute à la Pension qui est disponible aux personnes âgées de 65 ans et plus, à faible revenu, qui en font la demande et qui répondent aux exigences de la Loi.

[4]                         En décembre 2001, le Comitépermanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des Communes (le "Comité") a publié un rapport intitulé : "Le Supplément de revenu garanti à la portée de tous : un devoir"( le "rapport").


[5]                         Dans ce rapport, le Comité a recommandé, entre autres, que le Ministère et l'ADRC continuent de travailler ensemble pour identifier et contacter directement les aînés qui pourraient être admissibles au Suppément.

[6]                         En février 2002, l'ADRC, en utilisant les informations fiscales obtenues par les déclarations de revenus conformément à laLoi de 1'impôt sur le revenu (la "L.I.R."), a identifié des personnes âgées qui étaient potentiellement susceptibles de demander le Suppément et a transmis l'information au Ministère. Celui-ci a utilisé cette information pour commencer une campagne d'augmentation du taux de participation au programme de Suppément en envoyant 105,000 demandes de Suppément simplifiées.

[7]                         C'est par suite de l'envoi de ces demandes de Suppément simplifiées qu'une première requête en autorisation d'exercer un recours collectif a été déposée en Cour supérieure du Québec par le demandeur d'abord pour recouvrer tous les montants représentant le Suppément auxquels il aurait eu droit depuis 1994, (il s'est désisté de cette requête) et, ensuite, pour obtenir une réparation en vertu de l'article 24 de la Charte par suite d'une violation de l'article 15.

[8]                         Le 20 février 2003, la Juge Capriolo a accueilli la requête en rejet et en exception déclinatoire présentée par le Procureur général du Canada et a conclu que le législateur avait créé un régime complet de contrôle en matière de Pensions et que la Cour fédérale était le tribunal efficace et approprié pour débattre cette question.


[9]                         Le 5 juin 2003, le demandeur a présenté devant cette Cour une requête pour exercer un recours collectif.

[10]                     Le demandeur soutient être admissible au Supplément depuis 1994 et ne pas l'avoir reçu jusqu'au mois de mars 2002. Il prétend s'être abstenu de le demander entre 1994 et 2002 parce qu'il se croyait inadmissible ne sachant pas qu'il ne devait pas inclure dans le calcul de ses revenus le montant de sa Pension afin de déterminer son admissibilité au Supplément.

[11]               Le demandeur soutient qu'il aurait pu obtenir du Supplément de 1994 à 2002 s'il avait présenté une demande àcet effet, mais il ne l'a pas fait, puisque, selon ses prétentions, il se serait trompé quant aux conditions d'admissibilité. Le demandeur prétend qu'il n'a jamais été informé par les défendeurs qu'il ne devait pas inclure dans ses revenus le montant de sa Pension pour fins d'admissibilité au Supplément.

[12]              Le demandeur soutient que les défendeurs auraient dû utiliser les informations disponibles de l'ADRC pour l'identifier àtitre de prestataire potentiel du Supplément et que leur omission d'agir cause des effets préjudiciables discriminatoires prohibés par l'article 15 de la Charte.

[13]              Ainsi, le demandeur n'attaque pas la validité constitutionnelle de la Loi, il invoque plutôt une faute systémique, soit celle de n'avoir rien fait pour informer le groupe par le mécanisme prévu à l'alinéa 33.11 a) de la Loi et au sous-alinéa 241(4) (e) (viii) de la L.I.R.


[14]              Le demandeur prétend que cette obligation de faire, découlerait non pas d'une législation quelconque, mais se baserait plutôt sur des droits enchâssés dans la Constitution. En effet, en se basant essentiellement sur l'arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184 rendu par la Cour suprême du Canada, le demandeur prétend que le Ministère avait l'obligation d'informer les membres du groupe de leur admissibilité potentielle au Supplément parce qu'il avait les outils nécessaires pour connaître leur situation financière et que ce manquement constitue une violation du droit à lgalité de ses membres protégé par l'article 15 de la Charte.

[15]              Le demandeur désire représenter toutes les personnes admissibles à recevoir le Supplément. Afin d'illustrer la prétendue discrimination subie par son groupe, il propose comme groupe de comparaison le groupe de personnes âgées qui n'a pas droit au Supplément. Ainsi, le demandeur prétend que son groupe subit une différence de traitement par rapport aux personnes qui ne sont pas admissibles au Supplément.

[16]              Le demandeur allègue également que, dans le présent cas, la réparation convenable, en vertu de l'article 24 de la Charte, est le remboursement de ce Supplément non réclamé avec intérêts et l'indemnité additionnelle et, en sus, des dommages exemplaires.


[17]              Depuis le 4 décembre 2002, les Règles de la Cour fédérale (1998) prévoient de façon détaillée la procédure de recours collectif. Elles sont aussi dans l'ensemble similaires au mécanisme prévu par le Class Proceedings Act 1992 de l'Ontario S.O. 1992 c. 6. Bien qu'il existe des différences avec les critères énoncés dans le Code de procédure civile du Québec, il existe, à certains égards, un recoupement entre les deux régimes juridiques.Conséquemment, la jurisprudence existante dans toutes les provinces pourra, avec les adaptations nécessaires, servir de guide utile à l'interprétation des nouvelles Règles de la Cour fédérale(1998).

[18]              Au premier paragraphe de la Règle 299.18, le législateur énonce:



299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d'action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d'au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs,qu'ils prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu'un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs;

e) un des membres du groupe peut agir comme représentant demandeur et, à ce titre :

(i) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l'action au nom du

groupe et tenir les membres du groupe informés du déroulement de l'instance,

(iii) n'a pas de conflit d'intérêts avec d'autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs,

(iv) communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sontintervenues entre lui et son avocat.

299.18 (1) Subject to subsection (3), a judge shall certify an action as a class action if

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

(d) a class action is the preferable procedure for the fair and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

(e) there is a representative plaintiff who

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

(ii) has prepared a plan for the action that sets out a workable method of advancing the action on behalf of the class and of notifying class members how the proceeding is progressing,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff and the representative plaintiff's solicitor.


[19]              Ce premier paragraphe édicte donc les cinq conditions cumulatives à satisfaire afin d'obtenir la permission d'exercer un recours collectif. Donc, en l'espèce, il s'agit de déterminer si la requête du demandeur respecte ces cinq conditions.

[20]              Ainsi, il faudrait établir en premier lieu si les actes de procédure révèlent une cause d'action valable.

[21]               À cette étape, le demandeur n'a pas à démontrer au mérite que sa cause d'action est valable, le seuil qu'il doit rencontrer étant beaucoup plus bas. En effet, comme l'a énoncé le juge Winkler dans Edwards v. Law Society of Upper Canada (1995), 40 C.P.C. (3d) 316(Ontario Court of Justice (General Division)):

3. [...]There is a very low threshold to prove the existence of a cause of action . . . the court should err on the side of protecting people who have a right of access to the courts.

[22]             Ceci étant dit, les tribunaux refusent un tel recours lorsqu'il estvident et manifeste" (plain and obvious) que le demandeur n'a aucune cause d'action valable et que son action est vouée à l'échec. Dans l'affaire, Kimpton v. Canada [2002] B.C. J. No. 2691(British Columbia Supreme Court), le juge Macaulay a exposé :


6. The threshold is low. Ms. Kimpton is not required to pass a preliminary merits test. While some cases have suggested that the plaintiff bears a burden to show a cause of action, that is potentially misleading, as burdens are generally evidentiary in nature. I prefer to say that the plaintiff must demonstrate on the pleadings, or the pleadings as they might reasonably be amended, that there is a cause of action. I should only refuse to certify where Ms. Kimpton plainly and obviously cannot succeed.

[23]             Le test à satisfaire à cette étape est identique à celui appliqué en matière de radiation de procédures. En effet, comme la Cour d'appel de la Colombie Britannique l'a indiquédans l'affaire Elms v.Laurentian Bank of Canada [2001] B.C. J. No 1284.:

20. It is common ground that the Chambers judge correctly stated that a court will only refuse to certify on the basis that the pleadings do not disclose a cause of action if it is plain and obvious that the plaintiff cannot succeed. The test under s. 4(1)(a) of the Act to determine whether a cause of action exists is similar to the test applied in application to dismiss a claim on the grounds that it fails to disclose a cause of action. The only difference between the two tests is that the onus to show a cause of action falls upon the party bringing the class action, rather than on the party challenging the proceeding.

[24]             En l'espèce, le recours du demandeur est entièrement basé sur la prétention que l'omission des défendeurs constituerait une violation du droit à lgalité protégé par l'article 15 de la Charte. En effet, contrairement à ce qu'il avait indiqué au dossier de requête pour être autorisé à exercer un recours collectif, le demandeur ne traite dans son mémoire ni d'une prétendue obligation générale des défendeurs d'informer les prestataires potentiels du Supplément, ni d'une obligation qui tirerait sa source ailleurs qu l'alinéa 33.11 a) de la Loi et qu'au sous-alinéa 241(4) (e) (viii) de la L.I.R.


[25]             Il est donc primordial de s'attarder à l'interprétation judiciaire de la notion de discrimination dans le contexte constitutionnel, afin de déterminer s'il existe une cause d'action valable en l'espèce. Bien que dans leurs argumentations écrites, les défendeurs ont traité de toutes les conditions à satisfaire afin d'obtenir la permission d'exercer un recours collectif, lors de leurs représentations devant la Cour, ils se sont presqu'entièrement attardés sur la question de l'absence d'une cause d'action valable, argumentant que la nature manifestement sans fondement, des prétentions du demandeur eu égard à la discrimination était en soi suffisante pour justifier le rejet de la présente requête.

[26]             Suivant l'approche de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lawc. Canada [1999] 1 R.C.S. 497, les défendeurs soulignent qu'il faut procéder par une analyse à trois étapes afin de déterminer si les conditions nécessaires au soutien d'une prétention de discrimination sont remplies, pour ensuite argumenter qu'aucune de ces trois conditions n'est satisfaite.

[27]             Dans cette affaire, la Cour suprême, sous la plume du juge Iacobucci, a élaboré trois étapes pour analyser les conditions nécessaires au soutien d'une prétention de discrimination:

À mon avis [...] le tribunal appeléà décider s'il y a eu discrimination au sens du par. 15(1) devrait se poser les trois grandes questions suivantes. Premièrement, la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la sociétécanadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du par. 15(1). Deuxièmement, le demandeur a-t-il subi un traitement différent en raison d'un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était-elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l'objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique? Les deuxième et troisième questions servent à déterminer si la différence de traitement constitue de la discrimination réelle au sens du par. 15(1). (p.324-325)

[28]             Tout récemment, la Cour suprême a réitéré dans Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin 2003 CSC 54 que le test à trois étapes de Law demeure l'approche appropriée en matière de discrimination. Ainsi, il faudrait déterminer si en l'espèce:


1)     Y a t'il eu une différence de traitement?

2)     La différence de traitement est-elle fondée sur un motif énuméré ou analogue àl'article 15?

3)     La différence de traitement est-elle discriminatoire, c'est-a-dire, porte-t-elle atteinte à la dignitéhumaine?

[29]             La première étape exige nécessairement qu'on se réfère au groupe de comparaison afin que l'on puisse apprécier une différence de traitement. Il doit y avoir un lien adéquat entre le groupe de comparaison choisi et l'avantage qui constitue l'objet de la plainte. Comme l'a souligné la Cour suprême dans Granovsky c. Canada [2000] 1 R.C.S. 703, p.729 :

L'identification du groupe auquel l'appelant peut se comparer pour alléguer qu'il y a eu "inégalité de traitement" est cruciale. Dès l'arrêt Andrews, précité, qui est le premier qu'elle a rendu en matière d'égalité, la Cour a statué que les allégations de distinction et de discrimination ne pouvaient être évaluées que "par comparaison avec la situation des autres dans le contexte socio-politique où la question est soulevée" (p. 164).

Voir également l'arrêt Law, précité, au par. 24:

Cette comparaison permet de déterminer si la personne qui invoque le par. 15(1) subit une différence de traitement, ce qui constitue la première étape de la détermination de la présence d'inégalité discriminatoire aux fins de ce paragraphe.


[30]             En l'espèce, le groupe de comparaison est celui des personnes âgées qui ne reçoivent pas le Supplément. Avant de s'attarder sur le choix du groupe de comparaison, il faut rappeler que le groupe représenté par le demandeur est celui des personnes qui ont droit au Supplément. Il se distingue et englobe le groupe discriminé qui est composé des personnes admissibles à recevoir le Supplément mais qui ne l'ont pas reçu. Le demandeur ne semble pas maîtriser cette distinction en ce qu'il prétend que le groupe représenté est le groupe discriminé, bien qu'il y a plusieurs membres de ce groupe qui ont déjà reçu le Supplément et à vrai dire ne sont pas discriminés. Le demandeur justifie son raisonnement en disant qu'il n'est pas nécessaire que le désavantage frappe tous les membres d'un groupe pour qu'il y ait discrimination.

[31]              Nonobstant ce raisonnement nébuleux qui illustre une confusion rhétorique généralisée chez le demandeur, je suis d'avis que le choix du groupe de comparaison est pour le moins discutable. En effet, les personnes âgées qui ne sont pas admissibles au Supplément ( le groupe de comparaison) bénéficient de moins d'avantages que le groupe représenté par le demandeur aux termes de la Loi. Or, pour réussir àprouver qu'il y a discrimination, le demandeur devrait démontrer qu'il est traitédifféremment par rapport à d'autres personnes qui bénéficient de plus d'avantages aux termes de la Loi. De plus, puisque les prestataires du Supplément reçoivent nécessairement la Pension, ils ne peuvent être l'objet d'une discrimination vis-a-vis ceux qui reçoivent cette même Pension.

[32]             Le dictionnaire Robert définit la discrimination comme "le fait de séparer un groupe social des autres en le traitant plus mal"( je souligne). En l'espèce, c'est plutôt le groupe de comparaison qui est le moins bien traité des deux, car ses membres ont droit à moins de bénéfices que le groupe représenté par le demandeur.


[33]             Donc pour répondre à la première question élaborée dans l'affaire Law: s'il y a une différence de traitement entre les deux groupes, c'est à l'avantage du groupe représenté par le demandeur et non pas à son détriment.

[34]             Ce test à trois étapes étant cumulatif, l'analyse de cette première étape suffirait à conclure à l'absence de discrimination. Je trouve qu'il est néanmoins opportun de s'attarder sur la deuxième étape, à savoir si la différence de traitement est fondée sur un motif énuméré ou analogue à ceux énumérés à l'article 15 de la Charte.

[35]             Il s'agit là d'une autre occurrence où l'approche fumeuse et vague du demandeur ne simplifie en rien le travail de cette Cour. En effet, le demandeur n'a pas pris la peine d'expliciter la caractéristique personnelle sur laquelle serait fondée la prétendue discrimination. Lge n'en étant pas un, on peut supposer que le revenu, serait vraisemblablement le motif invoqué par le demandeur.

[36]             Or, il est de la jurisprudence constante de nos tribunaux que la situation pécuniaire ne constitue pas un motif protégée par la Constitution. En effet, depuis toujours, la "discrimination basée sur le revenu" a constituée une des pierres angulaires de nos législations fiscales et sociales. La discrimination par les effets préjudiciables ne peut donc découler d'une caractéristique provenant du revenu.


[37]             En l'espèce, le revenu ne peut clairement pas servir de motif de distinction puisque les personnes plus fortunées n'ont pas droit au Supplément. Même en ce qui a trait à la Pension, le régime fiscal prévoit que le prestataire de la Pension doit, au fur et à mesure que son revenu augmente, rembourser la Pension.

[38]             Bien que je n'exclus pas la possibilité que la situation socio-économique défavorisée et systémique d'un groupe puisse être considérée comme une caractéristique personnelle sur laquelle serait fondée un traitement discriminatoire, rien dans le présent dossier ne justifierait une telle conclusion.

[39]             En ce qui concerne l'arrêt Eldridge sur lequel la totalité des arguments constitutionnels du demandeur est basée, je fais miens les arguments des défendeurs pour souligner qu'il n'est d'aucune incidence en l'espèce puisque, dans cette affaire, l'effet préjudiciable subi par les personnes atteintes de surdité découlait du fait qu'on ne faisait pas en sorte qu'elles bénéficient d'une manière égale d'un service offert à tous.


[40]             Ainsi, l'arrêt Eldridge est clairement à distinguer des faits en l'espèce puisque le régime public de soins de santé qui y était contesté(car il ne fournissait pas de services d'interprètes gestuels aux personnes atteintes de surdité) était un régime public de soins de santé universel, contrairement à la prestation de Supplément qui est versée, sur demande, à des personnes qui rencontrent les exigences de la Loi, dont celle du revenu qui ne doit pas dépasser le seuil d'admissibilité.

[41]              Donc, il n'existe même pas l'ombre de commencement d'un indice à l'effet qu'on serait en présence d'une violation constitutionnelle. La méconnaissance des principes juridiques de base dont font preuve les procureurs du demandeur laisse pantois. Il y a donc absence, on ne peut plus totale, d'une cause d'action valable.

[42]             En effet, outre les arguments constitutionnels, écartés plus haut, l'action du demandeur n'a aucun fondement légal. Plus précisément, il n'existe aucune obligation légale pour les défendeurs d'informer les prestataires potentiels du Supplément. Le demandeur s'appuie à outrance sur le rapport de décembre 2001 du Comité pour argumenter que les défendeurs avaient une obligation légale d'utiliser les informations en possession de l'ADRC pour identifier tous les prestataires potentiels du Supplément. Or, ce rapport est un document de nature purement politique, et non pas légale (ni même juridique).


[43]             Le demandeur soumet qu'il est déplorable de constater l'efficacitéet la rigueur dont font preuve les défendeurs lorsqu'il s'agit d'utiliser ces informations disponibles pour priver les gens des bénéfices par opposition à quand il s'agit d'en accorder. Avec égard, et sans vouloir sombrer dans un cynisme déplacé, je dois dire que la nature humaine étant ce qu'elle est, on est plus enclin à adopter une attitude proactive lorsqu'il s'agit de réclamer les droits que lorsqu'il est question d'en être dépouillé. Il est donc tout à fait normal que le gouvernement tienne compte de cette réalité et que cela fasse en sorte que ses efforts coercitifs soient inversement proportionnels à ceux des individus régis par la Loi.

[44]             En dépit de cela, la preuve au dossier démontre que depuis l'instauration du Supplément en 1967, le Ministère a informé de nombreuses façons les prestataires et les prestataires potentiels du Supplément. Ironiquement, c'est l'envoi de demandes de Supplément simplifiées, une mesure initiée par le Ministère en 2001 dans le but louable de favoriser l'accès du Supplément et d'augmenter le taux de participation des prestataires potentiels, qui a servi dlément déclencheur aux présentes procédures. Pour reprendre les mots d'Albert Camus : "Il n'y a pas longtemps, c'étaient les mauvaises actions qui demandaient à être justifiées, aujourd'hui ce sont les bonnes".

[45]             Par ailleurs, pour mettre l'emphase sur l'absence d'une cause d'action valable, les défendeurs soulignent que l'admissibilitéau Supplément est déterminée conformément à la Loi et àla procédure qui y est prévue; or, le demandeur a demandé et a reçu des prestations de Supplément ainsi que des arrérages maximaux de onze mois. Ainsi, les défendeurs suggèrent que le demandeur tente d'obtenir plus de droit en réclamant une réparation plus avantageuse fondée sur l'article 24 de la Charte que suivant les prescriptions claires de la Loi. Les défendeurs soumettent que le demandeur ne peut prétendre que l'alinéa 11(7) a) de la Loi lui est inopposable puisqu'il n'en a pas demandé l'invalidité.


[46]             De son côté, le demandeur soumet que cette Cour bénéficie d'une très grande marge de manoeuvre dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 24(1) de la Charte et peut donc accorder toute réparation qu'elle estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[47]              À la lumière de ce qui précède, il n'y a pas lieu de trancher cette question. Cependant, il importe de souligner que si lchec de la demande ne tenait quce dernier argument, rien n'aurait empêché cette Cour d'accorder, à la limite, au demandeur la possibilité d'amender ses procédures afin d'y inclure une conclusion visant l'inconstitutionnalité de l'alinéa 11(7)a) de la Loi.

[48]             Les conditions énumérées au premier paragraphe de la Règle 299.18 étant cumulatives, il n'est pas nécessaire de s'attarder aux autres conditions prévues à ce paragraphe pour conclure au rejet de la requête du demandeur. C'est d'ailleurs l'approche qui est préconisée par la Cour suprême qui n'hésite pas dans le cadre de l'autorisation d'un recours collectif, à rejeter la demande dès qu'elle conclut que le seuil d'admissibilité quant à l'existence d'une cause valable d'action n'est pas rencontré. Voir notamment Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347.


ORDONNANCE

Par les motifs ci-dessus, la requête en autorisation est rejetée.

Conformément à la Règle 299.41(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), aucune ordonnance quand aux dépens n'est émise.

                                                                                                                                                            

                                                                              Juge                               

Ottawa, Ontario

Le 4 février 2004


                                  COUR FÉDÉRALE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                         

DOSSIER :                     T-317-03

INTITULÉ:                    ANDRÉ LE CORRE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :         Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :         11 décembre 2003

MOTIFS :                   L'HONORABLE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Le 4 février 2004

COMPARUTIONS:

Me Fredy Adams

Me Gilles Gareau

POUR LE DEMANDEUR

Me Rosemarie Millar

Me Frédéric Paquin

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Adams, Costa, Avocats

Montréal, Québec

Lauzon, Bélanger

Montréal, Québec

                                                   POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Ontario

POUR LES DÉFENDEURS


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