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Date : 20051011

Dossier : IMM-8843-04

Référence : 2005 CF 1363

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

WENDER MAGNO RIBEIRO

(alias Wender Magno Ribeiro Do Prado)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]         Wender Magno Ribeiro est un citoyen brésilien qui prétend avoir la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Il présente une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) a rejeté sa demande d'asile.

[2]         M. Ribeiro affirme avoir grandi dans un foyer très tumultueux. Son père était un alcoolique violent, un joueur compulsif et un fornicateur. M. Ribeiro affirme qu'à l'âge de 10 ans, il s'opposait violemment à son père et cela lui a valu d'être fréquemment battu par ce dernier. Son père a finalement abandonné sa famille. Malgré cet abandon, les altercations entre le père et la mère de M. Ribeiro ont continué. Le père de M. Ribeiro a refusé de divorcer d'avec sa femme et a menacé de tuer sa femme et ses enfants si celle-ci essayait d'obtenir le divorce. Au fil des ans, M. Ribeiro et sa famille ont appelé la police très souvent lorsque son père agressait sa mère, mais les interventions de la police n'ont jamais été très efficaces et celle-ci essayait plutôt de réconcilier les parents de M. Ribeiro. M. Ribeiro affirme que son père disait toujours à la police qu'il allait s'amender et qu'il changerait, mais il n'a jamais changé. D'après M. Ribeiro, son père a tué un homme en 2003, mais il n'a été déclaré coupable d'aucune infraction.

[3]         Lorsque M. Ribeiro a eu 19 ans, il a déménagé à Sao Paulo, une ville située à environ 600 kilomètres de la ville où il a grandi et où il vivait avec sa mère. Lorsqu'il vivait à Sao Paulo, il revenait fréquemment chez sa mère pour la protéger lorsque son père et sa mère se remettaient à se disputer.

[4]         Après avoir vécu à Sao Paulo pendant quatre ans, M. Ribeiro est venu au Canada. Pendant qu'il se trouvait ici, un de ses cousins lui a déclaré que son père avait tué un autre homme en janvier 2004. M. Ribeiro a témoigné qu'il craignait de retourner au Brésil, parce que son père lui avait dit qu'il le tuerait s'il essayait encore de défendre sa mère.

[5]         La SPR a estimé que la crainte qu'avait M. Ribeiro d'être persécuté au Brésil en tant que victime d'un père abusif n'était pas bien fondée. La SPR n'était pas d'avis qu'il était vraisemblable que M. Ribeiro craigne que son père ne le tue ou le frappe, puisque M. Ribeiro est maintenant un adulte et qu'il a vécu loin de sa famille pendant au moins quatre ans au Brésil avant d'arriver au Canada. La SPR a conclu qu'il n'existait aucune preuve crédible et digne de foi que le père de M. Ribeiro l'avait battu ou avait essayé de le tuer pendant qu'il vivait à Sao Paulo. Selon la Commission, si M. Ribeiro était un mineur vivant encore avec son père, alors on pourrait peut-être considérer que cette violence familiale constitue de la persécution. Cependant, maintenant que M. Ribeiro est un adulte et qu'il n'a aucune raison de vivre avec son père ou d'avoir des contacts avec lui, la Commission n'a pas estimé que M. Ribeiro pouvait craindre avec raison d'être persécuté au Brésil. En bref, la SPR ne voyait pas pourquoi le père de M. Ribeiro le tuerait ou le blesserait si celui-ci retournait au Brésil.

[6]         La SPR a également déclaré que, si elle se trompait sur la question de l'existence d'une crainte de persécution bien fondée, elle estimait que M. Ribeiro pouvait vivre dans une autre région du Brésil, loin de son père violent, et qu'il serait raisonnable que M. Ribeiro vive à Sao Paulo ou à Rio de Janeiro.

[7]         Par conséquent, étant donné que la SPR n'a pas jugé que la crainte de M. Ribeiro était vraisemblable et parce qu'il avait une possibilité de refuge intérieur au Brésil, elle a conclu que M. Ribeiro n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

[8]         Cette description de la décision de la Commission fait ressortir qu'à l'exception de sa conclusion selon laquelle la crainte qu'éprouvait M. Ribeiro à l'égard de son père n'était pas vraisemblable, la Commission n'a pas attaqué par ailleurs la crédibilité de M. Ribeiro. Elle a ainsi accepté son témoignage sur les points suivants :

            •            le père de M. Ribeiro est une personne violente qui a déjà menacé de tuer M. Ribeiro et sa mère;

            •            le père de M. Ribeiro a tué deux personnes dans un passé récent;

            •            la police n'est pas intervenue efficacement dans le passé pour aider la mère de M. Ribeiro lorsqu'elle était menacée par son mari;

            •            pendant qu'il vivait à Sao Paulo, M. Ribeiro est retourné chez lui un nombre incalculable de fois pour protéger sa mère.

[9]         Dans ces circonstances, je conclus qu'en se prononçant sur la demande de M. Ribeiro comme elle l'a fait, la Commission a mal saisi le fondement de sa demande et n'a pas pris en considération la partie du témoignage de M. Ribeiro qui montrait que c'est l'exercice de ce qu'il considère comme étant sa responsabilité filiale de protéger sa mère qui le mettrait en danger s'il retournait au Brésil. L'omission de prendre en considération cet aspect de la demande de M. Ribeiro porte sur une partie importante de la demande de M. Ribeiro et constitue donc une erreur susceptible de révision.

[10]       Cela ne veut pas dire que la Commission était obligée d'accepter la demande de M. Ribeiro. Elle aurait pu, par exemple, déclarer que son témoignage était faux. Cependant, la Commission était obligée de montrer qu'elle avait compris le fondement de la demande de M. Ribeiro. Elle ne l'a pas fait, ce qui constitue une erreur susceptible de révision. Cette omission vicie non seulement la décision qu'elle a rendue au sujet de l'existence d'une crainte de persécution bien fondée mais également la décision au sujet de la possibilité de refuge intérieur.

[11]       J'ai examiné les observations qu'a présentées l'avocat du ministre selon lesquelles, en substance, la Commission a jugé que M. Ribeiro n'éprouvait pas de crainte subjective parce qu'il continuait à se mettre en danger en revenant aider sa mère. Je crois qu'il est possible de répondre trois choses à cet argument. Premièrement, la Commission n'a pas conclu que le témoignage de M. Ribeiro n'était pas crédible au sujet des aspects mentionnés ci-dessus. Comme la Cour d'appel fédérale l'a noté dans l'arrêt Shanmugarajah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 583, au paragraphe 3, « il est presque toujours téméraire pour une Commission, dans une affaire de réfugié où aucune question générale de crédibilité ne se pose, d'affirmer qu'il n'existe aucun élément subjectif de crainte de la part du demandeur » . Deuxièmement, la loyauté familiale peut amener quelqu'un à adopter un comportement dangereux qui pourrait autrement être considéré comme un comportement incompatible avec une absence de crainte subjective. Voir, par exemple, la décision Mohammadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1028, aux paragraphes 14 et 15. Troisièmement, d'après les éléments de preuve que la SPR a acceptés, pour que M. Ribeiro n'ait pas raison de craindre d'être persécuté au Brésil, il devrait demeurer à Sao Paulo ou à Rio de Janeiro pour éviter de rencontrer son père lorsqu'il se porte au secours de sa mère. Tout comme la Convention n'exige pas qu'un demandeur d'asile retourne dans son pays d'origine et s'abstienne de toute activité politique susceptible de le mettre en danger d'être persécuté (voir, par exemple, Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 35 (1re inst.)), je ne pense pas que la Convention ni la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, exigent qu'un fils s'abstienne de protéger sa mère de façon à demeurer lui-même en sécurité.

[12]       J'ai également examiné la question de savoir si, comme l'avocat du ministre le prétend, le fait de renvoyer l'affaire à la Commission pour nouvelle décision serait futile du fait que le résultat serait inévitable. Je suis toutefois convaincue que la Commission ne serait pas juridiquement tenue de rejeter la demande. L'issue de la demande de M. Ribeiro dépend dans une grande mesure de la façon dont la Commission appréciera sa crédibilité. La Commission n'a pas tenté d'apprécier la crédibilité du témoignage de M. Ribeiro. Cet élément, combiné à l'omission de la Commission de montrer qu'elle avait compris le fondement de la demande de M. Ribeiro, exige que la demande soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

[13]       Les avocats n'ont pas proposé qu'une question soit certifiée et je reconnais que le dossier ne soulève aucune question de ce genre.

ORDONNANCE

[14]       LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la SPR, datée du 22 septembre 2004, est par les présentes annulée.

2.          L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8843-04

INTITULÉ :                                                    WENDER MAGNO RIBEIRO (alias Wender Magno Ribeiro Do Prado)

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 9 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE DAWSON.

DATE DES MOTIFS :                                   LE 11 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Ronald Shacter                                                  POUR LE DEMANDEUR

Janet Chisholm                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Shacter                                                  POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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