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Date : 20211118


Dossier : IMM-2218-20

Référence : 2021 CF 1266

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2021

En présence de l'honorable monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MARIA DE LOURDES ROMERO GOMEZ

JORGE BUSTILLOS ARAIZA

ANA CAMILA BUSTILLOS ROMERO

JORGE ENRIQUE BUSTILLOS ROMERO

ALEJANDRO BUSTILLOS ROMERO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs Mme Maria de Lourdes Romero Gomez (la demanderesse principale), son mari M. Jorge Bustillos Araiza et leurs trois enfants sont des citoyens du Mexique. La demanderesse principale allègue une menace pour sa vie liée à un cartel mexicain.

[2] Les demandeurs sont arrivés au Canada en septembre 2014 et ils ont déposés une demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[3] Le 21 janvier 2020, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a déterminé que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles parce qu’il y avait plusieurs omissions, dans le formulaire Fondement de la demande d’asile de la demanderesse principale [FDA], d’éléments mentionnés dans les témoignages de la demanderesse principale et de son mari.

[4] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SPR en vertu de l’article 72 de la LIPR. La demande soulève deux questions que j'ai formulées comme suit : la SPR a-t-elle commis une erreur (1) dans son analyse de la crédibilité; ou (2) dans son traitement de la preuve documentaire?

[5] Après avoir examiné attentivement le dossier et les observations des deux parties, je conclus que la présente demande doit être rejetée. Pour les raisons qui suivent, je suis satisfait que la SPR pouvait décider que les explications des omissions dans le FDA n’étaient pas crédibles et que la SPR a évalué la preuve documentaire de manière raisonnable.

II. Contexte de l’affaire

[6] La demanderesse principale rapporte que son père était un homme d’affaires et un producteur de bœuf bien connu dans leur état du Mexique. Le 8 juin 2007, le père de la demanderesse principale a disparu et son corps a été retrouvé le lendemain.

[7] La demanderesse principale suspecte que son père a été tué par le cartel Los Caballeros Templarios. La demanderesse explique que ce cartel menace fréquemment les hommes d’affaires dans leur région du Mexique et les tue s’ils ne le paient pas régulièrement. Son père n’a jamais dit que ce groupe l’a contacté, mais la demanderesse allègue qu’il lui a parlé de ses soupçons concernant le fait que sa femme, soit la belle-mère de la demanderesse principale, pourrait être impliquée dans le cartel.

[8] Pour se renseigner à propos de l’avancement de l’enquête sur le meurtre de son père, la demanderesse principale rapporte qu’elle a visité le bureau du Ministère public de nombreuses fois avec son oncle. En mai 2008, son oncle a disparu et son corps n’a jamais été retrouvé. Environ six mois après la disparition de son oncle, la demanderesse principale allègue qu’elle a commencé à recevoir des menaces par appels téléphoniques d’une source anonyme. Cette source anonyme aurait dit qu’elle tuerait la demanderesse principale si elle n’arrêtait pas son enquête et qu’elle finirait comme son père et son oncle. Ces appels sont la cause du déménagement de la demanderesse principale, de son mari et de leur premier fils en septembre 2008.

[9] La demanderesse principale allègue que sa belle-mère et son nouveau conjoint ont des liens avec le cartel. Elle rapporte que sa belle-mère lui a conseillé de mettre fin à son enquête sur le meurtre de son père.

[10] En novembre 2012, les demandeurs ont déménagé une seconde fois. D’après les demandeurs, les menaces ont continué. En juin 2016, la demanderesse principale croit qu’elle a été suivie par un véhicule conduit par sa belle-mère et son conjoint. En novembre 2016, les demandeurs ont déménagé une troisième fois et une quatrième fois en novembre 2017 à Mexico City. Les demandeurs allèguent qu’ils se sont présentés devant la « Commission nationale de droits de la Personne » [sic], et la Commission leur a recommandé de quitter le pays.

III. La norme de contrôle applicable

[11] Les parties prétendent que la norme de contrôle applicable aux questions identifiées est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord.

[12] Une décision raisonnable a plusieurs caractéristiques, telles que la justification, la transparence et l’intelligibilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). De plus, une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

IV. Prorogation de délai

[13] Les demandeurs demandent en outre à la Cour d’accorder une prorogation de délai du dépôt et de la signification de la demande d’autorisation. Le défendeur ne prend pas position sur la demande. Considérant l’absence d’opposition et l’affidavit de la demanderesse principale, je suis satisfait que les demandeurs ont toujours eu l’intention de poursuivre la demande de contrôle judiciaire, que la demande de contrôle judiciaire mérite d’être considérée, qu’il existe une explication raisonnable pour le retard, et que la prorogation de délai ne causera pas préjudice au défendeur (Huot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 973 au para 14). La demande de prorogation de délai est accordée.

  1. Analyse

A. Les conclusions de crédibilité de la SPR sont raisonnables

[14] En rejetant les demandes d’asile des demandeurs, la SPR décrit quatre omissions dont elle a tiré des conclusions négatives :

  1. Pendant son témoignage, la demanderesse principale a dit qu’en septembre 2010, sa belle-mère lui a avoué qu’elle avait tué le père de la demanderesse principale et qu’elle l’a beaucoup fait souffrir. Cette allégation n’était pas incluse dans le FDA;

  2. Pendant son témoignage, la demanderesse principale a dit qu’elle a reçu des menaces par appels téléphoniques entre novembre 2016 et avril 2017. Le FDA n’incluait pas une description de menaces téléphoniques entre ces dates;

  3. Pendant les dix mois durant lesquels la demanderesse principale et sa famille habitaient à Mexico City avant leur arrivée au Canada, la demanderesse a témoigné que sa belle-mère et son conjoint ont visité sa sœur et lui ont demandé où la demanderesse principale se trouvait. Cette information n’était pas dans le FDA;

  4. Le mari de la demanderesse principale a témoigné que, pendant les mois vécus à Mexico City, des individus ont visité sa mère et lui ont demandé si elle connaissait l'emplacement de la demanderesse principale. Cette information n’était pas dans le FDA.

[15] La SPR a exigé les raisons de ces omissions. La demanderesse a expliqué que plusieurs informations ont dû être supprimées lors de l’écriture de son récit, incluant l’aveu de sa belle-mère quant au meurtre du père de la demanderesse principale. Elle a expliqué que l’information reliée aux menaces entre novembre 2016 et avril 2017 a été retirée du FDA par son avocat. De la même manière, elle a ajouté qu’il y avait trop de détails dans le FDA et que son avocat et elle-même ont dû retirer certaines informations, incluant la visite de la belle-mère de la demanderesse principale et de son conjoint chez la sœur de la demanderesse principale. Le mari de la demanderesse principale a fourni une explication similaire quant à l’omission de la visite des individus chez sa mère à la recherche la demanderesse principale.

[16] La SPR a rejeté ces explications en notant que 1) le FDA demande expressément à chaque demandeur d’expliquer « en détails » ce qui est arrivé à chacun d’eux ; et 2) les demandeurs étaient représentés par un avocat qui aurait dû savoir que de l’information aussi pertinente était importante et qu’elle aurait dû être incluse. La SPR a conclu que les omissions, prises isolément, ne seraient pas nécessairement suffisantes pour entacher la crédibilité des demandeurs, mais le cumul de ces omissions entache sérieusement la crédibilité des allégations d’individus à la recherche de la demanderesse principale et de menaces.

[17] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en se concentrant de manière déraisonnable sur les omissions et les incohérences qui ne constituaient pas des éléments centraux de la demande et en ignorant les réels aspects centraux. Je ne suis pas d’accord.

[18] La SPR peut tirer des conclusions négatives d’une omission concernant un élément clé de la demande d’asile (Fahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 406 au para 16). Il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que les omissions quant à l'assassine du père, les menaces et les efforts de la belle-mère et son conjoint pour localiser la demanderesse principale étaient des omissions des éléments clés de la demande.

[19] Les demandeurs allèguent que la SPR a commis une erreur en constatant que la demanderesse principale avait omis d’inclure l'aveu de la belle-mère et que cette erreur a entrainé le traitement négatif du reste de la preuve. En avançant cet argument, les demandeurs ne contestent pas que le récit de la demanderesse principale ne rapporte pas que la belle-mère a tué le père, mais ils soutiennent que le contenu de la preuve permet de tirer cette conclusion. Cet argument ne reflète qu'un désaccord avec la conclusion de la SPR, alors que cette conclusion a été raisonnablement tirée par à la SPR. De même, je ne trouve pas de fondement à l'argument selon lequel la conclusion négative à l'égard de cette omission a eu une incidence sur l'examen des autres éléments par la SPR.

[20] Les demandeurs contestent chacune des conclusions négatives de crédibilité tirées par la SPR. Cependant, encore une fois, les arguments avancés reflètent un désaccord avec la SPR, ce qui ne suffit pas à démontrer que la SPR a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[21] La SPR a la possibilité de tirer des conclusions défavorables en raison de l’effet cumulatif de doutes quant à la crédibilité (Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558 au para 19 [Lawal]). Bien qu'un décideur puisse commettre une erreur si des conclusions négatives sont tirées après une analyse microscopique de la preuve, ce n'est pas le cas ici. Les omissions et les incohérences qui, selon la SPR, n'avaient pas été raisonnablement expliquées étaient au cœur de la demande.

B. La SPR n’a pas commis une erreur en considérant la preuve documentaire

[22] Les demandeurs prétendent que la SPR a commis une erreur de droit en basant son analyse des preuves documentaires sur les problèmes de crédibilité au lieu d’examiner les éléments de preuve un par un.

[23] La SPR a examiné le certificat de décès du père de la demanderesse principale, l’article de journal indiquant qu’il a été retrouvé calciné, les certificats de mariage et de divorce du père et de la belle-mère, la lettre de l’avocate de la demanderesse principale au Mexique et les éléments de preuve des changements de résidence au Mexique. La SPR a expliqué pourquoi chacun de ces éléments est insuffisant pour surmonter les problèmes de crédibilité et pour établir que les demandeurs constituent les personnes à protéger.

[24] La SPR ne remet pas en question le fait que le père soit décédé et qu’il ait été tué, ou encore le fait qu’il ait été divorcé de la belle-mère de la demanderesse principale. Cependant, en examinant les problèmes de crédibilité des demandeurs, la SPR a estimé que ces événements ne pouvaient pas être liés aux craintes des demandeurs.

[25] En fait, la SPR a considéré cette preuve, mais lui a accordé peu de poids en raison des problèmes de crédibilité. Ceci n’est pas une erreur révisable. La jurisprudence établit qu’un manque de crédibilité de la part d’un demandeur peut être généralisé à l’ensemble de la preuve documentaire qu’il a présenté pour corroborer sa version des faits (Lawal au para 22).

VI. Conclusion

[26] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-2218-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de prorogation de délai est accordée;

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  3. Aucune question n’est certifiée.

  4. blanc

« Patrick Gleeson »

blanc

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2218-20

 

INTITULÉ :

MARIA DE LOURDES ROMERO GOMEZ, JORGE BUSTILLOS ARAIZA, ANA CAMILA BUSTILLOS ROMERO, JORGE ENRIQUE BUSTILLOS ROMERO, ALEJANDRO BUSTILLOS ROMERO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 septembre 2021

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Juan Cabrillana

 

Pour les demandeurs

 

Charles Maher

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Juan Cabrillana

Avocat

Gatineau (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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