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Date : 20211129


Dossier : IMM‑1948‑20

Référence : 2021 CF 1318

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

JAIRO ARTURO VILLARRAGA RIOS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] Le demandeur, monsieur Jairo Arturo Villarraga Rios, est un citoyen de la Colombie. Il a produit la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du 24 février 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SPR a jugé qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité, ainsi que son appréciation de la preuve, sont déraisonnables.

[2] La SAR a mené un examen indépendant de la preuve et a examiné les arguments soulevés par le demandeur en appel. Elle a conclu qu’il n’avait pas établi au moyen d’éléments de preuve fiables et dignes de foi qu’il craignait avec raison d’être persécuté ou qu’il était une personne ayant besoin de protection. D’après les questions en litige soulevées dans la présente demande, la Cour est invitée à apprécier à nouveau la preuve, mais elle ne peut conclure à l’existence d’une erreur justifiant son intervention. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II. Le contexte

A. Les demandes d’asile distinctes

[3] Le demandeur est entré au Canada de manière irrégulière en août 2018 et a présenté une demande d’asile.

[4] Sa femme et ses enfants, également des citoyens de la Colombie, sont entrés au Canada en provenance des États‑Unis le 8 septembre 2018, à un point d’entrée régulier de la frontière terrestre. Ils ont aussi présenté des demandes d’asile, qu’ils ont fondées sur l’exposé circonstancié du demandeur.

[5] La SPR a instruit conjointement les demandes d’asile. Après avoir jugé que la crédibilité constituait la question déterminante, elle a rejeté ces demandes.

[6] La décision de la SPR a fait l’objet d’un appel, et la SAR a statué sur l’appel dans deux décisions distinctes. La SAR a d’abord conclu qu’elle n’avait pas compétence pour examiner l’appel interjeté par l’épouse et les deux enfants du demandeur, étant donné que leur situation relevait des dispositions de l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs et de l’alinéa 110(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le contrôle judiciaire de la décision de la SPR était la voie de recours appropriée pour l’épouse et les deux enfants du demandeur. Ils ont donc déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (dossier de la Cour IMM‑2292‑20).

[7] La présente demande et la demande produite dans le dossier IMM‑2292‑20 ont été entendues consécutivement.

B. Le fondement de la demande d’asile

[8] Le demandeur soutient qu’il craint d’être persécuté en Colombie du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un certain groupe social. Il déclare avoir activement fait campagne pour le compte de Gustavo Petro, candidat à la présidence, et de Oscar de Jesus Hurtado, candidat au Sénat, lors des récentes élections tenues en Colombie. Il est également membre de syndicats, à savoir le Syndicat central des travailleurs et celui d’Avianca Airlines (son ancien employeur).

[9] Le demandeur affirme que le 21 mai 2018, durant un déplacement qu’il effectuait dans la région de Medellín en Colombie pour une campagne électorale, des coups de feu ont été tirés sur son véhicule utilitaire sport (VUS) au moment où il traversait une zone boisée. Il relate avoir fait l’objet d’autres messages de menace et de tentatives pour le trouver entre mai et août 2018. Une personne qui l’a appelé aurait fait mention de l’agression commise sur le VUS de mai 2018. Le demandeur précise également avoir sollicité la protection de l’Unité nationale de protection, laquelle lui a fourni un gilet pare‑balles et les coordonnées d’une personne‑ressource. Le demandeur a également signalé les appels de menace à la police et au bureau du procureur général, mais ni l’un ni l’autre n’y a donné suite.

[10] Le demandeur et sa famille étaient d’avis qu’ils seraient exposés à des risques inutiles s’ils restaient en Colombie, et ils se sont rendus aux États‑Unis. Ils n’y ont pas présenté de demande d’asile, car selon certains rapports, des familles de demandeurs d’asile sud‑américains y sont séparées, et les enfants y sont maltraités. La famille a plutôt choisi de demander l’asile au Canada.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] Avant de rejeter l’appel et de confirmer la conclusion de la SPR, la SAR a conclu 1) à l’absence de crédibilité globale du demandeur d’asile, et 2) à l’absence d’une explication raisonnable pour justifier le manque d’efforts pour obtenir des preuves documentaires corroborantes pertinentes, comme l’exige l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 [les Règles de la SPR].

[12] La SAR a conclu, comme l’avait fait la SPR, que l’exposé circonstancié contenu dans le premier formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] était confus et peu clair, que l’exposé circonstancié modifié du formulaire FDA comportait des divergences, et que d’autres incohérences étaient apparues au cours de l’audience. Selon la SAR, ces divergences étaient importantes et minaient la présomption de véracité applicable au témoignage du demandeur.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[13] Le demandeur soutient que la demande soulève cinq questions. Le défendeur n’en relève qu’une, soit celle de savoir si l’intervention de la Cour est justifiée.

[14] Selon le défendeur, certaines questions soulevées par le demandeur découlent de la décision de la SPR et n’ont pas été posées à la SAR. Le défendeur fait valoir que la Cour n’est pas régulièrement saisie de ces questions dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision de la SAR – bon nombre d’entre elles sont examinées dans le dossier IMM‑2292‑20 – , et le conseil du demandeur l’a reconnu au cours de sa plaidoirie. J’ai donc formulé les questions en litige suivantes :

  1. La conclusion en matière de crédibilité tirée par la SAR est‑elle erronée?

  2. La SPR a‑t‑elle apprécié la preuve documentaire de façon erronée?

[15] Ces questions doivent être examinées au regard de la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Une décision raisonnable en est une qui est justifiée, transparente et intelligible, et qui est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 16 et 85 [Vavilov]).

V. Analyse

A. La SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la crédibilité

[16] Le demandeur reconnaît l’existence d’incohérences dans la preuve, mais il soutient que la SAR a exagéré ces incohérences de façon déraisonnable, et qu’elles n’étaient pas suffisamment graves pour justifier les conclusions défavorables quant à la crédibilité. Il soutient que la SAR a exagéré la mesure dans laquelle le témoignage, l’exposé circonstancié initial contenu dans le formulaire FDA et l’exposé modifié différaient, et qu’elle a examiné ces différences à la loupe. Il soutient en outre qu’il avait raisonnablement expliqué les incohérences et que, par conséquent, elles ne permettaient pas de réfuter la présomption de véracité.

[17] Selon le demandeur, les nombreuses incohérences dans la preuve étaient mineures ou fournissaient des détails complémentaires, mais cette caractérisation n’est tout simplement pas exacte. Par exemple, l’agression commise contre le VUS, visée par le signalement, était un incident important dans la série d’incidents signalés qu’il a mentionnés à l’appui de sa demande d’asile, mais les circonstances relatées au sujet de cette agression étaient différentes et les éléments de preuve étaient incohérents. D’autres faits importants, notamment les efforts que les agents de persécution auraient déployés pour trouver le demandeur et sa famille, ont été soit mal décrits, soit omis dans le premier exposé circonstancié. De même, les tentatives en vue d’obtenir la protection de l’État et le déménagement de la famille à Cartagena, où elle a résidé pendant environ un mois juste avant de quitter la Colombie, ont été omises dans le premier exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA.

[18] Le demandeur a fourni une explication pour chacune des incohérences et omissions relevées, invoquant la fatigue à son arrivée au Canada, le fait qu’il croyait que l’exposé initial pouvait être modifié et des erreurs de traduction.

[19] La SAR n’a pas écarté ces explications, mais elle a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle elles ne justifiaient pas raisonnablement les incohérences ou l’omission de détails importants en rapport avec les incidents qui étaient cruciaux pour la demande d’asile. Elles n’ont pas non plus permis de comprendre la confusion dans l’exposé circonstancié, compte tenu du profil du demandeur, qui est une personne instruite. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de faire siennes les conclusions de la SPR, et le raisonnement qui sous‑tend les conclusions de la SAR était bien détaillé dans sa décision.

[20] Vu que les éléments de preuve étaient incohérents, que les incohérences étaient importantes et que les explications fournies n’étaient pas raisonnables, j’estime que la SAR n’a pas eu tort de conclure que l’absence de crédibilité globale de la demande d’asile réfutait la présomption de véracité (Janvier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 142 au para 22).

B. L’appréciation de la preuve documentaire par la SAR était raisonnable

[21] Le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR de ne pas tenir compte de ses explications concernant le fait qu’il n’a fourni aucun document original concernant la campagne présidentielle pour corroborer ses affirmations selon lesquelles il était actif sur la scène politique en Colombie, il avait réclamé la protection de l’État et il était actif dans le mouvement syndical.

[22] Le demandeur interprète mal la principale réserve exprimée par la SPR et la SAR en ce qui concerne la preuve documentaire. La réserve exprimée par la SPR et la SAR ne portait pas sur l’absence de documents authentifiés corroborant les différents éléments de la demande d’asile – à savoir sa participation active dans le mouvement syndical et sur la scène politique, ainsi que ses efforts pour obtenir la protection de l’État en réponse aux menaces et aux agressions –, mais sur l’absence de preuve faisant état d’efforts raisonnables déployés pour obtenir ces documents. L’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il ne pouvait obtenir des documents originaux ou des témoignages corroborants (les documents se trouvaient dans les archives du gouvernement ou les témoins n’étaient pas joignables pour des raisons de sécurité) n’a pas été écartée, mais elle ne comble pas son défaut de fournir la preuve qu’il avait fait des efforts pour surmonter ces obstacles.

[23] En l’absence d’une telle preuve, la SAR n’a pas eu tort de conclure que la preuve produite ne satisfaisait pas aux exigences énoncées à l’article 11 des Règles de la SPR– à savoir, qu’un demandeur doit transmettre des documents acceptables qui permettent d’établir les éléments de sa demande d’asile et que s’il ne peut le faire, il doit en donner la raison et indiquer quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

VI. Conclusion

[24] La demande sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1948‑20

LA COUR STATUE :

1. La demande est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

 

« Patrick Gleeson »

 

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1948‑20

 

INTITULÉ :

JAIRO ARTURO VILLARRAGA RIOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 29 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Shameika Hue

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Law Offices of Roger Rowe

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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