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Date : 20020322

Dossier : IMM-5221-99

Référence neutre : 2002 CFPI 323

ENTRE :

                                                                      LIANGJI TIAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, vise notamment l'annulation de la décision par laquelle l'agent des visas a refusé, en date du 15 septembre 1999, la demande de résidence permanente du demandeur comme chef cuisinier dans la catégorie des travailleurs autonomes.


[2]                 Le demandeur cherche à obtenir un bref de certiorari cassant la décision et un bref de mandamus obligeant le défendeur à approuver les visas d'immigration du demandeur et des membres de sa famille ou à prendre à sa charge tous les frais afférents à une nouvelle entrevue. Il demande un bref de mandamus permettant la présence de son avocat à toute nouvelle entrevue ou l'enregistrement de celle-ci. Il sollicite un jugement déclaratoire enjoignant à l'agent des visas d'accorder [traduction] « pleine foi et crédibilité » aux demandeurs qui travaillent à l'extérieur de leur pays d'origine et qui ont accumulé le montant d'actif approprié à la taille de leur famille.

[3]                 Le demandeur sollicite l'adjudication des dépens tels que les frais et honoraires juridiques au montant de 5 100 $ plus les frais d'interrogatoire.

Le contexte

[4]                 Le demandeur est un citoyen de la Chine qui réside aux États-Unis depuis novembre 1993. Il travaille dans un restaurant de cuisine-minute chinoise appelé New Dynasty Chinese, à Washington D.C., depuis 1996. Sa conjointe et ses trois enfants à charge résident en Chine.

[5]                 Le demandeur s'est présenté à une entrevue personnelle le 8 septembre 1999. La décision de l'agent des visas lui a été communiquée par lettre en date du 15 septembre 1999. L'agent des visas a accordé les points d'appréciation suivants au demandeur comme chef cuisinier dans la catégorie des travailleurs autonomes :

Âge                                                                        10

Demande dans la profession                                 10        

Préparation professionnelle spécifique    07

Expérience                                                            00

Facteur démographique                                       08

Éducation                                                              13

Connaissance de l'anglais                                     00        

Connaissance du français                                     00


Personnalité                                                           02

Travail autonome                                                  00

Total                                                         50

[6]                 Dans la catégorie des travailleurs autonomes, l'agent des visas peut accorder 30 points d'appréciation supplémentaires à un immigrant qui compte devenir travailleur autonome si celui-ci le convainc qu'il est en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada. Dans la lettre de la décision, l'agent des visas a déclaré ce qui suit :

[traduction] Je ne vous ai pas accordé les 30 points supplémentaires parce que vous n'avez pas démontré durant l'entrevue que vous étiez en mesure comme travailleur autonome d'exercer la profession de chef cuisinier avec succès. Même si vous avez plusieurs années d'expérience comme cuisinier, il n'y a aucune preuve que vous serez en mesure de vous établir sur le plan professionnel au Canada. Vous avez admis à l'entrevue que vous n'aviez pas exploré le marché du travail canadien ni élaboré de plan d'affaires. Vous n'avez pas établi de relations d'affaires au Canada, notamment avec des fournisseurs, des grossistes, etc., et votre seule réponse quant aux réserves que j'ai exprimées à propos de votre manque de préparation a été que vous aviez des amis pour vous aider. Vous ne semblez pas avoir de plans qui vous sont propres. Vous avez présenté seulement un relevé d'une banque américaine indiquant que vous avez 17 000 $ et vous avez affirmé disposer d'une somme additionnelle de 40 000 $ en Chine. Vous n'avez toutefois pas présenté de preuve de votre actif dans votre pays d'origine et n'avez pu fournir aucune comptabilité de la source des fonds que vous possédez aux États-Unis.

J'ai également considéré votre demande à la lumière des critères établis pour la catégorie des immigrants indépendants. En vertu de l'article 8(1) du Règlement sur l'immigration, les demandeurs indépendants sont évalués selon l'âge, la demande dans la profession, la préparation professionnelle, l'éducation, l'expérience, les facteurs démographiques au Canada, la connaissance de l'anglais et du français et la personnalité. Je vous ai évalué au regard de la profession de cuisinier (catégorie 6241de la CNP) et vous n'avez pas obtenu le nombre suffisant de points d'appréciation exigé par le Règlement.

Les arguments du demandeur

[7]                 Le demandeur a soulevé huit questions dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Elles sont présentées à la section des questions en litige des présents motifs.

[8]                 Le demandeur prétend que l'agent des visas a commis une erreur de droit en exigeant qu'il prouve comment il avait acquis ses biens, au lieu qu'il fasse simplement la preuve de ce qu'il possédait. Il soutient que le Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement) exige la preuve de la source des biens seulement dans le cas des investisseurs et non dans le cas des travailleurs autonomes.

[9]                 Le demandeur allègue que la Cour devrait déclarer de façon claire et précise qu'elle n'entend pas tolérer que l'on exige des demandeurs de la catégorie des travailleurs autonomes qu'ils fassent la preuve de la source de leurs biens lorsqu'il n'existe aucune preuve crédible que ces biens ont été acquis par le biais d'activités criminelles. Il prétend que le fardeau approprié pour la preuve est la propriété, et non l'origine.

[10]            Le demandeur reconnaît que le rejet de son actif a empêché qu'il soit fait droit à sa demande.

[11]            Le demandeur allègue que l'appréciation du facteur de la personnalité par l'agent des visas ne peut tenir parce qu'elle est fondée sur un rejet irrégulier de son actif, qu'il a été évalué au regard de la catégorie des travailleurs autonomes et non de la profession de cuisinier, qu'aucun motif valable n'a été avancé et que cette appréciation est abusive compte tenu qu'il a démontré son aptitude à se prendre en charge dans un [traduction] « milieu anglophone » .


Les arguments du défendeur

[12]            L'avocat du défendeur fait valoir que l'agent des visas n'a pas fait erreur en rejetant la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. Il soutient qu'il n'y a pas de raisons spéciales pour adjuger les dépens contre le défendeur.

Les questions en litige

[13]            Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

1.       L'agent des visas a-t-il arbitrairement rejeté l'actif du demandeur et, par conséquent, commis une erreur donnant matière à révision?

2.                  L'agent des visas a-t-il fait erreur en n'attribuant aucun point d'appréciation au demandeur pour le facteur expérience?

3.                  L'agent des visas a-t-il fait erreur dans l'appréciation du facteur personnalité?

4.                  L'agent des visas a-t-il appliqué des exigences d'une autre catégorie?

5.                  L'agent des visas a-t-il fait erreur en évaluant le demandeur en vertu du paragraphe 2(1) du Règlement, au lieu de l'article 8?

6.                  L'agent des visas a-t-il fait erreur en n'appliquant pas le paragraphe 11(3) du Règlement?

7.                  L'agent des visas a-t-il fait erreur en concluant que le demandeur ne sera pas en mesure de s'établir de « façon à contribuer de manière significative » à la vie économique du Canada?


8.      Existe-t-il des « raisons spéciales » qui justifieraient l'adjudication des frais juridiques contre le ministre?

Analyse et décision

[14]            Question 1

L'agent des visas a-t-il arbitrairement rejeté l'actif du demandeur et, par conséquent, commis une erreur donnant matière à révision?

J'ai pris connaissance des notes rédigées dans le STIDI par l'agent des visas qui y mentionnait ce qui suit :

[traduction] ACTIF : IL POSSÈDE 17 000 $US (LETTRE DE LA BANQUE SEULEMENT - AUCUN RELEVÉ MENSUEL)

                                  30 000 $US (EN BANQUE EN RPC)

                                  40 000 $US (EN BANQUE EN RPC - AUCUNE PREUVE)

IL DISPOSE DE 17 000 $ AUX ÉTATS-UNIS. RIEN N'INDIQUE QU'IL PEUT RETIRER LES SOMMES QU'IL POSSÈDE EN RPC. ET COMME IL NE PEUT PAS FOURNIR DE RELEVÉ BANCAIRE, JE NE PEUX PAS VÉRIFIER LA SOURCE DU MONTANT DE 17 000 $.

[15]            Dans la lettre du refus, l'agent des visas a écrit ce qui suit :

[traduction] [¼] Vous avez présenté seulement un relevé d'une banque américaine indiquant que vous avez 17 000 $ et vous avez affirmé disposer d'une somme additionnelle de 40 000 $ en Chine. Vous n'avez toutefois pas présenté de preuve de votre actif dans votre pays d'origine et n'avez pu fournir aucune comptabilité de la source des fonds que vous possédez aux États-Unis.

[16]            Dans ses notes manuscrites, présentées à la page 25 du dossier du tribunal, l'agent des visas précise que le demandeur apportera avec lui les sommes de 40 000 $US et de 38 000 $ dont il dispose en RPC, ainsi que la somme de 17 129 $ des États-Unis. La mention [traduction] « sans restriction » , que j'interprète comme signifiant sans restriction sur le virement des fonds, apparaît dans ses notes.

[17]            À mon avis, l'agent des visas s'est embrouillé quant au montant des fonds dont le demandeur disposait pour venir au Canada. Le dossier ne me permet pas d'apporter une solution. L'agent des visas a également mentionné que le demandeur n'a pu « fournir aucune comptabilité de la source des fonds » qu'il possédait aux États-Unis. Le Règlement prévoit que les investisseurs doivent prouver la source de leur avoir net, qui doit avoir été accumulé par leurs propres efforts. Il n'y a aucune exigence de ce genre pour les travailleurs autonomes. En imposant cette condition supplémentaire au demandeur, l'agent des visas a commis une erreur de droit donnant matière à révision. Compte tenu de cela et de la confusion entourant les sommes d'argent dont le demandeur disposait pour venir au Canada, je suis d'avis que la demande entière devrait être réexaminée par un autre agent des visas. En l'espèce, il m'est impossible de déterminer quelle incidence la confusion quant aux sommes a pu avoir sur le reste de la décision. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie.

[18]            Je ne suis pas disposé à accorder l'autre réparation demandée par le demandeur.

[19]            Considérant ma réponse à la question 1, je n'ai pas besoin d'aborder les autres questions soulevées par le demandeur, à l'exception de celle concernant les dépens.

[20]            Question 8

Existe-t-il des « raisons spéciales » qui justifieraient l'adjudication des frais juridiques contre le ministre?

Je ne suis pas disposé à adjuger les frais juridiques contre le ministre. Je ne vois aucune raison au dossier de la présente affaire qui pourrait justifier cela. Par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.

[21]            Les parties disposent d'une semaine à partir de la date des présents motifs pour soumettre toute question grave de portée générale.

  

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 2002

  

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5221-99        

INTITULÉ :                          Liangji Tian c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

     

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 13 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                  Le 22 mars 2002

COMPARUTIONS :                 

M. Timothy E. Leahy                 POUR LE DEMANDEUR

  

M. Matthew Oommen                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Timothy E. Leahy                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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