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Date : 20210222


Dossier : T-2083-18

Référence : 2021 CF 168

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2021

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MOHAMMED ALSALOUSSI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Mohammed Alsaloussi, présente une requête [Requête] en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], afin d’obtenir une modification de l’ordonnance contenue dans le jugement et motifs que j’ai rendu le 13 mars 2020 dans Alsaloussi c Canada (Procureur général), 2020 CF 364 [Jugement], modifié par l’ordonnance et les motifs de l’ordonnance subséquents que j’ai prononcés le 20 avril 2020 dans la décision Alsaloussi c Canada (Procureur général), 2020 CF 533 [collectivement, l’Ordonnance].

[2] Dans le Jugement, j’ai accueilli en partie la demande de contrôle judiciaire de M. Alsaloussi dans laquelle il contestait une décision rendue par la Division de l’admissibilité au passeport et des enquêtes [Division des passeports] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. J’ai alors ordonné que la question de la période de refus des services de passeport imposée à M. Alsaloussi soit réexaminée et qu’un autre décideur statue à nouveau sur cette question. À la suite d’une requête déposée par le défendeur, le procureur général du Canada [PGC], en application de l’article 397 des Règles, j’ai accepté de réexaminer le Jugement et d’ajouter, par souci de clarté, les termes « en partie » à la seconde conclusion de mon Ordonnance.

[3] Le 16 juillet 2020, un nouveau décideur de la Division des passeports a rendu sa décision relativement au réexamen [Décision]. M. Alsaloussi n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la Décision, mais a plutôt choisi de déposer la présente Requête. Il soutient que la Décision et les faits qui la sous-tendent constituent des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) des Règles, et que des circonstances exceptionnelles justifient la modification de l’Ordonnance que j’ai rendue.

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejette la Requête de M. Alsaloussi. Malgré les arguments pertinents avancés par l’avocat de M. Alsaloussi, je ne peux conclure que la Requête soulève une question satisfaisant aux exigences rigoureuses de l’article 399 des Règles et qu’elle justifie l’intervention de la Cour. Au contraire, je conclus que la Requête déborde du champ d’application de l’alinéa 399(2)a) des Règles, qu’il n’y a rien à modifier ou à préciser dans mon Ordonnance, et que la Décision n’aurait aucune influence déterminante sur les conclusions que j’ai tirées. En fait, par sa Requête, M. Alsaloussi reproche à la Division des passeports de ne pas s’être conformée à mon Ordonnance et tente, de façon indirecte, d’obtenir le contrôle judiciaire de la Décision rendue par la Division des passeports lors du réexamen. Une requête en application de l’article 399 des Règles n’est pas le moyen approprié pour y parvenir, et elle ne peut donner lieu aux mesures de redressement demandées par M. Alsaloussi dans sa Requête.

II. Contexte

[5] Les faits pertinents aux fins de la présente Requête se résument comme suit.

[6] Dans le Jugement, j’ai accueilli en partie la demande de contrôle judiciaire de M. Alsaloussi dans laquelle il contestait une décision de la Division des passeports qui avait révoqué son passeport canadien et lui avait imposé une suspension des services de passeport pour une période de trois ans. Dans mes motifs, j’ai examiné les deux principaux aspects de la décision contestée. J’ai d’abord conclu que la conclusion tirée par la Division des passeports selon laquelle M. Alsaloussi avait fourni des renseignements faux ou trompeurs dans sa demande de passeport d’avril 2018 était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve. Cependant, en ce qui concerne la période de suspension de trois ans des services de passeport imposée par la Division des passeports, j’ai conclu qu’elle était déraisonnable et j’ai renvoyé cette question précise pour qu’elle soit réexaminée et qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre décideur.

[7] Les conclusions du Jugement se lisaient comme suit :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

2. La décision du 28 novembre 2018 de la Division des passeports est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour réexamen et nouvelle détermination sur la question de la période de refus des services de passeport, conformément aux présents motifs.

3. La Division des passeports rendra sa décision dans les 60 jours suivant la date du présent jugement.

4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

[8] Le 26 mars 2020, le PGC a présenté une requête en réexamen du Jugement en application de l’alinéa 397(1)a) des Règles, me demandant de modifier le Jugement afin qu’il concorde avec les motifs qui ont été énoncés. M. Alsaloussi s’est fortement opposé à cette requête, en affirmant que le Jugement était clair et qu’il n’était pas nécessaire de le modifier. Même si je considérais que mon Jugement était clair – puisqu’il limitait expressément le réexamen à la question relative à la période de suspension des services de passeport –, j’ai néanmoins accueilli en partie la requête du PGC et convenu de répéter les termes « en partie » dans le libellé de ma seconde conclusion, pour en clarifier et préciser davantage la teneur. Le Jugement a donc été modifié de la façon suivante, pour que la seconde conclusion soit « on ne peut plus claire » (comme je l’ai expressément mentionné dans l’ordonnance et les motifs que j’ai rendus en avril 2020) :

1. La requête en réexamen du jugement rendu le 13 mars 2020 est accueillie en partie et le paragraphe 2 du jugement est par la présente modifié comme suit :

« La décision du 28 novembre 2018 de la Division des passeports est annulée en partie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour réexamen et nouvelle détermination sur la question de la période de refus des services de passeport, conformément aux présents motifs. »

[9] Le 16 juillet 2020, la Division des passeports a rendu sa Décision relative au réexamen. Au terme d’une analyse détaillée de 18 pages, le nouveau décideur a révisé la période de refus des services de passeport imposée à M. Alsaloussi, la faisant passer à trois ans et six mois, et modifiant la date de début de la période de refus, en remplaçant le 28 avril 2018 par le 3 août 2018. Par conséquent, dans la Décision, la sanction imposée à M. Alsaloussi a effectivement été prolongée d’une année complète. Il va sans dire que M. Alsaloussi était très mécontent de la Décision.

[10] M. Alsaloussi allègue que le nouveau décideur a volontairement fait abstraction des conclusions de fait, des motifs et de la portée des conclusions contenues dans mon Ordonnance. Il affirme que la Décision et les faits qui y ont donné lieu constituent des « faits nouveaux » qui justifient la modification de mon Ordonnance parce que, selon lui, le nouveau décideur n’aurait pas compris ce que j’avais ordonné et n’aurait pas procédé au réexamen conformément à mes motifs. M. Alsaloussi soutient également que la Décision ne pouvait pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire puisqu’elle ne devrait tout simplement pas exister et qu’elle dénote soit une incompréhension profonde de mon Ordonnance, soit de la mauvaise foi de la part de la Division des passeports. Bien que M. Alsaloussi ait présenté la présente Requête en application de l’article 399 des Règles et qu’il cherche à « faire modifier » l’Ordonnance, je remarque que, dans les documents au soutien de sa Requête, il ne précise pas la façon exacte dont les conclusions de mon Ordonnance devraient être modifiées. M. Alsaloussi demande plutôt à la Cour d’ordonner les réparations suivantes :

[traduction]

A. ACCUEILLIR la présente requête;

B. MODIFIER l’ordonnance contenue dans le jugement rendu le 13 mars 2020 par l’honorable juge Denis Gascon et l’ordonnance contenue dans l’ordonnance et motifs rendus le 20 avril 2020 par l’honorable juge Denis Gascon;

C. ANNULER la décision du 16 juillet 2020 rendue par le nouveau décideur du Réseau national de la Division de l’admissibilité au passeport et des enquêtes d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada relativement au jugement rendu le 13 mars 2020 par l’honorable juge Denis Gascon et l’ordonnance contenue dans l’ordonnance et motifs rendus le 20 avril 2020 par l’honorable juge Denis Gascon;

D. ORDONNER à IRCC de nommer un nouveau décideur en l’espèce chargé d’appliquer l’ordonnance de la Cour et de réexaminer le délai de prescription, mais sans mener une autre enquête;

E. ORDONNER que, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue en l’espèce, le demandeur soit admissible aux services de passeport et qu’il ait le droit d’obtenir un passeport canadien jusqu’à ce que le nouveau décideur rende une décision définitive;

F. RENDRE toute autre ordonnance que la Cour juge appropriée afin d’assurer une interprétation, une application et une exécution adéquate de l’ordonnance visée par la présente requête, ou toute autre ordonnance qu’elle pourrait juger convenable;

G. LE TOUT AVEC DÉPENS.

À TITRE SUBSIDIAIRE :

H. REMPLACER la décision du 16 juillet 2020 du décideur et ordonner que le demandeur soit admissible aux services de passeport et qu’il ait le droit d’obtenir un passeport canadien, sans restriction ni limitation, en présentant une demande dans des conditions normales et applicables;

I. LE TOUT AVEC DÉPENS.

III. Analyse

[11] Le principe général veut que les décisions judiciaires soient définitives. « Cela est nécessaire pour assurer la certitude du processus judiciaire de même que préserver l’intégrité de ce même processus » (Collins c Canada, 2011 CAF 171 [Collins] au para 12).

[12] Lorsqu’un juge a rendu une ordonnance ou un jugement définitif, il est dessaisi du dossier (functus officio selon l’expression latine consacrée). Cela signifie qu’il n’a plus compétence sur la question qui fait l’objet du litige et que la Cour ne peut revenir sur une ordonnance ou un jugement qu’elle a rendu (Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 176 [Janssen] au para 35; Halford c Seed Hawk Inc, 2004 CF 455 au para 6, citant Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848). Le principe du dessaisissement vise à assurer le caractère définitif des ordonnances ou des jugements et dispose que la Cour ne peut pas réexaminer ou modifier ses décisions une fois qu’elles ont été rendues.

[13] Ce principe n’admet que quelques rares exceptions. Les articles 397 à 399 des Règles prévoient des exceptions strictement définies. L’une d’elles est l’alinéa 399(2)a) des Règles, qui dispose que la Cour peut annuler ou modifier une ordonnance si « des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue ». M. Alsaloussi a présenté sa Requête en application de cet alinéa.

[14] La jurisprudence a établi que trois conditions doivent être remplies pour que la Cour puisse accueillir une requête en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles : 1) les éléments découverts depuis peu doivent être des « faits nouveaux » au sens des Règles; 2) les « faits nouveaux » ne doivent pas être des faits que l’intéressé aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue, en faisant preuve de diligence raisonnable; 3) les « faits nouveaux » doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question (Ayangma c Canada, 2003 CAF 382 au para 3; Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc c Ministre de la santé, 2003 CF 911 [P&G] au para 15). Pour avoir gain de cause, le demandeur est tenu de satisfaire ces trois éléments du test énoncé à l’alinéa 399(2)a) des Règles.

[15] Puisque le fait d’assurer la certitude et de préserver l’intégrité du processus judiciaire est une nécessité, une requête en annulation ou en modification d’une ordonnance présentée en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles doit être fondée sur « des motifs exceptionnellement sérieux et convaincants » (Collins au para 12). Le recours est extraordinaire et ne sera accordé « que dans le plus clair des cas » (P&G au para 26). Pour reprendre ce que la Cour a mentionné dans la décision Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 712 [Smith], la Requête de M. Alsaloussi doit donc être « carrément visée par [...] [l]es Règles » (Smith au para 26).

[16] Je conclus que l’article 399 des Règles ne trouve aucune application en l’espèce, puisque les circonstances que M. Alsaloussi a décrites dans sa Requête ne satisfont pas aux exigences énoncées à l’alinéa 399(2)a) des Règles et ne sont aucunement visées par cet alinéa pour plusieurs raisons. Premièrement, la Requête de M. Alsaloussi outrepasse les limites strictes de l’alinéa 399(2)a) des Règles à plusieurs égards. Deuxièmement, je ne suis pas persuadé qu’il soit nécessaire de modifier ou de préciser quoi que ce soit dans mon Ordonnance en raison de la Décision relative au réexamen et des faits qui la sous-tendent. Je conclus plutôt que la Décision n’aurait pas eu une influence déterminante sur mon Ordonnance et ne m’aurait pas amené à prononcer une ordonnance différente. Troisièmement, la Requête de M. Alsaloussi constitue clairement une tentative déguisée de procéder au contrôle judiciaire de la Décision, pour laquelle le recours approprié était une demande de contrôle judiciaire en application de la Partie 5 des Règles. Il n’y a rien d’unique à la situation à laquelle fait face M. Alsaloussi qui justifierait de contourner le processus habituel pour contester une décision rendue par un décideur administratif à la suite d’une ordonnance de réexamen et de nouvelle détermination prononcée par la Cour.

A. La Requête n’est pas visée par les limites strictes de l’alinéa 399(2)a) des Règles

[17] Je ne conteste pas le fait que l’expression « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) des Règles « a un sens large » (Shen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 115 [Shen] au para 15; P&G au para 16). Il y a cependant des limites à la portée de l’alinéa 399(2)a) des Règles : une requête en modification ne peut être utilisée comme moyen pour réexaminer des ordonnances et des jugements chaque fois que des faits nouveaux surviennent ou chaque fois qu’une partie est insatisfaite d’un jugement (Collins au para 12). En l’espèce, la Requête de M. Alsaloussi outrepasse les limites strictes de l’alinéa 399(2)a) des Règles à au moins trois égards distincts, mais connexes.

[18] D’abord, une requête en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles ne peut pas être utilisée simplement pour obtenir des précisions supplémentaires quant à la portée des conclusions tirées dans un jugement ou dans une ordonnance.

[19] Dans ses observations écrites, M. Alsaloussi déclare expressément qu’il entend faire modifier mon Ordonnance [traduction] « afin de détailler de manière exhaustive la portée limitée du jugement, d’indiquer qu’un nouveau décideur est en fait tenu de respecter ce jugement, les motifs du jugement et leur portée restreinte et de limiter l’exercice de son obligation au réexamen et au prononcé d’une nouvelle décision sur la question de la période de refus des services de passeport [...], le tout conformément aux motifs du jugement, et rien de plus ». Comme la Cour l’a clairement confirmé dans les décisions Shen et Teva Neuroscience GP-SENC c Canada (Procureur général), 2010 CF 1204 [Teva], et contrairement à ce que soutient M. Alsaloussi, ce type de réparation ne relève pas des pouvoirs de la Cour et ce n’est pas ce que l’article 399 des Règles a pour objet de corriger.

[20] Dans les décisions Shen et Teva, la Cour était saisie de requêtes présentées en application de l’article 399 des Règles dans le contexte de décisions que la Cour avait rendues dans des demandes de contrôle judiciaire. Les requêtes concernaient des événements survenus lors du processus de réexamen alors mené par le décideur administratif. Dans ces deux cas, contrairement à la situation qui a lieu dans la présente Requête, la décision relative au réexamen n’avait pas encore été rendue par le décideur administratif, et les requêtes en modification des ordonnances de la Cour visaient à préciser le processus à suivre par le décideur administratif pendant le réexamen ou encore à trancher des questions portant sur les éléments de preuve devant servir dans le processus de réexamen.

[21] Dans la décision Teva, la Cour a conclu que la requête fondée sur l’article 399 des Règles, dans laquelle on demandait des modifications afin d’expliquer comment le processus de réexamen devrait se dérouler, reviendrait en fait à obliger « la Cour à exercer une compétence de surveillance continue sur les mesures que le [décideur] peut prendre ou refuser de prendre dans le cadre de son réexamen » (Teva au para 25). Or, a dit la Cour, « [c]e n’est pas la fonction de la Cour » (Teva au para 25). La Cour a ajouté que, lorsque le décideur rendra une décision finale, l’une des parties pourra, si on le lui conseille, présenter une demande de contrôle judiciaire (Teva au para 25). De même, dans la décision Shen, la Cour a refusé le redressement subsidiaire sollicité pour « préciser la portée » du jugement dans cette affaire « pour aider au règlement du litige devant l[e] [décideur] en ce qui concerne son interprétation et son application » (Shen au para 25). La Cour a conclu qu’une telle demande « n’est manifestement pas visée par la règle 399 » (Shen au para 25).

[22] Je souscris à ces précédents et je conclus également que ce que recherche en fait M. Alsaloussi dans sa Requête, soit une modification de mon Ordonnance afin d’y insérer des détails supplémentaires reformulant la portée restreinte du réexamen en cause, ne relève pas directement de l’article 399 des Règles. Tout comme dans la décision Teva, je n’ai donné, dans mon Ordonnance, aucune directive précise sur la façon dont le réexamen de la période de refus des services de passeport devait être effectué par le nouveau décideur de la Division des passeports, et je n’ai dressé aucune liste énumérant ce qui devait être fait. Or, une requête fondée sur l’alinéa 399(2)a) des Règles n’est pas un instrument visant à préciser la façon dont une ordonnance doit être exécutée.

[23] Si le fait de fournir des précisions supplémentaires lors d’un processus de réexamen toujours en cours ne fait pas partie de la « fonction de la Cour » -- car cela obligerait cette dernière à exercer une « compétence de surveillance continue » sur les mesures à prendre par le décideur administratif dans le cadre du réexamen (Teva au para 25) --, ceci est d’autant plus vrai dans une situation comme celle de M. Alsaloussi où le nouveau décideur a déjà terminé son processus de réexamen. J’ajouterais que j’estime absurde d’affirmer que l’ordonnance d’une cour pourrait ou devrait être modifiée pour rappeler à un décideur administratif qu’il est tenu d’en respecter le libellé. Le fondement même d’une ordonnance ou d’un jugement rendu par une cour est que cette ordonnance ou ce jugement doit être respecté.

[24] Par ailleurs, l’alinéa 399(2)a) des Règles ne doit pas être un moyen d’examiner une prétendue omission de se conformer à une ordonnance ou une prétendue exécution erronée d’une ordonnance. Il s’agit là de la deuxième façon dont la Requête de M. Alsaloussi outrepasse les limites de cet alinéa.

[25] Les « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) des Règles doivent être « pertinents aux faits qui sont à l’origine de l’ordonnance initiale » (Shen au para 15; P&G au para 16). Dans le cas de M. Alsaloussi, la Décision et les faits s’y rapportant ne concernent pas les faits ayant donné lieu à mon Ordonnance. Ils sont plutôt une conséquence de l’exécution et de l’application de l’Ordonnance; ils sont des faits découlant de l’exécution de l’Ordonnance elle-même, à savoir le prononcé de la Décision par le nouveau décideur.

[26] Il serait ironique que la Cour puisse annuler ou modifier l’une de ses ordonnances en raison de circonstances qui ne sont survenues ou qui n’ont été « découvertes » qu’à la suite de l’exécution de ses ordonnances. Une telle situation ne constitue pas un des motifs exceptionnels et contraignants visés par l’article 399 des Règles, mais plutôt une question de respect – ou de non-respect – d’une ordonnance, pour lesquelles les Règles prévoient des recours précis. Ces recours comprennent des demandes d’ordonnances pour outrage au tribunal et, dans les cas d’ordonnances enjoignant à un décideur administratif de réexaminer une affaire et de rendre une nouvelle détermination, des demandes de contrôle judiciaire de la décision relative au réexamen.

[27] L’alinéa 399(2)a) des Règles n’est pas censé s’appliquer à des situations où, comme c’est le cas en l’espèce pour M. Alsaloussi, une personne est mécontente du travail effectué par un décideur administratif relativement à un réexamen. Si une prétendue omission de se conformer à une ordonnance claire et non ambiguë ouvrait la porte à une requête en modification fondée sur l’alinéa 399(2)a) des Règles, cela signifierait que l’article 399 des Règles pourrait servir à demander à la Cour de surveiller l’exécution de ses propres ordonnances et d’exercer une surveillance continue sur le respect de ses ordonnances. Ce n’est manifestement pas l’objet de l’article 399 des Règles et, en fait, cela neutraliserait carrément le principe fondamental du functus officio. Autrement dit, si l’on pouvait demander à la Cour d’annuler ou de modifier une de ses ordonnances en raison du fait qu’un nouveau décideur aurait dû exécuter l’ordonnance ou la respecter, un juge ne serait jamais dessaisi du dossier et continuerait d’assumer son rôle de surveillance et de supervision sur la mise en œuvre de ses décisions pour autant qu’une partie estime que le nouveau décideur ne respecte pas l’ordonnance relative à un réexamen. Comme la Cour l’a mentionné dans P&G, une requête en modification fondée sur l’alinéa 399(2)a) des Règles ne peut être utilisée comme moyen pour réexaminer des jugements chaque fois que des faits nouveaux surviennent ou pour conférer à la Cour une compétence continue permettant de procéder à l’examen d’un jugement en fonction de la manière dont il a été appliqué et respecté (P&G au para 14).

[28] Troisièmement, l’alinéa 399(2)a) des Règles ne peut pas s’appliquer à des situations où l’ordonnance qu’on cherche à modifier a déjà été exécutée, comme c’est le cas pour M. Alsaloussi en l’espèce. En effet, la Décision relative au réexamen qui a fait l’objet de l’Ordonnance en cause a déjà été rendue.

[29] Autrement dit, la Requête de M. Alsaloussi outrepasse les limites de l’alinéa 399(2)a) des Règles puisqu’il n’y a plus rien à modifier ou à réexaminer, l’Ordonnance ayant été exécutée avec le prononcé de la Décision de la Division des passeports. Lorsqu’il est déjà trop tard, une requête en modification d’une ordonnance visant à préciser la façon dont on aurait dû procéder et quelle disposition aurait dû être utilisée ne sert strictement à rien et ne cadre certainement pas avec les motifs exceptionnels et contraignants de l’alinéa 399(2)a).

[30] Je souligne que, contrairement à ce qu’affirme M. Alsaloussi, il n’y a aucun « spectre » de procédures pour outrage au tribunal à briser en l’espèce. Un « spectre » de procédures pour outrage au tribunal fait référence à une préoccupation face à une éventuelle procédure pour outrage. Or, en l’espèce, la Décision a déjà été rendue et, s’il y avait un souci d’une éventuelle procédure pour outrage, les faits à l’origine d’un tel outrage se sont déjà produits. Nous sommes donc bien au-delà du « spectre » qui, dans certaines des décisions citées par M. Alsaloussi, a pu amener la Cour à accueillir une requête en modification du libellé d’une ordonnance.

B. Il n’y a rien à modifier ou à préciser dans mon Ordonnance

[31] Dans le but de satisfaire aux exigences établies par la jurisprudence pour accorder une requête en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles, le juge qui examine une telle requête doit décider ce qu’il aurait fait si les faits nouveaux lui avaient été soumis (Shen au para 18; P&G au para 26). Comme c’était le cas dans les décisions Arysta Lifescience North America, LLC c Agracity Crop & Nutrition Ltd, 2020 CF 388 [Arysta] et Shen, je suis le juge qui a rendu le jugement antérieur, et le critère est donc de savoir si les nouveaux faits auraient eu une « influence déterminante » sur mon Jugement. En d’autres termes, je dois déterminer si j’aurais modifié mon Ordonnance et y aurais ajouté des éléments compte tenu de la Décision et des faits qui s’y rapportent, si ces faits nouveaux m’avaient été soumis (Arysta au para 19; Shen au para 24).

[32] Tout au long de ses observations, M. Alsaloussi soutient que, si j’avais été informé de la Décision, de son contenu et des faits qui l’ont précédée, j’aurais formulé mon Ordonnance différemment et dissipé toute éventuelle ambiguïté.

[33] Je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas convaincu que mon Ordonnance comporte des ambiguïtés et je conclus plutôt que la Décision, son contenu et les faits qui l’ont précédée n’auraient pas eu d’influence déterminante sur les conclusions auxquelles je suis parvenu.

[34] En tout respect, l’Ordonnance est claire et ne laisse aucune ambiguïté quant à la portée du réexamen qui devait être mené par la Division des passeports. Comme je l’ai déjà mentionné lorsque j’ai examiné la requête du PGC présentée en application de l’article 397 des Règles, les motifs du Jugement ne laissent planer aucun doute quant au fait que tout ce qui a été renvoyé à la Division des passeports pour réexamen et nouvelle détermination par un autre décideur était strictement la question de la période de refus des services de passeport. Aucune autre partie de la décision initiale contestée n’a été renvoyée pour réexamen.

[35] Au paragraphe 1 des conclusions du Jugement, il est expressément mentionné que la demande de M. Alsaloussi était [traduction] « accueillie en partie » et au paragraphe 2, que la décision de la Division des passeports [traduction] « est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour réexamen et nouvelle détermination sur la question de la période de refus des services de passeport, conformément aux présents motifs ». Les motifs reprennent longuement ces conclusions. Mes conclusions ont été quelque peu modifiées en avril 2020 lorsque j’ai accepté d’ajouter les mots « en partie » pour que le paragraphe 2 de mes conclusions soit « on ne peut plus claire[s] ».

[36] J’ai en outre souligné dans l’Ordonnance que, dès le départ, la Division des passeports comprenait fort bien la portée limitée du Jugement, lorsqu’elle a déclenché le processus de réexamen à la fin mars 2020. À ce moment, la Division des passeports a en effet demandé à M. Alsaloussi de présenter des observations sur [traduction] « la suspension des services de passeport » en mentionnant expressément la décision contestée en cause [traduction] « en partie relativement au réexamen et à la nouvelle détermination sur la question de la période de refus des services de passeport ». Je suis d’avis que l’Ordonnance n’aurait pas pu être plus claire, plus précise et plus détaillée relativement à l’affaire renvoyée au nouveau décideur pour réexamen.

[37] En fait, au moment de la requête du PGC déposée en avril 2020, M. Alsaloussi a lui-même estimé que le Jugement était très clair et qu’il ne nécessitait aucune précision supplémentaire. De plus, dans les documents au soutien de sa Requête, M. Alsaloussi a encore une fois répété abondamment que le libellé de mon Ordonnance ne comportait aucune ambiguïté.

[38] Une requête en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles ne peut servir à modifier une ordonnance simplement pour reformuler ou souligner ce qui a déjà été clairement mentionné par la Cour, ou pour rappeler aux parties qu’une ordonnance de la Cour doit être suivie et respectée.

[39] Quant à la Décision, son contenu et les faits qui l’ont précédée, je les ai examinés de façon approfondie et je n’arrive pas à détecter quoi que ce soit m’indiquant que le nouveau décideur aurait estimé que mon Ordonnance était vague et ambiguë. Je n’ai trouvé aucun extrait ni exemple me démontrant que le nouveau décideur aurait éprouvé des difficultés avec les motifs de mon Ordonnance. Après avoir examiné la Décision et les faits présentés par M. Alsaloussi dans sa Requête, je ne suis pas convaincu que le nouveau décideur a nécessairement mal compris l’Ordonnance ou que la Division des passeports « a fait abstraction » de mon Ordonnance. Le nouveau décideur a examiné la période de refus des services de passeport, a déterminé ce qui devait être fait pour mener son nouvel examen, et n’a pas du tout réexaminé la conclusion sur les déclarations fausses et trompeuses de M. Alsaloussi.

[40] À l’audience devant la Cour, l’avocat de M. Alsaloussi a soutenu que je ne devais pas chercher à savoir si l’Ordonnance est claire et non ambiguë de mon propre point de vue ou même de celui de M. Alsaloussi, mais plutôt déterminer si l’Ordonnance est évidente pour toute partie engagée dans le processus, y compris le décideur. Je conclus que la réponse à cette question est un oui sans équivoque.

[41] Il ne s’agit pas ici d’une question d’ambiguïté ou même d’éventuelle ambiguïté à corriger dans l’Ordonnance. En l’espèce, ce dont se plaint M. Alsaloussi n’a rien à voir avec la clarté de mon Ordonnance ou des motifs qui la sous-tendent. La Requête de M. Alsaloussi porte plutôt sur le processus suivi par la Division des passeports relativement au réexamen de la période de suspension des services de passeport, la prétendue omission du nouveau décideur de respecter le libellé de mes conclusions et son exécution de l’Ordonnance, ce qui, selon M. Alsaloussi, serait terriblement déficient. M. Alsaloussi confond une possible ambiguïté dans le libellé d’une ordonnance avec l’exécution potentiellement erronée d’une telle ordonnance. Il s’agit de deux choses complètement différentes.

[42] Il n’y a aucune ambiguïté à dissiper ici, et il ne s’agit pas d’une situation où, si j’avais été informé de la Décision elle-même et de la façon dont le nouveau décideur a mené le réexamen que j’ai ordonné, les conclusions de mon Ordonnance auraient été différentes (P&G au para 32). Compte tenu des faits qui m’ont été présentés, je conclus plutôt que j’aurais tiré les mêmes conclusions et que je n’aurais pas formulé mon Ordonnance différemment, avec les motifs détaillés énoncés dans le Jugement. Autrement dit, compte tenu de l’absence d’ambiguïté dans l’Ordonnance, je ne vois pas comment, en me fondant sur la Décision et les faits qui m’ont été présentés par M. Alsaloussi dans la présente Requête, il faudrait que je modifie mon Ordonnance pour m’assurer que l’étendue de l’obligation du nouveau décideur relativement au réexamen soit correctement décrite.

[43] En somme, je ne suis pas convaincu que la Décision et les circonstances l’entourant auraient une influence déterminante sur mon Ordonnance parce que je ne suis pas en mesure de dire, sans procéder à un contrôle judiciaire adéquat de la Décision, si le nouveau décideur a respecté ou non mon Ordonnance et si un processus raisonnable a été utilisé pour donner suite à mes conclusions.

[44] J’ouvre une parenthèse pour souligner que je ne peux pas simplement présumer ou tenir pour acquis, comme M. Alsaloussi demande à la Cour de faire, qu’en rendant la Décision, le nouveau décideur « a fait abstraction » des motifs sur lesquels reposaient les conclusions de l’Ordonnance, qu’il n’a pas correctement suivi les conclusions et les directives de la Cour ou les a mal comprises, et que mon Ordonnance devrait être modifiée sur la base d’une hypothèse voulant que le décideur ne l’aurait pas respectée. Avant de me prononcer sur ces questions, il conviendrait d’effectuer un examen approfondi de l’analyse faite par le nouveau décideur afin d’évaluer le raisonnement suivi et la façon dont il a tranché la question de la période de refus des services de passeport, et de déterminer si la Cour devrait intervenir dans le processus décisionnel entrepris par le décideur administratif de la Division des passeports. C’est précisément l’objet du processus de contrôle judiciaire, mené comme il se doit dans le cadre établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[45] Je ne dis pas que la Décision respecte nécessairement l’Ordonnance ou qu’il ne pourrait pas y avoir de motifs pour soutenir que le nouveau décideur n’a pas procédé adéquatement au réexamen et n’est pas parvenu à ses conclusions selon ce que j’avais ordonné. Cependant, une prétendue application fautive d’une ordonnance par une personne qui y est soumise ou une prétendue omission de se conformer à une ordonnance ne fait pas partie des circonstances exceptionnelles visées à l’alinéa 399(2)a) des Règles. Le fait que M. Alsaloussi estime qu’en rendant la Décision, le nouveau décideur n’aurait pas tenu compte de mon Ordonnance ne constitue pas, en soi, un motif justifiant une modification de cette Ordonnance.

C. La Requête est une demande déguisée de contrôle judiciaire de la Décision

[46] Dans le cas d’une décision rendue par un décideur administratif à la suite d’une ordonnance de réexamen, il existe une procédure précise dont dispose une partie mécontente de la façon dont l’ordonnance a été suivie, exécutée ou respectée. Cette procédure est une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue à la suite du nouvel examen. M. Alsaloussi affirme que, comme le nouveau décideur [traduction] « n’a pas tenu compte des conclusions claires » de mon Ordonnance et des motifs qui l’appuient, « le seul recours dont il dispose » est la modification de l’Ordonnance en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles. Cela est tout à fait faux.

[47] Non seulement existe-t-il une solution de rechange et un recours efficace, mais ce que M. Alsaloussi demande par le biais de sa Requête est en fait que la Cour procède à un contrôle judiciaire déguisé et expéditif de la Décision rendue par la Division des passeports à la suite de son nouvel examen. Ce n’est pas là le rôle de la Cour sur une requête en modification, et ce n’est certainement pas l’objet de l’alinéa 399(2)a) des Règles de demander à la Cour de procéder à ce qui serait un contrôle judiciaire partiel et tronqué d’une décision administrative.

[48] Par sa Requête, M. Alsaloussi tente de faire indirectement, avec un dossier incomplet relativement à la procédure effectivement suivie par le nouveau décideur en rendant sa Décision, ce qui aurait pu et aurait dû être fait directement par voie de demande de contrôle judiciaire. S’il subsistait quelque doute sur ce à quoi se résume la Requête de M. Alsaloussi, il suffit de se reporter à l’examen détaillé de la Décision mené par l’avocat de M. Alsaloussi lors de l’audience devant la Cour. Au cours d’un exercice méticuleux arborant tous les attributs de ce qui est habituellement fait dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, l’avocat a disséqué la Décision et les nombreux échanges qui y ont mené, il a mis l’accent sur les nombreux passages qui, selon lui, illustrent la façon dont la Décision aurait fait abstraction de l’Ordonnance ou en aurait ignoré la teneur, et il a invité la Cour à considérer ces observations dans son évaluation de la présente Requête fondée sur l’alinéa 399(2)a) des Règles. C’est exactement ce qu’une partie demanderait à la Cour de faire lors d’une demande de contrôle judiciaire.

[49] Dans le même ordre d’idées, les diverses réparations demandées M. Alsaloussi dans les paragraphes C, D, E et H de ses conclusions indiquent clairement que ce qu’il recherche ultimement dans sa Requête sont des réparations typiques de celles qui sont généralement sollicitées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Ce ne sont pas des réparations que la Cour peut ou doit ordonner dans une requête en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles. En fait, agir ainsi porterait grandement atteinte au droit du décideur et du PGC à une instruction juste et équitable, et signifierait que la Cour pourrait invalider la Décision sur la base d’un processus expéditif et écourté. Cela équivaudrait à une usurpation du rôle que la Cour est appelée à jouer à l’égard des demandes de contrôle judiciaire conformément à la procédure spécifiquement prévue dans les Règles, et ce n’est certainement pas ce qui est visé par le recours exceptionnel offert par l’article 399 des Règles.

[50] M. Alsaloussi a évidemment le droit d’alléguer que le nouveau décideur n’a pas agi en conformité avec l’Ordonnance lorsqu’il a rendu sa nouvelle Décision sur la question de la période de refus des services de passeport. Toutefois, comme l’a bien souligné le PGC, le mécontentement de M. Alsaloussi à l’égard du processus suivi lors du réexamen et de la Décision rendue ne saurait être considéré comme un motif justifiant de modifier l’Ordonnance ou comme un défaut de s’y conformer. Cela pourrait peut-être justifier une demande de contrôle judiciaire de la Décision, ou encore une ordonnance pour outrage au tribunal, mais ce n’est pas un motif valable pour présenter une requête en modification d’une ordonnance en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles.

[51] Le mécontentement de M. Alsaloussi à l’égard de la Décision et ses arguments à son encontre auraient pu et auraient dû être présentés à la Cour au moyen d’une demande de contrôle judiciaire, et non par la présentation d’une requête en modification des conclusions de mon Ordonnance. Cela aurait permis à la Cour d’examiner convenablement la Décision à la lumière de l’ensemble du dossier dont était saisi le décideur, et de déterminer si, compte tenu du cadre applicable à l’examen des décisions administratives selon les enseignements de l’arrêt Vavilov, la Décision respectait l’Ordonnance et satisfaisait à la norme de contrôle applicable, que ce soit celle de la décision raisonnable ou de la décision correcte.

[52] Comme je l’ai fait remarquer lors de l’audience, M. Alsaloussi n’a renvoyé la Cour à aucun précédent où une décision définitive rendue par un décideur administratif suivant un réexamen ordonné par la Cour sur une demande de contrôle judiciaire avait été considérée comme constituant des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) des Règles. Il n’a pas non plus identifié de précédents dans lesquels la Cour avait accepté de modifier une ordonnance qui retournait une affaire dans le cadre d’un contrôle judiciaire au motif que le décideur administratif n’aurait pas respecté cette ordonnance. Je ne suis pas non plus au courant de l’existence de tels précédents.

[53] Cela n’est pas surprenant puisqu’une fois rendue la décision relative au réexamen, il n’est plus question de modification du jugement initial ordonnant le réexamen, mais plutôt du respect de l’ordonnance de la Cour relative au réexamen, un recours qui doit être exercé par voie de demande de contrôle judiciaire.

[54] Contrairement à ce que M. Alsaloussi a fait valoir à plusieurs reprises, sa situation est loin d’être unique ou exceptionnelle. Notre Cour rend régulièrement des jugements renvoyant des décisions administratives aux décideurs administratifs à des fins de réexamen et de nouvelle détermination, et il est fréquent que de nouvelles demandes de contrôle judiciaire soient ensuite déposées et soumises à la Cour à l’encontre de décisions rendues suite à un réexamen, au motif que ces décisions ne respectent pas les conclusions initiales, ne suivent pas les directives de la Cour et sont par conséquent incorrectes ou déraisonnables. En d’autres mots, la situation dans laquelle se trouve M. Alsaloussi n’est pas inhabituelle ou de nature telle que sa situation particulière pourrait justifier un recours au moyen exceptionnel prévu à l’article 399 des Règles pour obtenir la réparation qu’il prétend avoir le droit de demander. Le caractère unique du cas de M. Alsaloussi réside plutôt dans son choix de présenter une requête en application de l’article 399 des Règles à l’encontre de la Décision, plutôt que de déposer une demande de contrôle judiciaire. Je n’ai pas trouvé une seule décision dans laquelle, dans de telles circonstances, une partie a présenté avec succès une requête en modification de l’ordonnance initiale fondée sur l’article 399 des Règles, à l’instar de ce que M. Alsaloussi tente de faire en l’espèce.

[55] Compte tenu de l’alternative bien établie et facilement accessible qui est ici disponible, soit la demande de contrôle judiciaire, la Requête de M. Alsaloussi n’est clairement pas visée par le type de circonstances exceptionnelles et contraignantes de l’article 399 des Règles.

[56] La jurisprudence citée par M. Alsaloussi pour appuyer sa Requête ne lui est pas d’un grand secours puisqu’elle provient de contextes factuels très différents. M. Alsaloussi n’a pas réussi à démontrer en quoi la jurisprudence qu’il mentionne pourrait être applicable à une situation où, comme en l’espèce, une décision définitive a été rendue par un décideur administratif à la suite d’un jugement de la Cour ordonnant qu’une question fasse l’objet d’un nouvel examen.

[57] Plus précisément, la présente Requête ne ressemble pas aux situations décrites dans Janssen ou Arysta, où une partie cherchait à faire modifier le libellé d’une injonction alors que « [l]es ambiguïtés font apparaître le spectre de procédures pour outrage au tribunal découlant de violations à l’injonction » et que des difficultés particulières découlaient de l’ordonnance elle-même (Janssen aux para 29, 34; Arysta aux para 25-26). De même, dans la décision Smith, il s’agissait d’un cas où des faits précis sur lesquels la Cour avait confirmé qu’une mesure d’expulsion n’avait pas été exécutée comme convenu dans un affidavit, et il était clair que, si ce fait avait été connu, l’ordonnance refusant une requête en sursis n’aurait pas été prononcée par la Cour.

[58] À l’audience devant la Cour, l’avocat de M. Alsaloussi a également renvoyé la Cour à la décision Annacis Auto Terminals (1997) Ltd c Cali (Navire), [1999] ACF no 1579 (CF) [Cali], où la Cour a indirectement évoqué la notion d’« équité » en faisant droit à la modification d’une ordonnance en application de l’alinéa 399(2)a) des Règles (Cali au para 23). Qu’il suffise de dire que, dans cette décision, la Cour a ajouté la mention de réparation en « equity » dans le contexte où les exigences précises du paragraphe 399(2) des Règles avaient été remplies. Dans le cas de M. Alsaloussi, c’est précisément ce qui manque, et les préoccupations en matière d’équité ne peuvent être d’aucun secours pour sa Requête.

IV. Conclusion

[59] Pour les motifs précités, la Requête de M. Alsaloussi est rejetée. Le PGC a droit à ses dépens.


ORDONNANCE au dossier T-2083-18

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête du demandeur est rejetée, le tout avec dépens.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2083-18

 

INTITULÉ :

MOHAMMED ALSALOUSSI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Neil G. Oberman

POUR LE DEMANDEUR

 

Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Spiegel Sohmer

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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