Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211125


Dossier : T‐1079‐20

Référence : 2021 CF 1300

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2021

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

FRANCISCO JOSE RANGEL GOMEZ

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande instituée par l’ancien gouverneur de l’État de Bolivar, au Venezuela, monsieur Francisco Jose Rangel Gomez [M. Rangel Gomez]. Il sollicite tout d’abord, sur le fondement du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7, un jugement déclaratoire portant que le Règlement relatif à la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, DORS/2017‐233 [le Règlement], dans la mesure où il s’applique à lui, dépasse le pouvoir conféré par la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski), LC 2017, c 21 [la Loi]. Subsidiairement, M. Rangel Gomez sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 13 août 2020 par laquelle le ministre des Affaires étrangères [le ministre] a refusé de retirer (ou de radier) le nom de M. Rangel Gomez de la liste des personnes dont le nom figure à l’annexe du Règlement conformément à l’article 8 de la Loi [collectivement, la présente demande]. Monsieur Rangel Gomez soutient que le ministre ne s’est pas acquitté de l’obligation d’équité procédurale à laquelle il était tenu envers lui relativement à sa demande visant à faire radier son nom de la liste. Monsieur Rangel Gomez ne conteste pas le caractère raisonnable de la décision du ministre.

[2] À titre préliminaire, le défendeur fait remarquer que le procureur général du Canada est le seul qui peut être constitué défendeur dans la présente demande. Par conséquent, l’intitulé est modifié de façon à ce que la défenderesse Sa Majesté la Reine (représentée par le ministre des Affaires étrangères) soit mise hors de cause.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

[4] La Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer sur la validité du Règlement, dans la mesure où il s’applique à M. Rangel Gomez. Cette question relève essentiellement de l’interprétation des lois. Monsieur Rangel Gomez aurait dû, s’agissant de la demande qu’il a présentée pour que son nom soit radié de la liste [la demande de radiation], présenter des observations au ministre au sujet de l’interprétation de la Loi et du Règlement, ou de leur légalité, pour autant que la Loi et le Règlement s’appliquent à lui. Monsieur Rangel Gomez aurait pu ensuite demander le contrôle judiciaire de la décision du ministre si elle lui était défavorable. La Cour aurait ainsi pu examiner le caractère raisonnable de la décision du ministre en tenant compte des motifs de décision du ministre et envisager la réparation appropriée. Dans les circonstances actuelles, la Cour conclut qu’aucune raison impérieuse ne justifie qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire d’examiner cette question soulevée pour la première fois dans le cadre de la présente demande.

[5] La Cour conclut que l’obligation d’équité procédurale à laquelle le ministre était tenu envers M. Rangel Gomez dans le contexte de sa demande de radiation est peu exigeante. Le ministre n’a pas manqué à l’obligation qui lui incombait dans les circonstances. Monsieur Rangel Gomez disposait de suffisamment de renseignements justifiant la raison pour laquelle son nom était inscrit sur la liste et concernant la preuve à réfuter dans le contexte de sa demande de radiation, et il a donné suite à ces renseignements.

[6] La Cour fait remarquer que la Loi prévoit que le demandeur visé au paragraphe 8(5) de la Loi [le demandeur] peut présenter une nouvelle demande de radiation si sa situation évolue de manière importante.

I. Les faits

[7] Du 31 octobre 2004 au 15 octobre 2017, M. Rangel Gomez était le gouverneur de l’État de Bolivar, au Venezuela.

[8] Le 15 octobre 2017, un nouveau gouverneur a été élu pour l’État de Bolivar. Peu après, M. Rangel Gomez a déménagé au Mexique. Il affirme qu’il est maintenant à la retraite et qu’il n’est plus actif sur la scène politique.

[9] Le 18 octobre 2017, soit trois jours après la fin du mandat de M. Rangel Gomez, la Loi est entrée en vigueur au Canada.

[10] Le 3 novembre 2017, le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre des Affaires étrangères, a inscrit le nom de M. Rangel Gomez sur la liste figurant à l’annexe du Règlement, conformément à l’alinéa 4(2)c) de la Loi, à titre d’agent public étranger impliqué dans des actes de corruption à grande échelle.

[11] La personne dont le nom est inscrit sur la liste figurant à l’annexe du Règlement en vertu de l’alinéa 4(2)c) est un « agent public étranger » qui, de l’avis du gouverneur en conseil, est responsable ou complice d’avoir ordonné, supervisé ou dirigé d’une façon quelconque des actes de corruption à grande échelle. Pour l’heure, le nom de 70 étrangers figurent sur la liste, dont celui de M. Rangel Gomez.

[12] Le 5 janvier 2018, le Département du Trésor des États‐Unis a sanctionné M. Rangel Gomez ainsi que trois autres représentants du gouvernement vénézuélien associés à la corruption et à la répression au Venezuela. Voici la description donnée au sujet de M. Rangel Gomez dans le communiqué de presse diffusé par les États‐Unis :

[traduction]
[Monsieur Rangel Gomez est] un ancien gouverneur de l’État de Bolivar [qui] est retraité de l’Armée nationale, où il avait le grade de général de division. Il a été lié à des activités de corruption – comme le renforcement de gangs armés actifs au Bolivar et les pressions exercées sur la magistrature pour libérer les membres de gangs qui étaient appréhendés – pendant qu’il était gouverneur. Monsieur Rangel Gomez a également été lié à des réseaux de dirigeants militaires qui seraient corrompus.

[13] Le 23 novembre 2018, l’avocat de M. Rangel Gomez a écrit à Affaires mondiales Canada [AMC] pour demander les raisons pour lesquelles le nom de son client figurait à l’annexe.

[14] Le 24 janvier 2019, AMC a répondu au moyen d’une lettre, dont voici un extrait :

[traduction]
[...] Au moment où la liste a été dressée, le gouverneur en conseil était d’avis que les faits visés à l’alinéa 4(2)c) de la Loi étaient réunis pour que le nom de M. Rangel Gomez soit inscrit sur la liste.

Selon les renseignements dont nous disposons, M. Rangel Gomez était, en sa qualité de gouverneur de l’État de Bolivar, responsable ou complice d’avoir touché des pots‐de‐vin importants en échange de marchés publics, du détournement de biens publics pour son propre bénéfice, d’actes de corruption liés à l’extraction de ressources naturelles et du transfert des produits de la corruption à l’extérieur du Venezuela. Ces activités seraient notamment l’octroi, sans appel d’offres, de marchés publics à des entreprises appartenant à ses proches. Ces entreprises auraient participé au trafic de barres de fer et d’aluminium, qui a augmenté sous le gouvernement régional de M. Rangel Gomez et qui aurait peut‐être aidé à financer sa campagne électorale de 2008. Monsieur Rangel Gomez aurait également participé au trafic de métaux précieux.

[15] Plus d’un an plus tard, le 25 février 2020, M. Rangel Gomez a demandé au ministre d’être radié de la liste conformément à l’article 8 de la Loi. Monsieur Rangel Gomez a présenté un mémoire de 85 pages dans lequel il décrit le but du régime de sanctions, la politique au Venezuela, sa carrière militaire et politique, ses réussites en tant que gouverneur du Bolivar, sa réponse aux allégations liées à de possibles pots‐de‐vin et aux allégations de corruption, ainsi que des observations sur la raison pour laquelle les renseignements fournis par certaines personnes étaient douteux.

[16] Monsieur Rangel Gomez a fait valoir, entre autres choses, que son nom devait être radié de la liste pour les raisons suivantes : pendant qu’il était gouverneur de l’État, il n’a joué aucun rôle dans le gouvernement fédéral dirigé par Nicolás Maduro; les sanctions prévues par la loi visent à modifier un comportement et il n’a pas actuellement la capacité de modifier les comportements dans ce pays; les raisons de le sanctionner n’étaient pas suffisantes de toute façon; et les allégations retenues contre lui sont fondées sur des sources d’information douteuses. Il a également soutenu qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale parce qu’il n’avait pas été informé de la preuve à réfuter, notamment parce que les raisons justifiant la présence de son nom sur la liste ne faisaient pas état des sources de renseignements ni des actes de corruption qui lui étaient reprochés. Selon lui, il devait réfuter des preuves dont il n’avait pas été informé.

[17] Le 28 avril 2020, AMC a informé M. Rangel Gomez que sa demande de radiation ne serait évaluée que par rapport à la Loi, et non par rapport à la Loi sur les mesures économiques spéciales, LC 1992, c 17 [la LMES], et lui a fait savoir que certains de ses arguments – notamment le fait qu’il ne faisait pas partie du régime de Maduro – se rapportaient à la LMES et non à la Loi en vertu de laquelle son nom a été inscrit sur la liste. AMC a donné à M. Rangel Gomez l’occasion de présenter d’autres renseignements au sujet du préjudice qu’il affirme avoir subi du fait que son nom est inscrit sur la liste et tout autre document qui, à son avis, devrait être pris en compte par le ministre à l’appui de sa demande de radiation.

[18] Le 15 mai 2020, l’avocat de M. Rangel Gomez a répondu à AMC. Voici un extrait de sa lettre : [TRADUCTION] « Nous n’avons pas d’autres renseignements à fournir pour le moment, à moins que le Ministère ne nous donne d’autres indications au sujet de réserves particulières que nous devrions dissiper. » L’avocat a réitéré plusieurs des observations qu’il avait déjà faites, notamment l’absence de fondement quelconque, reprochée au Canada, pour avoir inscrit le nom de son client sur la liste.

[19] L’avocat de M. Rangel Gomez n’a fourni aucun document au sujet du préjudice, mais il a souligné que la présence de son nom sur les listes au Canada et aux États‐Unis avait eu une incidence sur sa capacité d’ouvrir un compte bancaire, de maintenir sa couverture au régime d’assurance‐santé et de financer l’acquisition d’un véhicule au Mexique. L’avocat a ajouté que le préjudice le plus important était l’atteinte à la réputation de M. Rangel Gomez, et a expliqué qu’il n’était pas possible d’isoler le préjudice causé uniquement par les sanctions au Canada. L’avocat a également offert de rencontrer les représentants d’AMC pour répondre à leurs préoccupations. Il n’y a eu aucune autre correspondance entre les parties.

[20] Le 13 août 2020, le ministre a rejeté la demande de radiation.

II. La décision

[21] La demande de M. Rangel Gomez pour faire radier son nom de la liste est la première qui est présentée au ministre depuis l’entrée en vigueur de la Loi, en 2017.

[22] La décision du ministre est fondée sur les renseignements et les conseils fournis dans la note de service de la sous‐ministre. Dans sa note de service, la sous‐ministre énumère, entre autres éléments d’information :

  • Les dispositions pertinentes de la Loi en vertu desquelles le nom de M. Rangel Gomez a été inscrit sur la liste le 3 novembre 2017.

  • Les principaux arguments avancés par M. Rangel Gomez et la réponse de la sous‐ministre à ces arguments :

  • Les actes de corruption à grande échelle auxquels M. Rangel Gomez aurait participé, selon des [traduction] « renseignements fiables et crédibles provenant de source ouverte ». Ces actes sont notamment le détournement de fonds, le blanchiment d’argent et l’octroi de contrats miniers avantageux à sa famille et à ses amis. Plus précisément, des organisations non gouvernementales [ONG] et des médias d’information (notamment Transparencia Venezuela, InSight Crime, Armando Info, Project Poder et The Economist) ont signalé que, lors de son mandat à titre de gouverneur, il [traduction] « tolérait, voire encourageait » les rapports, dans les activités minières, entre les organisations criminelles et l’appareil étatique (c.‐à‐d. l’armée vénézuélienne), par exemple [traduction] « le passage de clandestins, le trafic de personnes, de drogues et d’armes ». Ces sources ont également rapporté que M. Rangel Gomez avait été directement impliqué dans des actes de corruption, tirant parti de son poste de gouverneur pour permettre à ses proches associés de participer dans des entreprises engagées dans l’exploitation minière au Bolivar.
  • Les mesures qui ont été prises pour répondre à la demande de radiation, dont [traduction] « des vérifications préalables approfondies et de nombreux échanges avec le cabinet DLA Piper [qui représente M. Rangel Gomez] afin d’obtenir des renseignements supplémentaires concernant sa demande ».
  • Le processus établi pour l’imposition des sanctions sous le régime de la Loi, lequel exige que l’inscription d’un nom sur la liste satisfasse aux conditions prescrites par la Loi, qu’elle soit appuyée par des renseignements fiables et crédibles provenant d’une source ouverte et qu’elle respecte le processus réglementaire du gouverneur en conseil.
  • 1) L’inscription de son nom sur la liste est injustifiée et constitue une atteinte aux droits qu’il tire de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] et de la Déclaration canadienne des droits (y compris le droit à la jouissance de ses biens). Monsieur Rangel Gomez a fait valoir qu’il n’avait commis aucun acte de corruption à grande échelle et qu’il n’avait aucune influence sur le régime de Maduro. Réponse : Le Ministère a pris les observations en considération, s’est livré à des vérifications supplémentaires et a confirmé les renseignements qui ont mené à l’inscription, dont une communication directe avec une importante ONG de défense des droits de la personne (Transparencia Venezuela) qui a publié en 2019 un rapport dans lequel les auteurs dénonçaient expressément le rôle que M. Rangel Gomez avait joué dans le développement des activités minières menées par des organisations criminelles.

  • 2) Monsieur Rangel Gomez n’a jamais fait partie du régime de Maduro et ne peut exercer aucune influence sur le comportement des protagonistes du régime de Maduro. Réponse : Le nom de M. Rangel Gomez n’a pas été inscrit sur la liste sous le régime de la LMES. Ce régime de sanctions différent vise les personnes liées au régime de Maduro. Le nom de M. Rangel Gomez a été inscrit sur la liste sous le régime de la Loi, laquelle exige seulement une preuve crédible démontrant qu’il a été impliqué dans des actes de corruption à grande échelle pendant qu’il était un agent public étranger.

  • 3) Monsieur Rangel Gomez a toujours défendu les intérêts des Vénézuéliens qu’il a gouvernés et il appuie le retour à la démocratie dans le pays. Réponse : Aucune preuve n’a été fournie pour étayer cette prétention et le Ministère n’en a trouvé aucune. De plus, il ne s’agit pas d’un élément pertinent, car toute contribution positive dans le Bolivar ne réfute pas la preuve des actes de corruption à grande échelle qu’il a commis.

  • 4) Monsieur Rangel Gomez et sa famille ont subi un préjudice du fait que son nom a été inscrit sur la liste. Réponse : Le Ministère lui a donné l’occasion de fournir des renseignements supplémentaires concernant le lien de causalité entre le préjudice invoqué et le fait que son nom soit inscrit sur la liste. Cependant, il n’a pas été en mesure d’établir ce lien. Monsieur Rangel Gomez a fourni des renseignements sur la façon dont l’inscription a nui à leurs activités – les siennes et celles de ses proches – à l’étranger (et non au Canada). Bien qu’il soit interdit de territoire au Canada, le fait que son nom a été inscrit sur la liste sous le régime de la Loi ne limite pas sa capacité d’obtenir des visas ou de voyager dans d’autres pays. Si tel était le cas, une telle limite n’aurait rien à voir avec les lois canadiennes.

  • 5) Monsieur Rangel Gomez n’a été poursuivi pour corruption par aucun tribunal au Venezuela ou ailleurs. Réponse : L’absence de poursuite contre M. Rangel ne prouve pas son innocence. L’existence de poursuites judiciaires contre lui n’est pas une condition que la Loi prescrit pour que son nom soit inscrit sur la liste.

  • Dans sa note de service, la sous‐ministre souligne que les observations de M. Rangel Gomez ont été prises en compte, mais qu’elles ne constituent pas des réponses adéquates à la preuve concernant les actes de corruption à grande échelle dont il était responsable et qu’elles n’ont pas dissipé les préoccupations du Ministère, lesquelles sont étayées par les communications régulières établies avec des défenseurs des droits de la personne et des partisans de la lutte contre la corruption.

[23] Le ministre a accepté la recommandation de la sous‐ministre et a rejeté la demande de radiation de M. Rangel Gomez. Dans ses motifs, le ministre dit que toute inscription d’un nom sur la liste doit satisfaire aux conditions prescrites par la Loi et être étayée par des renseignements fiables et crédibles provenant d’une source ouverte. Reprenant le texte de l’alinéa 4(2)c), il souligne que [traduction] « [l]es critères qui permettent de décider si les actes peuvent constituer des actes de corruption à grande échelle sont, notamment, leurs effets, [...] l’importance des sommes en jeu, [le] degré d’influence ou [...] la position d’autorité de l’étranger ou [le] fait que le gouvernement de l’État étranger en cause en est complice ».

[24] Les motifs du ministre reflètent les facteurs énoncés dans la note de service de la sous‐ministre et indiquent que le gouvernement dispose de renseignements crédibles selon lesquels M. Rangel Gomez a ordonné des actes de corruption à grande échelle, ou en a été complice, lorsqu’il était gouverneur du Bolivar de 2004 à 2017. Voici un extrait de la décision : [traduction] « Selon plusieurs sources fiables, M. Rangel Gomez a été impliqué dans des opérations de détournement de fonds et de blanchiment d’argent, d’octroi de contrats miniers avantageux à sa famille et à ses amis, et il a joué un rôle dans le développement de rapports que des gangs criminels ont eus avec l’État. »

[25] Dans ses motifs, le ministre répond également à plusieurs arguments soulevés par M. Rangel Gomez dans ses observations.

[26] S’agissant de la radiation, le ministre dit ceci :

[traduction]
Pour que le nom d’une personne soit radié de la liste sous le régime de la [Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus], cette personne doit fournir des éléments de preuve étayant l’argument selon lequel il n’y a pas lieu de garder son nom inscrit sur cette liste conformément à cette loi. Plusieurs facteurs peuvent être pris en compte, notamment les incidences des actes qu’elle a commis, les changements importants qu’elle a apportés aux comportements visés, la réparation des actes répréhensibles qu’elle a commis, la reconnaissance officielle de responsabilité dans son pays d’origine ou des éléments de preuve provenant de sources fiables et crédibles établissant que les actes de corruption n’ont pas été commis.

III. Les dispositions législatives

[27] La LMES et la Loi comportent des régimes connexes mais distincts qui visent à sanctionner les entités étrangères et les étrangers impliqués dans la rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales, des violations graves et systématiques des droits de la personne ainsi que des actes de corruption à grande échelle. Les circonstances qui donnent lieu à l’inscription d’un nom sur la liste visée par chacune de ces lois se recoupent, mais sont aussi distinctes.

[28] Les sanctions prises à l’égard du Venezuela sous le régime de la LMES (c.‐à‐d. le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant le Venezuela, DORS/2017‐204) sont applicables depuis le 22 septembre 2017. Comme il est mentionné dans le préambule, ce règlement a été pris « en vue de la mise en œuvre de la décision prise le 5 septembre 2017 par l’Association visant la situation au Venezuela » et cherchait à cibler les membres du régime de Maduro. Le nom de M. Rangel Gomez n’a pas été inscrit sur la liste visée par ce règlement.

[29] Le 18 octobre 2017, la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (titre abrégé de la Loi) est entrée en vigueur. Le titre intégral est plus descriptif : Loi prévoyant la prise de mesures restrictives à l’égard des étrangers responsables de violations graves de droits de la personne reconnus à l’échelle internationale et apportant des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[30] La Loi permet, entre autres choses, de sanctionner les agents publics étrangers responsables ou complices d’actes de corruption à grande échelle. En outre, la Loi apporte des modifications connexes à la LMES de manière à ce que les violations des droits de la personne et les actes de corruption à grande échelle y soient ajoutés comme critères supplémentaires pour l’application des mesures, ainsi qu’à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, de manière à y ajouter un motif connexe d’interdiction de territoire au Canada.

[31] Les dispositions législatives pertinentes sont énoncées à l’ANNEXE A. L’article 2 de la Loi énonce les définitions. L’article 4 dispose que le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou des règlements pour restreindre ou interdire les activités d’un étranger dans certaines circonstances. L’article 8 dispose qu’un étranger visé par un décret ou un règlement peut demander au ministre de cesser d’être visé par le décret ou le règlement.

[32] Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [le REIR] énonce les principaux objectifs du Règlement, que voici :

  • signaler la condamnation au plan international par le Canada des individus responsables ou complices de violations graves de droits de la personne reconnus à l’échelle internationale ou d’actes de corruption à grande échelle qui se sont produits dans le cas de Sergueï Magnitski, qui continuent de se produire au Venezuela et au Soudan du Sud;

  • mettre fin à l’impunité des personnes responsables ou complices qui commettent ces actes en niant à ces personnes la capacité de transférer leur richesse au Canada ou d’utiliser le Canada et le système financier canadien à leur profit;

  • établir un mécanisme pour inscrire à la liste d’autres ressortissants étrangers dans l’avenir au moyen de modifications au Règlement.

[33] Le REIR souligne ce qui suit, en ce qui concerne le Venezuela :

Le Canada a également exprimé son inquiétude au sujet des nombreux incidents de violations graves de droits de la personne et d’actes de corruption à grande échelle dans le contexte de la crise économique et politique actuelle au Venezuela. Le Règlement comprend également des personnes au Venezuela qui, selon le gouverneur en conseil, sont responsables ou complices d’actes de corruption à grande échelle, incluant des incidents de blanchiment d’argent et d’agents publics qui ont détourné les recettes de l’État à des fins personnelles.

IV. Le résumé des observations du demandeur

[34] Monsieur Rangel Gomez a initialement fait valoir que le Règlement était ultra vires parce qu’il n’était pas un agent public étranger à la date où son nom a été inscrit sur la liste et, subsidiairement, que la procédure appliquée au processus décisionnel était inéquitable. En juin 2021, M. Rangel Gomez a demandé l’autorisation de modifier son avis de demande et de déposer un mémoire des faits et du droit supplémentaire. Le défendeur y a consenti et la Cour a accueilli sa requête. En conséquence, M. Rangel Gomez a soulevé l’argument supplémentaire selon lequel le Règlement est également ultra vires parce qu’il n’était pas un agent public étranger à la date de l’entrée en vigueur de la Loi. L’audience relative à la présente demande a été ajournée afin de permettre aux parties de déposer de brèves observations supplémentaires.

[35] Compte tenu de cette modification, M. Rangel Gomez soutient aujourd’hui que le Règlement sous le régime duquel son nom a été inscrit sur la liste dépasse le pouvoir conféré par la Loi pour deux raisons. Premièrement, il affirme qu’au moment où il était un agent public étranger, la Loi n’était pas encore en vigueur. Il souligne qu’aucune disposition de la Loi ne prévoit expressément qu’elle s’applique de manière rétroactive, et il s’appuie sur la présomption de non‐rétroactivité de la loi. Il conteste également l’argument selon lequel la Loi exige implicitement que sa portée soit rétroactive. Par conséquent, il soutient que le Règlement pris en vertu de la Loi dépasse le pouvoir qu’elle confère, dans la mesure où ce règlement s’applique à lui.

[36] Deuxièmement, il affirme que les dispositions de la Loi, dans leur libellé actuel, ne s’appliquent qu’aux personnes qui étaient des agents publics étrangers à la date où leur nom a été inscrit sur la liste. Il soutient que, comme son mandat a pris fin le 15 octobre 2017, il a cessé d’être un agent public étranger avant que son nom soit inscrit sur la liste annexée au Règlement. Là encore, il fait valoir que le Règlement dépasse le pouvoir conféré par la Loi, dans la mesure où il s’applique à lui. Il soutient que, contrairement à d’autres lois qui visent les agents actuels ou anciens et qui comportent des termes comme « est ou était », la Loi fait référence à « l’étranger qui est un agent public étranger [...] » [non souligné dans l’original]. Il souligne que la Loi renvoie à la définition d’agent public étranger prévue dans la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, à savoir une personne qui « détient un mandat législatif, administratif ou judiciaire d’un État étranger » ou une personne « qui exerce une fonction publique d’un État étranger » [non souligné dans l’original].

[37] De façon plus générale, M. Rangel Gomez soutient que la Loi et le Règlement visent les personnes qui étaient des agents publics étrangers à la date de l’entrée en vigueur de ces textes législatifs et qui le sont toujours. Il affirme que le fait d’inscrire le nom d’anciens agents publics étrangers sur la liste ne contribue pas à modifier le comportement visé par les sanctions.

[38] À la question de savoir pourquoi il soulève pour la première fois l’argument fondé sur la légalité à l’étape du contrôle judiciaire, sans l’avoir déjà soulevée devant le ministre dans les observations qu’il lui a fournies à l’appui de sa demande de radiation, M. Rangel Gomez répond qu’il aurait été inutile de le faire parce que le ministre n’a pas l’expertise voulue pour interpréter la Loi et n’a pas le pouvoir de déclarer le Règlement invalide.

[39] Subsidiairement, M. Rangel Gomez fait aussi valoir que, si le Règlement est valide, la décision du ministre doit être annulée parce qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale relativement à sa demande de radiation. Il dit qu’il n’était pas au courant de la preuve qu’il devait réfuter. Il soutient que, bien qu’il ait présenté de longues observations au ministre, celles‐ci étaient en grande partie fondées sur des conjectures au sujet des renseignements sur lesquels le ministre s’est appuyé au départ pour inscrire son nom sur la liste. Selon M. Rangel Gomez, la lettre générique d’AMC reprend simplement le libellé de la Loi. Il fait valoir qu’il lui était impossible de répondre à de vagues allégations portant sur ses vingt années à titre de gouverneur de l’État, et que les rapports publics des ONG examinés par le ministre auraient dû lui être communiqués. Il conteste également, de manière générale, les allégations de corruption et affirme qu’elles reposent sur des renseignements provenant d’opposants politiques, auxquels il ne faut pas se fier.

V. Le résumé des observations du défendeur

[40] Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte des arguments de M. Rangel Gomez concernant la légalité du Règlement – car cette question relève de l’interprétation des lois – étant donné qu’il n’a soulevé cette question ni dans sa demande de radiation à laquelle il a joint 85 pages d’observations, ni dans ses observations supplémentaires, ni dans toute autre correspondance avec AMC ou le ministre. Le défendeur affirme qu’il est clairement établi dans la jurisprudence que les arguments qui n’ont pas été présentés au décideur administratif ne devraient généralement pas être pris en considération lors du contrôle judiciaire.

[41] Le défendeur ajoute que si la Cour décide d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner l’argument fondé sur la légalité, il s’agit essentiellement d’une question d’interprétation des lois. Le défendeur soutient que la seule interprétation logique qui découle des principes d’interprétation des lois est celle qui commande que la Loi s’applique aux agents publics étrangers actuels et anciens. Le défendeur souligne, entre autres choses, qu’il serait absurde de soustraire de l’application de la Loi un agent public étranger qui démissionne ou prend sa retraite avant que son nom soit inscrit sur la liste, alors qu’il est responsable d’actes de corruption. S’agissant de la présomption de non‐rétroactivité, le défendeur soutient, notamment, que la raison d’être de la présomption – qui est d’éviter l’injustice et de protéger les droits acquis – n’entre pas en ligne de compte en l’espèce parce que M. Rangel Gomez n’a aucun droit acquis au Canada et que la communauté internationale sanctionnait déjà des agents publics corrompus avant l’entrée en vigueur de la Loi.

[42] Le défendeur souligne que M. Rangel Gomez était un agent public étranger aux dates pertinentes et qu’il aurait été au courant de l’existence des instruments internationaux – dont la Convention interaméricaine contre la corruption, à laquelle le Venezuela, le Canada et les États‐Unis sont parties – qui visaient à reconnaître la responsabilité des agents corrompus avant même que la Loi ne soit proclamée en vigueur. Il aurait également été au courant des préoccupations et des efforts déployés à l’échelle internationale pour lutter contre la corruption, y compris le blanchiment d’argent.

[43] Le défendeur soutient que la Loi vise les violations passées des droits de la personne et qu’elle a, par sa nature même, un effet rétrospectif. De plus, la Loi exige implicitement que sa portée soit rétroactive parce que son objet et celui des politiques connexes de lutte contre la corruption seraient compromis si des sanctions ne pouvaient être infligées pour des actes commis avant son adoption.

[44] Le défendeur conteste l’argument de M. Rangel Gomez selon lequel la Loi vise à modifier les comportements actuels et son argument voulant qu’il soit trop tard pour modifier son comportement en tant qu’agent public étranger. Le défendeur soutient que l’objet de la Loi est énoncé dans le préambule et tient compte de plusieurs instruments internationaux; la Loi vise à décourager un comportement, à protéger les membres du public pour qu’ils n’interagissent pas avec les personnes dont le nom est inscrit sur la liste, à reconnaître la responsabilité des agents publics étrangers actuels et anciens responsables ou complices d’actes de corruption à grande échelle, et à leur interdire de tirer profit du système financier canadien.

[45] Le défendeur fait aussi valoir qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis relativement à la demande de radiation. Il affirme que M. Rangel Gomez connaissait la preuve qu’il devait réfuter, car la Loi et le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation énoncent les motifs généraux qui justifient d’inscrire le nom d’étrangers sur la liste et M. Rangel Gomez a été informé des raisons pour lesquelles son nom y avait été inscrit. Le défendeur soutient que les observations détaillées que M. Rangel Gomez a présentées au ministre contredisent sa prétention selon laquelle il ne savait pas sur quoi le ministre s’était fondé pour refuser de radier son nom de la liste. Monsieur Rangel Gomez a également eu l’occasion de présenter d’autres observations sur la façon dont les sanctions lui avaient causé un préjudice, mais il ne l’a pas fait.

VI. Les questions en litige

[46] La présente demande soulève les questions suivantes :

  • 1. Compte tenu du fait que M. Rangel Gomez n’a pas soulevé l’argument fondé sur la légalité devant le ministre dans le contexte de sa demande de radiation, la Cour devrait‐elle tenir compte de cet argument (lequel est essentiellement un argument fondé sur l’interprétation des lois)?

  • 2. Si la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’examiner la question de la légalité, le Règlement sous le régime duquel le nom de M. Rangel Gomez a été inscrit sur la liste dépasse‐t‐il le pouvoir conféré par la Loi vu qu’à la date d’entrée en vigueur de la Loi, et/ou à la date de cette inscription, il n’était plus un agent public étranger?

  • 3. Le ministre a‐t‐il manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il était tenu envers M. Rangel Gomez relativement à la demande de radiation que celui‐ci a présentée?

VII. La norme de contrôle applicable

[47] Si la Cour tient compte des arguments fondés sur l’interprétation des lois et sur la légalité, elle doit examiner les questions de savoir si le Règlement sous le régime duquel le nom de M. Rangel Gomez a été inscrit sur la liste respecte la portée de la Loi, et si la Loi vise M. Rangel Gomez. Ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 65 [Vavilov]).

[48] Dans l’affaire Portnov c Canada (Procureur général), 2019 CF 1648, l’étranger visé par les mesures prévues au Règlement sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Ukraine) soutenait que le gouverneur en conseil n’avait pas compétence pour prendre le décret prolongeant la validité du Règlement pour une période supplémentaire de cinq ans. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge Fothergill a conclu qu’à la lumière de l’arrêt Vavilov, la norme de la décision raisonnable s’appliquait, et il a fait les observations suivantes au paragraphe 23 :

Dans Vavilov, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont déclaré qu’ils étaient d’avis de « mettre fin à la reconnaissance des questions de compétence comme une catégorie distincte devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte » (par. 65). Les catégories de décisions qui demeurent soumises au contrôle selon la norme de la décision correcte se limitent désormais à celles délimitées par une intention législative claire (par. 34 à 52) ou lorsque cela est nécessaire pour respecter la primauté du droit, c’est‐à‐dire, les questions constitutionnelles, les questions générales de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions concernant les délimitations des compétences entre deux ou plusieurs organismes administratifs (par. 55 à 68). Aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[49] La Cour d’appel fédérale a reconnu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Portnov v Canada (Attorney General), 2021 FCA 171 aux para 10‐17). Elle a conclu que la question en litige portait sur l’interprétation des lois, que cette question ne soulevait aucun principe constitutionnel ou quasi constitutionnel et qu’il ne s’agissait pas d’une question d’importance capitale pour le système juridique. Par conséquent, aucune des exceptions permettant de déroger à l’application de la norme de la décision raisonnable énoncées dans l’arrêt Vavilov ne s’appliquait.

[50] La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale. Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, la Cour d’appel fédérale a souligné que le contrôle judiciaire fondé sur des motifs touchant l’équité procédurale est « [TRADUCTION] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (au para 54). Elle a expliqué que la question consiste à savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision font depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi ».

VIII. La Cour devrait‐elle examiner si le Règlement est ultra vires, dans la mesure où il s’applique à M. Rangel Gomez?

A. Les observations du défendeur

[51] Le défendeur soutient que les arguments qui n’ont pas déjà été soulevés devant le décideur administratif ne devraient pas être pris en compte dans le cadre du contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers]; Hughes c Canada (Procureur général)), 2021 CF 147 [Hughes]). Selon la thèse du défendeur, aucun des facteurs mentionnés dans l’arrêt Alberta Teachers et dans d’autres jugements qui militent en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’examiner la question de la légalité n’est présent.

[52] Le défendeur soutient que si M. Rangel Gomez avait soulevé les questions de la légalité et d’interprétation des lois devant le ministre, ce dernier y aurait donné suite car il a certainement l’expertise voulue pour interpréter la Loi, vu qu’il est responsable des relations internationales et qu’il possède la plus vaste expertise pour ce qui concerne l’objet de la Loi et du Règlement et pour déterminer quelles sont les personnes dont le nom peut être inscrit sur la liste. Le défendeur ajoute que la Cour doit pouvoir tenir compte de la décision du ministre et de ses motifs de décision pour trancher tout contrôle judiciaire de cette décision.

[53] Selon le défendeur, M. Rangel Gomez demande aujourd’hui à la Cour de rendre un jugement déclaratoire, car il tente de pallier le fait qu’il n’a jamais sollicité au départ le contrôle judiciaire de la décision de faire figurer son nom sur la liste prise sous le régime du Règlement, et il n’a pas soulevé l’argument fondé sur l’interprétation des lois dans sa demande de radiation. Le défendeur soutient qu’une demande de jugement déclaratoire ne doit pas servir à court‐circuiter le rôle de décideur qui appartient au ministre.

B. Les observations du demandeur

[54] Monsieur Rangel Gomez fait valoir que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’examiner une question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire (Alberta Teachers, aux para 22‐24). Il souligne que, dans l’arrêt Alberta Teachers, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans les circonstances de cette affaire, le juge en cabinet n’avait pas eu tort d’examiner une question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire. Il affirme que des facteurs semblables sont présents en l’espèce.

[55] Monsieur Rangel Gomez soutient que la Cour devrait examiner la question de la légalité parce que le ministre n’a pas le pouvoir de statuer sur la validité du Règlement; le ministre peut uniquement faire une recommandation au gouverneur en conseil. Il fait remarquer que le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales donne à la Cour compétence pour accorder des recours extraordinaires, dont un jugement déclarant que le Règlement est invalide ou illégal dans la mesure où il s’applique à lui.

[56] Monsieur Rangel Gomez soutient en outre que l’expertise du ministre quant à l’interprétation de la Loi ou à son effet rétroactif n’est pas plus vaste.

[57] Enfin, M. Rangel Gomez affirme que le défendeur n’a subi aucun préjudice du fait qu’il a soulevé cette question lors du contrôle judiciaire, étant donné que l’audience initiale a été ajournée afin de permettre la présentation d’observations supplémentaires.

C. La jurisprudence

[58] Dans l’arrêt Alberta Teachers, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir si un point qui n’avait pas été soulevé devant le décideur administratif (dans cette affaire, une déléguée) et qui a été soulevé pour la première fois lors du contrôle judiciaire devrait être examiné par la Cour (aux para 22‐28).

[59] La Cour suprême du Canada fait observer, au paragraphe 22 :

[...] Tout comme elle jouit du pouvoir discrétionnaire de refuser d’entreprendre un contrôle judiciaire lorsque, par exemple, il existe un autre recours approprié, une cour de justice peut également, à son gré, ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire. Voir, p. ex., Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, le juge en chef Lamer, par. 30 : « [L]a réparation qu’une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire. Ce principe [général de longue date] découle du fait que les brefs de prérogative sont des recours extraordinaires [et discrétionnaires]. »

[60] La Cour suprême explique que le pouvoir discrétionnaire d’examiner la nouvelle question ne sera généralement pas exercé lorsque la question aurait pu être soulevée devant le décideur, mais qu’elle ne l’a pas été (au para 23). Elle souligne que plusieurs considérations justifient cette règle, notamment le fait que « le législateur a confié au tribunal administratif la tâche de trancher la question » et le fait que les cours doivent éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives déterminées par le législateur (au para 24). Elle observe que « [l]a cour de justice doit donc respecter le choix du législateur de désigner le tribunal administratif comme décideur de première instance et laisser à ce tribunal administratif la possibilité de se pencher le premier sur la question et de faire connaître son avis ».

[61] La Cour suprême ajoute, au paragraphe 25, que l’obligation de respecter le choix du législateur vaut particulièrement lorsque la question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire a trait au domaine d’expertise du tribunal administratif et à ses attributions spécialisées. Dans de tels cas, la cour doit savoir que si elle accepte de se pencher sur la question, elle le fera sans pouvoir connaître l’opinion du décideur.

[62] La Cour suprême fait aussi observer, au paragraphe 26, que « soumettre une question pour la première fois lors du contrôle judiciaire peut porter indûment préjudice à la partie adverse et priver la cour de justice des éléments de preuve nécessaires pour trancher ».

[63] Dans l’arrêt Alberta Teachers, après avoir examiné les considérations qui justifient les principes et les faits particuliers, la Cour suprême du Canada a convenu avec la Cour d’appel de l’Alberta que le juge en cabinet n’avait pas eu tort d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner la nouvelle question pour la première fois lors du contrôle judiciaire. La Cour suprême souligne, entre autres considérations, que le décideur avait tranché la même question et qu’il avait exprimé son opinion en première instance dans d’autres affaires, qu’aucune preuve n’était requise pour trancher la question, qu’aucun préjudice n’était allégué, et que la déléguée avait tranché la question de façon implicite lorsqu’elle a rendu sa décision.

[64] Dans la décision Canada (Procureur général) c Alliance de la fonction publique du Canada, 2014 CF 688 [Alliance de la fonction publique du Canada], la juge Strickland a appliqué les directives énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Alberta Teachers et a également exercé son pouvoir discrétionnaire d’examiner une question qui n’avait pas été soulevée devant l’arbitre des relations de travail au sujet de la signification et de la portée d’une disposition d’une convention collective. Après avoir examiné le dossier, la juge Strickland a conclu que la question soulevée n’était pas tant une question nouvelle qu’une question liée à l’objet principal des observations, et qu’elle connaissait également le raisonnement de l’arbitre sur la question de l’interprétation de la disposition contestée (aux para 22‐23).

[65] Dans la décision Hughes, le juge Diner s’est appuyé sur le raisonnement et le principe exposés dans l’arrêt Alberta Teachers, et il a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre les arguments fondés sur les principes de la chose jugée et de la préclusion qui n’avaient pas été soulevés devant le Tribunal canadien des droits de la personne. Le juge Diner souligne, entre autres choses, au paragraphe 75, que le demandeur était représenté par le même avocat qui l’avait représenté devant ce Tribunal et qu’il aurait pu y soulever les questions qu’il a tenté de soulever pour la première fois lors du contrôle judiciaire, mais qu’il ne l’a pas fait.

[66] S’agissant de l’argument de M. Rangel Gomez selon lequel il aurait été inutile de soulever la question de la légalité devant le ministre étant donné qu’il n’est pas investi du pouvoir de prononcer une déclaration d’invalidité, l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245 aux para 37‐47 [Forest Ethics], de la Cour d’appel fédérale, est éclairant.

[67] Dans l’arrêt Forest Ethics, la Cour d’appel fédérale a conclu que le demandeur aurait pu soulever la question relative à la Charte devant le décideur, faisant remarquer que, conformément à sa loi constitutive, l’Office national de l’énergie pouvait connaître des questions de droit, dont celles relatives à la Charte.

[68] La Cour d’appel fédérale observe que l’Office national de l’énergie « n’a jamais eu la possibilité d’examiner les questions constitutionnelles que les demanderesses soumettent maintenant à la Cour » (au para 41). Elle explique, aux paragraphes 42‐43, pourquoi une telle situation n’est pas sans importance : si la question avait été soulevée devant de l’Office national de l’énergie, celui‐ci aurait reçu des éléments de preuve pertinents, réfléchi à la question et exprimé son point de vue dans ses motifs. Munie d’un dossier complet, une partie peut ensuite solliciter un contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale ajoute que cette démarche respecte la différence entre le décideur administratif et la cour de révision ainsi que le choix du législateur de confier au décideur la responsabilité de trancher les questions factuelles et juridiques.

[69] La Cour d’appel fédérale souligne l’importance de ne pas court‐circuiter le décideur administratif, faisant les observations suivantes au paragraphe 45 :

Si les décideurs administratifs pouvaient être court‐circuités relativement à des questions pareilles, ces appréciations, éclairages et considérations ne parviendraient jamais à la connaissance de la cour de révision, ce qui est très grave en matière constitutionnelle. Les questions constitutionnelles devraient uniquement être tranchées sur le fondement d’un dossier factuel riche et complet : MacKay c Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357 [...], aux pages 361 à 363. Dans un secteur réglementaire important comme celui en cause en l’espèce, un dossier n’est ni complet ni riche s’il y manque les éclairages de l’organisme de réglementation.

[70] Bien que dans l’arrêt Forest Ethics la Cour d’appel fédérale ait examiné une question relative à la Charte soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire, les considérations qui étayent sa conclusion sont pertinentes pour examiner si la Cour doit tenir compte des arguments de M. Rangel Gomez fondés sur l’interprétation des lois et sur la légalité de la Loi et du Règlement, dans la mesure où ces textes législatifs s’appliquent à lui.

[71] Dans l’arrêt Forest Ethics, la Cour d’appel fédérale a examiné l’argument selon lequel la Cour devrait connaître de la question parce que le décideur n’avait pas le pouvoir de déclarer la disposition en cause invalide. Elle souligne que la Cour suprême du Canada a rejeté cet argument dans l’arrêt Okwuobi c Commission scolaire Lester B. Pearson; Casimir c Québec (Procureur général); Zorrilla c Québec (Procureur général), 2005 CSC 16 [Okwuobi]. Au paragraphe 50, la Cour d’appel fédérale dit ceci :

Deuxièmement, les avocats des demanderesses ont soutenu que l’Office n’avait pas le pouvoir de déclarer l’article 55.2 invalide, ce qui est vrai. Toutefois, dans l’arrêt Okwuobi, la Cour suprême a fourni une réponse complète à cet argument et l’a rejeté (aux paragraphes 44 et 45) :

[...] Sur la question des réparations, les appelants soulignent à bon droit que le [Tribunal] ne peut prononcer une déclaration formelle d’invalidité. À notre avis, ce motif ne suffit pas pour passer outre à la compétence exclusive du Tribunal. Ainsi que notre Cour l’a décidé dans l’arrêt Martin, les réparations constitutionnelles relevant des tribunaux administratifs demeurent effectivement limitées et n’incluent pas les déclarations générales d’invalidité (par. 31). La décision d’un tribunal administratif concluant à l’invalidité d’une disposition législative au regard de la Charte canadienne ne lie pas non plus les décideurs qui se prononceront ultérieurement. Comme l’a fait observer le juge Gonthier au par. 31 : « [c]e n’est qu’en obtenant d’une cour de justice une déclaration formelle d’invalidité qu’une partie peut établir, pour l’avenir, l’invalidité générale d’une disposition législative. »

Cela dit, un demandeur jouit du droit de soumettre au [Tribunal] une affaire qui soulève la constitutionnalité d’une disposition. Si ce tribunal conclut qu’il y a violation de la Charte canadienne et que la disposition en question n’est pas sauvegardée au regard de l’article premier, il peut refuser d’appliquer la disposition pour des motifs constitutionnels et statuer sur la demande comme si elle n’était pas en vigueur (Martin, par. 33) Une telle décision resterait cependant susceptible d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. Dans ce contexte, la Cour supérieure pourrait examiner intégralement toute erreur commise dans l’interprétation et l’application de la Charte canadienne. De plus, le demandeur aurait droit de demander une déclaration formelle d’invalidité à cette étape de l’instance.

[72] Dans l’arrêt Forest Ethics, la Cour d’appel fédérale s’est aussi penchée sur l’argument des demanderesses selon lequel l’arrêt Alberta Teachers applique une démarche plus souple à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal d’examiner des questions pour la première fois lors du contrôle judiciaire. Elle met en doute le fait que l’arrêt Alberta Teachers s’applique aux questions constitutionnelles, faisant remarquer que « [l]’arrêt Okwuobi demeure applicable; l’arrêt Alberta Teachers n’a eu aucune incidence sur lui » (au para 54).

[73] Or, la Cour d’appel fédérale conclut que, même si elle appliquait l’arrêt Alberta Teachers, elle n’exercerait tout de même pas son pouvoir discrétionnaire d’examiner la question relative à la Charte pour la première fois lors du contrôle judiciaire. Elle souligne que dans l’arrêt Alberta Teachers, la Cour suprême du Canada s’est appuyée sur bon nombre des mêmes motifs – dont le rôle de « juge des faits et du fond » du décideur administratif, son appréciation des considérations liées aux politiques et les préjudices éventuellement causés à l’autre partie – pour étayer la règle générale selon laquelle les questions qui ne sont pas soulevées devant le décideur administratif ne doivent pas être soulevées pour la première fois lors du contrôle judiciaire.

D. La Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner cette question pour la première fois à l’étape du contrôle judiciaire

[74] La Cour estime qu’il n’est pas opportun pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir compte, pour la première fois lors du contrôle judiciaire, des arguments fondés sur l’interprétation des lois et sur la légalité de la Loi et du Règlement, dans la mesure où ils s’appliquent à M. Rangel Gomez. Conformément aux arrêts Alberta Teachers et Forest Ethics, la Cour estime que les circonstances de la présente affaire ne justifient pas de déroger à la règle générale. En conséquence, la Cour ne tiendra pas compte des observations détaillées des parties sur cette question.

[75] Le fait que M. Rangel Gomez demande à la Cour de rendre un jugement déclaratoire ainsi que son argument selon lequel seule la Cour peut lui accorder cette réparation ne permettent pas de contourner une question qui, fondamentalement, relève de l’interprétation des lois et qui aurait dû être soulevée devant le ministre en sa qualité de décideur.

[76] Dans sa demande de radiation, qu’il a présentée au titre des paragraphes 8(1) et (2) de la Loi, M. Range Gomez aurait pu soulever, comme motif pour que le ministre recommande au gouverneur en conseil de radier son nom de la liste, les arguments fondés sur l’interprétation des lois qu’il tente de soulever en l’espèce – c’est‐à‐dire son affirmation portant que la Loi et le Règlement ne s’appliquent qu’aux agents publics étrangers qui répondent à cette définition à la date où leur nom est inscrit sur la liste et portant que la Loi ne s’applique pas de façon rétroactive. Il ne l’a pas fait.

[77] Même si le ministre n’a pas le pouvoir de déclarer invalide le Règlement, dans la mesure où il s’applique à M. Rangel Gomez, il pouvait examiner – et aurait examiné – si la Loi et le Règlement s’appliquent à M. Rangel Gomez. Une telle approche aurait permis à M. Rangel Gomez et à la Cour de connaître les motifs du ministre et d’avoir le plus d’éléments de preuve possible pour statuer sur le contrôle judiciaire. Monsieur Rangel Gomez aurait pu, lors du contrôle judiciaire, contester toute décision du ministre selon laquelle la Loi et le Règlement s’appliquent à lui. La Cour pourrait, si elle estime que le ministre a commis une erreur, accorder la réparation appropriée, dont un jugement déclaratoire, conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[78] Le législateur a confié au ministre la tâche de décider si le nom d’une personne doit être inscrit sur la liste, conformément à l’article 4 de la Loi, ou être radié de la liste, conformément à l’article 8, puis de faire sa recommandation au gouverneur en conseil. Vu les responsabilités et l’expertise du ministre en matière de relations et de politiques internationales – notamment en ce qui concerne les instruments internationaux, auxquels le Canada est partie, et d’autres lois (et, plus important encore, la Loi) –, son rôle de « juge des faits et du fond » dans le cadre d’une demande de radiation fondée sur le paragraphe 8(2) de la Loi doit être respecté et M. Rangel Gomez n’aurait pas dû le court‐circuiter. Comme il est mentionné dans l’arrêt Alberta Teachers, les tribunaux devraient éviter toute immixtion indue dans les fonctions administratives déléguées à d’autres et respecter le choix du législateur.

[79] Le ministre n’a eu aucune possibilité de tenir compte de l’interprétation de la Loi ou de son application à M. Rangel Gomez. Contrairement à ce qui s’est produit dans les affaires Alberta Teachers ou Alliance de la fonction publique du Canada, cette question n’a pas déjà été examinée et n’a fait l’objet d’aucune décision implicite. Les deux parties font remarquer qu’il s’agit de la première demande présentée en vue de faire radier un nom de la liste et qu’aucune décision n’a été rendue antérieurement au sujet de l’interprétation de la Loi. Rien dans la décision du ministre ne tend à indiquer qu’il aurait examiné la question de savoir si M. Rangel Gomez est assujetti à la Loi et au Règlement. La décision, éclairée par la note de service de la sous‐ministre, énonce les facteurs portés à l’attention du ministre et répond aux arguments présentés par M. Rangel Gomez, qui n’a pas soulevé la question de l’interprétation des lois ou celle de la légalité.

[80] Monsieur Rangel Gomez n’a pas soulevé une question relative à la Charte, mais il fait valoir les mêmes arguments que la Cour d’appel fédérale a examinés puis rejetés dans l’arrêt Forest Ethics, après avoir appliqué les arrêts Okwuobi et Alberta Teachers et conclu que le fait pour le décideur de ne pouvoir prononcer une déclaration d’invalidité n’est pas une raison de passer outre à la compétence du décideur.

[81] L’observation de M. Rangel Gomez – selon laquelle le défendeur n’a subi aucun préjudice du fait que cette question a été soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire, pour les raisons suivantes : M. Rangel Gomez a demandé l’autorisation de modifier son avis de demande de manière à y soulever l’argument fondé sur la rétroactivité; l’audience relative à la présente demande a été ajournée; et les deux parties ont été autorisées à présenter des observations supplémentaires – dénature la raison de l’ajournement.

[82] L’ajournement ne visait pas à redresser le préjudice causé au défendeur du fait que cette question était soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire. Monsieur Rangel Gomez voulait plutôt approfondir la question de la légalité, qu’il avait soulevée pour la première fois dans son avis de demande initial, en soulevant également la question de la rétroactivité de la Loi. À cette étape, le défendeur avait déjà présenté des observations écrites dans lesquelles il signalait qu’il s’opposerait à ce que soient soulevées pour la première fois les questions de la légalité et de l’interprétation des lois à l’étape du contrôle judiciaire.

[83] Monsieur Rangel Gomez affirme également avoir « démontré » dans sa demande de radiation que le Règlement ne s’appliquait pas à lui. Or, la « démonstration » dont il parle n’est rien d’autre que son argument selon lequel son nom n’aurait pas dû être inscrit sur la liste annexée au Règlement pour les raisons suivantes : il ne faisait pas partie du régime de Maduro; à la date où les sanctions ont été infligées, il n’exerçait aucune fonction politique et ne pouvait exercer aucune influence pour lutter contre la corruption; et, plus généralement, il n’était pas comme les autres personnes dont le nom figure sur la liste. Nulle part, dans ses 85 pages d’observations ou dans les liens qui y étaient joints, M. Rangel Gomez a‐t‐il soulevé les questions de l’interprétation des lois ou de la légalité.

[84] Pour conclure, les raisons qui justifient l’application de la règle générale, selon laquelle la Cour ne devrait pas examiner une question soulevée pour la première fois à l’étape du contrôle judiciaire, sont présentes en l’espèce : M. Rangel Gomez aurait pu soulever la question dans la demande de radiation qu’il a présentée au ministre; comme le législateur a confié au ministre la responsabilité de décider, conformément à la Loi, quels noms doivent figurer sur la liste ou être radiés, et de faire une recommandation au gouverneur en conseil, ce choix du législateur doit être respecté; le ministre possède toute l’expertise voulue en ce qui concerne les lois dont il est responsable; et la Cour et M. Rangel Gomez doivent pouvoir connaître les motifs du ministre, car ils permettent d’avoir au dossier le plus d’éléments de preuve possible pour statuer sur le contrôle judiciaire. Aucune raison ne milite en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’examiner la question; le ministre n’a rendu, implicitement ou antérieurement, aucune décision au sujet de l’interprétation de la Loi, et rien n’empêchait M. Rangel Gomez de soulever la question dans sa demande de radiation.

IX. Le ministre a‐t‐il manqué à son obligation d’équité procédurale relativement à la demande de radiation?

A. Les observations du demandeur

[85] Monsieur Rangel Gomez soutient que compte tenu des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 CanLII 699 [Baker], sa demande de radiation commande l’application d’une norme plus exigeante d’équité procédurale.

[86] Il affirme que, peu importe l’étendue de l’obligation d’équité procédurale à laquelle le ministre est tenu envers lui, le ministre n’a même pas satisfait aux principes les plus fondamentaux de l’équité procédurale. Monsieur Rangel Gomez ne nie pas que le droit de se faire entendre lui a été accordé, mais il soutient qu’il était dénué de sens étant donné qu’il n’a pas pu répondre efficacement à de vagues allégations, ou les réfuter. Il affirme qu’on ne lui avait fourni aucun renseignement précis sur la raison qui a initialement motivé la décision d’inscrire son nom sur la liste avant sa demande de radiation.

[87] Monsieur Rangel Gomez soutient que la lettre du 24 janvier 2019 d’AMC ne fournissait que des motifs génériques et que le ministre reprenait simplement les dispositions de la Loi dans sa décision.

[88] Monsieur Rangel Gomez fait valoir que l’inscription de son nom sur la liste constitue une mesure punitive et qu’il doit avoir la possibilité de se défendre contre des allégations précises de pots‐de‐vin et de corruption. Il dit qu’il lui est impossible de prouver qu’il n’a pas été complice ou responsable des actes qui lui sont reprochés parce que les allégations sont imprécises, et il ajoute qu’on ne lui a pas révélé d’où provenaient les renseignements sur lesquels le ministre s’est fondé pour le sanctionner.

[89] Monsieur Rangel Gomez affirme également que les motifs qui lui ont été fournis par AMC en janvier 2019 étaient vagues et qu’ils ne comportaient aucun détail – comme les marchés qu’il aurait adjugés à un fournisseur unique, les pots‐de‐vin qu’il aurait touchés, les métaux précieux dont il aurait fait le trafic, le degré d’influence ou de complicité qu’on lui reproche, ou les dates où les actes auraient été commis. Il ajoute que les renseignements provenant de sources ouvertes ne sont pas tous fiables et que ces sources auraient dû lui être divulguées.

[90] Il nie en bloc les allégations et souligne qu’il n’aurait pu commettre la plupart des actes qui lui sont reprochés en sa qualité de gouverneur d’un État, compte tenu de la séparation des pouvoirs entre les gouvernements des États et le gouvernement fédéral. Il souligne qu’il a attesté la véracité des faits dans sa demande de radiation et qu’il a nié l’allégation générale de corruption. Il soutient que, en revanche, le ministre s’est appuyé sur des éléments de preuve vagues et non attestés sous serment.

[91] Monsieur Rangel Gomez soutient que la seule indication qu’il a reçue quant aux éléments à fournir pour que le ministre fasse droit à sa demande de radiation figurait dans la décision par laquelle le ministre a refusé de radier son nom de la liste.

[92] Monsieur Rangel Gomez souligne que la sous‐ministre renvoie à des rapports publiés par Transparencia Venezuela et InSight Crime dans sa note de service, mais que ces rapports ont été publiés en 2019 et en 2020, soit après la date où son nom a été inscrit sur la liste. Il estime qu’il n’aurait pu répondre à des inquiétudes qui n’avaient même pas encore été dénoncées à la date pertinente.

[93] Il conteste l’argument du défendeur selon lequel il devait être au courant de la preuve qu’il devait à réfuter vu qu’il a produit 85 pages d’observations dans lesquelles il traitait en profondeur de nombreuses sources d’information.

[94] Selon M. Rangel Gomez, le simple fait pour lui d’avoir deviné des allégations et des sources de renseignement possibles, et d’y avoir répondu, ne décharge pas le ministre de son obligation d’équité procédurale. Il dit qu’il a dû chercher sur Internet des références à son sujet pour pouvoir rédiger ses observations. Il fait valoir qu’il n’avait aucune idée des renseignements sur lesquels le ministre s’était appuyé et qu’il n’a pu répondre aux rapports de Transparencia et d’InSight Crime – dont la date est postérieure à l’inscription de son nom sur la liste et, dans le cas du rapport d’InSight Crime, aux observations qu’il a présentées au ministre. Monsieur Rangel Gomez soutient que le ministre a conforté sa recommandation en ajoutant ces éléments à la preuve dont il disposait pour rendre sa décision d’inscrire le nom de M. Rangel Gomez sur la liste, seulement après la production de sa demande de radiation. Il affirme qu’il incombait au ministre, dès le départ, de divulguer les renseignements sur lesquels il s’est fondé.

B. Les observations du défendeur

[95] Le défendeur soutient que les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker appuient la thèse selon laquelle l’obligation d’équité procédurale qui s’impose en l’espèce est peu exigeante. Il fait valoir que vu le dossier volumineux produit par M. Rangel Gomez à l’appui de sa demande de radiation (dont les 85 pages d’observations avec des hyperliens), celui‐ci connaissait la preuve qu’il devait réfuter. En outre, il a eu l’occasion de produire des documents supplémentaires. Le défendeur affirme que M. Rangel Gomez ne se soucie pas vraiment de l’équité du processus, mais plutôt des conséquences qui en découlent.

[96] Le défendeur souligne que le nom de M. Rangel Gomez a été inscrit sur la liste sur le fondement du paragraphe 4(2), sur la foi de renseignements fiables provenant d’une source ouverte. Le défendeur ajoute que M. Rangel Gomez n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision d’inscrire son nom sur la liste rendue conformément à l’article 4 de la Loi. S’il l’avait fait, il aurait pu demander la transmission des documents qui sont en la possession du décideur conformément à l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106. Le défendeur ajoute que M. Rangel Gomez ne conteste la décision que dans le contexte de sa demande de radiation.

[97] Selon le défendeur, les renseignements qui doivent être fournis à l’appui d’une demande de radiation sont notamment des éléments de preuve objective obtenus de tiers établissant que les allégations sont fausses ou non fondées, ou le fait que d’autres pays ont levé des sanctions semblables. Il ajoute que la dénégation en bloc des allégations, de la part de M. Rangel Gomez, est simplement un énoncé général. S’il avait eu des éléments de preuve crédibles établissant que les actes qui lui sont reprochés n’ont pas été commis, il aurait pu les mentionner dans sa demande de radiation, mais il ne l’a pas fait.

[98] Le défendeur reconnaît que les États‐Unis ont fourni à M. Rangel Gomez davantage de précisions concernant les raisons justifiant les sanctions américaines. Le défendeur ajoute que M. Rangel Gomez a, dans les observations qu’il a fournies au ministre, fait état des allégations des États‐Unis et y a répondu, ce qui démontre qu’il savait que les mêmes allégations de corruption étaient préoccupantes pour le Canada.

[99] Le défendeur souligne que l’auteur de la lettre d’AMC répondait à la demande de renseignements présentée M. Rangel Gomez pour que lui soient divulgués les motifs qui avaient justifié la décision d’inscrire son nom sur la liste. La lettre reflète les dispositions pertinentes de la Loi et fournit des détails supplémentaires, notamment le fait que M. Rangel Gomez aurait adjugé des marchés sans appel d’offres, qu’il aurait fait le trafic du fer et de l’aluminium – trafic dont les produits auraient pu aider à financer sa campagne électorale –, et qu’il aurait accepté des pots‐de‐vin en échange de marchés publics. Selon le défendeur, ces renseignements étaient suffisants pour permettre à M. Rangel Gomez de comprendre les allégations et d’y répondre.

[100] Le défendeur fait remarquer que M. Rangel Gomez n’a pas demandé au ministre de lui fournir plus de détails sur les allégations, détails qu’il reproche aujourd’hui au ministre de ne pas lui avoir fournis.

C. Le ministre s’est acquitté de l’obligation d’équité procédurale à laquelle il est tenu envers M. Rangel Gomez

(1) Les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker

[101] Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada énonce que l’obligation d’équité procédurale est variable, selon le contexte.

[102] La juge L’Heureux‐Dubé fournit une liste non exhaustive de facteurs et souligne que l’étendue ou la teneur de l’obligation d’équité procédurale est tributaire du contexte particulier de chaque affaire. La juge L’Heureux‐Dubé répète que l’obligation d’équité procédurale découle du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter leur position et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits et intérêts soient prises à l’issue d’un processus équitable, impartial et ouvert « adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » (Baker, au para 28).

[103] Les facteurs déterminant l’étendue de l’obligation comprennent la nature de la décision, la nature du régime législatif, l’importance de la décision pour la personne visée, les attentes légitimes de cette personne et le choix de la procédure fait par le décideur.

[104] S’agissant de la nature de la décision et du processus suivi pour la rendre, l’arrêt Baker énonce que plus le processus ressemble à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l’obligation d’agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès (Baker, au para 23).

[105] S’agissant de la nature du régime législatif, des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu’il n’est plus possible de présenter d’autres demandes [Baker, au para 24].

[106] Plus la décision est importante et plus ses répercussions sont grandes pour la personne visée, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses (Baker, au para 25).

[107] Si la personne s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure (Baker, au para 26).

[108] Dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, la Cour suprême du Canada donne aux paragraphes 94‐95 des précisions sur la théorie des attentes légitimes. Citant D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), § 7:1710, et la jurisprudence pertinente, elle souligne au paragraphe 95 qu’une attente légitime doit découler de la conduite du décideur ou peut découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel. La Cour suprême souligne également que la pratique ou la conduite qui suscitent une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites.

[109] Le choix de la procédure fait par le décideur, qui doit être pris en considération et respecté, constitue un autre facteur qui permet de mesurer l’étendue de l’obligation d’équité procédurale. Cela est d’autant plus vrai quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances (Baker, au para 27).

[110] En l’espèce, au sujet de la nature de la décision et du processus décisionnel, M. Rangel Gomez soutient que, comme l’article 8 ne mentionne aucun processus ou facteur que le ministre doit prendre en considération, une norme plus exigeante d’équité procédurale est requise. Je ne suis pas de cet avis. Le ministre est un décideur administratif et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ne ressemble pas à une prise de décision judiciaire. Ce facteur ne justifie pas l’application d’une norme plus exigeante d’équité procédurale.

[111] Au sujet de la nature du régime législatif, M. Rangel Gomez affirme que, comme aucun droit d’appel n’est prévu, des protections procédurales plus importantes sont nécessaires. Comme l’a mentionné le défendeur, le droit de solliciter le contrôle judiciaire de la décision du ministre est prévu, et le demandeur peut également présenter une nouvelle demande de radiation conformément au paragraphe 8(5). Ce facteur ne justifie pas l’application d’une norme plus exigeante d’équité procédurale, car la décision n’est pas à l’abri d’un contrôle ou d’un réexamen.

[112] Au sujet de l’importance de la décision, M. Rangel Gomez soutient que les sanctions ont eu une incidence sur sa capacité de faire du commerce au Canada et à l’étranger, de posséder des biens au Canada et d’entrer au Canada. Il souligne qu’il a perdu son assurance‐santé et qu’il n’a pas été en mesure de financer l’acquisition d’une voiture au Mexique en raison des sanctions. Il souligne également que l’atteinte à sa réputation et à son intégrité commande l’application d’une norme plus exigeante d’équité procédurale.

[113] L’importance de la décision n’est pas, en soi, un facteur qui justifie l’application d’une norme plus rigoureuse d’équité procédurale. La décision emporte certes des conséquences pour M. Rangel Gomez, mais il a reconnu qu’il n’a pas d’intérêts commerciaux au Canada et n’y possède pas de biens et qu’il n’a pas non plus d’intention de faire des affaires au Canada. Son argument selon lequel les sanctions équivalent à une [traduction] « peine à perpétuité » est exagéré. Il n’a pas démontré comment la perte de son assurance‐santé et son incapacité à financer l’acquisition d’une voiture au Mexique sont la conséquence du fait que son nom est inscrit sur la liste au Canada. Contrairement à ce qu’il affirme, il n’a aucun droit acquis au Canada et il n’a pas été en mesure de fournir des sources pour étayer son affirmation selon laquelle chacun a le droit de faire des affaires au Canada.

[114] Monsieur Rangel Gomez fait également valoir que les personnes dont le nom figure sur la liste s’attendent légitimement à obtenir une audience équitable et à ce qu’on leur fournisse des détails sur ce qui leur est reproché, qu’il est dans l’intérêt du gouvernement du Canada de s’assurer à ce que seules les personnes qui doivent faire l’objet de sanctions les reçoivent, et que le ministre devrait vouloir que les personnes dont le nom figure sur la liste soient informées des raisons pour lesquelles les sanctions leur ont été infligées afin qu’elles puissent modifier leur comportement. Il soutient que ce facteur commande l’application d’une norme plus exigeante d’équité procédurale. Or, ces observations portent sur l’existence d’une obligation d’équité procédurale et non sur une attente légitime qui pourrait permettre de déterminer la portée de cette obligation envers lui. Comme nous l’avons mentionné plus haut, une attente légitime exige d’examiner s’il y a eu un écart par rapport à une pratique officielle ou un engagement précis quant aux procédures devant être suivies. En l’espèce, il n’existe aucune pratique officielle, et aucun engagement n’a été pris à son égard quant aux procédures à suivre. Monsieur Rangel Gomez reconnaît qu’il a eu l’occasion de présenter des observations détaillées et une deuxième occasion de présenter des observations supplémentaires. La note de service de la sous‐ministre et la décision du ministre démontrent que ses observations ont été attentivement examinées. L’argument principal de M. Rangel Gomez porte sur le fait qu’il ne connaissait pas la preuve qu’il devait réfuter.

[115] S’agissant du choix de la procédure par le ministre, M. Rangel Gomez dit qu’aucune procédure n’étant prévue dans la Loi, il n’est pas nécessaire de respecter le choix du ministre. Toutefois, la Loi permet au ministre de choisir la procédure à suivre dans le cas d’une demande de radiation, et ce choix doit être respecté. Le ministre est uniquement tenu de décider s’il existe des motifs raisonnables de recommander la radiation (au paragraphe 8(2)), de rendre sa décision dans les 90 jours suivant la réception de la demande de radiation (au paragraphe 8(3)) et de donner sans délai avis au demandeur dans le cas où il rejette sa demande de radiation (au paragraphe 8(4)). Ce facteur ne justifie pas l’application d’une norme plus exigeante d’équité procédurale.

[116] Bref, l’application des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker ne permet pas de conclure qu’il est nécessaire d’appliquer une norme plus exigeante d’équité procédurale dans le contexte de la demande de radiation présentée par M. Rangel Gomez. La décision du ministre n’est pas de la nature d’une décision judiciaire, elle est susceptible de contrôle judiciaire et il est permis au demandeur de présenter une nouvelle demande lorsque sa situation a évolué de manière importante, M. Rangel Gomez n’avait aucune attente légitime au sujet des procédures devant être suivies, et le choix des procédures relève du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[117] Cependant, quelle que soit l’étendue de l’obligation d’équité procédurale que les circonstances particulières peuvent commander, les protections procédurales fondamentales ou minimales doivent être respectées. La personne qui sera lésée par une décision a le droit de connaître la preuve à réfuter, il est donc impératif qu’elle soit suffisamment informée des motifs sur lesquels sera fondée la décision – et qu’elle dispose de ces renseignements avant que la décision ne soit rendue et de suffisamment de temps pour y répondre.

(2) L’obligation d’équité procédurale dans le contexte de la demande de radiation

[118] La question en litige que doit trancher la Cour est celle de savoir si le ministre a manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il est tenu envers M. Rangel Gomez dans le contexte de sa demande de radiation. La décision initiale du ministre de recommander que le nom de M. Rangel Gomez soit inscrit sur la liste sur le fondement de l’alinéa 4(2)c) n’est pas visée par la présente demande. Toutefois, il existe un lien entre les renseignements sur lesquels le ministre s’est fondé pour recommander au gouverneur en conseil d’inscrire le nom de M. Rangel Gomez sur la liste et la capacité de ce dernier à présenter des observations à l’appui de sa demande de radiation.

[119] J’estime que M. Rangel Gomez était suffisamment informé des raisons qui ont mené à l’inscription de son nom sur la liste pour pouvoir présenter des observations justifiant la radiation de cette inscription (c.‐à‐d. sa demande de radiation). Autrement dit, il était au courant de la preuve à réfuter.

[120] Le nom de M. Rangel Gomez a été inscrit sur la liste en novembre 2017. À cette date, il disposait des renseignements que contient la Loi, laquelle énonce, à l’alinéa 4(2)c), les faits qui justifient d’inscrire sur la liste le nom de l’agent public étranger

responsable ou complice d’avoir ordonné, supervisé ou dirigé d’une façon quelconque des actes de corruption — notamment le versement de pots‐de‐vin, le détournement de biens publics ou privés pour son propre bénéfice, le transfert de produits de la corruption à l’extérieur de l’État étranger ou tout acte de corruption en matière d’expropriation ou visant des marchés publics ou l’extraction de ressources naturelles — qui constituent, compte tenu notamment de leurs effets, de l’importance des sommes en jeu, du degré d’influence ou de la position d’autorité de l’étranger ou du fait que le gouvernement de l’État étranger en cause en est complice, des actes de corruption à grande échelle.

[Non souligné dans l’original.]

[121] Monsieur Rangel Gomez disposait également des renseignements figurant dans le REIR, lequel souligne que le Canada avait « exprimé son inquiétude au sujet des nombreux incidents de violations graves de droits de la personne et d’actes de corruption à grande échelle dans le contexte de la crise économique et politique actuelle au Venezuela » et que « [l]e Règlement comprend également des personnes au Venezuela qui, selon le gouverneur en conseil, sont responsables ou complices d’actes de corruption à grande échelle, incluant des incidents de blanchiment d’argent et d’agents publics qui ont détourné les recettes de l’État à des fins personnelles ».

[122] Plus d’un an plus tard, M. Rangel Gomez a demandé d’être informé des raisons pour lesquelles son nom figurait sur la liste. La lettre de janvier 2019 d’AMC fournit de plus amples renseignements. Bien que la lettre ne comporte aucun détail précis sur les pots‐de‐vin, les marchés publics ou l’extraction de minéraux, M. Rangel Gomez a saisi l’importance des allégations, c’est‐à‐dire que le ministre ne s’était pas appuyé sur un seul incident lié à des pots‐de‐vin ou à la corruption.

[123] Dans ses observations, M. Rangel Gomez dit :

[traduction]
Nous comprenons que ni la Loi ni le Règlement n’exigent expressément qu’Affaires mondiales Canada fournisse une quelconque explication pour l’inscription de son nom sur la liste aux fins des sanctions (ce qui démontre qu’ils comportent un défaut important et problématique). Par conséquent, nous sommes reconnaissants des indications fournies [renvoyant à la lettre de janvier 2019] [souligné dans l’original].

Il ajoute qu’il a eu du mal à faire des recherches et à présenter une demande [traduction] « en l’absence d’indications » vu qu’il avait passé plus de 20 ans dans la sphère publique. Il semble avoir reconnu que la lettre de janvier 2019 contenait des indications.

[124] Les observations que M. Rangel Gomez a présentées au ministre à l’appui de sa demande de radiation contredisent son allégation voulant qu’il ne savait pas sur quels éléments le ministre s’était fondé ou qu’il n’avait pas été en mesure de répondre.

[125] Monsieur Rangel Gomez souligne qu’à son avis, les raisons fournies par AMC pour justifier l’inscription de son nom sur la liste étaient des généralités, et qu’il a dû suppléer à ces raisons en puisant dans les détails fournis par le gouvernement américain, les détails provenant des médias et d’autres sources qui correspondent à la [traduction] « catégorie générale des points soulevés » dans les raisons. De plus, dans les motifs qu’il a invoqués pour recommander que le nom de M. Rangel Gomez figure sur la liste sur le fondement l’alinéa 4(2)c) de la Loi, le ministre s’est fondé sur des renseignements fiables provenant d’une source ouverte que M. Rangel Gomez pouvait aussi obtenir et qu’il a reconnu avoir consultés pour pouvoir rédiger ses observations. Le ministre et AMC n’étaient pas tenus de divulguer les renseignements provenant d’une source ouverte que M. Rangel Gomez pouvait obtenir (voir, par exemple, Azizian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 379 au para 29; Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461, 1998 CanLII 9066).

[126] Dans sa demande de radiation, M. Rangel Gomez a, en plus d’exposer ses observations (mentionnées plus haut) et de fournir des renseignements généraux – notamment au sujet de la politique au Venezuela et de sa carrière –, également répondu aux allégations. Il fait remarquer qu’il n’avait pas occupé de poste au sein du gouvernement national depuis l’an 2000. Il explique qu’il avait reçu l’ordre de quitter son poste de ministre du Cabinet de la présidence en l’an 2000 afin d’occuper le poste de président de la Corporación Venezolana de Guayana [la CVG], une société d’État, et que la CVG était une entreprise autonome chargée de coordonner des projets d’infrastructure. Il souligne qu’il a réalisé de grands projets pendant qu’il était à la CVG et que ses réussites au sein de cette société l’ont mené à se porter candidat à une charge publique au Bolivar.

[127] Au sujet des allégations de pots‐de‐vin, M. Rangel Gomez dit que plusieurs politiciens et d’autres personnes ont été poursuivis, mais qu’il n’est pas visé par ces poursuites. Il souligne que la seule allégation de pots‐de‐vin dont il est au courant concerne Odebrecht SA, un conglomérat brésilien de la construction poursuivi dans plusieurs pays pour avoir soudoyé des fonctionnaires et des politiciens dans le but d’obtenir des contrats. Il affirme qu’il n’était visé par aucune allégation contenue dans la poursuite américaine. Il explique que la seule chose qui peut le lier à cette affaire est la déclaration d’un administrateur selon laquelle il avait contribué deux fois à la campagne électorale de M. Rangel Gomez et ce dernier avait promis que le gouvernement accorderait la priorité au développement des projets de l’entreprise. Selon M. Rangel Gomez, l’État de Bolivar n’a adjugé aucun marché à Odebrecht, et il ne se souvient d’aucune discussion ni d’aucune contribution. À son avis, il n’existe aucune preuve crédible de sa participation à un stratagème de pots‐de‐vin.

[128] S’agissant des allégations de corruption liées aux ressources naturelles, M. Rangel Gomez souligne que vu l’absence de détails, il s’est fié au communiqué de presse américain, qui renvoie aux rapports qu’il a eus avec Ferrominera del Orinoco [FdO] – une filiale de la CVG responsable de l’extraction, de la transformation et de la commercialisation du minerai de fer – dans lequel l’auteur allègue que Diosdado Cabello et M. Rangel Gomez avaient extrait du fer et l’avaient exporté par l’intermédiaire de FdO et qu’ils avaient des « hommes de paille » dans l’entreprise qui facilitaient l’extraction et l’exportation illégales. Selon M. Rangel Gomez, plusieurs fonctionnaires ont fait l’objet d’enquête et de poursuites au criminel, qui ont été très médiatisées. Il dit que la seule chose qui le lie à ce scandale est le fait qu’il était un ami du propriétaire d’un des journaux qui avaient couvert les arrestations des agents de FdO et d’autres personnes. Monsieur Cabello était aussi visé dans l’enquête sur le réseau de trafic de minerai de fer et il a été arrêté. Selon M. Rangel Gomez, il n’est directement visé par aucune allégation en lien avec FdO. Il renvoie à l’article du magazine The Economist (également mentionné dans la note de service de la sous‐ministre), dans lequel rien, à son avis, n’indique expressément qu’il avait été impliqué; il souligne que si l’auteur de l’article avait eu la preuve de son implication, il l’aurait mentionnée.

[129] Monsieur Rangel Gomez dit que les seules allégations qui le concernent émanent des États‐Unis en mai 2018. D’après les États‐Unis, M. Cabello a fait beaucoup d’affaires illicites avec d’autres personnes, y compris M. Rangel Gomez, et eux et leurs associés ont blanchi de l’argent provenant de fonds détournés de l’État vénézuélien et de leurs tractations avec des trafiquants de drogue par l’entremise d’une série d’immeubles d’habitation et de centres commerciaux. Les allégations portent aussi sur l’extraction de fer et d’autres activités de blanchiment d’argent dans ce contexte. D’après les allégations, M. Rangel Gomez aurait ordonné au président d’une entreprise d’État de transporter par bateau les minéraux au Costa Rica.

[130] Monsieur Rangel Gomez nie en bloc les allégations portées contre lui par les États‐Unis. Il dit qu’il n’est pas un ami de M. Cabello et qu’il n’a jamais fait affaire avec lui. Il ajoute qu’il n’avait exercé aucun contrôle ni aucune influence sur la CVG ou sur FdO pendant qu’il était gouverneur, car elles sont des entités nationales. Il souligne que malgré ces allégations, les États‐Unis n’ont intenté contre lui aucune poursuite devant une juridiction criminelle ou devant une autre juridiction.

[131] Monsieur Rangel Gomez nie également d’autres allégations, affirmant qu’elles ne le visent pas, car il n’a participé à aucune activité de trafic de drogue ou de blanchiment d’argent impliquant FdO, Venalum (une filiale de la CVG) ou Alunasa (une entreprise du Costa Rica qui fabrique des produits d’aluminium et qui appartient également à la CVG). Il souligne là encore que, en tant que gouverneur de l’État, il ne jouait aucun rôle dans les entreprises nationales ou n’exerçait aucune influence sur elles.

[132] Dans l’ensemble, M. Rangel Gomez a répondu dans ses observations aux allégations de corruption et de pots‐de‐vin, invoquant plusieurs scénarios ainsi que son rôle de gouverneur de l’État et de dirigeant responsable de la CVG. Contrairement à ce qu’il affirme, il ne semble pas avoir dû deviner les renseignements qui ont justifié les raisons énoncées dans la lettre d’AMC.

[133] Par exemple, pour répondre à l’allégation selon laquelle il était responsable ou complice de l’acceptation de pots‐de‐vin importants en échange de marchés publics, il s’est fondé sur les éléments de l’allégation concernant Odebrecht SA. En réponse à l’allégation selon laquelle il aurait participé à des actes de corruption liés à l’extraction de ressources naturelles et au transfert des produits de la corruption à l’extérieur du Venezuela, il s’est appuyé sur les renseignements fournis par les États‐Unis et a nié les allégations plus précises. De même, en réponse à l’allégation portant qu’il aurait adjugé des marchés publics à des entreprises impliquées dans le trafic de barres de fer et d’aluminium et que ces entreprises auraient peut‐être contribué au financement de sa campagne électorale de 2008, il a nié avoir joué un rôle en ce qui concerne FdO, Venalum, Alunasa et la CVG.

[134] Quant à son argument selon lequel il ne pouvait pas réagir aux rapports d’InSight Crime et de Transparencia Venezuela parce que la date de ces rapports est postérieure à celle où son nom a été inscrit sur la liste et/ou à ses observations, le fait pour le ministre de renvoyer à ces rapports plus récents ou de s’en servir ne constitue pas un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Lorsqu’il est saisi d’une demande de radiation, le ministre est tenu de décider s’il existe des motifs raisonnables de recommander que le nom du demandeur cesse d’être inscrit sur la liste. Pour prendre cette décision, le ministre doit tenir compte de tous les renseignements pertinents. Transparencia et InSight et d’autres publications récentes ont été mentionnées dans la note de service de la sous‐ministre. Ces mentions ne visent pas à conforter la recommandation en ajoutant des éléments à la preuve sur laquelle reposait la décision d’inscrire le nom de M. Rangel Gomez sur la liste, comme il le prétend, mais plutôt à éclairer le ministre appelé à décider s’il existe des motifs raisonnables de recommander l’abrogation ou la modification du Règlement initialement pris dans lequel figurent les noms en annexe. Le ministre a conclu que les observations ne dissipaient pas ses préoccupations quant aux actes de corruption à grande échelle reprochés à M. Rangel Gomez.

[135] Les motifs que M. Rangel Gomez invoque au soutien de ses dénégations démontrent sa connaissance des nombreuses allégations qui lui sont reprochées, dont l’une ou l’autre pouvait servir de fondement à l’inscription de son nom sur la liste conformément à l’alinéa 4(2)c) de la Loi. La décision du ministre selon laquelle aucun motif raisonnable ne permettait de recommander la modification du Règlement de manière à ce que le nom de M. Rangel Gomez soit radié de la liste n’est pas en cause : il est vrai que M. Rangel Gomez a nié les allégations dans ses observations, mais il n’a pas contesté le caractère raisonnable de la décision.

[136] En conclusion, j’estime qu’il a été satisfait à l’obligation d’équité procédurale envers M. Rangel Gomez dans le contexte de la demande de radiation. Par conséquent, je ne vois aucune raison d’annuler le refus du ministre de recommander que le nom de M. Rangel Gomez soit radié de la liste. Comme l’indique le paragraphe 8(5) de la Loi, le demandeur peut présenter une nouvelle demande de radiation si sa situation évolue de manière importante.

[137] S’agissant des dépens, les parties ont convenu que, si le défendeur obtenait gain de cause, M. Rangel Gomez paierait les dépens, fixés à 7 000 $.


JUGEMENT dans le dossier T‐1079‐20

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié de manière à ce que la défenderesse Sa Majesté la Reine (représentée par le ministre des Affaires étrangères) soit mise hors de cause.

  2. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Le demandeur doit payer au défendeur les dépens, fixés à 7000 $.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


ANNEXE A

Les dispositions législatives pertinentes de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus sont les suivantes :

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 The following definitions apply in this Act.

étranger Individu autre :

foreign national means an individual who is not

a) qu’un citoyen canadien;

(a) a Canadian citizen; or

b) qu’un résident permanent au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

(b) a permanent resident under the Immigration and Refugee Protection Act.

agent public étranger S’entend au sens de l’article 2 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers.

foreign public official has the same meaning as in section 2 of the Corruption of Foreign Public Officials Act.

4 (1) S’il juge que s’est produit l’un ou l’autre des faits prévus au paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut

4 (1) The Governor in Council may, if the Governor in Council is of the opinion that any of the circumstances described in subsection (2) has occurred,

a) prendre tout décret ou règlement qu’il estime nécessaire concernant la restriction ou l’interdiction, à l’égard d’un étranger, des activités énumérées au paragraphe (3);

(a) make any orders or regulations with respect to the restriction or prohibition of any of the activities referred to in subsection (3) in relation to a foreign national that the Governor in Council considers necessary; and

b) par décret, saisir, bloquer ou mettre sous séquestre, de la façon prévue par le décret, tout bien situé au Canada et détenu par l’étranger.

(b) by order, cause to be seized, frozen or sequestrated in the manner set out in the order any of the foreign national’s property situated in Canada.

(2) Sont visés au paragraphe (1) les faits suivants :

(2) The circumstances referred to in subsection (1) are the following:

a) l’étranger est responsable ou complice de meurtres extrajudiciaires, de torture ou d’autres violations graves de droits de la personne reconnus à l’échelle internationale contre des personnes dans un État étranger qui tentent, selon le cas :

(a) a foreign national is responsible for, or complicit in, extrajudicial killings, torture or other gross violations of internationally recognized human rights committed against individuals in any foreign state who seek

(i) de dénoncer des activités illégales commises par des agents publics étrangers,

(i) to expose illegal activity carried out by foreign public officials, or

(ii) d’obtenir, d’exercer, de défendre ou de promouvoir des droits de la personne et des libertés reconnus à l’échelle internationale, notamment la liberté de conscience, de religion, de pensée, de croyance, d’opinion, d’expression, de réunion pacifique et d’association et le droit à un procès équitable et à des élections démocratiques;

(ii) to obtain, exercise, defend or promote internationally recognized human rights and freedoms, such as freedom of conscience, religion, thought, belief, opinion, expression, peaceful assembly and association, and the right to a fair trial and democratic elections;

b) l’étranger, sur mandat ou au nom d’un État étranger, est impliqué dans une activité visée à l’alinéa a);

(b) a foreign national acts as an agent of or on behalf of a foreign state in a matter relating to an activity described in paragraph (a);

c) l’étranger qui est un agent public étranger ou une personne qui est associée à un tel agent est responsable ou complice d’avoir ordonné, supervisé ou dirigé d’une façon quelconque des actes de corruption — notamment le versement de pots‐de‐vin, le détournement de biens publics ou privés pour son propre bénéfice, le transfert de produits de la corruption à l’extérieur de l’État étranger ou tout acte de corruption en matière d’expropriation ou visant des marchés publics ou l’extraction de ressources naturelles — qui constituent, compte tenu notamment de leurs effets, de l’importance des sommes en jeu, du degré d’influence ou de la position d’autorité de l’étranger ou du fait que le gouvernement de l’État étranger en cause en est complice, des actes de corruption à grande échelle;

(c) a foreign national, who is a foreign public official or an associate of such an official, is responsible for or complicit in ordering, controlling or otherwise directing acts of corruption — including bribery, the misappropriation of private or public assets for personal gain, the transfer of the proceeds of corruption to foreign states or any act of corruption related to expropriation, government contracts or the extraction of natural resources — which amount to acts of significant corruption when taking into consideration, among other things, their impact, the amounts involved, the foreign national’s influence or position of authority or the complicity of the government of the foreign state in question in the acts; or

d) l’étranger a substantiellement appuyé ou parrainé une activité visée à l’alinéa c) ou y a activement participé en fournissant de l’aide financière ou matérielle, du soutien technologique ou des biens ou services.

(d) a foreign national has materially assisted, sponsored, or provided financial, material or technological support for, or goods or services in support of, an activity described in paragraph (c).

(3) Les activités qui peuvent être visées par le décret ou règlement pris en vertu de l’alinéa (1)a) sont les suivantes, qu’elles se déroulent au Canada ou à l’étranger :

(3) Orders and regulations may be made under paragraph (1)(a) with respect to the restriction or prohibition of any of the following activities, whether carried out in or outside Canada:

a) toute opération effectuée, directement ou indirectement, par une personne se trouvant au Canada ou par un Canadien se trouvant à l’étranger portant sur un bien de l’étranger, indépendamment de la situation du bien;

(a) the dealing, directly or indirectly, by any person in Canada or Canadian outside Canada in any property, wherever situated, of the foreign national;

b) le fait pour une personne se trouvant au Canada ou pour un Canadien se trouvant à l’étranger de conclure, directement ou indirectement, toute opération financière liée à une opération visée à l’alinéa a) ou d’en faciliter, directement ou indirectement, la conclusion;

(b) the entering into or facilitating, directly or indirectly, by any person in Canada or Canadian outside Canada, of any financial transaction related to a dealing referred to in paragraph (a); and

c) la prestation par une personne se trouvant au Canada ou par un Canadien se trouvant à l’étranger de services, notamment de services financiers, à l’étranger, pour le bénéfice de celui‐ci ou en exécution d’une directive ou d’un ordre qu’il a donné;

(c) the provision by any person in Canada or Canadian outside Canada of financial services or any other services to, for the benefit of or on the direction or order of the foreign national;

d) l’acquisition par une personne se trouvant au Canada ou par un Canadien se trouvant à l’étranger de services, notamment de services financiers, pour le bénéfice de l’étranger ou en exécution d’une directive ou d’un ordre qu’il a donné;

(d) the acquisition by any person in Canada or Canadian outside Canada of financial services or any other services for the benefit of or on the direction or order of the foreign national; and

e) le fait pour une personne se trouvant au Canada ou pour un Canadien se trouvant à l’étranger de rendre disponible des biens, où qu’ils soient, à l’étranger ou à une personne agissant pour son compte.

(e) the making available by any person in Canada or Canadian outside Canada of any property, wherever situated, to the foreign national or to a person acting on behalf of the foreign national.

(4) Le gouverneur en conseil peut, par décret, conférer au ministre le pouvoir :

(4) The Governor in Council may, by order, authorize the Minister to

a) de délivrer à une personne se trouvant au Canada ou à un Canadien se trouvant à l’étranger un permis l’autorisant à mener une opération ou une activité, ou une catégorie d’opérations ou d’activités, qui fait l’objet d’une interdiction ou d’une restriction au titre de la présente loi ou d’un décret ou règlement pris en vertu de celle‐ci;

(a) issue to any person in Canada or Canadian outside Canada a permit to carry out a specified activity or transaction, or class of activity or transaction, that is restricted or prohibited under this Act or any order or regulations made under this Act; or

b) de délivrer un permis d’application générale autorisant toute personne se trouvant au Canada ou tout Canadien se trouvant à l’étranger à mener une opération ou une activité, ou une catégorie d’opérations ou d’activités, qui fait l’objet d’une interdiction ou d’une restriction au titre de la présente loi ou d’un décret ou règlement pris en vertu de celle‐ci.

(b) issue a general permit allowing any person in Canada or Canadian outside Canada to carry out a class of activity or transaction that is restricted or prohibited under this Act or any order or regulations made under this Act.

(5) Le ministre peut délivrer un permis ou un permis d’application générale sous réserve des modalités qu’il estime compatibles avec la présente loi et les décrets et règlements pris en vertu de celle‐ci.

(5) The Minister may issue a permit or general permit, subject to any terms and conditions that are, in the opinion of the Minister, consistent with this Act and any order or regulations made under this Act.

(6) Le ministre peut modifier, annuler, suspendre ou rétablir un permis visé au présent article.

(6) The Minister may amend, suspend, revoke or reinstate any permit or general permit issued by the Minister.

[...]

[...]

8 (1) L’étranger visé par un décret ou règlement pris en vertu de l’article 4 peut demander par écrit au ministre de cesser d’être visé par le décret ou règlement.

8 (1) A foreign national who is the subject of an order or regulation made under section 4 may apply in writing to the Minister to cease being the subject of the order or regulation.

(2) Sur réception de la demande, le ministre décide s’il existe des motifs raisonnables de recommander au gouverneur en conseil de modifier ou d’abroger, selon le cas, le décret ou le règlement afin que le demandeur cesse d’y être visé.

(2) On receipt of the application, the Minister must decide whether there are reasonable grounds to recommend to the Governor in Council that the order or regulation be amended or repealed, as the case may be, so that the applicant ceases to be the subject of it.

(3) Il rend sa décision dans les quatre‐vingt‐dix jours suivant la réception de la demande.

(3) The Minister must make a decision on the application within 90 days after the day on which the application is received.

(4) S’il rejette la demande, il en donne sans délai avis au demandeur.

(4) The Minister must give notice without delay to the applicant of any decision to reject the application.

(5) Si la situation du demandeur a évolué de manière importante depuis la présentation de sa dernière demande, il peut en présenter une nouvelle.

(5) If there has been a material change in the applicant’s circumstances since their last application under subsection (1) was submitted, he or she may submit another application.

L’article 2 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, LC 1998, c 34, dispose :

agent public étranger

foreign public official

a) Personne qui détient un mandat législatif, administratif ou judiciaire d’un État étranger

b) ou qui exerce une fonction publique d’un État étranger, y compris une personne employée par un conseil, une commission, une société ou un autre organisme établi par l’État étranger pour y exercer une telle fonction ou qui exerce une telle fonction;

(a) a person who holds a legislative, administrative or judicial position of a foreign state;

(b) a person who performs public duties or functions for a foreign state, including a person employed by a board, commission, corporation or other body or authority that is established to perform a duty or function on behalf of the foreign state, or is performing such a duty or function; and

c) et un fonctionnaire ou agent d’une organisation internationale publique constituée par des États, des gouvernements ou d’autres organisations internationales publiques.

(c) an official or agent of a public international organization that is formed by two or more states or governments, or by two or more such public international organizations.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐1079‐20

 

INTITULÉ :

FRANCISCO JOSE RANGEL GOMEZ c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Derek J. Bell

Stephanie C. Kolla

Pour le demandeur

 

Jacqueline Dais‐Visca

Shain Widdifield

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.