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Date : 20211112


Dossier : IMM-841-21

Référence : 2021 CF 1231

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

J.N.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I. Introduction

[1] La demanderesse sollicite une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre elle, actuellement prévue le vendredi 26 novembre 2021, jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[2] La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire vise la décision du 6 janvier 2021 par laquelle un agent d’immigration principal a rejeté la demande de la demanderesse en vue d’obtenir la résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire. Cette demande a été déposée le 8 février 2021 et mise en état le 15 juillet 2021 afin que la Cour rende sa décision sur la demande d’autorisation. La demanderesse a reçu l’ordre de se présenter pour son renvoi le 20 octobre 2021, et la présente requête a été déposée le 28 octobre 2021.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne indienne de 44 ans. Elle est entrée au Canada à titre de résidente permanente en décembre 2010, en tant que conjointe d’un membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Le 17 août 2015, elle a fait l’objet d’un rapport visé à l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Par conséquent, une mesure d’expulsion a été prise le 28 septembre et la demanderesse a perdu son statut de résidente permanente. La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été présentée le 5 juin 2019.

[4] La grande criminalité dont il était question dans le rapport visé à l’article 44 était la déclaration de culpabilité de la demanderesse pour homicide involontaire, qui lui a valu le 31 juillet 2015 une peine de 10 ans d’emprisonnement, moins les quelques mois passés en détention préventive.

[5] Il s’agit d’un crime horrifiant. Comme l’a énoncé le juge du procès dans les motifs de la peine, en septembre 2011, l’enfant de la demanderesse, âgée de trois ans, a subi une importante lésion cérébrale par suite d’un traumatisme contondant à son crâne. En plus d’avoir subi des blessures mortelles, son corps était couvert de douzaines de blessures internes et externes, dont des ecchymoses, des hémorragies et de multiples fractures du crâne, qui avaient été infligées avant la date de son décès. La description de son état à son arrivée à l’hôpital est terrifiante.

[6] La demanderesse a été accusée de meurtre au deuxième degré par suite d’allégations selon lesquelles elle a frappé sa fille pendant de nombreuses semaines, voire des mois, jusqu’au coup fatal. Le jury a rendu un verdict d’homicide involontaire, ce qui donne à penser qu’il a convenu que le meurtre n’était pas intentionnel.

[7] Le juge qui a prononcé la peine a souligné qu’il y avait de nombreux facteurs aggravants au crime, y compris la vulnérabilité de la victime, la preuve de voies de fait répétées, le déni de responsabilité de la contrevenante, ainsi que l’absence d’empathie et de remords pour la perte de sa fille. Personne de la famille immédiate ou élargie n’a parlé au nom de l’enfant. Le tribunal a dû s’en charger. Il n’y avait aucun facteur atténuant. Ces faits ne sont pas nécessaires pour trancher la présente requête, mais je crois qu’il est nécessaire de les relater parce qu’il est loin d’être clair que la demanderesse a reconnu sa responsabilité pour le crime qu’elle a commis, et les membres de sa famille continuent de clamer son innocence.

[8] Le tribunal a souligné que la déclaration de culpabilité entraînerait d’énormes conséquences pour la demanderesse en ce qui concerne son dossier d’immigration et a accordé un peu de poids à ce facteur dans la détermination de la peine. La demanderesse souligne à juste titre que l’expulsion ne devrait pas être considérée comme une peine additionnelle pour son crime. Quoi qu’il en soit, elle a pu bénéficier dans une certaine mesure du fait que ce facteur ait été pris en compte dans la durée de l’incarcération imposée.

[9] Dans l’attente de son procès, la demanderesse a eu deux autres enfants avec son mari, dont la garde leur a été retirée à la naissance par la Société d’aide à l’enfance. Ces enfants, ainsi qu’un enfant plus vieux né avant la victime, vivent avec leur père et leur grand‑mère. La demanderesse bénéficie désormais d’une libération conditionnelle et vit dans une maison de transition sous strictes conditions, notamment celle de n’avoir aucun contact avec quiconque de moins de 16 ans, y compris ses propres enfants, à moins d’être accompagnée par un adulte responsable approuvé à l’avance par son surveillant de liberté conditionnelle.

[10] La demanderesse a déposé des observations à jour détaillées à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire entre le dépôt initial le 4 juin 2019 et le 25 septembre 2020. Je fais remarquer que dans son affidavit souscrit le 5 avril 2019 à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse continue de minimiser sa responsabilité pour le crime qu’elle a commis malgré le verdict du jury et les conclusions de fait du juge du procès au sujet de la violence infligée à l’enfant.

[11] En plus des observations écrites de la demanderesse, la preuve comprenait des lettres de soutien de sa famille, de ses amis et de ses travailleurs sociaux, ainsi que des rapports sur les programmes de réadaptation suivis par la demanderesse pendant son incarcération. À l’appui de sa demande, la demanderesse a notamment invoqué son degré d’établissement et ses liens familiaux au Canada, l’intérêt supérieur de ses enfants survivants, ainsi que les difficultés auxquelles elle serait exposée en raison des conditions en Inde. Bien que la demanderesse soit, comme elle l’a indiqué dans son affidavit, une brahmane et donc membre de la plus haute caste dans la société hindoue, elle affirme qu’elle ne serait pas acceptée dans la famille de son mari en raison des normes culturelles strictes dans leur communauté.

[12] L’agent d’immigration principal qui a examiné sa demande a tenu compte du contexte, de la nature de l’infraction et des documents présentés au nom de la demanderesse. L’agent a examiné chacun des motifs soulevés par la demanderesse.

[13] En ce qui concerne la présente requête, la demanderesse fait valoir que l’agent a commis plusieurs erreurs, à savoir qu’il a appliqué le mauvais critère dans son évaluation de sa situation et de son degré d’établissement, ainsi que dans l’examen de l’intérêt supérieur des enfants survivants et de la preuve des difficultés auxquelles elle serait exposée en Inde.

III. Questions en litige

[14] Les questions à examiner en l’espèce sont les suivantes :

  1. La Cour devrait‑elle rendre une ordonnance d’anonymat?

  2. La demanderesse a‑t‑elle satisfait au critère applicable pour obtenir une injonction interlocutoire?

IV. Analyse

A. La Cour devrait‑elle rendre une ordonnance d’anonymat?

[15] Dans un avis déposé le 28 octobre 2021, la demanderesse a prié la Cour d’ordonner que tous les documents préparés par la Cour qui pourraient être mis à la disposition du public soient modifiés et caviardés dans la mesure nécessaire pour assurer l’anonymat de la demanderesse, de son mari et de leurs trois enfants.

[16] La demanderesse soutient que le procès criminel a été très médiatisé. La publication de son nom et de celui des membres de sa famille en lien avec l’affaire devant la Cour fédérale pourrait être préjudiciable pour la santé mentale, physique et psychologique de ses enfants. Toute publicité pourrait causer de la détresse supplémentaire à ses enfants. Le juge du procès a interdit la publication des noms des enfants survivants de la demanderesse et de son mari dans cette affaire.

[17] Le défendeur souligne qu’il existe une forte présomption en faveur de la publicité des débats judiciaires et que le seuil pour obtenir une ordonnance judiciaire discrétionnaire, y compris le caviardage de renseignements d’identification, est très élevé afin de préserver le principe de la publicité des débats judiciaires : Sherman (Succession) c Donovan, 2021 CSC 25 aux para 2‑3.

[18] Je conviens avec le défendeur que la demande de la demanderesse a une portée trop large, étant donné surtout que les faits du crime et la déclaration de culpabilité sont déjà connus du public. Si elle ne concernait que la demanderesse, je n’aurais aucune hésitation à rejeter la demande. Or, elle concerne également ses enfants, et je suis convaincu, d’après la preuve au dossier, que l’aîné en particulier a souffert de la publicité entourant les actes de sa mère.

[19] Dans les circonstances, je suis d’avis qu’une ordonnance d’une portée plus limitée suffirait, et j’ordonnerai par conséquent que l’anonymat de la demanderesse soit assuré dans l’intitulé de la présente requête et dans toute procédure subséquente en substituant son nom complet par ses initiales. Une ordonnance caviardant l’identité de la demanderesse et des membres de sa famille sera prononcée, mais cette question pourrait être réexaminée si la demande d’autorisation est accueillie et que le contrôle judiciaire a lieu.

B. La demanderesse a‑t‑elle satisfait au critère applicable pour obtenir une injonction interlocutoire?

[20] Pour obtenir gain de cause dans sa requête en sursis, la demanderesse doit satisfaire au critère conjonctif à trois volets énoncé dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores Ltd.,[1987] 1 RCS 110, et appliqué par la Cour d’appel fédérale dans un cas de sursis à l’exécution d’une ordonnance d’expulsion dans l’arrêt Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (CAF) [Toth]. La demanderesse doit prouver qu’il existe une question sérieuse à juger, qu’elle subirait un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé et que, entre les parties, la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Ces principes ont été confirmés par la Cour suprême dans les arrêts RJR MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, et R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 RCS 196 au para 12.

(1) La question sérieuse

[21] Le seuil pour déterminer s’il existe une question sérieuse à juger est peu élevé. La Cour doit être convaincue que la demande n’est ni frivole ni vexatoire. Il n’est pas nécessaire ni souhaitable de procéder à une étude approfondie du bien‑fondé de la demande. S’il n’y a pas lieu de procéder à une analyse approfondie du bien‑fondé de la demande, il convient néanmoins de procéder à une étude au moins minimale : Telecommunications Workers Union c Conseil canadien des relations industrielles et Telus Communications Inc., 2005 CAF 83.

[22] En l’espèce, la demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur en évaluant sa situation exclusivement sous l’angle du préjudice et en faisant intervenir le caractère exceptionnel dans le critère relatif à la prise de mesures spéciales. De plus, elle soutient que l’agent a appliqué à tort le critère du préjudice dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants survivants. Elle soutient qu’il n’était pas « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt », comme l’exige la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux paragraphes 40‑41; voir également Lewis c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CAF 130 aux para 70‑74.

[23] Le défendeur fait valoir que la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est raisonnable puisque l’agent a tenu compte de chacun des facteurs soulevés par la demanderesse et a motivé sa décision de rejeter la demande au regard de chacun des facteurs. Le défendeur se penche sur chacun des arguments de la demanderesse au sujet des erreurs qu’aurait commis l’agent.

[24] Je conviens avec le défendeur que les motifs de l’agent sont exhaustifs, mais il n’appartient pas à la Cour dans une requête comme celle en l’espèce d’évaluer le bien‑fondé des arguments formulés par un demandeur au‑delà de l’examen minimal nécessaire pour déterminer s’ils sont frivoles ou vexatoires. Je ne puis conclure que les arguments présentés par la demanderesse ne constituent pas des questions sérieuses à juger.

(2) Le préjudice irréparable

[25] La demanderesse soutient que le deuxième volet du critère pour obtenir un sursis ou une injonction consiste à déterminer si elle sera exposée à un préjudice irréparable pour lequel elle ne peut facilement obtenir réparation si elle est renvoyée avant qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Elle souligne la conclusion suivante dans l’arrêt Toth :

[...] je suis d’avis que le requérant a satisfait au critère du préjudice irréparable. Comme il a été mentionné ci‑dessus, i1 résulte de la preuve que, si le requérant est expulsé maintenant, il y a des risques que l’entreprise familiale fasse faillite et que sa famille immédiate ainsi que d’autres personnes qui dépendent de cette entreprise pour gagner leur vie en souffrent. Je pense qu’au moins une partie de ce préjudice éventuel est irréparable et ne peut pas être compensé par des dommages‑intérêts.

[26] Le défendeur invoque des décisions plus récentes de la Cour d’appel fédérale qui exigent plus qu’une probabilité raisonnable de préjudice, comme cet extrait de l’arrêt Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au paragraphe 31 :

Pour établir l’existence du préjudice irréparable, il faut produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé. Les hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante [...]

Voir également Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 au para 15.

[27] Dans une décision récente, le juge Norris a examiné une requête en sursis présentée par un demandeur qui était également interdit de territoire pour grande criminalité. Le demandeur était lui aussi dans l’attente d’une décision de la Cour à l’étape de l’autorisation de sa demande de contrôle judiciaire visant la décision de rejeter sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Kambasaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 664 [Kambasaya]. Le juge Norris a ainsi décrit le deuxième volet du critère pour obtenir un sursis dans ces circonstances :

[22] En ce qui concerne le second volet du critère de l’octroi d’un sursis, « la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire » (RJR‑MacDonald, p 341). C’est ce qu’il faut entendre par le terme « irréparable » qui doit qualifier le préjudice. Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue (ibid).

[23] Généralement, est irréparable le préjudice qui ne peut être quantifié en termes monétaires ou qui ne pourrait être réparé pour quelque autre raison même s’il peut être quantifié (par exemple, l’autre partie est à l’abri de tout jugement). Cette notion de ce qui est ou n’est pas réparable est facile à saisir dans les litiges de droit privé et les litiges commerciaux. Elle est sans doute plus difficile à intégrer lorsque le litige sous‑jacent est une demande de contrôle judiciaire, qu’une réparation ne peut pas quoi qu’il en soit être demandée et que d’autres intérêts non économiques sont prioritaires.

[24] Pour établir le préjudice irréparable, le demandeur doit montrer qu’il subira « un préjudice réel, certain et inévitable – et non pas hypothétique et conjectural » (Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112 au para 24). Il doit produire une preuve claire et non hypothétique qu’un préjudice irréparable résultera d’un refus du sursis. Des affirmations non étayées de préjudice ne suffiront pas. Au contraire, « il faut produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé », à moins que le sursis ne soit accordé (Glooscap Heritage Society, au para 31; voir aussi Canada (Procureur général) c Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25 au para 12; International Longshore and Warehouse Union c Canada (Procureur général), 2008 CAF 3 au para 25; United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 au para 7).

[28] En l’espèce, la demanderesse soutient que ses enfants et elle subiront un préjudice irréparable du fait de son renvoi. Il semble maintenant que les membres de sa famille ne la suivraient pas en Inde comme ils l’avaient initialement indiqué. Il n’y a rien de surprenant, puisque le père occupe un emploi rémunéré ici et que les enfants ont été élevés et scolarisés au Canada et se sont familiarisés avec la société canadienne et ses normes culturelles. Les enfants seraient privés du contact quotidien qu’ils ont présentement avec leur mère étant donné le décalage horaire et les difficultés de communication avec les régions rurales de l’Inde.

[29] La demanderesse fait également valoir que l’aîné souffre de divers troubles découlant des événements traumatiques de la condamnation et l’incarcération de sa mère et que sa santé se détériorerait si sa mère était renvoyée. La demanderesse affirme qu’elle souffre également de troubles mentaux pour lesquels elle se fait traiter durant sa détention et ne pourrait recevoir un traitement adéquat dans la région de l’Inde où elle devrait retourner. Ces deux affirmations sont étayées par des rapports de psychologue et d’autres éléments de preuve. Selon la demanderesse, son renvoi aurait pour effet de la séparer de sa famille pour une période prolongée puisqu’elle ne sera pas en mesure de retourner au Canada tant qu’elle ne sera pas graciée et autorisée à revenir et tant que sa demande de résidence permanente ne sera pas approuvée. Elle ne sera pas admissible au pardon avant 10 autres années.

[30] La demanderesse affirme que si elle est renvoyée, l’instance devant notre Cour en lien avec le rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire deviendra illusoire même si la demande fera l’objet d’un examen. En outre, si elle a gain de cause en contrôle judiciaire et que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est renvoyée pour nouvelle décision, les chances de succès dans ces circonstances seraient considérablement réduites. Même si elle pouvait être réadmise au Canada à une date ultérieure, le préjudice résultant de sa séparation de sa famille aurait déjà été causé.

[31] Le défendeur soutient que la demanderesse pourrait compter sur sa famille élargie en Inde pour obtenir du soutien et maintenir les liens avec sa famille au moyen de technologies modernes. La possibilité que le litige en suspens devienne théorique ne suffit pas, à elle seule, à établir un préjudice irréparable justifiant l’octroi d’un sursis : El Ouardi c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42 au para 8; Palka c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 165 aux para 13‑15; Shpati c Canada (MSPPC), 2011 CAF 286 aux para 34‑38.

[32] Au paragraphe 34 de la décision Kambasaya, le juge Norris fait remarquer que la jurisprudence établissant qu’un renvoi effectué pendant qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est en suspens ne constitue pas un préjudice irréparable ne s’applique pas à la situation où la demande a été rejetée et où ce qui est en cause est une mesure de renvoi lorsqu’une demande de contrôle judiciaire de ce rejet fait l’objet d’un examen.

[33] La plupart des arguments que la demanderesse a invoqués dans le cadre du deuxième volet du critère sont les conséquences normales d’une expulsion. Les personnes en question peuvent trouver difficile de s’ajuster à un pays et à une culture qu’ils ont quittés il y a longtemps. Les membres de la famille sont séparés et peinent à rester en contact les uns avec les autres. En l’espèce, je ne saurais conclure que de telles conséquences constituent un préjudice irréparable, ni que le fait que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit en suspens est suffisant.

[34] Toutefois, je suis convaincu que dans les circonstances de l’espèce, où la demande d’autorisation a été mise en état et sera tranchée sous peu par un juge, le renvoi de la demanderesse avant qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation et, si celle‑ci est accueillie, avant qu’une décision soit rendue sur sa demande de contrôle judiciaire de la décision visant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire constituerait un préjudice irréparable pour elle.

(3) La prépondérance des inconvénients

[35] Je conviens avec le défendeur que l’intérêt public doit être pris en compte lorsque la Cour examine si elle doit exercer sa compétence extraordinaire en equity de surseoir à une mesure de renvoi. L’intérêt public commande généralement l’exécution de la mesure de renvoi dès que possible, en particulier lorsqu’elle concerne des personnes qui ont été déclarées interdites de territoire pour grande criminalité.

[36] Les faits du crime sous‑jacent sont choquants et m’ont grandement perturbé. Mais il existe également un intérêt public à assurer que les réparations dont on peut se prévaloir soient utiles et efficaces. En l’espèce, la demanderesse a soulevé des questions au sujet de la décision sous‑jacente qui ne sont ni frivoles ni vexatoires, et elle a établi de façon convaincante qu’elle subirait un préjudice irréparable si elle était renvoyée avant que ces questions ne soient examinées par la Cour. Le fait que la demande a été mise en état et qu’une décision sur la demande d’autorisation sera bientôt rendue est aussi un facteur à examiner.

[37] Il ne s’agit pas d’un cas où la demanderesse a un lourd passé criminel. Son crime était certes terrifiant, mais elle n’a aucun antécédent criminel et ne présente maintenant aucun risque de récidive. Elle demeurera en liberté conditionnelle et sous stricte supervision en attendant l’issue de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Dans ces circonstances, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur et que le sursis devrait être accordé.

 


ORDONNANCE dans le dossier IMM-841-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est accueillie et il est sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre la demanderesse jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation sous‑jacente et, si celle‑ci est accueillie, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la demande de contrôle judiciaire;

  2. L’intitulé est modifié en substituant le nom de la demanderesse par ses initiales « J N » sur la requête et sur chaque document qui figure actuellement au dossier ou qui sera ultérieurement versé au dossier dans le cadre de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous‑jacente;

  3. Les parties soumettent au greffe les versions modifiées des documents déjà versés au dossier avec le nouvel intitulé dès que possible.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-841-21

INTITULÉ :

J.N. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉrence À toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 NOVEMBRE 2021

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE Mosley

DATE DES MOTIFS :

LE 12 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR La demanderesse

Alex Kam

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

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