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Date : 20211124


Dossier : IMM‑4607‑20

Référence : 2021 CF 1293

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2021

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

BISHNU PRASAD KANDEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés oralement à l’audience tenue par vidéoconférence

à Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2021)

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 4 septembre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SAR a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La question déterminante que la SAR devait trancher concernait l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Katmandou, au Népal.

[2] Le demandeur est né dans le village de Bihu, au Népal, le 2 février 1973, et il a été élevé dans une famille d’agriculteurs de la classe moyenne. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, il a commencé à aider sa mère en travaillant à la ferme familiale. En octobre 1993, le demandeur est devenu membre du Parti national démocratique [le Rastriya Prajatantra Party, ou RPP], un parti d’opposition au Parti communiste (maoïste). Vers 1994, il a été choisi comme membre du comité de travail du RPP dans son village.

[3] En octobre 1995, le demandeur s’est rendu en Inde pour travailler comme aide de cuisine dans un restaurant de New Delhi. Cependant, il a continué de contribuer au RPP en faisant des dons en argent.

[4] Le demandeur est resté en Inde jusqu’à ce qu’il revienne au Népal pour se marier en février 1999. Peu après son mariage, il a été forcé de verser 65 000 roupies aux maoïstes. Environ 18 mois plus tard, il a été de nouveau victime d’extorsion et a dû payer 45 000 roupies.

[5] En janvier 2003, le demandeur s’est rendu au Qatar pour travailler comme cuisinier. Trois ans plus tard, il est retourné au Népal et a emménagé à Chitwan. Plus tard en 2006, il est retourné à New Delhi pour travailler dans un autre restaurant et, en 2007, il a occupé un emploi de cuisinier au Vietnam, où il est resté jusqu’en 2010.

[6] Entre-temps, en 2006, le gouvernement népalais et les maoïstes ont signé un accord de paix mettant fin à la guerre civile qui faisait rage depuis 1996.

[7] Le demandeur est retourné au Népal en 2010 et a commencé à travailler dans un restaurant de Chitwan. En juin 2010, un groupe de maoïstes est entré dans le restaurant et s’est mis à battre le propriétaire. Les membres du groupe ont exigé de l’argent. Le demandeur a reconnu l’un des maoïstes, un résident de son village natal de Bihu. Il s’appelait Subedi. Après cet incident, le demandeur est retourné au Vietnam. Deux ans plus tard, il a brièvement rendu visite à sa famille au Népal, puis il est venu au Canada. Il a travaillé au Canada jusqu’à l’expiration de son permis de travail canadien, puis il est retourné au Népal en novembre 2015.

[8] En janvier 2016, six personnes, dont Subedi, ont fait irruption au domicile du demandeur à Chitwan et l’ont agressé sous la menace d’une arme. Subedi a exigé un million de roupies. Le demandeur a offert de lui donner les 300 000 roupies qu’il avait à la banque, mais Subedi a continué à exiger le montant total. Finalement, Subedi a accepté la somme de 100 000 roupies. Avant de partir, les assaillants ont menacé de tuer le demandeur et ses fils s’il ne payait pas le montant total.

[9] Après cet incident, le demandeur est revenu au Canada, tandis que sa femme et ses fils ont déménagé à Katmandou. Bien que la femme du demandeur ait déménagé une fois à Katmandou après qu’elle a cru reconnaître l’un des attaquants dans la rue, la famille n’a eu aucun problème avec les maoïstes dans les années où elle a résidé dans la ville.

[10] Le 2 mai 2018, une audience a eu lieu devant la SPR. Celle‑ci a rejeté la demande d’asile du demandeur le 18 mai de la même année.

I. LA DÉCISION DE LA SAR

[11] La SAR a conclu que le demandeur avait une PRI à Katmandou. Elle a souligné que la violence maoïste visant des individus ou des membres d’autres partis politiques avait considérablement diminué depuis la fin du conflit armé en 2006 et que les enlèvements et les extorsions n’étaient plus monnaie courante. En outre, les extorqueurs ciblent habituellement les entreprises et les hauts fonctionnaires du gouvernement. La SAR a conclu que le profil du demandeur ne semblait pas l’exposer à un risque sérieux de persécution. Il s’est joint au RPP en 1993 et a participé à des travaux en comité jusqu’à son départ pour l’Inde en 1995. Depuis, sa participation s’est limitée aux dons en argent. La SAR a également conclu que le demandeur n’avait jamais été activement ou notablement engagé dans le RPP et a souligné que son travail de chef cuisinier dans des pays étrangers pendant de nombreuses années ne l’exposait pas à un risque sérieux de persécution.

[12] La SAR a également conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver son allégation selon laquelle les maoïstes étaient en mesure de le retrouver n’importe où à Katmandou en raison de la portée ou du réseau de leur organisation. Elle a conclu que l’allégation du demandeur relevait de la conjecture parce que la preuve documentaire n’a pas montré que les maoïstes disposaient d’un réseau capable de le retrouver.

[13] En outre, la femme et les trois fils du demandeur, qui vivaient à Katmandou depuis 2016, n’y ont pas subi de préjudice, et ce, en dépit de la menace faite par les maoïstes en 2016 de tuer le demandeur et ses fils s’il ne payait pas la totalité du montant exigé. La SAR a constaté que Katmandou est une ville de 1,5 million d’habitants. Elle a conclu que le demandeur est hindou et parle le népalais, ce qui signifie qu’il pratique la religion et parle la langue de la majorité. Étant donné qu’il a réussi à trouver un emploi de chef cuisinier dans plusieurs pays, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il puisse trouver un emploi similaire à Katmandou. En outre, sa femme et ses enfants ont un logement à Katmandou. Enfin, étant donné que sa famille n’avait pas été menacée et que lui‑même s’était trouvé à l’extérieur du pays pendant 16 ans, la SAR a conclu qu’il était raisonnable pour le demandeur de déménager à Katmandou.

[14] Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

  1. Était‑il déraisonnable pour la SAR de considérer le fait que la famille du demandeur était en sécurité à Katmandou comme fondement pour conclure qu’il serait lui aussi en sécurité?
  2. Était‑il déraisonnable pour la SAR d’estimer que les maoïstes n’avaient aucun motif de rechercher le demandeur alors qu’il n’avait pas payé le solde du montant exigé en 2016?
  3. Était‑il déraisonnable pour la SAR de conclure que la preuve de l’existence d’un réseau maoïste à Katmandou était insuffisante?
  4. Était‑il déraisonnable pour la SAR d’estimer qu’il n’y avait peut‑être pas de protection de l’État parce que la population avait peur de signaler les activités des maoïstes à la police?

Première question

[15] À mon avis, étant donné que le demandeur et ses fils ont été directement menacés de mort lors de la tentative d’extorsion de janvier 2016, il était raisonnable pour la SAR de conclure en août 2020 que le fait qu’ils n’ont pas été attaqués par des maoïstes à Katmandou était une indication raisonnable de leur sécurité à cet endroit, d’autant plus qu’aucune somme importante n’avait été versée.

Deuxième question

[16] La SAR a conclu que les maoïstes n’avaient pas de raison de rechercher le demandeur au vu des documents relatifs à la situation dans le pays, qui montrent que les personnes telles que le demandeur, qui ne sont pas politiquement actives ou en vue, ne sont pas prises pour cibles par les maoïstes.

[17] Comme la famille est en sécurité à Katmandou, la SAR a raisonnablement conclu, à mon avis, que le fait que le demandeur n’ait pas payé le montant total exigé lors de la tentative d’extorsion survenue de nombreuses années auparavant ne constituait plus une motivation pour les maoïstes.

Troisième question

[18] J’ai également conclu que la SAR avait raisonnablement établi que le témoignage du demandeur relativement à l’existence d’un réseau maoïste à Katmandou ne relevait que de la conjecture parce qu’il n’existait pas de preuve à jour de la puissance, des objectifs ou de l’efficacité d’un tel réseau. Le seul document potentiellement pertinent est une réponse à une demande d’information datée du 20 juin 2014. Il décrit le réseau national de la Ligue de la jeunesse communiste, mais indique que celle‑ci s’est scindée en deux factions. Il ne contient cependant aucune preuve des répercussions de cette scission sur le réseau, pas plus que de la puissance, des objectifs ou des activités du réseau dans le pays ou à Katmandou. De même, le réseau national Nepal Tarun Dal a été décrit comme [traduction] « essentiellement inactif ».

Quatrième question

[19] Lorsqu’elle a établi que Katmandou était une ville acceptable comme PRI, la SAR a conclu que le demandeur n’y était exposé à aucune possibilité sérieuse de persécution. Dans ces circonstances, il lui était inutile de chercher à savoir si le demandeur choisirait de solliciter une protection policière en cas de besoin.

II. CERTIFICATION

[20] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.

III. DÉCISION

[21] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4607‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4607‑20

 

INTITULÉ :

BISHNU PRASAD KANDEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Keshab Prasad Dahal

 

Pour le demandeur

 

Aleksandra Lipska

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dahal Law Professional Corporation

Avocat

Scarborough (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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