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Date : 20211125


Dossier : IMM‑3511‑20

Référence : 2021 CF 1303

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

SALIM BELAY OKBET

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision, datée du 23 juin 2020 [la décision], de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SPR]. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR]. Elle a en outre conclu, au titre du paragraphe 107(2) de la LIPR, que la demande d’asile n’avait pas de minimum de fondement.

II. Les faits

[2] La demanderesse, âgée de 53 ans, est citoyenne de l’Érythrée. Dans son formulaire de fondement de la demande d’asile [le formulaire de FDA], elle dit craindre d’être persécutée par l’État érythréen parce qu’elle a été placée en détention en raison de la religion qui lui était attribuée, plus précisément la religion pentecôtiste. Cependant, dans son annexe 12, elle dit que sa détention et les sévices qu’elle aurait alors subis étaient fondés sur ses opinions politiques. Il ne s’agit là que de l’une des nombreuses incohérences que la SPR a relevées.

[3] Dans son formulaire de FDA, elle dit qu’un soir des militaires érythréens ont fait irruption dans sa maison, à la recherche de son frère qui tenait une réunion de prière collective pentecôtiste, ce qui est illégal en Érythrée. Elle ajoute que son frère et les amis de celui‑ci se sont enfuis; elle, toutefois, a été arrêtée et gardée en prison pendant deux mois et demi environ. Durant son séjour en prison, dit-elle, elle a été interrogée, torturée et accusée d’être pentecôtiste.

[4] La demanderesse dit que, le 18 juin 2017, elle a été libérée à des conditions strictes : se présenter à la police une fois par mois, ne pas assister à des services de prière, ne pas quitter sa ville sans autorisation, et trouver son frère et le livrer à la police. Elle ajoute que si elle n’obtempérait pas, elle risquait d’être emprisonnée pendant une période indéterminée et tuée.

[5] La demanderesse dit que, le 20 juillet 2017, elle a quitté l’Érythrée pour le Soudan avec l’aide d’un passeur.

[6] Elle dit qu’après sa fuite au Soudan, la police érythréenne a harcelé et interrogé sa mère pour savoir où son frère et elle se trouvaient.

[7] Elle dit avoir décidé de quitter le Soudan parce qu’elle ne se sentait pas en sécurité. Elle est entrée en contact avec un agent qui a accepté de l’aider à quitter le pays, à se rendre en Ouganda et de là, au Canada, si elle lui payait 15 000 $ US. Le 7 janvier 2018, elle a quitté l’Ouganda et est arrivée au Canada le 8 janvier 2018. Lors de son témoignage, elle a allégué (pour la première fois) qu’il y avait eu aussi une escale dans un pays tiers, dont elle a dit ne pas se souvenir du nom. Elle n’a sollicité l’asile ni en Ouganda ni dans cet autre pays.

[8] Le 14 février 2018, la demanderesse a demandé l’asile au Canada.

III. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[9] Le 23 juin 2020, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Les questions déterminantes étaient l’identité et la crédibilité.

A. L’identité

[10] La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas parvenue à établir son identité selon la prépondérance des probabilités.

[11] Entrée au Canada : La demanderesse a déclaré qu’elle n’a jamais eu de passeport véritable, qu’elle a perdu sa carte d’identité érythréenne lorsqu’elle a quitté l’Érythrée pour le Soudan, et que l’itinéraire qu’elle a suivi pour arriver au Canada a été organisé par deux passeurs. La SPR lui a demandé comment elle avait fait pour monter à bord d’un avion à destination de l’Ouganda si elle n’avait ni passeport ni carte d’identité. Elle a répondu qu’elle s’était servie d’un faux passeport. Il est toutefois important de souligner qu’elle a dit qu’elle ignorait la nationalité du faux passeport et qu’elle n’avait pas non plus demandé au passeur de quel pays elle était censée venir. La SPR a conclu que cette explication n’était pas crédible.

[12] La SPR lui a demandé si elle avait un visa pour entrer au Canada. Elle a répondu qu’elle ne le savait pas parce que le passeur s’était occupé de tout. Elle a déclaré que la dernière fois qu’elle lui avait parlé était le 5 janvier 2018. La SPR lui a demandé comment cela se pouvait puisqu’elle s’était censément rendue au Canada le 7 janvier 2018. Elle n’a pas répondu entièrement à la question. Vu son incapacité à expliquer cette incohérence de manière satisfaisante ou à fournir un document quelconque qui montrait son arrivée au Canada, la SPR a tiré une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité.

[13] Omission de faire état d’une escale dans un pays tiers : dans son formulaire de FDA, la demanderesse a soutenu qu’elle s’était rendue au Canada directement depuis l’Ouganda. Cependant, comme il a été mentionné, elle a plus tard déclaré qu’elle avait fait escale dans un autre pays. Elle a dit ignorer dans quel pays, même si l’escale avait duré quatre ou cinq heures. La SPR a jugé non crédible qu’une personne instruite comme elle ignore dans quel pays son avion avait atterri ou n’y prête pas attention, surtout si cette personne prétend fuir la persécution.

[14] De plus, la SPR a jugé peu plausible que la demanderesse ait franchi trois frontières internationales (l’Ouganda, un pays tiers inconnu et le Canada) et n’ait été interrogée par aucun agent des douanes, comme elle le prétend. Je signale que cela inclut le fait de ne pas avoir été interrogée par des agents frontaliers canadiens. Elle a aussi déclaré qu’elle n’était pas inquiète qu’on l’interroge et qu’elle n’avait pas pris la peine d’apprendre la nationalité du faux passeport avec lequel elle voyageait. La SPR a conclu en fin de compte que cette omission était importante et jetait des doutes très sérieux sur son identité personnelle et son lieu d’origine, de même que sur sa crédibilité en général.

[15] Autres documents concernant l’identité : la demanderesse a déclaré être arrivée au Canada sans aucune pièce d’identité. Elle a produit un certificat de naissance; cependant, les renseignements qui y figuraient étaient différents du nom et de la date de naissance sous lesquels elle aurait voyagé. Elle a également produit un diplôme et des transcriptions, mais il y avait de légères variations dans les noms indiqués sur ces documents. La SPR a conclu que ces légères variations, en soi, n’étaient pas importantes. Toutefois, en raison de la tendance de la demanderesse à se servir de faux documents, de l’usage répandu de fausses pièces d’identité érythréennes et, en plus, des doutes que soulevait déjà sa crédibilité, la SPR a accordé peu d’importance à ces documents pour ce qui était d’établir son identité.

[16] La demanderesse a également produit une lettre d’une église érythréenne située à Toronto, selon laquelle elle était membre de cette église et érythréenne de naissance. Cependant, cette lettre ne disait pas comment l’église avait vérifié son identité ou sa nationalité; la SPR a conclu que la lettre n’était pas suffisante pour établir l’identité. La demanderesse n’a pas produit d’autres documents.

[17] Compte tenu de ce qui précède, du fait que la demanderesse a admis s’être servie de faux documents de voyage et de l’absence de documents prouvant son arrivée au Canada, la SPR a conclu qu’elle n’était pas en mesure de savoir qui était la demanderesse, d’où elle venait, quand ou de quelle manière elle était entrée au Canada, ou avec quel passeport elle avait voyagé. Dans ce contexte, la SPR a conclu ce qui suit :

S’il ne connaît pas l’identité de la demandeure d’asile, le tribunal ne peut pas évaluer sa demande d’asile en tenant compte des questions de pays de référence ou de l’exclusion. Plus précisément, le tribunal ne peut pas savoir si la demandeure d’asile est citoyenne d’un ou plusieurs autres pays, si elle est inadmissible à présenter une demande d’asile ou si elle doit se voir refuser l’asile au titre de la loi.

Compte tenu de ce qui précède, le tribunal conclut que la demandeure d’asile n’a pas établi son identité ni sa nationalité selon la prépondérance des probabilités, comme l’exigent l’article 106 de la LIPR et la règle 11 des Règles de la SPR. L’établissement de l’identité est un élément essentiel au moment de trancher la demande d’asile d’une personne. En conséquence, lorsque l’identité d’un demandeur ou d’une demandeure d’asile ne peut être établie, la demande d’asile doit être rejetée.

B. La crédibilité

[18] Premièrement, la SPR a relevé des divergences entre les formulaires, le formulaire de FDA et le témoignage de la demanderesse. Celle‑ci a expliqué qu’il s’agissait d’erreurs; la SPR n’a toutefois pas souscrit à cette explication, en partie parce que la demanderesse avait été représentée tout au long par un conseil d’expérience. L’absence d’éléments pouvant corroborer les allégations de persécution, de détention et de torture formulées par la demanderesse a amené la SPR à tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité générale.

[19] Deuxièmement, la demanderesse a déclaré qu’elle avait vécu chez des amis au Soudan et en Ouganda avant de se rendre au Canada. Elle a ajouté que ces amis étaient au courant de ce qui lui était arrivé en Érythrée. Elle n’a toutefois fourni aucune déclaration de leur part parce qu’elle « n’avait pas pensé à leur en demander ou que c’était nécessaire ». La SPR a rejeté son explication concernant l’absence de déclarations de soutien de ses amis et elle a tiré une conclusion défavorable à l’égard de sa crédibilité.

[20] Troisièmement, la SPR a fait remarquer que la demanderesse n’avait « présenté absolument aucun document à l’appui de sa demande d’asile », soulignant qu’il lui incombait de présenter des éléments de preuve établissant le bien‑fondé de sa demande; la SPR a tiré une conclusion défavorable à cet égard. Elle a de plus jugé que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible. Elle a ainsi conclu que cette dernière n’était pas recherchée par les autorités érythréennes et qu’elle avait formulé ses allégations de détention et de torture pour renforcer sa demande d’asile.

C. L’absence de minimum de fondement

[21] La demanderesse a produit divers articles portant sur la situation en Érythrée. Il n’y avait toutefois presque aucun lien probant entre ces documents et elle – l’exception étant un compte rendu de réponses à des demandes d’information [RDI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon lequel l’Érythrée persécute les pentecôtistes (un compte rendu auquel le conseil de la demanderesse n’a pas fait référence devant la SPR). La SPR a conclu qu’elle ne pouvait pas faire droit à la demande d’asile. De plus, la demanderesse n’avait fourni aucune preuve de persécution en Érythrée, malgré les informations figurant dans les RDI, malgré le fait qu’elle était représentée par un conseil d’expérience, et malgré le fait que, depuis la date à laquelle elle avait retenu les services d’un conseil, elle avait eu plus de deux ans pour obtenir des documents corroborants. Étant donné l’absence de documents à l’appui des allégations faites dans la demande d’asile, la SPR a conclu que celle-ci était dénuée d’un minimum de fondement.

IV. Les questions en litige

[22] Dans la présente demande, la seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SPR est raisonnable.

V. La norme de contrôle applicable

[23] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, motifs majoritaires rédigés par le juge Rowe, lequel a été rendu en même temps que l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada, la majorité explique ce qui fait qu’une décision est raisonnable et – ceci est important pour les besoins de la présente espèce – ce que doivent faire les tribunaux qui procèdent à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). En l’espèce, ce fardeau incombe au Syndicat.

[Non souligné dans l’original.]

[24] Comme l’a récemment résumé la juge Roussel dans la décision Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 296 :

[9] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au par. 100). La cour de révision « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au par. 83), pour établir si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Il convient d’accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et de les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov, au par. 97). Il ne s’agit pas d’« une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, au par. 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci », il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la conclusion qu’elle préférerait (Vavilov, au par. 99).

[25] Il ressort très clairement de l’arrêt Vavilov que le rôle de notre Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles ». Comme l’enseigne la Cour suprême du Canada :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

A. Une question préliminaire : l’affidavit d’un tiers

[26] Le défendeur soutient que, étant donné les doutes que la SPR a exprimés à propos de la crédibilité, le fait que la demanderesse n’a pas produit d’affidavit personnel à l’appui de sa demande a une incidence sur la question de la valeur probante, et doit être pris en compte dans l’appréciation de sa preuve et des arguments qu’elle a avancés :

[traduction]
La demanderesse n’a pas fourni d’affidavit personnel à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Son dossier de demande est plutôt étayé par un affidavit souscrit par Joseph Brown, dans lequel celui-ci déclare qu’il est auxiliaire juridique. Bien qu’en théorie il ne soit pas irrégulier qu’un tiers souscrive un affidavit sous la foi du serment ou d’une affirmation solennelle dans le but d’annexer des documents contenus au dossier, vu les doutes que la SPR a exprimés à l’égard de la crédibilité, M. Brown n’est certes pas la personne la mieux placée pour souscrire un affidavit sous la foi du serment ou d’une affirmation solennelle. Dans la présente affaire, cette lacune a une incidence sur la question de la valeur probante, et doit être prise en compte dans l’appréciation de la preuve et des arguments de la demanderesse au stade de l’autorisation et du contrôle judiciaire.

[27] Je suis d’accord. Dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1193 au para 7, le juge Phelan écrit :

7 La Cour a été chargée de tirer une conclusion défavorable quant à la souscription de l’affidavit d’un tiers dans le cadre du contrôle judiciaire au lieu d’un affidavit souscrit par le demandeur. Une telle conclusion est entièrement raisonnable, surtout lorsque l’affidavit est fondé sur un « examen du contenu du dossier du demandeur ». En l’absence d’une raison impérieuse, un tel défaut lui est « théoriquement » fatal, comme l’a conclu le juge LeBlanc dans Mabonze c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 309, au paragraphe 9, 2017 CarswellNat 1322 (WL Can). En fait, un tel défaut devrait pratiquement être fatal.

[28] Il existe d’autres exemples de nature jurisprudentielle qui concordent avec la conclusion du juge Phelan, dont les décisions suivantes : Zhang c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2017 CF 491 [le juge Manson] aux para 12‑14; Fatima c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1086 [le juge Martineau] au para 5; Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614 [le juge Shore] aux para 4‑10; Muntean c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1995] ACF n1449 [le juge Cullen] au para 11.

[29] Je souligne aussi que l’affidavit en question est un « affidavit d’accompagnement », qui n’établit pas les faits sur lesquels se fonde la demanderesse. La mise en état d’une demande d’autorisation exige « un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l’appui de [la] demande », aux termes du sous-alinéa 10(2)a)(v) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 [les Règles] :

Mise en état de la demande d’autorisation

Perfecting Application for Leave

10 (2) Le demandeur :

10 (2) The applicant shall

a) signifie à chacun des défendeurs qui a déposé et signifié un avis de comparution un dossier composé des pièces ci‑après, disposées dans l’ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

(a) serve on every respondent who has filed and served a notice of appearance, a record containing the following, on consecutively numbered pages, and in the following order :

(v) un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l’appui de sa demande ou de sa demande pour une ordonnance d’anonymat prévue à la règle 8.1, le cas échéant,

(v) one or more supporting affidavits that verify the facts relied on by the applicant in support of the application or a request for an anonymity order under rule 8.1, if any,

B. Les conclusions relatives à la crédibilité

[30] La demanderesse soutient que [TRADUCTION] « si elle avait pu porter en appel la décision de la SPR devant la SAR, elle aurait alors pu présenter de nouveaux éléments de preuve susceptibles d’avoir une incidence sur les aspects de la demande d’asile qui étaient liés à l’identité et à la crédibilité ». La demanderesse ne formule pas d’autres observations sur ce point. Soit dit en tout respect, il incombait à cette dernière et à son avocat de présenter les meilleurs arguments à l’appui de sa cause sans compter sur la possibilité de faire appel.

[31] Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour n’a pas pour rôle d’apprécier à nouveau la preuve, mais pourtant, et en toute déférence, il semble que ce soit ce que la demanderesse lui demande de faire depuis le début de la présente affaire.

[32] À mon humble avis, la SPR est l’instance compétente pour apprécier la crédibilité. Selon la Cour d’appel fédérale, les conclusions relatives à la crédibilité relèvent de « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » : voir l’arrêt Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481 (CAF) au para 1 :

[1] La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« la Commission ») a choisi de fonder en grande partie sa conclusion en l’espèce à l’égard du manque de crédibilité, non pas sur des contradictions internes, des incohérences et des subterfuges, qui constituent l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, mais plutôt sur l’invraisemblance des critères extrinsèques, tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d’office, qui nécessitent tous de tirer des conclusions que les juges des faits ne sont pas mieux placés que les autres pour tirer.

[Non souligné dans l’original.]

[33] Voir aussi la décision Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 692, où la Cour passe en revue la jurisprudence pertinente concernant le rôle que joue la SPR dans l’appréciation de la crédibilité :

10 Comme la présente affaire repose presque uniquement sur la crédibilité, il convient de renvoyer à d’autres décisions à ce sujet. Il est bien établi que la SPR a un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de préférer certains éléments de preuve à d’autres et de déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve qu’elle accepte : Medarovik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 61, au paragraphe 16; Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867, au paragraphe 67. L’analyse des conclusions de fait et des conclusions quant à la crédibilité est au cœur de son expertise : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238, à la page 239 (CAF). En fait, il est reconnu que la SPR possède une expertise en matière d’évaluation des demandes d’asile, et elle est autorisée par la loi à appliquer ses connaissances spécialisées : Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 805, au paragraphe 10. Par conséquent, la Cour ne doit pas substituer ses propres conclusions à celles de la SPR lorsqu’il était raisonnablement loisible à la SPR d’arriver à ses conclusions : Giron c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1377, au paragraphe 9 [Giron].

[34] Le défendeur souligne à juste titre que la SPR a relevé plus d’une douzaine de points qui ont suscité des doutes sur la crédibilité de la demanderesse et qui l’ont amenée à se trancher en défaveur de cette dernière :

[traduction]

  1. La SPR n’a pas jugé crédible que la demanderesse sache que son oncle, qui, censément, était suffisamment proche d’elle pour lui remettre la somme de 17 500 $ US destinée aux passeurs, travaillait en Israël mais pas ce qu’il faisait comme travail, ni qu’elle n’ait pas songé à essayer d’obtenir une lettre d’appui de sa part (para 13‑15);

  2. La SPR n’a pas jugé crédible que la demanderesse se soit rendue en Ouganda et au Canada sans connaître la nationalité du faux passeport qu’elle aurait utilisé, mais qu’elle se soit souvenue de la fausse date de naissance et du faux nom (para 16‑17, 20, 24‑25);

  3. La SPR a de plus jugé invraisemblable la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle n’avait parlé à aucun agent d’immigration, à quelque moment que ce soit lors de son voyage (para 16‑17, 20, 24‑25);

  4. La SPR a relevé une incohérence inexpliquée par la demanderesse dans son témoignage : elle disait avoir parlé pour la dernière fois avec le passeur le 5 janvier 2018, ce qui ne concordait pas avec sa déclaration selon laquelle elle avait voyagé avec lui jusqu’au Canada le 7 janvier 2018 (para 18‑19);

  5. La SPR a mentionné que la demanderesse avait indiqué dans son formulaire de fondement de la demande d’asile [formulaire de FDA] et lors de son témoignage initial qu’elle avait voyagé directement de l’Ouganda jusqu’au Canada, mais qu’elle avait plus tard ajouté à l’audience qu’elle avait transité par un pays tiers, mais qu’elle ignorait lequel (para 22‑23, 26);

  6. La SPR a jugé que l’explication de la demanderesse sur cette omission et son ignorance du pays par lequel elle avait transité manquaient de crédibilité, compte tenu de sa déclaration selon laquelle elle n’avait pas prêté attention à cette question au cours de l’escale de quatre à cinq heures parce qu’elle était inquiète, contredisaient son explication antérieure, à savoir qu’elle n’avait pas appris de quel pays était son passeport censément faux parce que, comme le passeur s’occupait de tout, le fait de connaître cette information ne la préoccupait pas (para 22‑23, 26);

  7. Étant donné ses doutes quant à la crédibilité de la demanderesse, la prétendue utilisation, par cette dernière, de faux documents, et l’usage répandu de fausses pièces d’identité érythréennes, la SPR a conclu que le certificat de naissance avait peu de poids et qu’il ne l’emportait pas sur les préoccupations qu’elle avait à l’égard de la crédibilité (para 29);

  8. La SPR a relevé des incohérences entre les trois documents scolaires que la demanderesse a fournis et sur deux desquels son nom de famille était écrit différemment (« Okbat » par opposition à « Okbet »), et seul le nom de « Salim Belay » apparaissait sur le troisième document; elle a conclu de ce fait que ces documents n’établissaient pas non plus l’identité de la demanderesse, en raison de ses doutes quant à la crédibilité et de l’usage répandu de faux documents érythréens (para 30‑31);

  9. La SPR a souligné que la lettre d’une église érythréenne située au Canada, qui indiquait que la demanderesse était membre de cette église et érythréenne de naissance, ne comportait aucun détail sur la manière dont l’église était arrivée à cette conclusion, et elle a conclu de ce fait que la lettre n’était pas suffisante pour établir l’identité et la nationalité (para 32‑33);

  10. La SPR a mentionné que le tigrinya, la langue dans laquelle s’exprime la demanderesse, est parlé à la fois en Érythrée et en Éthiopie, et elle a conclu que, étant donné ses autres doutes quant à la crédibilité, elle n’était pas en mesure de savoir si la demanderesse était érythréenne, éthiopienne ou d’une autre nationalité (para 36);

  11. La SPR a conclu que les formulaires d’immigration de la demanderesse ne concordaient pas avec les dates de sa présumée détention en Érythrée (le 21 mars par opposition au 31), pas plus qu’avec les motifs de sa détention (appartenance religieuse perçue par opposition à opinions politiques) (para 41‑43);

  12. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait donné aucune explication raisonnable de la raison pour laquelle elle n’avait pas obtenu de documents à l’appui, alors qu’elle aurait pu raisonnablement en obtenir de sa mère, de sa sœur et d’amis, avec qui elle était toujours en contact (para 44‑49);

  13. La SPR a souligné que le témoignage de la demanderesse ne concordait pas avec son formulaire de FDA en ce que, à l’audience, elle avait déclaré que des amis lui avaient dit que l’Ouganda n’accordait pas l’asile, ce qui faisait qu’elle n’avait pas examiné cette possibilité, tandis que dans son formulaire de FDA elle avait déclaré qu’elle s’était « présentée au Bureau des réfugiés à Kampala [Ouganda], mais que le gouvernement n’acceptait pas les réfugiés érythréens » (para 50‑53).

[35] Compte tenu des éléments de droit que je viens d’exposer, il était, à mon humble avis, raisonnable de la part de la SPR de se préoccuper du fait que la demanderesse avait indiqué qu’elle ignorait la nationalité du faux passeport qu’elle avait censément utilisé. Dans le même ordre d’idées, la SPR pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse avait omis de mentionner qu’elle avait transité par un autre pays entre l’Ouganda et le Canada, et qu’elle n’avait pas expliqué de manière raisonnable pourquoi elle ignorait le nom de ce pays. Il était également raisonnable pour la SPR de relever des incohérences dans – et entre – les formulaires d’immigration et le témoignage de la demanderesse. Voir la décision Ahmedin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1127 [la juge Walker] aux para 39 à 43 [Ahmedin] :

[39] La SPR n’a tiré aucune inférence défavorable du fait que le demandeur s’est servi d’un passeport non authentique, puisqu’il n’est pas rare que les réfugiés utilisent de tels documents pour se rendre en lieu sûr, mais elle a déclaré :

Il s’agit plutôt de son ignorance invraisemblable quant aux renseignements de base qui étaient immédiatement à sa disposition et qu’il lui aurait été avantageux de connaître en plus de l’invraisemblance d’avoir pu traverser de multiples pays sans parler à la moindre autorité de l’immigration qui me poussent à tirer une inférence défavorable en ce qui concerne sa crédibilité et celle de ses allégations au sujet des pièces d’identité et de son voyage au Canada.

[40] Lorsque la SPR lui a demandé quels renseignements il aurait donnés si un agent d’immigration lui avait demandé son nom, le demandeur a répondu qu’il aurait donné son vrai nom, tout en reconnaissant qu’une telle réponse aurait probablement entraîné sa mise en détention. Compte tenu de ce risque, la SPR a jugé « raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait déployé davantage d’efforts pour se familiariser avec les renseignements fondamentaux nécessaires pour répondre aux questions potentielles des autorités de l’immigration sur son nom et sa citoyenneté ».

[41] Le demandeur soutient que les conclusions d’invraisemblance doivent être tirées avec parcimonie et ne pas procéder d’une conjecture. Je suis d’accord. Cependant, les conclusions d’invraisemblance de la SPR en l’espèce ne reposaient pas sur de simples conjectures.

[42] Comme le demandeur et son passeur ont dû passer par plusieurs pays avant d’arriver au Canada, il était raisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que le demandeur déploie un minimum d’efforts pour connaître le nom sous lequel il voyageait et le pays de délivrance de son passeport. Une telle connaissance était nécessaire compte tenu des graves conséquences que lui et le passeur auraient subies si un agent d’immigration lui avait posé des questions de base. Il était également raisonnable pour la SPR de tenir compte des pratiques normales des agents d’immigration devant lesquels se présente le voyageur muni d’un passeport qui cherche à entrer dans leur pays. Le tribunal a en particulier mentionné le système d’immigration canadien bien développé et le personnel formé des autorités d’immigration.

[43] Au paragraphe 7 de la décision Valtchev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 776, le juge Muldoon précise que les tribunaux administratifs ne peuvent raisonnablement tirer de conclusion d’invraisemblance que lorsque « les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ». Je trouve que les propos du juge Muldoon sont appropriés en l’espèce. Le témoignage du demandeur n’a pas de sens lorsqu’il est évalué à la lumière de la preuve dont disposait la SPR. Son ignorance totale des renseignements de base dont il devait être au fait pour pouvoir passer à travers plusieurs pays avant d’arriver au Canada déborde le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre.

[36] Par ailleurs, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la demanderesse n’avait pas fourni les documents corroborants auxquels on s’attendrait raisonnablement. Comme l’a dit le juge Gascon dans la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 25 : « [l]orsque des éléments de preuve corroborants devraient raisonnablement être disponibles pour établir les éléments essentiels d’une demande d’asile et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable de leur absence, le décideur peut tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité en se fondant sur l’absence d’effort de la part du demandeur pour obtenir ces éléments de preuve corroborants ». Dans la présente affaire, c’est exactement ce que la SPR a fait, et elle a tiré de manière raisonnable des conclusions défavorables du défaut de la demanderesse, qui n’a rien fait, sans explication raisonnable, pour fournir une preuve corroborante raisonnablement disponible sur les éléments essentiels de sa demande d’asile.

[37] Je ne passerai pas en revue chacune des conclusions relatives à la crédibilité dont la SPR a traité et que j’ai énumérées plus tôt, sauf pour dire que je ne suis pas convaincu que l’une d’elles déborde le cadre des contraintes qu’imposent la loi et le dossier en l’espèce. Il est évident que la demanderesse tente de remettre en cause les fondements factuels de la décision de la SPR, ce qui, d’après l’arrêt Vavilov, n’est pas le rôle d’une cour de révision.

[38] Par souci d’exhaustivité, j’ajouterai que les évaluations de la SPR que j’ai mentionnées plus tôt, aux paragraphes 11 à 17, 18 à 20 et 21, sont toutes raisonnables à mon humble avis, en ce sens qu’elles concordent avec les contraintes qu’impose la loi et qu’elles sont justifiées au regard au dossier.

C. L’identité de la demanderesse

[39] S’appuyant sur l’article 106 de la LIPR, dont le texte suit, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi son identité personnelle :

Crédibilité

Credibility

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[40] Aux dires de la demanderesse, la SPR a commis une erreur en accordant moins de poids à son certificat de naissance et à d’autres éléments documentaires parce qu’elle a conclu qu’elle manquait de crédibilité; voir la décision Omar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 20 [le juge Fothergill] au para 15 [Omar]. Toutefois, dans la décision Omar, le juge Fothergill a convenu que la SPR n’aurait pas dû accorder moins de poids à la preuve du demandeur, mais il a finalement conclu que la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile du demandeur appartenait aux issues possibles et acceptables parce qu’il ne s’agissait là que de l’une des nombreuses lacunes que la SPR avait relevées dans le témoignage et dans les documents :

[15] Je conviens avec M. Omar que la SPR n’aurait pas dû accorder moins de poids aux lettres d’appui provenant des membres de sa famille au motif qu’elle avait déjà conclu qu’il n’était pas crédible (Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311; Tshibola Kabongo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 313, au paragraphe 11). Toutefois, ce n’est là que l’une des nombreuses lacunes relevées par la SPR dans le témoignage et les documents fournis par M. Omar en vue d’étayer sa demande. Compte tenu de la retenue dont il faut faire preuve à l’égard de l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur par la SPR et des nombreux éléments de preuve dont elle a dit qu’ils étaient non corroborés, incohérents, contradictoires ou invraisemblables (voir le paragraphe 7, ci‑dessus), je ne suis pas en mesure de conclure que la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile de M. Omar pour des motifs de crédibilité n’appartient pas aux issues possibles et acceptables.

[41] Dans la présente affaire, comme je l’ai mentionné, la SPR a relevé un très grand nombre de lacunes dans le témoignage et dans les documents de la demanderesse. Cette dernière n’a pas témoigné de manière cohérente, elle a omis de divulguer l’escale faite dans un pays tiers et, à part le certificat de naissance en question, elle n’a pas fourni de pièces d’identité. De plus, la SPR a examiné le certificat de naissance et elle a constaté que le nom et la date de naissance indiqués étaient différents de ceux qui figuraient sur le document avec lequel la demanderesse aurait voyagé.

[42] La demanderesse dit que sa tendance à se servir de faux documents n’a pas été établie par la SPR, parce qu’elle s’est seulement servie des faux documents fournis par le passeur. Cet argument va à l’encontre de la règle bien connue selon laquelle les demandeurs sont responsables des actes de ceux qui les représentent, qu’il s’agisse, par exemple, d’un passeur, d’un consultant ou d’un avocat. La demanderesse invoque la décision Takhar c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 1999 CanLII 7544 [le juge Evans, plus tard juge à la Cour d’appel fédérale] au para 14 [Takhar], et elle fait valoir que lorsqu’un réfugié qui fuit la persécution utilise de faux documents pour assurer sa fuite, ceux-ci ne devraient pas être utilisés contre lui au moment d’évaluer sa crédibilité. J’estime avec égards, et sans contester la décision Takhar, qu’il était loisible à la SPR d’arriver à la conclusion qu’elle a tirée au vu du dossier et qu’il convient de faire preuve de retenue à l’égard de son évaluation de la crédibilité. Cela étant, je ne suis pas convaincu que, en l’espèce, sa conclusion soit déraisonnable.

[43] Il est également bien connu en droit de l’immigration, et c’est un principe fondamental, que c’est au demandeur qu’il incombe d’établir son identité selon la prépondérance des probabilités à l’aide de documents acceptables ou en expliquant pourquoi il ne dispose pas de tels documents et ce qu’il a fait pour tenter de les obtenir. Voir la décision Ahmedin, précitée, aux para 34‑36; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 743 [la juge Snider] au para 4. Par ailleurs, dans la décision Jin c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 126 au para 13, le juge Barnes a conclu : « […] la question de l’identité est une décision préliminaire cruciale pour la Commission. L’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés exige qu’elle détermine, selon un fondement crédible, si un demandeur d’asile est ‘muni de papiers d’identité acceptables’ ».

[44] Comme l’a résumé la juge Walker dans la décision Ahmedin :

[34] Mon analyse de la décision part de la prémisse qu’il incombe au demandeur d’asile d’établir son identité selon la prépondérance des probabilités. Il doit pour cela fournir des documents acceptables, ou expliquer la raison pour laquelle il n’en est pas muni ainsi que les mesures qu’il a prises pour se les procurer (article 106 de la LIPR; Règle 11 des Règles de la SPR) :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Immigration and Refugee Protection Act

Étrangers sans papier

Crédibilité

Claimant without Identification

Credibility

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

Règles de la Section de la protection des réfugiés

Refugee Protection Division Rules

Documents

Documents

11. Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

11. The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

[35] La question de l’identité est fondamentale au regard des demandes d’asile, que ce soit au titre de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR, et la détermination de l’identité est au cœur de l’expertise de la SPR. La retenue dont doit faire preuve la Cour lorsqu’elle examine les conclusions de la SPR en matière d’identité est succinctement décrite par la juge Gleason, tel était alors son titre, au paragraphe 48 de la décision Rahal :

[48] La question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR, et s’il y a un endroit où la Cour doit se garder de mettre en doute les conclusions de la Commission c’est bien ici. Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[36] Dans le cas qui nous occupe, il n’y a pas d’incohérence flagrante entre les conclusions de la SPR et la force probante de la preuve au dossier. Le tribunal a effectué un examen approfondi et raisonnable de la preuve documentaire soumise par le demandeur et des explications qu’il a fournies pour justifier l’absence d’autres pièces d’identité. Par conséquent, j’estime que la décision était raisonnable.

[45] Par ailleurs, dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 288, le juge Near (plus tard juge à la Cour d’appel fédérale) a conclu que la crédibilité générale d’un demandeur peut avoir une incidence sur le poids accordé à la preuve documentaire :

[21] Comme le fait valoir le défendeur, l’argument de la DP est sans fondement. La Cour a conclu que la crédibilité d’un demandeur peut affecter le poids accordé à la preuve documentaire (Granada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, 136 A.C.W.S. (3d) 123, par. 13). De plus, la Cour a même affirmé que dans un cas où la Commission a conclu que, dans l’ensemble, l’allégation du demandeur, comprenant les faits dans des documents personnels, n’est pas crédible, elle ne commet pas d’erreur en n’expliquant pas pourquoi elle n’a pas accordé de valeur probante aux documents qui étayent censément les allégations jugées non crédibles (Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 471, 122 ACWS (3d) 533, par. 26; Hamid c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 58 ACWS (3d) 469 (CFPI), par. 21).

[22] Étant donné la conclusion de la Commission concernant l’authenticité des autres documents, l’inférence défavorable qu’elle en a tirée quant à la crédibilité, et la preuve dans le cartable national de documentation, la décision de la Commission d’accorder une faible valeur probante à l’avis est justifiée, transparente et intelligible (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 282, par. 4). Il apparaît que la DP sollicite de la Cour une nouvelle appréciation de la preuve, mais cette tâche va au‑delà de la fonction qui est attribuée à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1986] A.C.F. no 346 (QL)).

[46] Les décisions relatives à l’identité sont au cœur même de l’expertise de la SPR, et les motifs sur lesquels elle assoit ses conclusions en matière d’identité commandent la retenue à moins qu’il existe une incohérence flagrante entre celles‑ci et le poids de la preuve figurant au dossier. Voir la décision Rahal c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2012 CF 319 [la juge Gleason, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale] au para 48 :

[48] La question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR, et s’il y a un endroit où la Cour doit se garder de mettre en doute les conclusions de la Commission c’est bien ici. Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[47] À mon humble avis, aucune des réserves que la juge Gleason a formulées ne s’applique en l’espèce. Je fais respectueusement miens les motifs de cette dernière et je les applique à la présente affaire. Ainsi, compte tenu de la jurisprudence applicable, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau; il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que celle-ci n’avait pas établi son identité personnelle, conformément à l’article 106 de la LIPR.

[48] La demanderesse soutient que la SPR n’a pas procédé à une analyse de sa demande d’asile « sur place ». Cependant, et soit dit avec égards, étant donné qu’elle n’a pas établi son identité, sa demande d’asile « sur place » a été rejetée de manière raisonnable du simple fait que la SPR a été incapable de savoir par rapport à quel pays de référence elle devait l’évaluer. L’absence de pièces d’identité a eu un effet déterminant sur toutes les prétentions possibles et, de ce fait, il n’était pas obligatoire de procéder à une analyse de la demande d’asile « sur place ». Voir la décision Liu c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2012 CF 377 [la juge Gleason, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale] :

[6] Au cours de sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a concédé que, si je devais conclure à la raisonnabilité de la conclusion de la Commission sur l’identité, il ne serait pas nécessaire de traiter des autres erreurs alléguées parce que le raisonnement de la SPR sur les trois points contestés était interrelié et parce que la jurisprudence reconnaît que le défaut du demandeur d’établir son identité devant la SPR constitue un motif pour lequel la Commission peut rejeter la demande d’asile dans son intégralité. L’avocat a raison à cet égard. L’article 106 de la LIPR prévoit que la SPR « […] prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison […] ». Il est de jurisprudence constante que, lorsque le demandeur ou la demanderesse n’établit pas son identité, la Commission n’est pas tenue de considérer le bien‑fondé de la supposée revendication du réfugié et peut rejeter la revendication sur‑le‑champ (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1138, aux paragraphes 7 et 9, [2005] ACF no 1403).

D. La conclusion relative à l’absence de minimum de fondement

[49] La SPR a conclu que la demande d’asile n’avait pas de minimum de fondement au sens du paragraphe 107(2) de la LIPR, que voici :

Preuve

No credible basis

107 (2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

107 (2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[50] Le fondement acceptable d’une conclusion relative à l’« absence de minimum de fondement » a été résumé par le juge Rennie [maintenant juge à la Cour d’appel fédérale] dans la décision Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314 :

[18] Pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement d’une demande d’asile, le seuil à franchir est élevé, ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Rahaman, au paragraphe 51 :

[…] Comme j’ai tenté de le démontrer, la Commission doit, suivant le paragraphe 69.1(9.1), examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l’absence d’un minimum de fondement seulement s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur.

[19] C’est donc dire que s’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi quelconque qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive, il n’est pas loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités.

[51] La demanderesse soutient que la SPR n’a pas établi qu’il n’existait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi qui aurait pu l’amener à rendre une décision favorable, notamment ses documents d’identité. J’estime toutefois que la SPR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucune preuve du genre qui était susceptible d’étayer une décision favorable au sujet de la demande d’asile de la demanderesse.

[52] Selon le paragraphe 107(2) de la LIPR, la SPR peut conclure à l’absence de minimum de fondement s’il n’y a « aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable ». La demanderesse invoque la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133 aux para 16 à 18, pour faire valoir qu’une conclusion d’« absence de minimum de fondement » n’est pas la même chose qu’une conclusion selon laquelle le demandeur d’asile n’est pas crédible. Toutefois, le défendeur soutient, et je suis d’accord avec lui, que la SPR a expliqué de manière cohérente et rationnelle pourquoi ce n’était pas le cas. La SPR a raisonnablement conclu que les rares documents personnalisés et d’une fiabilité douteuse que la demanderesse avait produits n’étayaient pas à eux seuls une décision favorable : voir Douillard c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 390 [le juge LeBlanc, aujourd’hui juge à la Cour d’appel fédérale] au para 17.

[53] Voir aussi l’arrêt Rahaman c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CAF 89 [le juge Evans] au para 29 :

[29] Cependant, comme le juge MacGuigan l’a reconnu dans l’arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu’il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n’y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s’appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.

[54] Dans ce contexte, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que la demande d’asile de la demanderesse n’avait pas de minimum de fondement au sens du paragraphe 107(2) de la LIPR.

VII. Conclusion

[55] À mon humble avis, la demanderesse n’a pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable. À mon humble avis toujours, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir son identité et qu’elle n’était pas crédible. Ces conclusions sont transparentes, intelligibles et justifiées au vu des faits et du droit applicable. La présente demande sera donc rejetée.

VIII. Question à certifier

[56] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question de portée générale, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3511‑20

LA COUR ORDONNE que la présente demande est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée, et aucune ordonnance ne sera rendue quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3511‑20

 

INTITULÉ :

SALIM BELAY OKBET c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

dATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 25 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Vakkas Bilsin

POUR LA DEMANDERESSE

Matthew Siddall

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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