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Date : 20211124


Dossier : IMM-2328-20

Référence : 2021 CF 1285

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2021

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

LULE SUFAJ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, madame Lule Sufaj, est une citoyenne de l’Albanie. Elle et son époux ont présenté une demande de visa de résident temporaire [VRT], ou « super visa », dans le but de rendre visite à leur fils, qui est un résident permanent du Canada. Seule la demande de VRT de la demanderesse est pertinente en l’espèce.

[2] En avril 2020, à la suite de la réponse de la demanderesse à une lettre d’équité procédurale [LEP], l’Ambassade du Canada, section des visas, à Rome en Italie, a rejeté la demande de VRT. En outre, la demanderesse a été déclarée interdite de territoire pour une durée de cinq ans pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait, au titre de l’alinéa 40(1)a) et du paragraphe 40(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] [la décision]. Voir l’annexe « A » pour les dispositions législatives pertinentes.

[3] La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision. Les parties conviennent, tout comme moi, que la présomption selon laquelle la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable s’applique, le caractère raisonnable de la décision étant la seule question à trancher par la Cour : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10 et 25. Je conclus qu’aucune des situations permettant de réfuter cette présomption (Vavilov, au para 17) n’est présente en l’espèce.

[4] Pour éviter l’intervention de la cour, la décision visée doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, aux para 99-100.

[5] Je suis d’avis que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau et, par conséquent, pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[6] Le formulaire de demande de VRT contenait la question suivante : Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? La demanderesse a répondu « oui », et a révélé qu’elle s’était déjà vu refuser un visa canadien en février 2019.

[7] L’agent a envoyé une LEP à la demanderesse pour l’informer de préoccupations relatives à une interdiction de territoire, parce qu’elle n’avait pas divulgué le rejet d’une demande de visa pour les États-Unis en 2005. En réponse, la demanderesse a présenté une déclaration solennelle confirmant qu’elle s’était vu refuser un visa américain en 2005, ainsi qu’à une autre reprise en 2000. Elle a expliqué qu’elle ne se souvenait tout simplement pas de ces refus parce qu’ils remontaient à de nombreuses années, et qu’elle n’avait pas l’intention d’induire qui que ce soit en erreur ou d’en tirer un quelconque avantage. Une lettre d’accompagnement du conseil de la demanderesse précisait en outre que tous les renseignements la concernant seraient connus de l’agent dès qu’elle aurait fourni les données biométriques liées à ses empreintes digitales, et qu’il était donc clair qu’elle n’avait pas omis ces renseignements pour en tirer un avantage.

III. La décision contestée

[8] Selon les notes versées au Système mondial de gestion des cas [SMGC], lesquelles font partie de la décision contestée, l’agent a examiné la déclaration de la demanderesse et la lettre d’accompagnement de son conseil, puis a rejeté la demande de VRT. L’agent a souligné que les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration constituent un fait important, et que celle-ci a l’obligation de présenter des renseignements véridiques, indépendamment de la communication des données biométriques. Les faits non déclarés auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[9] Par ailleurs, l’agent a déclaré qu’il n’était pas crédible que la demanderesse ait [traduction] « simplement oublié les refus de visa antérieurs, sans autre explication ». [Non souligné dans l’original.] Selon l’agent, la supposition de la demanderesse qu’il aurait été mis au fait des refus antérieurs par d’autres moyens ne peut servir d’excuse pour ne pas avoir répondu correctement aux questions relatives à la demande.

IV. Analyse

[10] Je souligne que « l’absence d’intention d’induire le décideur en erreur ne fait pas partie du critère applicable aux fausses déclarations » : Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1004 au para 22. En outre, l’importance de la fausse déclaration de la demanderesse n’est pas en cause : Alkhaldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 584 au para 25.

[11] L’essentiel de la présente affaire tourne plutôt autour de l’expression [traduction] « sans autre explication », qui était au centre des observations orales des parties. La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable pour l’agent de tenir compte de ce que le conseil a dit dans la lettre d’accompagnement, plutôt que de tenir compte uniquement de ce qu’elle a dit dans sa déclaration solennelle. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour trois raisons.

[12] Tout d’abord, dans sa déclaration solennelle, la demanderesse affirme qu’en faisant preuve de diligence raisonnable, l’on pouvait constater dans son dossier, au moyen de ses données biométriques, les rejets des demandes de visa américain antérieurs, y compris celui de 2000 qui n’avait pas été divulgué selon la LEP, dans laquelle seul le rejet de 2005 était mentionné. Toutefois, il incombait à la demanderesse de fournir des renseignements exacts et complets : Ibe-Ani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1112 au para 29.

[13] Ensuite, les demandeurs qui choisissent d’être représentés « sont liés par les observations de ceux qui les représentent dans le processus; [i]l incombe au demandeur de s’assurer que les observations de ses représentants sont complètes et exactes » : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 107 au para 34. Il n’y a aucune preuve dans l’affaire dont je suis saisie que la demanderesse a désavoué ou n’a pas accepté les observations de son conseil. En tout état de cause, l’alinéa 40(1)a) de la LIPR « est rédig[é] en termes généraux et englobe même les fausses représentations faites par une tierce personne à l’insu du demandeur » : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Abdallah, 2013 CF 1053 au para 17.

[14] Enfin, je ne suis pas convaincue que la présente affaire nécessite la prise en compte par l’agent de facteurs appropriés et inappropriés, contrairement à la situation à laquelle a été confrontée la cour de révision dans l’affaire B'Ghiel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8144 (CF) au para 9 [B’Ghiel]. À mon avis, l’agent a correctement pris en compte les déclarations de la demanderesse et de son conseil et, par conséquent, je conclus que l’affaire B'Ghiel se distingue de la présente affaire.

[15] Compte tenu du dossier dont disposait l’agent, je suis convaincue que la décision n’était pas déraisonnable. À mon avis, les motifs de l’agent, bien que brefs, sont suffisants pour me permettre de comprendre le fondement de la décision. Ma conclusion repose sur les principes généraux selon lesquels les décideurs ne sont pas astreints à une norme de perfection dans le cadre d’un examen du caractère raisonnable; leurs décisions ne peuvent être dissociées du cadre institutionnel dans lequel elles s’inscrivent ni de l’historique de l’instance : Vavilov, précitée, au para 91.

V. Conclusion

[16] Pour les motifs qui précèdent, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse.

[17] Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2328-20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice

Annexe « A » : Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

Interdictions de territoire

Inadmissibility

Fausses déclarations

Misrepresentation

40(1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi.

Application

40(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

b) l’alinéa (1)b) ne s’applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l’interdiction.

40(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act

Application

40(2) The following provisions govern subsection (1):

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

(b) paragraph (1)(b) does not apply unless the Minister is satisfied that the facts of the case justify the inadmissibility.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2328-20

 

INTITULÉ :

LULE SUFAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Marvin M. Moses

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses Law Office

393, av. University, bureau 2000

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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