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Date : 20211124


Dossier : IMM-1604-21

Référence : 2021 CF 1289

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

RANJIT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Singh, est un citoyen de l’Inde. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 26 février 2021 (la décision), par laquelle un agent principal (l’agent) a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’il a présentée depuis le Canada.

[2] Après s’être vu refuser le statut de réfugié, le demandeur a présenté une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au motif que l’emploi qu’il occupait au Canada depuis 2019 lui avait permis d’envoyer de l’argent à sa famille en Inde. Il a affirmé qu’il ne serait pas en mesure de trouver un emploi en Inde lui permettant de continuer à subvenir aux besoins de sa famille.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée. L’agent a examiné de façon approfondie la preuve du demandeur relative à l’argent qu’il avait envoyé en Inde depuis 2020, ainsi que ses observations liant l’aide financière qu’il avait fournie au paiement des frais de scolarité de ses fils et, plus généralement, au soutien apporté à sa famille. Le demandeur n’a relevé aucune erreur importante dans l’analyse, par l’agent, des documents objectifs sur le pays concernant le ralentissement économique et le faible salaire minimum en Inde, par rapport à son âge et à son manque de compétences monnayables.

I. Le contexte

[4] Le demandeur avait 52 ans à la date de la décision. Arrivé au Canada le 9 avril 2017, il avait demandé l’asile le 12 juin 2017.

[5] La Section de la protection des réfugiés avait rejeté la demande d’asile du demandeur en août 2017, et l’appel de celui-ci devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) avait été rejeté en avril 2019. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire relativement à la décision de la SAR avait été rejetée à l’étape de l’autorisation le 16 octobre 2019.

[6] Le demandeur a déposé sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en mars 2020 en invoquant : son degré d’établissement au Canada; l’intérêt supérieur de ses enfants, âgés alors de 18 et 17 ans et vivant en Inde avec leur mère; son incapacité à demander la résidence permanente depuis l’étranger; les difficultés auxquelles il ferait face pour se rétablir en Inde, en raison d’obstacles financiers et professionnels.

[7] Dans la décision, l’agent a examiné chaque considération d’ordre humanitaire soulevée par le demandeur :

  1. Le degré d’établissement : l’agent a considéré que les efforts du demandeur pour trouver et conserver un emploi au Canada constituaient un facteur favorable, mais il a accordé peu de poids aux lettres d’appui présentées, parce qu’il s’agissait de lettres types qui ne fournissaient aucun détail sur son degré d’intégration ou d’établissement dans la communauté. L’agent a également souligné de manière favorable l’engagement communautaire du demandeur.

  2. L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants : l’agent a conclu que la preuve et les observations du demandeur concernant l’intérêt supérieur des enfants étaient axées sur le soutien financier apporté à sa famille en Inde, mais offraient peu d’éléments de preuve quant aux besoins généraux de ses fils. L’agent a noté que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne contenait aucune observation de la part de ses fils ou de sa conjointe.

  3. Les difficultés économiques : l’agent a écarté les observations du demandeur concernant son incapacité à présenter une demande de résidence permanente au Canada depuis l’étranger, mais a analysé en détail les difficultés auxquelles le demandeur craignait devoir faire face s’il retournait en Inde. L’agent a pris acte du fait que la pandémie avait changé le contexte économique en Inde, mais a déclaré que le demandeur n’avait pas démontré que sa situation était unique et qu’elle n’était pas vécue par la population générale. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle il ne serait pas en mesure d’obtenir un emploi en Inde, en raison de son âge et de son manque de compétences, ou qu’il serait incapable de vivre en Inde et d’y subvenir aux besoins de sa famille, même s’il pouvait trouver du travail.

[8] En résumé, après avoir apprécié séparément et collectivement chaque aspect des arguments et des éléments de preuve, l’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir que les considérations d’ordre humanitaire sur lesquelles il s’appuyait justifiaient une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

II. Analyse

[9] Le demandeur fait valoir que, lorsque l’agent a appliqué le critère relatif à l’intérêt supérieur des enfants et a examiné les difficultés, il a commis des erreurs de droit assujetties à la norme de la décision correcte. Je ne suis pas d’accord. Les arguments du demandeur dans la présente demande contestent essentiellement le bien-fondé de la décision, qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 777 aux para 13, 37‑39).

[10] Le demandeur soutient tout d’abord que l’agent n’a pas raisonnablement apprécié l’intérêt supérieur de ses deux fils en Inde et a commis une erreur de fait en concluant qu’il n’avait pas joint leurs certificats de naissance à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En ce qui concerne cette dernière question, je conviens que l’agent a déclaré à tort que le demandeur n’avait pas déposé les certificats de naissance, mais l’erreur n’a pas d’importance au regard de la décision. Il est clair que l’agent a pris acte du fait que les deux fils étaient les enfants du demandeur et a entrepris l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants sur ce fondement. De plus, rien dans la décision ne donne à entendre que l’agent a pris en considération l’incidence qu’aurait le retour du père en Inde sur ses deux fils d’une manière différente, en raison du fait qu’ils n’étaient pas nés au Canada et n’y vivaient pas.

[11] Les observations du demandeur dans le cadre de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et ses arguments dans la présente demande sont axés sur les répercussions, sur sa famille, qu’aurait la perte de l’aide financière qu’il fournit grâce à son emploi au Canada. Le demandeur soutient que l’analyse, par l’agent, de l’intérêt supérieur des enfants diminue l’importance du soutien financier qu’il procure à sa famille. Il affirme également que, lorsque l’agent a apprécié la crainte de difficultés économiques en Inde, il n’a pas tenu compte de sa situation personnelle et de la question de savoir si elle justifiait une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Plus précisément, le demandeur mentionne qu’il ne serait pas en mesure de trouver du travail en Inde, en raison de son âge, de son manque de compétences et du ralentissement important de l’économie indienne causé par la pandémie de COVID-19.

[12] Je ne suis pas convaincue par les arguments du demandeur.

[13] L’analyse par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants était nécessairement limitée aux éléments de preuve fournis qui, à l’exception de ceux étayant les transferts d’argent, contenaient peu d’information concernant les fils, leur relation avec leur père ou l’incidence réelle de la perte d’un soutien financier depuis le Canada. Bien qu’il y ait eu des éléments de preuve relatifs à la fréquentation scolaire des fils, il n’y avait aucune information dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire concernant leurs besoins ou leurs activités en Inde, le moment où ils ont commencé à l’école, ou les questions de savoir si l’aîné avait terminé ses études ou si les fils seraient en mesure de poursuivre leurs études dans l’éventualité où le demandeur serait renvoyé en Inde. Je ne constate aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants.

[14] Dans son traitement de la situation personnelle du demandeur, sur les plans financier et professionnel, l’agent a examiné : l’emploi actuel du demandeur et les transferts d’argent en soutien à sa famille; la situation économique générale en Inde; les observations relatives aux considérations d’ordre humanitaire sur les difficultés financières associées aux perspectives d’emploi défavorables et à la rémunération insuffisante en Inde.

[15] L’agent n’a pas écarté ou négligé la question de l’argent que le demandeur avait envoyé à sa famille depuis le début de 2020. L’agent a noté le fait qu’il avait envoyé de l’argent à sa conjointe en février 2020, ainsi que de septembre 2020 à janvier 2021. L’agent a pris acte du fait que les montants envoyés étaient considérables et que ceux-ci démontraient une tendance de soutien financier. Cependant, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne contenait aucune indication de la façon dont la famille se débrouillait sur le plan financier lorsque le demandeur ne lui envoyait pas d’argent. À mon avis, cette conclusion est importante, compte tenu de la nature récente des transferts d’argent en question. La conclusion de l’agent traduit un raisonnement rationnel allant de l’insistance du demandeur sur l’importance des transferts d’argent à l’absence d’éléments de preuve concernant la situation financière de la famille avant février 2020.

[16] De plus, le demandeur n’a pas établi l’existence d’une erreur dans l’examen par l’agent de la preuve documentaire liée au contexte économique et à la situation de l’emploi en Inde. Le demandeur renvoie à des déclarations dans les divers documents et articles de journaux concernant les répercussions négatives de la pandémie, mais cette façon d’aborder la preuve ne tient pas compte du contenu intégral des divers documents ou, plus important encore, du fondement de l’analyse de l’agent. Celui-ci n’a pas mis en doute le fait que le marché du travail en Inde était défavorable en raison de la pandémie ni mal interprété la situation économique générale dans le pays. L’agent a plutôt pris acte du coût de la vie en Inde et du faible salaire minimum versé dans le pays, en déclarant cependant qu’aucun élément de preuve ne démontrait les répercussions de ces conditions économiques générales sur le demandeur. Ce faisant, l’agent n’a pas commis d’erreur. De même, l’agent n’a fait aucune erreur lorsqu’il a fait remarquer que les différents niveaux de vie en Inde et au Canada n’étaient pas déterminants dans le cadre de l’appréciation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[17] Peu importe les observations présentées par le demandeur devant la Cour, l’agent a pris en considération ses perspectives d’emploi personnelles. Toutefois, bien que le demandeur ait déclaré qu’il ne serait pas en mesure de trouver du travail en Inde en raison de son âge et de son manque de compétences, il n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation. L’agent a apprécié l’hypothèse du demandeur selon laquelle il ne trouverait aucun emploi en fonction du fait qu’il était né en Inde et y avait grandi, qu’il avait étudié deux ans au niveau collégial et qu’il avait travaillé dans le secteur manufacturier en Inde avant d’arriver au Canada. Le demandeur n’a signalé aucune erreur dans cette analyse. Je juge que l’agent pouvait raisonnablement conclure que le demandeur [traduction] « n’a pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle il ne serait pas en mesure d’obtenir un emploi en Inde, en raison de son âge, ni qu’il serait incapable de vivre en Inde et d’y subvenir aux besoins de sa famille, même s’il pouvait trouver un emploi ».

[18] Le demandeur devait établir qu’il subirait des difficultés ou des malheurs plus importants ou démesurés que « ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent le statut de résident permanent [au Canada] » (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 aux para 18, 19, 22). L’agent a énoncé dans la décision un ensemble de motifs détaillés et intelligibles qui justifiaient sa conclusion selon laquelle le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

[19] Enfin, l’agent n’a pas utilisé l’emploi fructueux du demandeur au Canada contre lui en laissant entendre que cela faciliterait son retour en Inde. Il a accordé un poids favorable au degré d’établissement du demandeur au Canada, mais a mis en balance ce poids avec le manque d’éléments de preuve étayant le fait que son retour en Inde lui occasionnerait des difficultés personnelles (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 163 au para 17).

[20] En conclusion, le demandeur était tenu de démontrer pourquoi l’agent devait exercer son pouvoir discrétionnaire exceptionnel fondé sur les considérations d’ordre humanitaire. Son défaut de présenter une preuve suffisante a été fatal à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (Gesite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1025 au para 19).

[21] La décision d’un agent relative à des considérations d’ordre humanitaire est de nature hautement discrétionnaire, ce qui élargit la gamme d’issues possibles acceptables (Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 au para 18). En l’absence d’une erreur importante dans l’appréciation des observations et de la preuve que le demandeur a présentées à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, rien ne permet, à mon avis, de dire que la Cour devrait intervenir dans le refus de l’agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire considérable et d’accorder au demandeur une dispense fondée sur de telles considérations.

  1. Conclusion

[22] La demande sera rejetée.

[23] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1604-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1604-21

 

INTITULÉ :

RANJIT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 24 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Lucrèce M. Joseph

 

Pour le demandeur

 

Lisa Maziade

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lucrèce M. Joseph

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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