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Date : 20211125


Dossier : IMM-2250-21

Référence : 2021 CF 1298

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

ELIDA ACOSTA RODRIGUEZ

MATILDA CAMACHO ACOSTA

FREDDY CAMACHO ACOSTA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Elida Acosta Rodriguez, et ses deux (2) enfants sont citoyens du Mexique. La demanderesse allègue que son ex-conjoint a été la cible du cartel Los Rojos. Craignant pour sa vie et celle de sa famille, elle entre au Canada le 7 juillet 2017 en compagnie de son ex-conjoint et de leurs enfants. Le 21 septembre 2017, ils demandent l’asile, mais la demande de son ex-conjoint fait ensuite l’objet d’un désistement pour défaut de comparaitre le 21 janvier 2020.

[2] Le 5 février 2020, la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette les demandes d’asile des demandeurs. Elle juge la demanderesse non crédible en raison de son manque de franchise lors de son témoignage et des nombreuses lacunes dans la preuve.

[3] Le 17 mars 2021, la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejette l’appel des demandeurs. Comme la SPR, elle juge le récit des demandeurs non crédible, notamment en raison du témoignage contradictoire de la demanderesse quant à ses déménagements, de l’historique de ses demandes de visa américain et celles de son ex-conjoint, du délai à demander l’asile au Canada et de l’absence de preuve quant à l’implication politique de son ex-conjoint. De plus, la SAR conclut que la SPR n’a pas enfreint les principes d’équité procédurale lorsqu’elle a, entre autres, accepté en preuve le formulaire de demande d’asile [FDA] de la demanderesse, qui n’avait pas été signé par elle et qui ne lui avait pas été traduit.

[4] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision. Ils soutiennent que la SAR a déraisonnablement conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement aux principes d’équité procédurale lorsque la SPR n’a alloué que quinze (15) minutes à la demanderesse pour vérifier son FDA et celui de ses enfants. Ils font également valoir que la conclusion d’absence de crédibilité de la SAR n’est pas raisonnable. Selon les demandeurs, la SPR aurait dû questionner la demanderesse sur les contradictions relatives à ses déménagements et tenir compte de sa réponse pour expliquer la contradiction sur le nombre de fois qu’elle a présenté des demandes de visa aux États-Unis.

[5] La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 143 [Vavilov]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 au para 4 (CAF) (QL)). Cette même norme s’applique également à la conclusion tirée par la SAR selon laquelle il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale devant la SPR. Il ne s’agit pas en l’instance de déterminer si la SAR a violé l’équité procédurale, mais plutôt s’il a eu un manquement devant la SPR (Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 520 au para 24; Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1103 au para 25; Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 au para 12).

[6] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83). Elle doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). Enfin, il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). Elle doit convaincre la Cour que la décision souffre de lacunes graves qui sont « suffisamment capitale[s] ou importante[s] pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[7] La Cour ne peut souscrire aux arguments des demandeurs.

[8] Concernant l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la SAR mentionne que, lorsque la demanderesse a déclaré au début de l’audience que la signature figurant sur la dernière page de son FDA n’était pas la sienne et que les renseignements ne lui avaient pas été interprétés du français à l’espagnol, la SPR a, de sa propre initiative, offert à la demanderesse une pause de quinze (15) minutes afin qu’elle relise son formulaire ainsi que ceux de ses enfants. La SAR ajoute qu’au retour de la pause, la demanderesse a déclaré avoir révisé les documents et qu’ils étaient complets, vrais et exacts. La demanderesse les a signés et a reconnu qu’ils lui avaient été traduits. Elle a également apporté quelques correctifs au narratif sur lequel étaient basées les demandes d’asile.

[9] La SAR conclut qu’en procédant ainsi et qu’en s’assurant que le FDA avait été traduit à la demanderesse et qu’elle l’avait signé, la conduite de la SPR à cet égard était irréprochable. La SAR souligne de plus que la demanderesse était représentée par procureur et qu’aucune objection n’a été soulevée quant à la procédure suivie. Elle rappelle ensuite le principe bien établi que tout manquement à l’équité procédurale doit être soulevé à la première occasion et que le défaut de formuler une objection au stade de l’audience équivaut à une renonciation tacite de le soulever ultérieurement.

[10] La Cour est d’avis que la SAR a appliqué les bons principes juridiques (Laguerre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 701 au para 41; Al-Farran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 985 au para 27) et qu’elle a bien motivé sa conclusion. Si le délai de quinze (15) minutes était insuffisant, la demanderesse avait l’obligation d’en informer la SPR. La demanderesse n’a cependant formulé aucune objection quant à la procédure suivie ni demandé une pause plus longue. Les demandeurs n’ont pas démontré que la conclusion de la SAR sur cette question est déraisonnable.

[11] Concernant les autres arguments soulevés par les demandeurs, la demanderesse a été questionnée sur ses déménagements. Elle aurait pu élaborer davantage lors de son témoignage si elle le jugeait nécessaire. Son procureur aurait également pu lui demander des explications supplémentaires. Quant au nombre de demandes de visa présentées aux États-Unis, la demanderesse n’explique pas en quoi cette omission se traduit en une décision déraisonnable. L’analyse de la SAR porte plutôt sur les conséquences des multiples demandes de visa présentées par la demanderesse et son ex-conjoint. Selon la SAR, ces nombreuses demandes soulèvent des préoccupations au sujet de leur intention de quitter le Mexique bien avant les évènements décrits dans le narratif.

[12] La Cour estime que ces arguments constituent essentiellement une invitation par les demandeurs à réévaluer leur preuve. Or, il est bien établi que les conclusions relatives à la crédibilité d’un demandeur d’asile et l’évaluation de la preuve commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. En l’espèce, la SAR a procédé à sa propre analyse du dossier et elle a écouté la bande sonore de l’audience. Sa conclusion sur l’absence de crédibilité de la demanderesse repose sur l’ensemble du dossier. Bien que les demandeurs ne soient pas d’accord avec les conclusions de la SAR et celles de la SPR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui leur serait favorable (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[13] Pour conclure, la Cour estime que, lorsque les motifs de la SAR sont interprétés de manière globale et contextuelle, ils possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov aux para 97, 99).

[14] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-2250-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2250-21

INTITULÉ :

ELIDA ACOSTA RODRIGUEZ ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 25 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Manuel Centurion

Pour LES DEMANDEURS

Suzon Létourneau

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Manuel Centurion

Montréal (Québec)

Pour LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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