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Date : 20211122


Dossier : IMM-4818-20

Référence : 2021 CF 1282

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

OLUWABIYI ISAAC JUBA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, un citoyen nigérien, a demandé l’asile au Canada sans succès. Il a sollicité une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], sur le fondement de son degré d’établissement au Canada et de l’intérêt supérieur de son enfant né au pays. L’agent a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour justifier l’octroi d’une dispense. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent le 18 août 2020.

[2] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande devrait être accueillie. Ma décision est fondée sur le seul motif que l’agent n’a pas dûment tenu compte du fait que la relation entre le demandeur et la mère de l’enfant était rompue au point où il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle aide le demandeur d’une façon ou d’une autre dans ses efforts pour maintenir une relation avec son fils depuis le Nigéria. La décision aurait pu être différente si l’agent avait tenu compte de ce facteur.

[3] Le demandeur est venu au Canada à titre de visiteur en 2013 et a déposé une demande d’asile. En janvier 2014, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande. Quelques mois plus tard, un appel a également été rejeté. Le 12 septembre 2014, la Cour a confirmé la décision de la Section d’appel des réfugiés. Une première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée le 4 décembre 2018. Entre‑temps, le demandeur s’est marié à une citoyenne canadienne avec qui il a eu un enfant né le 23 janvier 2017.

[4] Avant l’examen de la demande sous‑jacente, le mariage s’est envenimé jusqu’au point où le demandeur a dû solliciter l’aide de la police pour récupérer ses biens dans le foyer conjugal. Comme sa femme refusait qu’il voit l’enfant, le demandeur a sollicité une ordonnance de la Cour de la famille pour faire reconnaître officiellement ses droits de visite. Conformément à cette ordonnance, il payait également une pension alimentaire.

[5] Dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a accordé un poids favorable au degré d’établissement auquel le demandeur est parvenu au cours des six années qu’il a passées au Canada. Toutefois, ce degré d’établissement ne surpassait pas celui qui est raisonnablement attendu de la part des personnes qui résident au pays. En outre, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur n’aurait pas la capacité financière de retourner s’établir au Nigéria puisqu’il est instruit, qu’il a une expérience professionnelle dans son pays natal et qu’il peut compter sur des membres de sa famille immédiate pour le soutenir.

[6] L’agent a conclu que la preuve du demandeur relative à sa participation dans la vie de l’enfant était insuffisante et que la mère de ce dernier, qui est principalement responsable des soins de l’enfant, s’occuperait bien de lui si le demandeur retournait au Nigéria.

[7] La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable compte tenu du degré d’évaluation exigé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. L’agent doit toujours être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant tout en reconnaissant qu’un poids substantiel doit être accordé à ce facteur sans qu’il soit nécessairement déterminant au regard de la demande : Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 au para 88.

[8] Il est bien établi que l’agent qui examine une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve qui étaye sa décision. L’agent est présumé avoir apprécié toute la preuve dont il dispose : Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943 au para 34 [Ruszo]; Jama c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1459 au para 17. Toutefois, plus la preuve dont l’agent a fait abstraction est importante, plus la Cour sera disposée à inférer qu’il a tiré une conclusion de fait erronée : Ruszo, au para 34.

[9] En l’espèce, le comportement de la mère de l’enfant est un élément de preuve important puisqu’il touche directement à la question de savoir si le demandeur pourrait maintenir sa relation avec l’enfant s’il devait retourner au Nigéria. Dans sa lettre à l’appui de sa demande, le demandeur a expliqué qu’il n’a pas une bonne relation avec son ex‑femme, qui lui a fait des menaces en présence de policiers à savoir qu’il ne reverrait plus jamais son enfant. Par la suite, le demandeur a dû solliciter des droits de visite auprès de la Cour de la famille. Rien dans les motifs de l’agent ne laisse penser qu’il a tenu compte de ce facteur hormis une déclaration vague selon laquelle il [traduction] « reconnaissait […] les difficultés qu’implique le maintien d’une relation parentale à distance ».

[10] Dans de nombreux cas de séparation familiale, on peut raisonnablement s’attendre à ce que le parent expulsé soit en mesure de maintenir un lien avec l’enfant qui reste au Canada grâce à la technologie ou en lui rendant visite à l’occasion. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Pour ce motif, la demande doit être accueillie et renvoyée en vue d’un nouvel examen.

[11] Aucune question grave de portée générale n’a été soulevée et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4818-20

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée en vue d’un nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4818-20

INTITULÉ :

OLUWABIYI ISAAC JUBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Pablo Irribarra

POUR LE DEMANDEUR

Erin Estok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Battista Smith Migration

Law Group

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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