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Date : 20211118


Dossier : IMM-5977-20

Référence : 2021 CF 1254

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

BONE NTSIMA

TIRELO JULIET RAMAEBA

SELAH PAKA NTSIMA (MINEURE)

DURIEL NTSIMA (MNINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont des citoyens de la République du Botswana qui ont sollicité le statut de résidents permanents depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2] Un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté leur demande. L’agent a conclu, sur la base de son évaluation de l’ensemble des circonstances, qu’il n’était pas justifié d’accueillir la demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[3] Les demandeurs sollicitent, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent le 30 septembre 2020. La question en litige consiste à savoir s’il était raisonnable que l’agent rejette la demande de dispense fondée sur des motifs humanitaires compte tenu des facteurs soulevés par les demandeurs et de la preuve. Le défendeur soutient que l’agent a expliqué de façon convaincante et raisonnable les motifs de son refus et qu’il a raisonnablement conclu que les facteurs et la preuve présentés par les demandeurs ne suffisaient pas à justifier l’octroi d’une dispense.

[4] Après m’être penché sur les observations des parties, je ne suis pas convaincu que la décision de l’agent est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Contexte

[5] Les demandeurs adultes sont les parents de trois enfants, tous âgés de moins de huit ans. Leur troisième et plus jeune enfant est né après l’arrivée de la famille au Canada en 2016.

[6] La demande d’asile présentée par les demandeurs a été rejetée par la Section de protection des réfugiés en janvier 2017, décision confirmée par la Section d’appel des réfugiés en septembre 2017. Les demandeurs ont présenté en janvier 2019 une demande fondée sur des motifs humanitaires, dans laquelle ils ont invoqué les difficultés qu’ils éprouveraient dans leur pays d’origine, l’intérêt supérieur des enfants mineurs et leur établissement au Canada.

III. Norme de contrôle

[7] La décision de refuser ou d’octroyer une dispense pour des motifs humanitaires est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16 et 17 [Vavilov]; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 10 et 44 [Kanthasamy]. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[8] La cour de révision qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Il faut interpréter les motifs du décideur de façon globale et contextuelle afin de comprendre le fondement sur lequel repose la décision (Vavilov, au para 97). La cour doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise (Vavilov, au para 128).

IV. Analyse

[9] Ce qui justifie une dispense au titre de l’article 25 dépend des faits et du contexte de chaque affaire, mais le décideur doit véritablement examiner globalement tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et les soupeser cumulativement (Kanthasamy, aux para 25 et 28). Cette évaluation requiert notamment la prise en compte de l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché par la décision, facteur important qui doit se voir accorder un poids substantiel, mais qui n’est pas toujours déterminant et qui peut être contrebalancé par d’autres considérations (Kanthasamy, aux paras 35 et 38).

[10] Il ne suffit pas que le demandeur démontre l’existence de malheurs ou de difficultés, car « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés » (Kanthasamy, au para 23). L’objet de l’article 25 de la LIPR a été décrit comme suit : « offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (Kanthasamy, au para 21).

A. L’évaluation de l’établissement par l’agent était raisonnable

[11] Si l’agent tient compte de tous les facteurs pertinents lorsqu’il évalue l’établissement, il est peu probable que la cour de révision intervienne à l’égard de cette évaluation ou du poids accordé à l’établissement dans l’évaluation globale de l’agent (Herrera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 261 au para 20). L’établissement du demandeur ne suffira pas non plus à justifier à lui seul l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire (Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724 au para 35).

[12] L’agent accordé une certain poids à l’établissement des demandeurs, reconnaissant que la famille vivait au Canada depuis près de cinq ans, était très respectée et jouait un rôle actif dans sa communauté, et que les demandeurs adultes travaillaient tous deux à temps plein.

[13] Les demandeurs ne prétendent pas que l’agent a omis de tenir compte de tous les facteurs relatifs à l’établissement. Ils contestent plutôt les conclusions tirées par l’agent : selon eux, la preuve démontrait un établissement modéré qui devait être considéré comme un facteur militant en leur faveur.

[14] Je ne suis pas convaincu que les conclusions de l’agent sont incompatibles avec la preuve, incohérentes ou insuffisamment justifiées. Les demandeurs invoquent la décision Fernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 899, mais je suis d’avis qu’une distinction peut être établie entre cette affaire et l’espèce, puisque l’agente disposait dans cette affaire d’une preuve de liens familiaux au Canada dont elle n’avait pas tenu compte. Cette omission donnait à penser que l’agente n’avait pas pris en considération tous les facteurs pertinents dans son évaluation de l’établissement. Je souligne également que la norme du caractère raisonnable reconnaît qu’il peut exister une gamme d’issues possibles et acceptables (Vavilov, au para 86).

[15] Les observations des demandeurs reviennent à demander à la Cour d’évaluer et de soupeser à nouveau la preuve. Il est largement reconnu que tel n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

B. L’évaluation des difficultés par l’agent était raisonnable

[16] Dans son évaluation des difficultés, l’agent a souligné que plusieurs membres de la famille des demandeurs adultes vivaient au Botswana. L’agent a conclu que rien n’indiquait que les demandeurs ne pourraient pas tisser de nouveaux liens sociaux au Botswana ou que les liens sociaux noués au Canada ne pourraient pas être maintenus par le biais des technologies de communication. L’agent a reconnu que les conditions de vie au Botswana, y compris le taux de chômage, étaient plus difficiles que celles au Canada, mais il a fait observer que la connaissance qu’avaient les demandeurs du Botswana et leur expérience professionnelle au Canada étaient des facteurs susceptibles d’aplanir les difficultés engendrées par l’obligation de quitter leur emploi au Canada. L’agent a également reconnu que l’approvisionnement en eau au Botswana était susceptible d’être compromis par des événements météorologiques extrêmes, mais a conclu que l’ensemble de la population était soumise à ces aléas et que les demandeurs n’avaient pas déclaré avoir été grandement touchés par des pénuries d’eau ou des pannes d’électricité lorsqu’ils vivaient au Botswana.

[17] Les demandeurs contestent le poids accordé par l’agent à la preuve documentaire relative au chômage qui sévit au Botswana, et affirment que l’agent a surestimé la valeur de l’expérience professionnelle qu’ils ont acquise au Canada. Ils soutiennent que, par conséquent, l’agent a omis de prendre en compte les conséquences désastreuses qui pourraient découler d’une éventuelle recherche infructueuse d’emploi au Bostwana. En outre, les demandeurs soutiennent que l’agent a effectué un examen partiel et sélectif des éléments de preuve relatifs aux conditions de vie au Botswana, particulièrement en ce qui concerne les pénuries d’eau et les pannes de courant.

[18] L’agent s’est bel et bien penché sur la question du chômage au Botswana et a reconnu qu’il y était plus élevé qu’au Canada. Ces conclusions concordaient avec la preuve documentaire, qui traitait des problèmes liés au chômage de manière générale au Botswana (en particulier chez les jeunes), mais qui n’incluait pas de données précises sur le taux de chômage réel dans le pays. Compte tenu de la preuve, il n’était pas déraisonnable que l’agent ait considéré les antécédents professionnels des demandeurs adultes au Canada et au Botswana comme des facteurs susceptibles d’atténuer les difficultés résultant d’une éventuelle période de chômage.

[19] L’agent a aussi abordé les inquiétudes qui ont été soulevées quant à la fiabilité de l’approvisionnement en eau et en électricité. L’agent a reconnu que les ressources en eau étaient susceptibles d’être affectées par des événements météorologiques extrêmes, mais il a également pris acte des données publiées par les Nations Unies indiquant qu’en 2001, 99,5% de la population urbaine et 83,5% de la population rurale du Botswana avait accès à l’eau potable. L’agent n’a pas fait abstraction de la déclaration des demandeurs adultes selon laquelle ils avaient souvent dû se procurer de l’eau à partir d’un trou de forage; cet élément de preuve n’était pas incompatible avec la constatation, par l’agent, du fait que les demandeurs n’avaient pas signalé avoir été grandement touchés par des pénuries d’eau ou des pannes d’électricité.

C. L’agent n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants

[20] Dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a reconnu que les enfants bénéficieraient de l’accès à un niveau de vie plus élevé au Canada, prenant acte des observations des demandeurs selon lesquelles la qualité de l’éducation et des soins de santé est meilleure au Canada, et il n’y existe aucun risque lié à la précarité de l’approvisionnement en eau et en électricité. Par ailleurs, l’agent a souligné qu’au Botswana, les enfants vivraient avec leurs deux parents, que de nombreux membres de leur famille élargie pourraient leur fournir un soutien, et que, compte tenu de leur âge, les enfants pourraient s’adapter rapidement à la vie dans ce pays. L’agent a néanmoins conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur des trois enfants de leur permettre de rester au Canada.

[21] Les demandeurs font valoir que l’évaluation faite par l’agent est irrationnelle et dénote sa réticence à reconnaître, en dépit de sa conclusion finale, qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils puissent rester au Canada. Les demandeurs soutiennent en outre que, dans son analyse, l’agent a omis d’envisager les problèmes de chômage et d’infrastructures déficientes du point de vue des enfants.

[22] En examinant l’intérêt supérieur des enfants, l’agent s’est penché sur les éléments de preuve présentés par les demandeurs. L’agent a étudié la situation des enfants et a pris en compte les avantages pour eux de rester au Canada, les effets négatifs de leur déménagement au Botswana, et l’importance du soutien de leurs parents et de leur famille élargie. L’agent a été sensible aux arguments relatifs aux défis posés par les infrastructures, dans la mesure où ces questions avaient été abordées dans le contexte de l’analyse des difficultés.

[23] Après avoir examiné tous ces facteurs, l’agent a conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils restent au Canada. Selon la jurisprudence, il s’agit d’une conclusion dont on peut présumer qu’elle s’impose dans la plupart des cas (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 475 au para 5). L’appréciation de la preuve faite par l’agent n’est pas irrationnelle et la conclusion qu’il a tirée quant à l’intérêt supérieur des enfants est raisonnable.

D. L’évaluation de l’ensemble des éléments de preuve par l’agent était également raisonnable

[24] L’agent, après avoir évalué les facteurs soulevés par les demandeurs, a considéré les éléments de preuve de façon cumulative. Il a reconnu l’existence de certaines difficultés, mais a également souligné que l’obligation de quitter le Canada entraîne inévitablement des difficultés. L’agent a tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants, mais a conclu que le poids qu’il convenait d’accorder à ce facteur ne permettait pas de justifier l’octroi d’une dispense, soulignant l’insuffisance des éléments de preuve relatifs aux répercussions négatives d’un renvoi du Canada vers le Botswana sur les enfants. L’agent a conclu que, considérés dans leur intégralité, les facteurs ne suffisaient pas à justifier l’octroi d’une dispense.

[25] Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est incompatible avec les conclusions de l’agent concernant chacun des facteurs et que la décision n’est pas logique. Je ne suis pas d’accord. L’agent a examiné la preuve de façon cumulative, comme il se doit, et a exposé en détail les raisons pour lesquelles il a conclu que la dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’était pas justifiée en l’espèce.

[26] Les demandeurs soutiennent également que la décision de l’agent comporte des conclusions vagues et des déductions injustifiées. Encore une fois, je ne suis pas d’accord.

[27] Les conclusions vagues citées en exemple par les demandeurs sont celles relatives au poids devant être accordé à l’établissement et à l’intérêt supérieur des enfants. La pondération des facteurs n’est pas une science exacte, et est couramment libellée en termes généraux.

[28] Les déductions injustifiées évoquées par les demandeurs résident dans la conclusion de l’agent selon laquelle les enfants ont généralement une grande capacité d’adaptation. En l’absence de preuve démontrant que les enfants éprouveraient des difficultés particulières d’adaptation, je ne puis conclure que cette affirmation justifie l’intervention de la Cour.

V. Conclusion

[29] La demande est rejetée. Les parties n’ont soumis aucune question grave aux fins de certification, et je suis convaincu que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5977-20

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  1. aucune question n’est certifiée.

blank

« Patrick Gleeson »

blank

Judge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5977-20

 

INTITULÉ :

BONE NTSIMA TIRELO JULIET RAMAEBA

SELAH PAKA NTSIMA (MINEURE)

DURIEL NTSIMA (MINEUR) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le JUGE gleeson

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Henry Igbinoba

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Henry Igbinoba

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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