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Date : 20211116

Dossier : T-1704-21

Référence : 2021 CF 1244

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ADAM WOJDAN, Alana Matheson, Alexander N Hobbs, Alexandra Bode, Alexandra Jane Harrison, Alicia Diaz De La Serna, Ana Potakis, Anastasia Daly, Andrea B Miller, Andree France Page, Andreea Livia Modrea, Anik Marie-Lou Arand, Anna Brown, Anna Dorota Yaary, Ashley Brunet, Audrey Genevieve Lacasse, Autum Cardy, Bianca Boucher, Brandon Bruce Leo Smith, Brandon Jay Merrill, Carl Thiessen, Carly Larsen, Carol-Ann Dodd, Catalina Cazan-Macisanu, Cataline Soloman, Chad Michael Gagnon, Char-Leigh Potvin,
Charles Philippe Sajous, Christian Festejo, Christian Gagne, Christine Danis, Christine Serban, Christine Susan Gray Hutchins, Christoph Philippe Daudin, Chylow Hall, Cindy Mildred Deraiche, Corey Crabtree, Corey Gauthier, Craig Mcguigan, Daisy Ivy-Bode, Dana Toma, Daniel Emanuel Aninoiu, Daniel Lionel Gaston Giroux, Daniel Nathan Budd, Daniel William Adshade, Danny Allen Edward Hone, David John Dempster, David Mcnicoll, Dean A L Davis, Deanna Getz, Deanna Thompson, Denis Lecompte, Denise Gabriella Nicole Ramsankar, Derrick Anthony Bell, Desiree Lynn Rochon, Dianne Flynn, Donna Stainfield, Dr.
Julie Donna Mounce Comber, Edmund Mclaughlin, Elena Palmieri, Elizabeth Drocholl, Emilie Gabrielle Cyr, Farrah Espera, Filippas Lavidas, France Renée Paradis, Francis Emond, Franck Armel Diedro, Frank Moura Rodrigues, Gael Brassard, Genevieve Bergeron, Giuseppe Salera, Giuseppina Trapani, Gordon William Hill, Gregory Dale, Hamid Naghdian-Vishteh, Hanna Gebara, Heidi Schenkewitz, Holly Ann Jefferd, Jacob Allen Elliott, Jade Bergeron, James Edison John Snively, Jasbir Singh Kaila, Jay Christopher Sinha, Jeffery Ladouceur, Jennifer Ann Thiessen, Jennifer Lynne Stannard, Jennifer Marie Just, Jennifer Mckeown, Jessica Leigh Waddell, Jili Li, Joanne Elisabeth Cousineau, Johanne Laroche, John Donald Marshall Jr., Jonathan Charles Sergius Mankow, Jonathan David Giroux, Jonathan Raymond Chow, Jonathan Tasker, Josée Sivre, Joseph Brefni W Macdonald, Julie Blouin, Julie Diane S H Ma, Kalin Kostadinov Stoyanov, Karine Gelinas, Kathy Mulholland, Kelly Anne Grenier, Kelsey Warnock, Kerstin Sykes, Kevin Lysius Cote, Khristen, Kimberley Ann Giroux, Kimberly Lissel,
Kristen Alexandra Soo, Kyle Royce Stupple, Lance Aaron Stuart Dixon, Laura Palma Hecimovic, Laura Suzanne Ykema, Lilliam Schulz Bechar, Linda Benkaiouche, Lindsay Virginia Dagenais, Lise Houde, Lloyd William Swanson, Luc Lafleur, Lucas Brett Reid, Luke Bedros Zavodni, Lyane Giroux, Manon Tremblay, Marc Dominique, Marie Bethie Thimot, Marie Claire Sonia Carignan, Marie-Claude Pagé, Marie-France Ladouceur, Marie-France Ladouceur, Marilyn Dufresne, Mark Laval Jaekl, Martine Joseph, Marvin Castillo, Mary-Ann Hue, Mathieu Lemay, Melissa Martin, Melissa Ricciardelli, Meriem Mokairita-Lamssahhal, Michael Albert Falcone, Michael Douglas Anderson, Michael Lloyd, Michael Shostak, Michael Steven Gendron, Michal Walczak, Michelle Lalande, Mike Nolan, Mr We Seong Lim, Nadine Kaspick, Nancy Dunphy, Natasha Marie Budy, Nathalie Drew, Olivia Jenkinson, Pablo Roman Diconca, Panagiota Stappas, Pascal Musacchio, Patrick Hilborn, Pawel Szopa, Perez Hong, Pierre-Marc Cote, Raeleen Kereliuk, Reid Howard Miller, Renee Fleury, Renée Joelle Théorêt, Riann Brooke Babineau, Rick Kenneth Gabbey, Robert Bruce Cosman, Robert Johannes Dueck, Robert Mandic, Robert Weir Robson, Robyn Elaine Mckelvie Dunn, Roland Michael Charbonneau, Rosedore Gottfriede Kanitz, Rosemary Raimondi, Roxanne Lanthier, Roxanne Robertson, Roxanne Robertson, Sabrina Nicole Fontana, Sabrine Barakat, Sabrine Barakat, Salinna Brandy Lachance, Sandra Anne Haley, Sasa Danicic, Scott Fast, Sean Rusenstrom, Sebastien Prost, Sesha Rabideau, Séverine Huguette Parnaudeau, Shelley Harvey, Shelly Ann Enman Theriault, Sherie Dawn Craik, Sonia Parisien, Sonia Parisien, Stephane Leblanc, Stephane Roby Joseph Dube, Stephen Howard Kelly, Steven Bolduc, Steven Racine, Suzan Cherie Mottl, Sylvia Verissimo, Szabolcs Pall, Tammy Lynn Myer, Tania Michaud, Tanja Danicic, Theresa Geldart, Timothy John Hiebert, Tristan Gravel, Tyler Mark Alexander Borg, Véronique Santos ET Zachary William Anthony Linnick

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA, L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA, LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA ET LE MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeurs

ORDONNANCE

VU la requête présentée par les demandeurs afin d’obtenir une injonction provisoire d’au plus 10 jours visant à suspendre l’application de la Politique sur la vaccination contre la COVID‑19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada [la Politique sur la vaccination], publiée par le Conseil du Trésor du Canada le 6 octobre 2021, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête en injonction interlocutoire des demandeurs;

APRÈS avoir entendu les avocats des parties le 15 novembre 2021 et avoir lu les documents déposés;

ET VU ce qui suit :

Les demandeurs sont des employés des défendeurs et sont membres de l’administration publique centrale. Ils refusent de se faire vacciner contre la COVID-19 pour différentes raisons. Ils affirment que la Politique sur la vaccination porte atteinte aux droits que leur confèrent la common law et la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte], d’une manière qui ne peut se justifier au regard de l’article premier. Ils sollicitent un jugement déclaratoire à cet effet, ainsi que des dommages-intérêts pécuniaires.

La Politique sur la vaccination exige que les demandeurs soient entièrement vaccinés contre la COVID‑19 et qu’ils divulguent leur statut vaccinal à leurs employeurs. Les demandeurs soutiennent qu’ils seront placés en congé administratif sans solde, suivant l’article 7.1.2.2 de la Politique sur la vaccination, s’ils ne fournissent pas leurs attestations au plus tard le 15 novembre 2021.

Ils reconnaissent que selon l’article 4.1.8.2 de la Politique sur la vaccination, il est possible de procéder à des dépistages obligatoires de la COVID‑19 comme solution de rechange à la vaccination pour « les employées qui ne peuvent pas être entièrement vaccinés en raison d’une contre-indication médicale certifiée, de la religion ou d’un autre motif de distinction illicite prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce qui peut également inclure les employés partiellement vaccinés ». Or, la Politique sur la vaccination ne permet pas aux employés qui ne souhaitent tout simplement pas se faire vacciner ou qui ne consentent pas à la divulgation de leur statut vaccinal à leur employeur de recourir à cette solution de rechange.

Plus de 200 demandeurs sont désignés dans la déclaration. Seuls 10 d’entre eux ont souscrit des affidavits à l’appui de la présente requête en injonction provisoire. Les demandeurs veulent faire suspendre l’application de la Politique sur la vaccination pour tous les membres de l’administration publique centrale en attendant l’issue de leur requête en injonction interlocutoire, laquelle devrait être instruite le lundi 22 novembre 2021.

L’injonction provisoire est une forme de réparation extraordinaire en equity. Le demandeur doit établir les trois éléments suivants : (i) il y a une question sérieuse à juger, (ii) le demandeur subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée, (iii) la prépondérance des inconvénients joue en faveur du demandeur (RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p 334). Le demandeur doit satisfaire à chacun des trois volets du critère.

Le critère pour établir l’existence d’une question sérieuse à trancher est généralement peu rigoureux. La question ne doit être ni frivole ni vexatoire. Cependant, lorsque le fait d’accorder la mesure provisoire a essentiellement pour effet d’accorder la mesure sollicitée dans l’instance sous-jacente, le critère est plus rigoureux. La Cour doit examiner de près le fond de la demande principale et conclure que le demandeur a fait valoir des « arguments assez solides » (Kellapatha c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 739 au para 13; voir aussi Spencer c Canada (Procureur général), 2021 CF 361 aux para 58-59).

  • La partie qui sollicite une injonction provisoire doit aussi établir l’urgence (Arysta Lifescience North America, LLC c Agracity Crop & Nutrition Ltd, 2019 CF 530 au para 17). En l’espèce, la plupart des demandeurs qui ont produit des affidavits admettent qu’ils connaissent l’existence de la Politique sur la vaccination depuis son entrée en vigueur le 6 octobre 2021. Ils ont néanmoins attendu jusqu’au 11 novembre 2021 pour intenter la présente action et demander une injonction provisoire. Je souscris à l’argument des défendeurs selon lequel le fait pour les demandeurs d’avoir tardé à saisir la Cour constitue un motif suffisant pour rejeter la demande de réparation en equityde nature discrétionnaire.

Par ailleurs, j’estime que les demandeurs n’ont pas démontré que la Cour avait compétence pour rendre une injonction provisoire contre les défendeurs. Les demandeurs cherchent à contester la Politique sur la vaccination au moyen d’une action et non d’un contrôle judiciaire. Certes, la Cour fédérale a compétence exclusive pour décerner une injonction ou rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral (Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985) c F-7, art 18(1)), mais cette réparation ne peut être obtenue que par présentation d’une demande de contrôle judiciaire (Loi sur les Cours fédérales, art 18(3)).

La définition d’un « office fédéral » figurant à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales est « très large » et elle « dépasse largement l’idée qu’on se fait généralement de ce concept » (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62 [TeleZone] aux para 3, 50). Il ne fait aucun doute que ce concept englobe le Conseil du Trésor du Canada.

Le plaideur qui souhaite contester la décision d’une entité fédérale n’a pas le loisir de choisir entre un contrôle judiciaire ou une action en dommages-intérêts. Il doit procéder par voie de contrôle judiciaire pour faire invalider la décision (Canada c Tremblay, 2004 CAF 172 au para 18). La Cour d’appel fédérale (motifs du juge Stratas) a donné les explications qui suivent dans l’arrêt Brake c Canada (Procureur général), 2019 CAF 274 [Brake] aux paragraphes 26 et 27 :

Dans le cas des Cours fédérales, l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales et la jurisprudence qui porte sur cette disposition établissent les distinctions sur les plans du fond et des réparations :

• On ne peut obtenir de dommages-intérêts à l’issue du contrôle judiciaire d’une décision administrative. Les réparations dans ce cas se limitent aux réparations de droit administratif prévues au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, comme l’injonction, le bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto et le jugement déclaratoire. Voir, par exemple, les arrêts Al-Mhamad c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45; Bouchard c. Canada (Ministre de la défense nationale), 1998 CanLII 8626, conf. par 1999 CanLII 9105 (C.A.F.).

• Les réparations de droit administratif comme le certiorari et le mandamus ne sont accordées qu’à l’issue du contrôle judiciaire : Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 18(3).

• Si aucune réparation de droit administratif n’est demandée, il est possible de solliciter, par voie d’action, des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par une décision administrative. Dans de telles circonstances, il n’est pas toujours nécessaire de présenter une demande de contrôle judiciaire distincte. Voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585.

À la Cour fédérale, comme devant la plupart, voire la totalité, des autres tribunaux au Canada, pour solliciter à la fois une réparation de droit administratif et des dommages-intérêts, il faut intenter deux instances distinctes : une demande de contrôle judiciaire introduite par voie d’avis de demande et une action en dommages-intérêts introduite par voie de déclaration.

Le risque de gaspillage des ressources judiciaires et de résultats contradictoires est réel, mais les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, permettent d’en tenir compte dans une certaine mesure. Par exemple, l’article 105 permet d’instruire plusieurs instances comme s’il s’agissait d’une seule sur le plan de la procédure (Brake, aux para 28-29).

Lorsqu’un demandeur veut faire annuler la décision d’un décideur fédéral, il doit procéder par voie de contrôle judiciaire (Brake au para 26; TeleZone au para 19). Ce n’est que lorsque le demandeur décide de ne pas contester la décision et qu’il cherche plutôt à se faire indemniser de la perte qu’il dit avoir subie que l’étape supplémentaire qui consiste à présenter une demande de contrôle judiciaire ne doit pas lui être imposée. Toutefois, en l’espèce, il est manifeste que les demandeurs ne sollicitent pas uniquement des dommages-intérêts, mais aussi l’annulation de la Politique sur la vaccination pour l’ensemble de l’administration publique centrale.

Le fait pour les demandeurs d’être des employés de l’administration publique centrale pose un autre problème de compétence. Les défendeurs font valoir que les demandes relatives à la Politique sur la vaccination sont irrecevables en raison de l’article 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 [LRTSPF]. La LRTSPF établit un régime exclusif et exhaustif pour régler les différends liés à l’emploi. Selon l’article 236, la procédure de règlement des griefs est le seul moyen de trancher les demandes pouvant faire l’objet d’un grief. Les tribunaux ont reconnu que cette disposition constitue une [traduction] « exclusion explicite » de leur compétence (Bron v Canada (Attorney General), 2010 ONCA 71 [Bron] au para 4).

Le terme « fonctionnaire » s’entend généralement d’une personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion des employés à titre occasionnel et des étudiants. Le droit de déposer un grief est [traduction] « très large », et [traduction] « [l]a plupart des conflits de travail peuvent faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208 de la LRTSFP » (Bron, aux para 14-15).

Les défendeurs contestent également les arguments des demandeurs quant à la violation de leurs droits garantis par la Charte, la probabilité qu’ils subissent un préjudice irréparable si l’injonction provisoire n’est pas accordée et la prépondérance des inconvénients (ils s’appuient sur les décisions rendues récemment par le juge Nicholas McHaffie de la Cour fédérale dans l’affaire Lavergne-Poitras c Canada (Procureur général), 2021 CF 1232, et le juge Michel Yergeau de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Lachance et autres c Québec (Procureur général), 15 novembre 2021, no de dossier de la Cour : 500-17-118565-210). Compte tenu de mes conclusions à l’égard du dépôt tardif de la demande d’injonction provisoire des demandeurs et de l’absence de compétence de la Cour pour instruire la présente requête, je laisse aux parties le soin de débattre de ces questions plus en détail au cours de l’audition de la requête en injonction interlocutoire le lundi 22 novembre 2021.

Si les demandeurs souhaitent saisir la Cour de leur démarche visant à faire invalider la Politique sur la vaccination, ils peuvent produire et signifier la demande de contrôle judiciaire requise cette semaine. Les défendeurs conservent toutefois le droit de demander le rejet de la demande au motif qu’elle a été présentée tardivement, qu’elle ne relève pas de la compétence de la Cour ou pour tout autre motif.

Les défendeurs ne sollicitent pas les dépens afférents à la présente requête.

LA COUR ORDONNE que la requête en injonction provisoire des demandeurs est rejetée, sans dépens.

En blanc

« Simon Fothergill »

En blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois

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