Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211116


Dossier : IMM-3796-20

Référence : 2021 CF 1241

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

NENE AISSATA KAMANO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] annulant, en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR], la décision ayant accueilli sa demande d’asile.

[2] La demanderesse allègue être une citoyenne de la République de Guinée [Guinée]. Le 4 août 2011, elle dépose une demande d’asile depuis le Canada, dans laquelle elle affirme être victime de violence sexuelle et familiale, en plus de craindre d’être soumise à un mariage forcé, tel que décrété par son oncle paternel. Dans sa demande d’asile, elle se présente sous le nom de Nene Aissata Kamano, une citoyenne de Guinée née en 1992 dans une ville nommée. Elle soumet en preuve un passeport délivré le 17 juin 2011 sous le même nom. Elle déclare n’avoir jamais fait de demande de visa de résident temporaire [VRT] pour venir au Canada. Elle affirme également avoir quitté la Guinée le 3 août 2011. En novembre 2011, sa demande est accueillie sans la tenue d’une audience dans le cadre du processus accéléré des demandes d’asile alors en vigueur.

[3] En 2014, une enquête de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’Agence] révèle qu’une demande de VRT a été reçue à l’ambassade canadienne à Dakar, au Sénégal, en mars 2011. La demande est au nom d’Aissatou Barry, citoyenne guinéenne née en 1981 dans la même ville que celle de la demanderesse. La demande a été approuvée le 4 avril 2011 et était accompagnée d’un passeport guinéen délivré le 14 mars 2011 au même nom. Une vérification dans le système intégré d’exécution des douanes démontre que le 8 mai 2011, une personne est entrée au Canada avec le passeport et le VRT délivrés au nom d’Aissatou Barry.

[4] Dans le cadre de cette enquête, un analyste senior de l’Agence [l’Analyste] effectue une comparaison faciale entre, d’une part, trois (3) photos différentes de la demanderesse provenant de son dossier d’immigration, et d’autre part, la photo annexée au formulaire de demande de VRT au nom d’Aissatou Barry. L’Analyste conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse et Aissatou Barry sont la même personne.

[5] En novembre 2015, le défendeur dépose une demande d’annulation du statut de réfugié de la demanderesse en vertu de l’article 109 de la LIPR. Le défendeur allègue notamment que la demanderesse est entrée au Canada le 8 mai 2011 sous l’identité d’Aissatou Barry. Elle n’était donc pas présente en Guinée au moment des évènements qu’elle allègue avoir vécus entre mai et août 2011. Le défendeur soutient que la demanderesse a fait des présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent portant sur sa demande d’asile et sur son identité.

[6] En 2016, la demanderesse se voit octroyer le statut de résidente permanente par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC]. L’agent responsable d’examiner la demande se déclare satisfait des réponses fournies par la demanderesse sur son identité.

[7] Le 20 juillet 2020, la SPR fait droit à la demande du défendeur et annule la décision initiale d’accueillir la demande d’asile de la demanderesse. S’appuyant sur le test énoncé dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181 aux paragraphes 7 et 8, la SPR conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse et Aissatou Barry ne sont qu’une seule personne. Elle estime que la demanderesse est arrivée au Canada le 8 mai 2011 à l’aide d’un passeport et d’un VRT sous le nom d’Aissatou Barry. La SPR ajoute que la demanderesse a fait des présentations erronées dans sa demande d’asile en déclarant n’avoir jamais demandé de visa pour le Canada, n’avoir jamais utilisé d’identité autre que celle de Nene Aissata Kamano et avoir quitté la Guinée pour le Canada le 3 août 2011 avec un passeport français. La SPR estime que ces présentations erronées visent des faits très pertinents à la demande d’asile puisque la demanderesse était au Canada lorsque les incidents sur lesquels repose sa demande d’asile auraient eu lieu. La décision de la SPR aurait probablement été différente si elle avait su à ce moment que la demanderesse avait obtenu un VRT en avril 2011 sous une autre identité et qu’elle avait quitté la Guinée pour le Canada en mai plutôt qu’en août 2011. La SPR conclut que les présentations erronées de la demanderesse ont eu une incidence directe sur le résultat de sa demande d’asile. De plus, elle conclut qu’il ne reste pas suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux dans la décision initiale, permettant de justifier l’octroi de la demande d’asile.

[8] La demanderesse reproche notamment à la SPR : (1) son interprétation du rapport de comparaison faciale préparé par l’Analyste; (2) son évaluation à l’œil nu des photos de passeport; (3) son évaluation de la preuve soumise pour appuyer sa présence en Guinée entre les mois de mai et août 2011; (4) son traitement des autres preuves pouvant justifier la demande d’asile, malgré les fausses présentations; et (5) sa conclusion qu’elle n’est pas liée par la décision conférant à la demanderesse sa résidence permanente en 2016.

II. Analyse

[9] Il est bien établi que les décisions de la SPR portant sur une demande d’annulation en vertu de l’article 109 de la LIPR sont soumises à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]; Otabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 830 aux para 17-19; Bafakih c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 689 aux para 19-23; Abdulrahim c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 463 aux para 11-12).

[10] La même norme est applicable lorsqu’il faut déterminer si les critères de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont satisfaits (Mangat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1299; Dhaliwal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 157 au para 22 [Dhaliwal]).

[11] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83). Elle doit se demander si la décision possède les « caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). De plus, il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100).

A. Rapport de comparaison faciale

[12] La SPR n’a pas mal interprété le rapport de comparaison faciale lorsqu’elle mentionne que l’Analyste a conclu qu’il y a « une forte probabilité » que les deux (2) personnes soient la même. Pour conclure ainsi, la SPR s’est appuyée sur un extrait du rapport dans lequel l’Analyste indique qu’il découle de ses observations que la probabilité que la demanderesse et Aissatou Barry ne soient pas la même personne « est très faible, pour ne pas dire presque nulle ».

[13] La demanderesse soutient que les conclusions du rapport sont incohérentes. Elle fait valoir que l’Analyste reconnait d’une part la faible résolution de la photo accompagnant la demande de VRT, mais conclut, d’autre part, qu’il s’agit « probablement » de la même personne.

[14] La Cour ne voit pas d’incohérence lorsque le rapport est interprété de manière globale et contextuelle. L’Analyste reconnait effectivement la mauvaise résolution de la photo. Cependant, il affirme avoir identifié au moins sept (7) caractéristiques générales qui s’apparentent entre la photo d’Aissatou Barry et celles de la demanderesse. De plus, aucun élément significatif de dissemblance n’a été constaté.

[15] La demanderesse reproche aussi à la SPR de lui avoir imposé un fardeau de preuve plus élevé que celui du défendeur lorsqu’elle estime que la demanderesse n’a pas présenté de preuve crédible permettant de surmonter la haute valeur probante du rapport.

[16] La Cour estime à nouveau que les propos de la SPR doivent être lus dans leur contexte. Dans ses motifs, la SPR indique qu’elle accorde une forte valeur probante à l’analyse de comparaison faciale, qui a été effectuée de façon détaillée et rigoureuse par un spécialiste n’ayant aucun intérêt dans l’issue de la demande d’asile ou de la demande d’annulation. Après avoir examiné attentivement le contenu du rapport et les images de comparaison qui s’y trouvent, la SPR est d’avis que les conclusions sont justifiées et raisonnables. C’est précisément dans ce contexte que la SPR mentionne que, bien que la demanderesse conteste les conclusions du rapport, elle n’a présenté aucune preuve crédible qui permettrait de les remettre en question. La Cour n’y voit pas l’imposition d’un fardeau de preuve excessif. Il aurait été loisible à la demanderesse de produire des éléments de preuve qui auraient pu remettre en question la fiabilité du rapport de l’Analyste. En l’absence d’une telle preuve, la SPR pouvait raisonnablement accorder une haute valeur probante au rapport. D’ailleurs, la Cour note que la demanderesse a indiqué, lors de son témoignage, n’avoir aucun commentaire à faire sur l’évaluation de l’Analyste.

[17] Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec les conclusions de l’Analyste et le poids que la SPR accorde au rapport, il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser à nouveau la preuve pour en arriver à une conclusion différente (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 64).

B. Photos de passeport

[18] La Cour juge également mal fondé l’argument de la demanderesse qu’il était déraisonnable pour la SPR de tirer une conclusion de ressemblance sur la base d’une analyse faite à l’œil nu. Après avoir examiné la photo sur la page biographique du passeport d’Aissatou Barry, la SPR constate qu’elle est très semblable, presque identique, à la photo dans le passeport de la demanderesse, délivré deux (2) mois plus tard. La SPR juge que les similitudes sont frappantes, même à l’œil nu. Elle pouvait raisonnablement se baser sur ses propres observations des photos, qui appuyaient l’analyse de comparaison faciale, pour conclure qu’Aissatou Barry et la demanderesse étaient la même personne, d’autant plus que leur taille et leur ville de naissance étaient les mêmes.

C. Présence en Guinée entre mai et août 2011

[19] La demanderesse reproche également à la SPR son évaluation de certains éléments de preuve démontrant sa présence en Guinée entre mai et août 2011. La demanderesse soutient que les contradictions et incohérences soulevées par la SPR ne sont pas raisonnables.

[20] La Cour n’est pas du même avis.

[21] La première contradiction identifiée par la SPR concerne le passeport délivré au nom de la demanderesse en juin 2011. Elle note que la demanderesse a indiqué à deux (2) reprises, lors de son témoignage, qu’elle avait fait les démarches pour obtenir le passeport à la mi-juin 2011 à la demande du passeur, qui lui avait indiqué qu’elle en aurait besoin pour sa demande d’asile. La SPR constate ensuite que la demanderesse a également témoigné qu’au moment de demander son passeport, elle n’avait pas déjà été en contact avec le passeur. Invitée à clarifier, la demanderesse a alors précisé que c’est sa tante qui l’avait demandé. Rejetant les explications de la demanderesse, la SPR souligne que son formulaire de demande d’asile indique que sa tante avait débuté les démarches pour l’aider à quitter le pays seulement après que son oncle ait annoncé son intention de la marier à son fils le 2 juillet 2011. Puisque le passeport de la demanderesse a été délivré en juin 2011, la SPR pouvait raisonnablement y voir une contradiction dans les déclarations de la demanderesse.

[22] La deuxième incohérence soulevée par la SPR se rapporte au carnet de vaccination de la demanderesse. Contrairement à ce que cette dernière fait valoir, la SPR ne se fonde pas uniquement sur l’écart d’une journée entre son témoignage et le carnet de vaccination pour conclure à l’absence de force probante de ce document. Au contraire, la SPR reconnait explicitement qu’elle doit éviter d’analyser la preuve de façon microscopique et accorder une importance excessive aux dates. Toutefois, elle juge farfelue la justification fournie par la demanderesse, à l’effet que son carnet de vaccination aurait été antidaté, pour expliquer les incohérences dans son témoignage, dans son formulaire de demande d’asile et dans son carnet de vaccination. La SPR pouvait raisonnablement conclure que l’explication de la demanderesse minait davantage sa crédibilité.

[23] Le troisième élément de preuve sur lequel s’est penchée la SPR est la lettre de l’avocat, qui confirme que la demanderesse et sa tante l’ont consulté en juillet 2011. La SPR pouvait raisonnablement y accorder aucune valeur probante en raison des autres problèmes de crédibilité de la demanderesse (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 271 au para 22; Alizadehvakili c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 165 au para 34). La Cour constate d’ailleurs que la lettre a été rédigée plus d’an après la rencontre alléguée et ne précise pas la date de celle-ci.

[24] Après révision de la preuve, la Cour n’est pas convaincue non plus que la SPR a omis de considérer la lettre du psychologue et le certificat de visite médicale du Centre de santé dans son analyse du paragraphe 109(1) de la LIPR. Contrairement à ce que prétend la demanderesse, ces éléments de preuve n’établissent pas qu’elle était en Guinée entre mai et août 2011.

D. Paragraphe 109(2) de la LIPR

[25] Selon le paragraphe 109(2) de la LIPR, la SPR peut rejeter une demande d’annulation si elle est d’avis qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile. La demanderesse fait valoir que dans son évaluation du risque futur de persécution, la SPR aurait dû tenir compte du fait qu’elle a été victime de mutilation génitale féminine. Elle se réfère à de la jurisprudence américaine pour soutenir l’argument que l’obligation de retourner dans le pays où une telle pratique est tolérée, après en avoir été elle-même victime, constitue en soi une forme de persécution continue et permanente.

[26] La Cour ne peut retenir cet argument puisqu’il ne s’agit pas de l’état du droit actuel au Canada. Dans Sow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1313 [Sow], cette Cour a jugé que même si cela pouvait effectivement équivaloir à de la persécution dans le passé, le fait d’avoir subi une mutilation génitale féminine n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer les risques futurs (Sow au para 53). La demanderesse n’a soumis aucune jurisprudence canadienne à l’appui de son argument. En l’espèce, la SPR pouvait raisonnablement conclure qu’il était insuffisant pour la demanderesse de se fonder sur la mutilation génitale féminine subie antérieurement pour établir un risque prospectif de persécution.

E. Préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[27] Enfin, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en refusant d’appliquer le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, un volet du principe de l’autorité de la chose jugée. Elle allègue que la question de son identité était devant l’agent lors de l’étude de sa demande de résidence permanente et que ce dernier s’est déclaré satisfait de ses explications. Elle prétend que la SPR était donc liée par cette décision.

[28] La Cour n’est pas du même avis.

[29] Après avoir écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la SPR, la Cour note que la demanderesse n’a pas directement soulevé l’application de ce principe. L’avocat de la demanderesse a plutôt plaidé que l’agent avait accordé la demande de résidence permanente malgré qu’il ait été au courant des préoccupations soulevées dans la demande d’annulation.

[30] Or, il est reconnu que la Cour ne devrait pas se pencher sur une question soulevée pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire lorsque cette question aurait pu être examinée devant le tribunal administratif. Ceci est particulièrement vrai lorsque la question est liée au domaine d’expertise du tribunal administratif. En plus de pouvoir porter préjudice à la partie adverse, le fait de soulever une question pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire peut priver la Cour du dossier de preuve nécessaire pour trancher la question ainsi que de l’éclairage du tribunal (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61 aux para 22-26).

[31] Puisque les parties n’ont pas eu l’occasion de répondre à la préoccupation de la Cour sur l’application de cette règle en l’espèce, elle entend se prononcer sur l’argument de la demanderesse.

[32] Le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a pour objet d’empêcher une partie déboutée de saisir les tribunaux d’une question déjà plaidée sans succès devant un autre tribunal. Les trois (3) conditions d’application sont les suivantes : (1) la même question a été décidée; (2) la décision déjà rendue est définitive; et (3) les parties sont les mêmes (Angle c Ministre du Revenu National, [1975] 2 RCS 248 à la p 254; Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 au para 25; Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52 au para 27).

[33] La Cour reconnait d’emblée que les deux (2) décisions mettent en cause les mêmes parties (Dhaliwal aux para 48-49). Elle estime toutefois que la première condition n’est pas satisfaite.

[34] Comme l’a souligné la SPR dans ses motifs, la demanderesse a témoigné sur son rendez-vous pour recevoir la confirmation de résidence permanente en 2016. Lors de ce rendez-vous, l’agent lui a présenté la copie du passeport sous l’identité d’Aissatou Barry, lui a parlé de la demande d’annulation et lui a posé plusieurs questions quant à son identité. La demanderesse a expliqué à l’agent qu’elle n’était pas la personne apparaissant dans le passeport et la demande de VRT d’Aissatou Barry. L’entrevue a duré entre 30 et 40 minutes. À la demande de l’agent, la demanderesse a soumis des documents additionnels. Lors d’un deuxième rendez-vous, l’agent lui a remis la confirmation de résidence permanente.

[35] La question d’identité est en effet commune à la demande de résidence permanente et à la demande d’annulation. Toutefois, l’agent n’avait pas à se prononcer sur la question de savoir si la demanderesse avait fait des fausses présentations dans le cadre de sa demande d’asile. Il devait seulement établir si la demanderesse était bel et bien la personne qui présentait la demande de résidence permanente.

[36] La SPR avait un rôle différent. Elle devait plutôt déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, la décision ayant accueilli la demande d’asile résultait, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent. En plus d’établir si Aissatou Barry et la demanderesse étaient la même personne, elle devait également confirmer si la demanderesse était entrée au Canada le 8 mai 2011 et, le cas échéant, quel était l’effet de cette conclusion sur le résultat de la demande d’asile. S’appuyant sur l’ensemble de la preuve au dossier, la SPR a conclu que la demanderesse était entrée au Canada le 8 mai 2011 et qu’elle n’était pas en Guinée lors des incidents sur lesquels était basée sa demande d’asile. De plus, la SPR a estimé que ces présentations erronées ont eu une incidence directe sur le résultat de la demande d’asile. Il ne restait pas non plus suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la demande initiale, pour justifier l’asile. La Cour ne peut donc conclure que les deux (2) décisions portaient sur la même question ni que la décision de l’agent pouvait lier la SPR dans l’exercice de sa compétence en vertu de l’article 109 de la LIPR.

[37] Par ailleurs, il convient de souligner que le défendeur a introduit devant cette Cour deux (2) documents dans le but de démontrer que la décision de l’agent ne constituait pas une décision finale. La demanderesse ne s’est pas opposée à l’admissibilité de cette preuve, malgré le principe général interdisant à cette Cour d’admettre, sauf exception, de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20). Puisque l’application du principe de la préclusion n’a pas été directement soulevée devant la SPR, la Cour juge qu’elle peut ainsi tenir compte de ces éléments de preuve dans sa décision.

[38] Le premier document est un extrait du site web d’IRCC, qui contient des politiques, des procédures et des instructions destinées au personnel du ministère. Il est indiqué qu’une décision d’annulation peut être rendue après l’octroi de la résidence permanente et qu’il « n’existe aucune exigence de suspendre ou de retarder le traitement d’une [demande de résidence permanente] simplement, car l’annulation est étudiée ou instituée ».

[39] Le deuxième document regroupe les notes de l’agent. Ces notes permettent de constater que l’agent a considéré la politique mentionnée ci-haut dans l’analyse du dossier et dans sa prise de décision. L’agent indique explicitement dans sa conclusion que la politique du ministère prévoit qu’il n’y a aucune exigence de suspendre ou de retarder la demande de résidence permanente au motif qu’une demande d’annulation est envisagée ou en traitement.

[40] Cette preuve établit que la décision de l’agent n’était pas une décision définitive. La deuxième condition du principe de la préclusion n’est donc pas satisfaite.

[41] Dans les circonstances, il est manifeste que l’octroi de la résidence permanente n’avait pas pour effet de lier la SPR sur la détermination de l’annulation du statut de réfugié de la demanderesse.

[42] Par ailleurs, la Cour estime que la SPR aurait probablement refusé d’appliquer le principe de la préclusion si la question avait été abordée devant elle. La SPR aurait exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte de ce principe en raison des nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas devant l’agent. En effet, aucune preuve au dossier n’établit que l’agent avait accès au rapport de comparaison faciale au moment de l’octroi de la résidence permanente.

[43] Pour conclure, il convient de rappeler qu’un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). La Cour estime que, lorsque les motifs de la SPR sont interprétés de manière globale et contextuelle, ils possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov aux para 97, 99). La Cour ne voit donc aucune raison d’intervenir en l’espèce.

[44] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3796-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3796-20

INTITULÉ :

NENE AISSATA KAMANO c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OCTOBRE 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 16 NOVEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Pia Zambelli

Pour LA DEMANDERESSE

Suzanne Trudel

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Pia Zambelli

Montréal (Québec)

Pour LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.