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Date : 20060125

Dossier : IMM-352-05

Référence : 2006 CF 70

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

WEI LI ZHOU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Le demandeur est un citoyen chinois qui fonde sa demande d'asile sur une crainte alléguée de persécution du fait de sa religion.

[2]         Selon son formulaire sur les renseignements personnels (FRP), le demandeur, alors qu'il résidait en République populaire de Chine (RPC), est devenu un chrétien pratiquant en juin 2002. En juillet 2002, il a commencé à fréquenter une maison qui servait d'église clandestine ou illégale. Pendant qu'il assistait à une célébration le 9 février 2003, le demandeur et d'autres membres qui fréquentaient cette église ont appris que des agents du bureau de la sécurité publique (BSP) s'approchaient et ils se sont tous enfuis des lieux. Le demandeur s'est sauvé et il est passé dans la clandestinité. Trois membres qui fréquentaient l'église ont été arrêtés et des agents du BSP se sont rendus chez le demandeur et ont dit à ses parents qu'il était accusé d'avoir eu des activités religieuses illégales.

[3]         Le demandeur s'est par la suite enfui au Canada le 18 mars 2003 et il a demandé l'asile le 2 avril 2003.

[4]         Dans une décision datée du 7 décembre 2004, une formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. La Commission a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi, qu'il avait inventé son récit et son témoignage, et qu'il ne s'était jamais rendu dans une église en RPC. La Commission a tiré de nombreuses conclusions défavorables à l'endroit du demandeur, compte tenu de son témoignage lors de l'audience. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Les questions en litige

[5]         J'énonce de la façon suivante la seule question à trancher :

  1. La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une ou des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

L'analyse

[6]         Le demandeur a contesté les conclusions de fait tirées par la Commission. Il doit être fait preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de fait et ces conclusions font partie de l'expertise de la Commission. La Cour ne devrait par conséquent pas intervenir à moins que la décision de la Commission soit fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.); Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)). Cependant, bien que la Commission puisse tirer des conclusions quant à la vraisemblance en se fondant sur le bon sens et la raison, ces conclusions doivent être appuyées par la preuve dont la Commission dispose et les inférences doivent être tirées de façon raisonnable (Kpawirena-Biokeite c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 478, au paragraphe 43 (citant la décision Yada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 264 (1re inst.), aux paragraphes 24 et 25); Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1348 (1re inst.)). Lorsque la Commission tire des conclusions qui ne s'appuient pas sur le dossier, sa décision est manifestement déraisonnable et ne peut pas être fondée en droit.

[7]         Un examen du dossier effectué en tenant compte de ces principes directeurs m'amène à conclure que la décision ne peut pas être maintenue. Je ne suis pas convaincue, à l'égard de nombreuses conclusions importantes, que le dossier de preuve appuie les conclusions de la Commission. Mes préoccupations sont exposées ci-après.

  1. L'omission de faire le guet

[8]         Dans la décision, la Commission a déclaré ce qui suit :

Selon le demandeur d'asile, l'église interdite dont il était membre avait demandé à l'un des membres de la congrégation de faire le guet au cas où les autorités se présenteraient au lieu de culte. Le demandeur d'asile a déclaré qu'il n'a personnellement jamais fait le guet et a donné des raisons incohérentes pour expliquer ce fait. [...] Le témoignage du demandeur d'asile à ce sujet est non seulement incohérent et déconcertant, mais il ne répond pas non plus à la question de savoir pourquoi son tour n'est pas venu. Par ailleurs, le demandeur d'asile n'a pas dit qui faisait la lecture avant qu'il se joigne à la congrégation, en juillet 2002.

Le témoignage incohérent et déroutant du demandeur d'asile pousse le tribunal à conclure qu'il improvise et qu'il dissimule la vérité.

[9]         Après avoir lu les parties pertinentes de la transcription et la portion du FRP du demandeur se rapportant à son rôle au sein de cette petite église qu'il fréquentait, je ne suis pas convaincue que le dossier appuie les conclusions de la Commission. D'abord, dans son FRP, le demandeur a décrit son rôle au sein de l'église qu'il fréquentait comme celui d'un lecteur aux croyants lors des célébrations. Contrairement à ce que la Commission soutenait, il n' « improvisait » pas. En réponse aux questions à l'égard des raisons pour lesquelles il ne faisait pas le guet, il a expliqué qu'il faisait la lecture parce que les autres membres étaient illettrés; c'est la raison pour laquelle son tour de guet n'avait pas eu lieu. Il n'y a rien de confus ou d'incohérent à l'égard de ses réponses.

[10]       Je suis de plus préoccupée relativement au commentaire de la Commission selon lequel le demandeur n'a pas dit qui faisait la lecture à ce « groupe illettré » avant qu'il se joigne à ce groupe en juillet 2002. La transcription démontre que cette préoccupation n'a pas été exposée au demandeur. Sans donner au demandeur la possibilité de traiter de cette question, il n'était pas approprié pour la Commission, dans la présente affaire, de tirer une inférence défavorable sur ce fondement.

2.    Omission d'être retourné chez lui après la descente à l'église

[11]       Comme cela est mentionné précédemment, le demandeur a témoigné qu'il y avait eu une descente à l'église et qu'il s'était enfui chez son cousin où il s'était caché. Sur cette question, la Commission a déclaré ce qui suit :

Le tribunal se demande bien, alors, pourquoi le demandeur d'asile s'est caché si personne ne l'avait vu. Le demandeur d'asile a déclaré qu'il craignait que le BSP se mette à sa recherche et qu'il vienne chez lui. Invité à expliquer pourquoi le BSP aurait fait pareille chose, le demandeur d'asile a déclaré qu'il pensait, puisqu'ils savaient où se trouvait l'église, que les membres du BSP détenaient peut-être d'autres renseignements. Le comportement du demandeur d'asile en salle d'audience pousse le tribunal à conclure qu'il improvisait encore une fois. Par ailleurs, il n'est pas plausible qu'une personne, en proie à la peur, s'enfuie et s'arrête à penser que, comme les membres du BSP connaissaient le lieu de culte, ils savaient peut-être qu'elle y était et voudront peut-être l'arrêter. Il semble raisonnable, vu les circonstances, que cette personne se rende le plus vite possible chez elle puisque le BSP ne l'a pas repérée.

[12]       Premièrement, l'inférence tirée par la Commission n'est pas compatible avec le bon sens et la raison. La conclusion de la Commission était fondée sur une pure conjecture. Il ne s'agit pas d'une question de savoir si le demandeur a eu le temps d'élaborer un plan compliqué; plutôt, la Commission a omis d'examiner la question de savoir si l'action elle-même était irrationnelle. L'explication du demandeur était logique et bien compatible avec une compréhension sensée de la sorte de crainte ou de panique qu'aurait probablement eue une personne dans sa situation. Ayant peur du BSP, le demandeur craignait de se rendre chez lui, et il n'y a rien d'irrationnel dans ses actions. Malgré cela, la Commission a conclu que l'explication du demandeur était invraisemblable, mais elle n'a fourni aucun fondement rationnel à l'égard de cette conclusion. Ainsi, il était manifestement déraisonnable pour la Commission de tirer de ce témoignage une inférence défavorable à l'égard de la crédibilité.

[13]       De plus, la Commission n'a pas expliqué pourquoi le comportement du demandeur l'a amenée à conclure qu'il « improvisait encore une fois » . Qui avait-il dans le comportement pouvant créer cette impression? Je ne sais pas.

[14]       Comme les motifs de la Commission le reflètent, la conclusion particulière à cet égard semble être très essentielle dans la décision de la Commission. Immédiatement après avoir cité le passage mentionné, la Commission a déclaré ce qui suit :

Le tribunal ne croit pas que le demandeur d'asile se soit trouvé dans le lieu où le BSP a fait une descente le 9 février 2003 et il conclut, selon la prépondérance des probabilités, que ces faits sont une fabulation destinée à étayer la demande d'asile.

[15]       Autrement dit, en se fondant sur l'inférence déficiente, la Commission a rejeté le récit entier de la descente à l'église. Compte tenu de l'importance de la conclusion de la Commission sur ce point, toute erreur à cet égard est importante.

3.    Comment le cousin savait-il que des agents du BSP s'étaient rendus chez le demandeur?

[16]       Le demandeur a en outre témoigné que des agents du BSP s'étaient rendus chez ses parents parce qu'ils étaient à sa recherche; c'est son cousin qui lui avait communiqué ce renseignement. Lorsque la Commission lui a demandé comment son cousin était au courant de ce fait, le demandeur a d'abord répondu qu'il ne le savait pas. Lorsque la Commission a insisté un peu plus pour qu'il fournisse une explication, le demandeur a émis l'hypothèse qu'il se pouvait que son cousin se soit rendu chez les voisins de ses parents pour s'informer à cet égard. Lorsque la Commission a demandé pourquoi le cousin se serait rendu chez un voisin et non chez les parents du demandeur, le demandeur a répondu que son cousin avait eu peur et qu'il ne voulait pas risquer d'être arrêté.

[17]       La Commission a conclu que cette explication était problématique, déclarant qu'il n'était pas logique qu'on arrête le cousin du demandeur parce qu'il avait visité des membres de sa famille, et en outre que si le cousin du demandeur avait peur d'être arrêté parce que le BSP soupçonnait déjà qu'il aidait le demandeur, alors le BSP aurait pu se rendre directement chez le cousin du demandeur et l'arrêté. La Commission a conclu à une « absence totale de crédibilité » quant à cette explication et a semblé en tirer une importante inférence défavorable à l'égard de la crédibilité.

[18]       Je suis d'avis que la preuve n'appuie pas cette conclusion tirée par la Commission. Un examen de la transcription démontre que le demandeur ne faisait que des hypothèses quant à la façon selon laquelle le cousin avait pu avoir ce renseignement. Le demandeur a clairement déclaré, plus d'une fois dans son témoignage, qu'il faisait des suppositions quant à cette question. Il a déclaré simplement qu'il ne savait pas comment son cousin avait eu ce renseignement. Par conséquent, il n'était pas approprié pour la Commission de tirer du témoignage une inférence défavorable à l'égard de la crédibilité alors que le demandeur n'avançait pas une explication comme s'il s'agissait d'un récit de véritables événements.

4. La fréquentation de l'église au Canada

[19]       Dans sa décision, la Commission a déclaré que le 20 avril était la date à laquelle le demandeur, selon son témoignage, avait commencé à fréquenter l'église au Canada. Le témoignage aurait contredit une lettre déclarant que le demandeur s'était rendu pour la première fois à l'église en mars. Le rejet de la Commission du témoignage sur la question était particulièrement ferme. Une fois de plus, sans explication de ce que cela signifiait, la Commission a déclaré que « [l]e comportement du demandeur d'asile [...] l'a trahi encore une fois [...] » . La Commission a conclu que « [d]e toute évidence, le demandeur d'asile ment, et le tribunal rejette les explications insolites qu'il a fournies » . De plus, la Commission a conclu que « si vraiment il est allé à cette église pour la première fois le dimanche de Pâques 2003, il semble très peu probable qu'il ait été baptisé à sa première visite » . Une dernière mention de la fréquentation de l'église par le demandeur est faite par la suite dans la portion de la décision dans laquelle la Commission déclare que « [s]elon ses propres dires, le demandeur d'asile est allé à cette église pour la première fois à Pâques 2003, soit le 20 avril » .

[20]       La principale faille de cette portion de la décision est que la Commission se fonde erronément sur le témoignage selon lequel le 20 avril était la première fois que le demandeur se rendait à l'église qu'il fréquentait au Canada. La transcription ne corrobore pas ce fait. L'échange entre l'agent d'audience et le demandeur montre une mention du 20 avril comme la date de la première ou de la deuxième fois qu'il se rendait à l'église. Il n'y a rien au dossier qui démontre que le 20 avril était la première fois. De plus, la Commission n'avait aucun fondement probatoire pour conclure qu'il était improbable que le demandeur ait pu être baptisé la première fois qu'il s'est rendu à l'église. À mon avis, en l'absence de preuve décrivant les pratiques à l'église fréquentée par le demandeur, la conclusion de la Commission est de nature arbitraire et hypothétique.

Conclusion

[21]       En résumé, la décision comporte de nombreuses erreurs importantes qui m'amènent à conclure qu'elle ne devrait pas être maintenue. La demande sera accueillie.

[22]       Aucune des parties n'a proposé une question aux fins de la certification.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est accueillie.

  1. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

  1. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-352-05

INTITULÉ :                                        Wei Li Zhou

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 25 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

Carla Sturdy

POUR LE DEMANDEUR

Vanita Goela

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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