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Date : 20211110


Dossier : IMM-1164-21

Référence : 2021 CF 1219

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2021

En présence de monsieur le Juge en chef

ENTRE :

RAJWINDER KAUR

PRITPAL SINGH ET

HARMEET KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’ IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demandeurs sont des citoyens de l’Inde. Ils ont demandé l’asile au pays au motif que la demanderesse principale, Rajwinder Kaur, a été victime de persécution et de violence sexuelle dans l’État du Pendjab. Elle a subi de la violence pendant plusieurs mois de la part d’un homme appelé Satpal Singh, un supérieur du bureau d’éducation de district qui visitait régulièrement l’école où elle enseignait et insistait pour qu’elle reste après ses heures de travail.

[2] Rajwinder Kaur et son mari, le demandeur Pritpal Singh, affirment également craindre les policiers au Pendjab, qui les ont menacés lorsqu’ils ont subséquemment dénoncé les violences sexuelles.

[3] La troisième demanderesse, Harmeet Kaur, est leur fille.

[4] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils disposent d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Mumbai. Les demandeurs ont également été déboutés en appel par la Section d’appel des réfugiés [la SAR].

[5] Les demandeurs ont formulé deux observations principales devant la SAR. Premièrement, ils ont affirmé que la SPR a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale en ne leur fournissant pas l’enregistrement audio complet de l’audience. Deuxièmement, ils ont soutenu que la SPR a conclu à tort qu’ils disposent d’une PRI à Mumbai.

[6] Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, les demandeurs allèguent que la SAR a commis une erreur en rejetant leurs observations. Je ne suis pas de cet avis. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II. Questions en litige

[7] La demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle conclu à tort qu’il n’y a pas eu violation du droit à l’équité procédurale des demandeurs?

  2. La SAR a‑t‑elle conclu à tort que les demandeurs disposent d’une PRI à Mumbai?

III. Première question - La SAR a‑t‑elle conclu à tort qu’il n’y a pas eu violation du droit à l’équité procédurale des demandeurs?

[8] La Cour suprême du Canada a fait observer que « les questions de procédure […] doivent être examinées par un tribunal judiciaire selon la norme de la décision correcte » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43. Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a affirmé que, dans ce contexte, le tribunal judiciaire qui applique la norme de la décision correcte « doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances »: Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54.

[9] Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu violation de leur droit à l’équité procédurale devant la SPR, car l’enregistreur audio était défectueux pendant une partie de leur audience. Ils affirment que, par conséquent, le commissaire de la SPR a dû se fier à sa mémoire lorsqu’il a rédigé sa décision, qu’il a signé plus d’un mois après la tenue de l’audience. Ils soutiennent que, en conséquence, il se pourrait que la SPR et la SAR aient toutes deux fait abstraction de parties importantes de leur témoignage.

[10] Je ne suis pas de cet avis. Comme le reconnaissent les demandeurs, « [u]ne allégation selon laquelle le caractère incomplet du compte rendu de la procédure faisant l’objet du contrôle enfreint les règles de justice naturelle ne sera accueillie que si le dossier dont dispose la cour de révision est insuffisant pour lui permettre de statuer correctement sur un éventuel motif de contrôle » : Patel c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 804 au para 34 [Patel]. Autrement dit :

L’existence d’une lacune dans le dossier n’équivaut pas en soi à un manquement à l’équité procédurale. La question est de savoir si la capacité du demandeur de contester les conclusions du décideur a été compromise (Agbon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 356, au paragraphe 3)

Forde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 80 au para 20. Voir également Huszar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 284 aux para 17‑22.

[11] À mon sens, la SAR a conclu à bon droit que la défectuosité de l’enregistreur audio lors de l’audience devant la SPR n’a pas eu pour effet de porter atteinte au droit à l’équité procédurale des demandeurs ni de compromettre leur capacité à contester les conclusions de la SPR en appel.

[12] En parvenant à ces conclusions, la SAR a fait observer que l’enregistreur n’était pas fonctionnel seulement durant les deux premières heures et 13 minutes de l’audience de la SPR. À ce moment‑là, la SPR a avisé les parties que l’enregistreur avait été réparé et que les faits que les demandeurs venaient tout juste de présenter dans leur témoignage oral et leurs formulaires de Fondement de la demande d’asile seraient acceptés comme véridiques. Une fois que la SPR a confirmé qu’elle considérerait le témoignage des demandeurs comme crédible, leur avocat a accepté qu’ils présentent leurs observations orales, y compris sur la question de la PRI. C’est ce qui ressort clairement des deux premières pages de la transcription de l’audience devant la SPR, où l’avocat a confirmé qu’il était prêt à [traduction] « procéder et présenter les observations » et « à donner [ses] observations sur la question de la PRI ».

[13] Bref, en préparant leurs motifs sur la question déterminante de l’existence d’une PRI à Mumbai, tant la SPR que la SAR ont pu bénéficier d’une transcription qui reflétait l’entièreté des observations des demandeurs sur cette question. Par conséquent, la SAR n’a pas conclu à tort qu’il n’y avait pas eu violation du droit à l’équité procédurale des demandeurs devant la SPR et que le dossier était suffisant aux fins de leur appel. Hormis la question de l’équité procédurale, cet appel portait entièrement sur les lacunes dans l’appréciation de la question de la PRI par la SPR.

[14] J’ajouterai simplement au passage que non seulement les demandeurs n’ont pas été en mesure de démontrer que la SAR ne disposait pas de renseignements importants concernant la question de la PRI, ils n’ont même pas été en mesure de mentionner ces renseignements.

IV. Deuxième question - La SAR a‑t‑elle conclu à tort que les demandeurs disposent d’une PRI à Mumbai?

[15] Cette question est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Lorsqu’elle évalue si une décision est raisonnable, la Cour examine si celle‑ci est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Pour satisfaire à ces exigences, la décision doit être fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 85 et 99 [Vavilov].

A. Le premier volet du critère relatif à la PRI

[16] Le critère relatif à la PRI a deux volets. Dans le contexte de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le premier volet du critère exige que le demandeur d’asile prouve, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans la partie de son pays qui offre une PRI : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 à la p 593 (CAF) [Thirunavukkarasu]. Dans le contexte de l’article 97, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il serait personnellement exposé à un danger décrit à l’alinéa 97(1)a) ou à un risque décrit à l’alinéa 97(1)b).

[17] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de ce premier volet du critère, car elle n’a pas analysé la preuve objective figurant dans le cartable national de documentation relative au système de vérification des locataires et au système d’identification aadhaar de l’Inde. Les demandeurs font valoir que cette preuve démontre qu’en raison de ces systèmes, ils ne pourraient se réinstaller en Inde sans être repérés par Satpal Singh et les policiers qui les ont menacés. Il en est ainsi parce que les propriétaires de logements ont l’obligation d’enregistrer les noms de leurs locataires dans le système de vérification des locataires, qui peut être consulté dans tous les postes de police en Inde. Les renseignements recueillis dans le système d’identification aadhaar sont également à la portée des policiers partout au pays. De plus, lorsque les policiers décident de mener une vérification des locataires, les détails relatifs au locataire sont envoyés à la police de son village. Sur la foi de cette preuve, les demandeurs affirment qu’il est logique de présumer qu’ils risqueraient vraisemblablement d’être retrouvés et persécutés par Satpal Singh ou la police s’ils devaient se réinstaller à Mumbai. Selon eux, la SAR aurait dû accorder davantage de poids à leur crainte subjective à cet égard.

[18] À mon sens, l’analyse de la preuve objective effectuée par la SAR n’était pas déraisonnable. Après avoir énoncé le critère à deux volets applicable à l’analyse de la PRI, la SAR a fait remarquer que la crainte subjective des demandeurs n’était pas un motif suffisant pour conclure que Satpal Singh, les policiers ou toute autre personne seraient motivés à les poursuivre à Mumbai. En l’absence d’une preuve objective de cette motivation, la SAR a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les moyens par lesquels les policiers, Satpal Singh ou toute autre personne poursuivraient les demandeurs. La SAR a ajouté que, selon la preuve objective, bien que les policiers dans différents États de l’Inde collaborent dans les cas de crimes majeurs, rien n’indique que les policiers à Mumbai collaborent avec les policiers des autres États dans des circonstances telles que celles décrites par les demandeurs. De plus, rien ne démontre que Satpal Singh a une quelconque influence en dehors de sa région ou au‑delà des frontières du Pendjab. Sur la foi de ces renseignements, la SAR a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de prouver qu’ils risquaient sérieusement d’être persécutés ou qu’ils étaient exposés à un risque au sens de l’article 97 de la LIPR à Mumbai.

[19] À mon sens, il était raisonnable pour la SAR de parvenir à cette conclusion pour les motifs qu’elle a exposés. Cette conclusion était suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Elle était également fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, précité, aux para 85‑86.

B. Le second volet du critère relatif à la PRI

[20] Pour l’application des articles 96 et 97 de la LIPR, le second volet du critère relatif à la PRI exige que les demandeurs démontrent qu’il ne serait pas objectivement raisonnable de leur part de chercher refuge à l’endroit proposé comme PRI, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris celles qui leur sont propres : Thirunavukkarasu, précité, à la p 597. À cet égard, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est objectivement déraisonnable, la barre est « très haute » et nécessite « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un [demandeur] tentant de se relocaliser temporairement » dans la région où il existe une PRI : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF) au para 15. Ces conditions doivent être établies sur la foi d’une preuve réelle et concrète. À l’inverse, il ne suffit pas aux demandeurs d’asile « de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient » : Thirunavukkarasu, précité, à la p 598.

[21] Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur dans son appréciation du second volet du critère, car elle n’a pas raisonnablement tenu compte de leur situation personnelle, c’est‑à‑dire qu’ils devraient vivre cachés à Mumbai et qu’ils ne parlent pas les langues de cette région. Par conséquent, ils ne seraient pas en mesure de se trouver un emploi, d’autant plus qu’ils sont sikhs et qu’ils devraient vivre dans une ville majoritairement hindoue. De plus, ils soutiennent que la santé mentale de la demanderesse principale risque de se détériorer là‑bas en raison de sa crainte d’être appréhendée par ses agents de persécution. Ils affirment également que la demanderesse principale serait privée de son droit de vivre dans la dignité et à l’abri de toute discrimination, car une femme qui a déjà été détenue par les policiers est considérée comme une femme de mœurs légères et de mauvaise volonté dans la société indienne.

[22] Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, l’analyse de ces questions effectuée par la SAR n’était pas déraisonnable. Bref, comme la SAR avait précédemment conclu que les agents de persécution des demandeurs n’avaient pas la motivation de les poursuivre à Mumbai, il lui était inutile d’examiner de nouveau leurs allégations relatives à leur crainte dans le cadre du second volet du critère. Qui plus est, la SAR avait expressément examiné les autres difficultés personnelles résumées immédiatement avant. Toutefois, elle a conclu que ces difficultés n’équivalaient pas à des conditions objectivement déraisonnables, telles qu’elles sont décrites dans la jurisprudence : voir le paragraphe 20 ci‑dessus. En l’absence d’une preuve concrète de ces conditions, il était raisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau en ce qui concerne le second volet du critère relatif à la PRI.

[23] Tout comme sa conclusion concernant le premier volet du critère, la conclusion de la SAR concernant ce second volet était suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Elle était également fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, précité, aux para 85‑86.

V. Conclusion

[24] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[25] Je conviens avec les parties que la matrice juridique et factuelle de la demande ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1164-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La matrice juridique et factuelle de la demande ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.

« Paul S. Crampton »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1164-21

 

INTITULÉ :

RAJWINDER KAUR, PRITPAL SINGH ET HARMEET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF crampton

DATE DES MOTIFS :

LE 10 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Amit Kumar Verma

 

POUR LES demandeurs

 

Erica Louie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Verma Law Corporation

Avocat

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES demandeurs

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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