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Dossiers : T-900-17

T-901-17

T-902-17

T-903-17

Référence : 2021 CF 1223

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Favel

Dossier : T-900-17

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

demanderesse

(défenderesse dans le cadre de la requête)

et

STEPHEN MOFFETT LTD. ET

STEPHEN D. MOFFETT

défendeurs

(parties requérantes)

Dossier : T-901-17

ET ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

demanderesse

(défenderesse dans le cadre de la requête)

et

FERME NORD-EST LTÉE

défenderesse

(partie requérante)

Dossier : T-902-17

ET ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

demanderesse

(défenderesse dans le cadre de la requête)

et

SOWCOW FARMS INC., STEPHEN D. MOFFETT ET MARLENE L. MOFFETT

défendeurs

(parties requérantes)

Dossier : T-903-17

ET ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

demanderesse

(défenderesse dans le cadre de la requête)

et

MARLENE MOFFETT LTD. ET

MARLENE L. MOFFETT

défenderesses

(parties requérantes)

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Il s’agit d’une requête présentée par les défenderesses dans quatre actions en cours, à savoir les dossiers T-900-17, T-901-17, T-902-17 et T-903-17 [les actions]. En résumé, la requête vise à obtenir une déclaration confirmant que les parties sont parvenues à un règlement relativement aux actions, dont les conditions sont décrites plus loin dans les présents motifs. La demanderesse a également soumis un projet d’ordonnance exposant la réparation demandée.

[2] Stephen Moffett Ltd. [SM Ltd.] et Stephen D. Moffett [Stephen] sont les défendeurs dans le dossier T-900-17. Ferme Nord-Est ltée [FNE ltée] est la défenderesse dans le dossier T‐901-17. Sowcow Farms Inc. [SF Inc.], Stephen et Marlene L. Moffett [Marlene] sont les défendeurs dans le dossier T-902-17. Marlene Moffett Ltd. [MM Ltd.] et Marlene sont les défenderesses dans le dossier T-903-17. Le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada est le demandeur dans toutes les actions.

[3] Les défendeurs SM Ltd., FNE ltée, SF Inc., MM Ltd. et Stephen [collectivement les parties requérantes] sont représentées par les mêmes avocats et ont par conséquent présenté des observations communes. Marlene, qui s’est portée caution pour les sommes avancées par SF Inc. dans le dossier T-902-17 et MM Ltd. dans le dossier T-903-17, est représentée par d’autres avocats et a présenté ses propres observations, qui s’ajoutent à celles des parties requérantes.

[4] La présente affaire concerne l’offre officielle de règlement du litige présentée par écrit par la demanderesse et une lettre explicative [l’offre de règlement] (présentée à l’annexe A), ainsi qu’un litige portant sur le moment des paiements de règlement. La demanderesse soutient que l’offre de règlement et l’acceptation de celle-ci constituent une entente de règlement contraignante entre les parties. En outre, le paiement du montant prévu dans le règlement était exigible au moment de l’acceptation de l’offre ou dans un délai raisonnable après cette date. Enfin, il n’était pas nécessaire de préciser un paiement forfaitaire dans l’offre de règlement; il devrait être présumé.

[5] Les défenderesses font valoir que l’offre de règlement a été acceptée relativement à toutes ses conditions essentielles lorsqu’elle a été émise. Par conséquent, si la demanderesse voulait que les paiements de règlement soient versés à un moment en particulier, elle aurait dû indiquer clairement qu’il s’agissait d’une condition essentielle et inclure cette condition dans son offre de règlement.

[6] Je conclus qu’il existe une entente de règlement contraignante entre les parties. En l’absence de toute mention explicite concernant le moment du paiement, on peut présumer que le montant doit être versé à titre de paiement forfaitaire dans un délai raisonnable après l’acceptation de l’offre.

II. Contexte

[7] Les défenderesses dirigent toutes une exploitation de naissage-finition de porcs à Penobsquis, au Nouveau-Brunswick. Pour financer leurs activités, SM Ltd., FNE ltée, SF Inc. et MM Ltd. [le groupe Moffett] participent à des programmes administrés par la demanderesse, y compris, non exclusivement, le Programme de paiements anticipés et le programme Agri‐stabilité. Ces programmes permettent au groupe Moffett de continuer à obtenir du financement par l’entremise de Financement agricole Canada et de la Banque Nationale du Canada.

[8] Le 3 mai 2017, les défenderesses ont reçu des demandes de remboursement de la demanderesse les enjoignant à payer immédiatement le montant que devait le groupe Moffett au titre du Programme de paiements anticipés.

[9] Le 21 juin 2017 ou vers cette date, la demanderesse a intenté des actions pour récupérer les montants exigibles. Les défenderesses ont opposé une défense aux actions et ont déposé des demandes reconventionnelles.

[10] De juin 2017 à novembre 2020, la demanderesse et les défenderesses ont tenu des discussions en vue d’un règlement des actions [discussions en vue d’un règlement]. Au cours de ces discussions, les défenderesses ont communiqué des renseignements financiers à la demanderesse (pièce C jointe à l’affidavit supplémentaire de Stephen).

[11] Entre juillet 2017 et août 2018, les discussions en vue d’un règlement étaient axées sur le montant du paiement. Le 7 août 2018, la demanderesse à écrit aux avocats des défenderesses pour les informer qu’elle n’avait pas l’intention d’accepter des modalités de paiement échelonnées sur 20 ans. L’avocate de la demanderesse a indiqué qu’un calendrier de paiement plus habituel s’échelonnerait sur cinq ans (pièce H jointe à l’affidavit supplémentaire de Stephen).

[12] En novembre 2018, au cours d’une réunion en personne, la demanderesse a informé les défenderesses qu’un paiement forfaitaire des fonds de règlement serait nécessaire si une partie de la dette devait être [traduction] « radiée » (affidavit de Mark De Luca, aux para 7-11). Les défenderesses ont fait connaître les problèmes de solvabilité auxquels elles étaient confrontées, ainsi que leur capacité à payer la demanderesse (affidavit supplémentaire de Stephen, au para 20).

[13] Le 18 avril 2019 ou vers cette date, l’avocate de la demanderesse a écrit aux défenderesses pour leur offrir de régler la totalité des créances pour 1,1 million de dollars versés sous la forme d’un paiement forfaitaire (affidavit de Mark De Luca, au para 15).

[14] Par la suite, les défenderesses ont tenté d’obtenir du financement. L’établissement de prêt des défenderesses a informé celles-ci que pour remplir les conditions nécessaires, elles devaient avoir accès à certains programmes offerts par la demanderesse. Cependant, en octobre 2019, la demanderesse a informé les défenderesses que le groupe Moffett ne serait pas admissible à ces programmes. Par conséquent, les défenderesses n’ont pas réussi à obtenir le financement nécessaire pour faire un paiement forfaitaire et en ont informé la demanderesse (pièce I jointe à l’affidavit supplémentaire de Stephen).

[15] Les discussions en vue d’un règlement sont demeurées en veilleuse jusqu’au 19 novembre 2020 ou vers cette date, lorsque l’offre de règlement a été signifiée aux défenderesses. L’offre de règlement a été présentée aux termes des articles 419 et 420 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], et elle comprenait les conséquences financières que pouvait entraîner la non-acceptation de l’offre par les défenderesses.

[16] Le 23 novembre 2020 ou vers cette date, les défenderesses ont signifié à la demanderesse une acceptation officielle de l’offre de règlement [l’acceptation] (présentée à l’annexe B). Les défenderesses acceptaient l’offre de règlement telle quelle, sans changement, révision, ni modification. Le 24 novembre 2020 ou vers cette date, la demanderesse a accusé réception de l’acceptation.

[17] Les parties ont convenu de régler les actions conformément aux modalités énoncées ci‐dessous.

· Femme Nord-Est limitée (AAC no 152399) – 338 225,37 $

· SowCow Farms Inc. (AAC no 153547) – 291 844,45 $

· Marlene Moffett Ltd. (AAC no 152854) – 245 474,89 $

· Stephen Moffett Ltd. (AAC no 153540) – 124 455,29 $

· Femme Nord-Est limitée (AAC no 152399) – 379 000 $

· SowCow Farms Inc. (AAC no 153547) – 379 000 $

· Marlene Moffett Ltd. (AAC no 152854) – 200 000 $

· Stephen Moffett Ltd. (AAC no 153540) – 200 000 $

· Marlene Moffett – 50 000 $

· Stephen Moffett – 50 000 $

[18] L’offre de règlement ne comprenait aucune disposition exigeant que le montant soit versé à titre de paiement forfaitaire ou avant une date en particulier. De même, il ne précisait pas que les défenderesses pouvaient effectuer les paiements en versements. Après l’acceptation de l’offre, l’avocate de la demanderesse a demandé que les avocats des défenderesses l’informent de la date à laquelle les défenderesses proposaient de payer les montants exigibles.

[19] En réponse à cette demande, les avocats des défenderesses ont préparé l’entente de paiement détaillée [l’entente de paiement] suivante (pièce D jointe à l’affidavit de Christopher D. J. Isnor) :

[20] La demanderesse a jugé que l’entente de paiement était inacceptable.

III. Questions en litige

[21] Compte tenu des observations des parties, l’affaire soulève les questions suivantes :

IV. Position des parties

A. Existe-t-il, entre les parties, une entente de règlement contraignante qui règle les actions?

(1) Position des défenderesses

[22] Les défenderesses soutiennent que l’offre de règlement et l’acceptation de celle-ci constituent une entente de règlement contraignante entre les parties. Elles s’appuient sur l’arrêt Apotex Inc c Allergan Inc, 2016 CAF 155 [Apotex] rendu par la Cour d’appel fédérale, aux paragraphes 21 à 43, qui établit un critère en cinq volets pour déterminer si un règlement contraignant a été conclu dans un ensemble donné de négociations :

[23] Les défenderesses font valoir que les quatre premiers volets du critère sont respectés en l’espèce et qu’aucune autre exigence applicable ne rendrait l’offre de règlement et l’acceptation de celle-ci inexécutables.

[24] L’avocate de la demanderesse a préparé et délivré l’offre de règlement conformément aux instructions de son client, le gouvernement fédéral, qui est une partie particulièrement avisée. Ainsi, il ne fait aucun doute que les conditions présentées aux défenderesses étaient claires et exemptes d’ambiguïté.

[25] Lorsque les défenderesses ont reçu l’offre de règlement, elles l’ont examinée de bonne foi et en ont compris toutes les conditions. Elles ont ensuite délivré leur acceptation. Par conséquent, les parties avaient manifestement une volonté commune.

[26] Enfin, les défenderesses font valoir que l’offre de règlement était assurément une offre présentée en vue de parvenir à une entente (Richter v McKeachie, 2009 BCSC 288 au para 30 [Richter]). Après avoir reçu l’offre de règlement, les défenderesses l’ont examinée et ont raisonnablement conclu qu’elle contenait toutes les conditions que la demanderesse considérait comme essentielles. Les défenderesses ont ensuite délivré une acceptation officielle de l’offre de règlement telle quelle, y compris toutes ses conditions.

(2) Position de la demanderesse

[27] La demanderesse soutient que les parties ont conclu une entente contraignante en ce qui concerne les conditions essentielles de l’offre de règlement.

[28] La demanderesse soutient également qu’il ne faut pas interpréter le désaccord concernant le calendrier de paiement comme une preuve qu’une entente n’a pas été conclue, car il ne s’agissait pas d’une condition essentielle (Betser-Zilevitch c Nexen Inc, 2019 CAF 230 au para 5).

B. Le versement du montant à titre de paiement forfaitaire dans un délai raisonnable est-il une condition implicite de l’offre de règlement?

(1) Position des défenderesses

[29] Les défenderesses font valoir que la demanderesse avait la possibilité et l’obligation d’énoncer toutes les conditions essentielles dans l’offre de règlement. Si la date du paiement était une condition essentielle pour la demanderesse, celle-ci aurait dû le préciser dans son offre de règlement (Apotex, au para 32; Fontaine v Canada (Attorney General), 2015 SKQB 220 aux para 38-39 [Fontaine]). En l’espèce, la demanderesse ne l’a pas fait. Toutefois, l’omission de la date d’échéance du paiement n’entraîne pas la nullité du contrat entre les parties et l’offre de règlement doit demeurer valable (Richter, au para 40).

[30] Les défenderesses font valoir que même si la Cour conclut qu’il existe une entente subséquente concernant le moment des paiements, cette entente n’invaliderait pas à elle seule l’entente de règlement. En fait, la demanderesse n’a pas le droit de tenter de résilier l’offre de règlement après avoir reçu un calendrier de paiement qui ne lui plaît pas. Un calendrier de paiement proposé n’équivaut pas non plus à [traduction« une résiliation de l’entente, sauf si l’autre partie démontre une réticence à demeurer liée » (McCabe v Verge, 1999 CanLII 18936 au para 26 [McCabe]).

[31] En outre, les offres officielles de règlement [traduction] « doivent avoir comme objectif d’évoluer pour devenir un règlement contraignant après leur acceptation. Autrement, l’objet de la règle faisant la promotion de tels règlements serait contrecarré » (McCabe, au para 12). Les défenderesses font aussi valoir que les tribunaux hésiteront à conclure que des ententes sont nulles en raison de leur incertitude et tenteront plutôt de chercher à donner effet aux attentes raisonnables des parties, déterminées objectivement (Apotex, au para 28).

[32] Les défenderesses soutiennent également que la demanderesse avait la possibilité d’ajouter des mots, comme « sous réserve d’entente officielle », car elle a rédigé l’offre de règlement, mais son avocate ne l’a pas fait (Apotex, au para 36). Si la demanderesse ne voulait pas être liée par l’offre de règlement jusqu’à ce qu’elle ait accepté toutes les conditions qu’elle jugeait subjectivement essentielles à l’entente, il lui incombait de clairement exprimer ce souhait dans l’offre de règlement (Apotex, au para 53; Richter, au para 30).

[33] Bien que l’offre de règlement ait été signée et délivrée par l’avocate de la demanderesse, et non directement par la demanderesse, il existe une présomption selon laquelle les avocats ont le pouvoir de lier leurs clients lorsqu’ils négocient des ententes avec d’autres avocats (Fontaine, au para 35).

[34] Selon le principe contra proferentem, toute ambiguïté ou faille dans la formulation de l’offre de règlement de la demanderesse devrait être interprétée équitablement et avec libéralité, en faveur des défenderesses. En fait, les défenderesses soutiennent qu’il existe un important déséquilibre de pouvoir entre les parties et que la demanderesse est l’unique responsable de toute lacune dans les conditions présentées.

[35] Il importe de tenir compte à la fois du contexte dans lequel l’offre de règlement a été faite et du format de celle-ci. En l’espèce, la demanderesse a rédigé l’offre de règlement après avoir appris que les défenderesses n’étaient pas en mesure d’obtenir du financement pour verser un paiement forfaitaire. Le terme [traduction« paiement forfaitaire », utilisé précédemment par la demanderesse, ne figure nulle part dans l’offre de règlement.

[36] Enfin, les défenderesses soutiennent que si la demanderesse avait obtenu gain de cause dans les actions sous-jacentes, elle aurait obtenu des jugements pécuniaires à l’encontre d’une partie ou de la totalité des défenderesses, mais elle n’aurait pas obtenu une ordonnance exigeant aux défenderesses de verser les paiements avant une date donnée. Les parties auraient alors eu la liberté de négocier une entente sur les conditions de ce paiement, sans quoi la demanderesse aurait pu choisir de faire appliquer l’entente selon les recours juridiques à sa disposition. La Cour n’a pas le pouvoir d’accorder la condition implicite alléguée dans le contexte des actes de procédure. Par conséquent, il n’est pas raisonnable d’interpréter l’offre de règlement de façon à intégrer des conditions outrepassant la réparation que la Cour peut accorder (Beam Suntory Inc c Domaines Pinnacle Inc, 2016 CAF 212 au para 39 [Beam]).

[37] Pour tous les motifs exposés ci-dessus, les défenderesses font valoir qu’il n’existe aucune condition implicite selon laquelle le montant de l’offre de règlement doit être versé à titre de paiement forfaitaire dans un délai raisonnable après l’acceptation de l’offre.

(2) Position de la demanderesse

[38] La demanderesse ne cherche pas à rétracter sa propre offre de règlement. Cependant, contrairement à ce que font valoir les défenderesses, il n’était pas nécessaire de renvoyer à un paiement forfaitaire dans l’offre de règlement. Il ressort clairement de la jurisprudence que certaines conditions peuvent être implicites dans une offre (Hutton v Hutton, 2020 BCSC 2046 au para 33, citant Apotex, aux para 32-33). Lorsqu’aucune modalité de paiement n’est mentionnée, le paiement forfaitaire est la seule inférence raisonnable qui puisse être tirée de l’offre.

[39] Par conséquent, la demanderesse fait valoir que le paiement dans un délai raisonnable était une condition implicite de l’offre de règlement et que l’entente de paiement présentée par les défenderesses n’est pas raisonnable (Hall v Smith, 2007 CanLII 1865 au para 28 [Hall], citant Fieguth v Acklands Ltd [1989], 59 DLR (4th) 114 (BCCA) au para 21 [Fieguth]). L’entente de paiement priverait la demanderesse d’avantages importants du règlement quant au caractère définitif de la réclamation et à la certitude financière. Si elle ne reçoit pas les fonds de règlement, le litige ne prendrait pas fin et il serait impossible de produire des désistements. En outre, la demanderesse fait valoir que la période visée dans l’entente de paiement des défenderesses dépasse la période à laquelle on pourrait s’attendre si un jugement avait été rendu dans le cadre d’une instance.

[40] Par conséquent, comme aucune date limite de paiement n’est précisée, le montant indiqué dans l’offre de règlement était exigible au moment de l’acceptation de l’offre ou dans un délai raisonnable après cette date, sauf si les parties en ont convenu autrement. En fait, il est raisonnable de supposer que le paiement serait exigible au moment de l’acceptation, car les dettes des défenderesses se sont cristallisées et sont dues à la demanderesse à ce moment-là. En outre, il n’était pas nécessaire de préciser un paiement forfaitaire dans l’offre; il devrait plutôt être présumé. Quoi qu’il en soit, les défenderesses ne peuvent pas insérer à l’heure actuelle un plan de paiement dans les conditions de l’offre de règlement.

[41] La demanderesse ajoute que le libellé de l’offre de règlement était exempt d’ambiguïté et qu’aucune ambiguïté alléguée ne devrait être interprétée en faveur des défenderesses.

[42] La demanderesse fait valoir qu’il est impossible de supposer, comme les défenderesses le soutiennent, qu’elle savait que les défenderesses n’étaient pas en mesure d’obtenir du financement pour verser un paiement forfaitaire. La demanderesse a transmis l’offre de règlement, mais elle n’était pas au courant des discussions financières qu’auraient pu avoir les défenderesses. En outre, les défenderesses n’étaient pas forcées d’accepter l’offre de règlement.

[43] Tout au long des négociations qui ont précédé le règlement, les défenderesses ont été informées qu’un paiement forfaitaire serait nécessaire si les parties venaient à s’entendre sur un règlement. Les défenderesses se reportent à une correspondance entre les avocats datée du 7 août 2018 pour prouver que des ententes de paiement seraient acceptables pour la demanderesse. Cependant, cette correspondance est antérieure aux négociations sur le règlement et porte sur le remboursement dans un contexte différent, dans lequel on offrait un remboursement complet à d’autres créanciers (pièce H jointe à l’affidavit supplémentaire de Stephen).

C. Existe-t-il un règlement contraignant et exécutoire de la réclamation déposée contre Marlene s’il est conclu que la réponse à la première question est négative?

(1) Position des défenderesses

[44] En ce qui concerne Marlene, l’offre de règlement précise que les réclamations contre elle dans les dossiers T-902-17 et T-903-17 seront réglées si elle signe un jugement sur consentement de 50 000 $. Ce montant servirait de sûreté pour les paiements de FNE ltée, de SF Inc., de MM Ltd. et de SM Ltd pour les prêts en souffrance accordés au titre du Programme de réserve pour pertes sur prêts dans l’industrie porcine.

[45] Marlene soutient que la demanderesse tente de résilier l’entente de règlement au motif que l’entente de paiement proposée est inacceptable. Marlene fait valoir que l’entente de paiement proposée n’a aucune incidence sur l’offre de paiement qu’elle a acceptée.

[46] Elle ajoute que l’offre de la demanderesse a vraisemblablement été faite après l’examen des documents financiers qu’elle a fournis, ainsi qu’après une évaluation des forces et des faiblesses de la preuve dont dispose la demanderesse contre elle. L’offre qui lui a été proposée n’était pas conditionnelle à la conclusion d’un règlement avec les autres défenderesses.

[47] En outre, Marlene fait valoir que la demanderesse ne peut pas renoncer à une offre de règlement acceptée, qui lui a été présentée aux termes des articles 419 et 420 des Règles, parce ce qu’un conflit surgit relativement à l’entente de paiement proposée par les autres défenderesses. Elle ajoute qu’en application des critères de l’arrêt Apotex, il existe manifestement un règlement contraignant et exécutoire en ce qui concerne la réclamation à son endroit.

(2) Position de la demanderesse

[48] La demanderesse n’a pas formulé d’observations particulières à ce sujet.

V. Analyse

[49] Tout d’abord, je confirme que la Cour a compétence pour déterminer si un règlement existe. L’existence ou l’inexistence d’une entente de règlement a une incidence sur l’état de l’instance devant la Cour. Dans le premier cas, l’action subsiste; dans le deuxième cas, elle n’est plus. Au titre de ses pleins pouvoirs, notre Cour a compétence pour décider si une procédure subsiste ou non (Apotex, au para 14).

[50] Dans l’arrêt Beam, la Cour d’appel fédérale établit la nature de l’application de l’article 420 des Règles :

[38] L’article 420 des Règles vise à inciter les parties à en arriver à un règlement en imposant des pénalités financières aux parties qui n’acceptent pas une proposition raisonnable de règlement : Leuthold c. Société Radio-Canada, 2014 CAF 174, [2014] A.C.F. no 669, au paragraphe 11. Mais, pour être en mesure de se prévaloir de cette disposition, la partie qui fait l’offre doit satisfaire à certaines conditions. La première de ces conditions est que l’offre doit être faite au moins 14 jours avant le début de l’instruction et qu’elle n’expire pas avant le début de l’audience (alinéas 420(3)a) et b) des Règles).

[39] La deuxième de ces conditions est que la partie qui fait l’offre doit obtenir un jugement au moins aussi avantageux que les conditions de l’offre (paragraphes 420(1) et (2) des Règles). Cela a des répercussions sur l’objet de l’offre. L’offre doit contenir des conditions que la Cour a le pouvoir d’accorder. Une offre contenant des conditions qui outrepassent la compétence de la Cour ne peut pas donner lieu à un jugement qui est au moins aussi avantageux que les conditions de l’offre, car la condition qui outrepasse la compétence ne peut jamais être égalée ou dépassée.

[51] En fonction du dossier, je conclus que l’offre de règlement de la demanderesse remplit la première condition. Pour les motifs qui suivent, je conclus également que l’offre de règlement de la demanderesse satisfait à la deuxième condition. Par conséquent, la Cour a compétence pour rendre l’ordonnance demandée par la demanderesse.

[52] Je me penche maintenant sur l’examen des questions en litige.

A. Existe-t-il, entre les parties, une entente de règlement contraignante qui règle les actions?

[53] Aucune question ne se pose quant à la formation de l’offre de règlement, car toutes les parties s’entendent pour dire qu’elle est en vigueur.

[54] Les questions se rapportant à la formation d’un contrat diffèrent de celles découlant de son achèvement (Fieguth, aux para 35-36). Les questions se rapportant à la formation d’un contrat déterminent si les parties sont parvenues à une entente contraignante sur toutes les conditions essentielles, conformément aux critères énoncés dans l’arrêt Apotex. Les questions découlant de l’achèvement d’un contrat se rapportent à la mise en œuvre de l’entente.

[55] La situation en l’espèce est plutôt inhabituelle, car les deux parties s’entendent pour dire que l’offre de règlement, qui a été acceptée par les défenderesses, constitue une entente de règlement contraignante. La situation actuelle ne comporte pas un ensemble de communications à bâtons rompus impromptues dans un contexte détendu et non commercial (Apotex, au para 24). Il existe des indicateurs objectifs révélant qu’un règlement a été conclu. Il y a manifestement une contrepartie allant dans les deux sens. Les conditions sont claires et certaines. Les conditions essentielles sont claires, mais comme je le mentionne plus haut, il reste à savoir si le moment des paiements constitue une condition implicite.

[56] Je conviens avec les parties qu’elles ont conclu un règlement contraignant. Je concentre donc mon analyse sur les autres questions.

B. Le versement du montant à titre de paiement forfaitaire dans un délai raisonnable est-il une condition implicite de l’offre de règlement?

[57] Dans l’arrêt Apotex, la Cour d’appel fédérale a souligné que lorsqu’il y a une entente sur les conditions essentielles, des conditions non essentielles de l’entente peuvent faire implicitement partie de l’entente. Les conditions non essentielles peuvent comprendre l’octroi d’une renonciation, le mode de paiement et le moment du paiement (Apotex, au para 33; McCabe, au para 20; Fieguth, au para 21).

[58] En l’espèce, les deux parties font valoir que toutes les conditions essentielles étaient énoncées expressément dans l’offre de règlement, qui est contraignante. Il reste à déterminer si le versement d’un paiement forfaitaire dans un délai raisonnable peut être jugé implicite.

[59] Les défenderesses font aussi valoir que la demanderesse connaissait leur situation financière. En outre, entre juillet 2017 et août 2018, la demanderesse a indiqué qu’un plan de paiement échelonné sur 20 ans n’était pas acceptable, mais qu’un plan de paiement échelonné sur 5 ans pouvait être raisonnable. Les défenderesses soutiennent que cela indique la possibilité qu’un plan de paiement soit une option aux termes de l’offre de règlement.

[60] Je ne suis pas d’accord avec les défenderesses. Le dossier révèle qu’à la suite de la communication de la demanderesse de novembre 2018, celle-ci a changé d’avis. À partir de cette date, la demanderesse a soutenu que si l’une des dettes était réduite, elle exigerait un paiement forfaitaire. Ainsi, en avril 2019, elle a proposé une offre de règlement sous forme d’un paiement forfaitaire, mais vers le mois d’octobre 2019, les défenderesses n’avaient pas été en mesure d’obtenir le financement nécessaire pour verser un paiement forfaitaire. La communication subséquente est l’offre de règlement du 19 novembre 2021. Dans l’ensemble, les faits indiquent que la demanderesse a été, à un moment précis, ouverte à envisager la possibilité d’accepter un plan de paiement, mais par la suite, les communications étaient axées sur un paiement forfaitaire. Rien n’indique que la demanderesse a envisagé la possibilité d’accepter des paiements en versements avant de formuler l’offre de règlement.

[61] Je conclus qu’il est raisonnable de déduire que le montant du règlement devait être versé à titre de paiement forfaitaire dans un délai raisonnable après son acceptation. Je conclus également qu’il existait des conditions non essentielles qui n’étaient pas expressément énoncées dans l’offre de règlement, mais qui constituaient des conditions implicites du règlement (Gutter Filter Company, LLC c Gutter Filter Canada Inc, 2011 CF 234 au para 14; Fieguth, au para 21). Autrement dit, comme rien n’a été précisé en ce qui concerne le paiement, la Cour peut supposer que le paiement est attendu [traduction« dans un délai raisonnable et en un seul versement » (Hall, au para 13). Les échanges entre les parties, mentionnés plus haut, étayent cette conclusion.

[62] Si les défenderesses souhaitaient assujettir le paiement du montant du règlement à des conditions, elles auraient dû « clairement exprimer ce souhait de manière objective » (Apotex, au para 53). Elles ne peuvent pas, après avoir accepté l’offre de règlement, soutenir que la demanderesse a omis de préciser que le montant devait être versé à titre de paiement forfaitaire dans un délai raisonnable après l’acceptation de l’offre. Comme ces conditions sont implicites, les défenderesses auraient dû exprimer leurs intentions contraires dans une contre-offre, avant de signifier l’acceptation. Par conséquent, les arguments des défenderesses ne peuvent pas être retenus.

[63] La jurisprudence présentée par les parties n’établit pas de manière définitive le sens que les tribunaux ont donné à l’expression « dans un délai raisonnable ». Si un quelconque principe ressort de la jurisprudence, c’est que le sens de cette expression dépendra des attentes des parties, des faits de l’affaire en particulier et des pratiques antérieures. Par exemple, dans la décision Harco Enterprises Ltd v Knelsen Sand and Gravel Ltd, 2021 ABQB 263 [Harco], la situation comportait des contrats d’affaires (constituant ensemble un seul et même contrat) dont de nombreuses conditions étaient incertaines (aux para 5 et 200). Harco soutenait que Knelsen avait violé le contrat, car il n’avait pas payé des montants qu’il devait à Harco. Harco faisait également valoir qu’une condition implicite du contrat voulait que les factures soient payées dans [traduction« un délai raisonnable ». Comme c’est le cas en l’espèce, Knelsen soutenait que les parties ne s’étaient pas entendues sur un calendrier de paiement en particulier (aux para 8-9). La Cour du banc de la Reine de l’Alberta a conclu que les parties s’étaient entendues sur un paiement effectué dans un délai raisonnable, et que selon les pratiques antérieures, il était raisonnable de payer 391 164,74 $ en 30 jours. S’appuyant sur des précédents de la Colombie‐Britannique, la Cour a énoncé un critère permettant d’évaluer en quoi consiste un « délai raisonnable » :

[traduction]

[176] La nécessité de « payer dans un délai raisonnable » est une condition souvent implicite, mais cette condition n’est pas souvent considérée comme une condition fondamentale ou essentielle, dont le non-respect justifie la résiliation du contrat : voir Hughes v Moncton (City), 2006 NBCA 83, au para 6 [Hughes], et Muller v O’Flynn, 2019 BCSC 1674, au para 46 [Muller].

[177] La question de savoir en quoi consiste un « délai raisonnable » dépend des attentes des parties au moment où elles ont conclu l’entente et des circonstances de l’affaire : Muller, au para 58. Elle peut aussi dépendre d’autres facteurs, comme les suivants : (1) « les rapports survenus entre les parties pendant la période précédant la formation du contrat »; (2) la nature des obligations aux termes du contrat; (3) la situation financière de la partie concernée; (4) la valeur de ce qui est en cause; (5) l’état du marché : Muller, aux paras 46 et 58; Illidge v Sona Resources Corporation, 2017 BCSC 1326, au para 171 [Illidge].

[178] En l’absence de condition contractuelle prévoyant expressément le contraire, il n’est pas présumé que les délais sont « de rigueur » : Illidge, au para 172. [...]

[64] La Cour a alors conclu que dans les circonstances, un [traduction] « délai raisonnable » était de 30 jours, car les paiements sont généralement effectués dans ce délai (voir Harco, aux para 71-72). Comme les parties l’ont indiqué dans leurs observations en l’espèce, il n’y a pas d’attente semblable quant à la durée d’un délai raisonnable selon les circonstances de l’affaire. De même, il n’y a rien au dossier sur les pratiques antérieures entre les parties. La décision Harco donne certaines indications à la Cour, car la juge a ordonné que le montant en souffrance dans cette affaire (391 164,74 $) soit payé dans un délai de 30 jours.

[65] Compte tenu de la décision Harco et du fait que la demanderesse a radié une partie importante de la dette en souffrance lorsqu’elle a présenté son offre de règlement, dans les circonstances actuelles, je conclus qu’un « délai raisonnable » serait trois mois après la date d’acceptation de l’offre de règlement.

C. Existe-t-il un règlement contraignant et exécutoire de la réclamation déposée contre Marlene s’il est conclu que la réponse à la première question est négative?

[66] Compte tenu de mon analyse présentée ci-dessus, il existe un règlement exécutoire de la réclamation déposée contre Marlene en tant que caution.

VI. Conclusion

[67] Je conclus qu’il existe une entente de règlement contraignante entre les parties qui exige implicitement que les défenderesses doivent faire un paiement forfaitaire dans un délai raisonnable. Je conclus également que, dans les circonstances actuelles, un délai raisonnable est trois mois après la date d’acceptation de l’offre de règlement. Comme ce délai s’est écoulé depuis longtemps, je conclus que le montant du règlement est exigible dès maintenant et doit être payé sans délai.

VII. Dépens

[68] Les défenderesses demandent des dépens afférents à la présente requête, mais n’ont présenté aucune autre observation à ce sujet.

[69] La demanderesse demande également des dépens afférents à la présente requête. Elle soutient que les défenderesses n’agissaient pas de bonne foi lorsqu’elles ont accepté l’offre de règlement, car elles n’avaient alors pas les moyens de verser un paiement forfaitaire pour payer les fonds de règlement. Même si elles avaient peut-être l’intention d’adopter un plan de paiement, elles ne l’ont pas précisé dans une contre-offre, et par conséquent, il n’était pas certain qu’elles auraient été en mesure de respecter les conditions, expresses et implicites, de l’offre de règlement. En conséquence, la demanderesse soutient qu’elle devrait être autorisée à recouvrer des dépens.

[70] Aux termes du paragraphe 400(1) des Règles, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens, d’en déterminer le montant et de désigner les personnes à qui ils doivent être payés. Pour ce faire, la Cour peut tenir compte d’une multitude de facteurs, y compris, non exclusivement, « toute offre écrite de règlement » (alinéa 400(3)e) des Règles).

[71] La Cour peut adjuger les dépens afférents à une requête selon le montant qu’elle fixe aux termes du paragraphe 401(1) des Règles. En vertu du paragraphe 401(2) des Règles, la Cour peut ordonner que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai, si une requête n’aurait pas dû être présentée ou contestée.

[72] L’offre de règlement présentée par la demanderesse et acceptée par les défenderesses rend le paragraphe 420(1) des Règles inapplicable. Ce paragraphe est formulé en ces termes :

Conséquences de la non-acceptation de l’offre du demandeur

420 (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour et sous réserve du paragraphe (3), si le demandeur fait au défendeur une offre écrite de règlement, et que le jugement qu’il obtient est aussi avantageux ou plus avantageux que les conditions de l’offre, il a droit aux dépens partie-partie jusqu’à la date de signification de l’offre et, par la suite, au double de ces dépens mais non au double des débours.

[73] La Cour conclut qu’il existe une entente de règlement contraignante acceptée par les défenderesses, et les deux parties sont également de cet avis.

[74] Compte tenu de la nature de la présente affaire, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour adjuger des dépens afférents à la requête. J’estime que la requête a soulevé des questions de fond sérieuses et n’a pas été déposée déraisonnablement (Lifescan Inc c Novapharm Ltd, 2001 CFPI 809 (CanLII)). Lorsque les parties sont liées par une entente, il n’est pas inhabituel que des questions se posent relativement à ses conditions ou à son interprétation. Le comportement des parties ne constitue pas un abus de procédure et il est impossible de conclure que les défenderesses ont retardé les procédures et prolongé le litige (Abercrombie & Fitch Co c Giant Tiger Stores Ltd, 2009 CF 492 aux para 18-19). Les deux parties obtiendront essentiellement ce qu’elles demandent, à savoir que l’offre de règlement soit jugée exécutoire.




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