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Date : 20211109


Dossier : IMM-3563-20

Référence : 2021 CF 1204

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 9 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

XIAOYAN TAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Mme Xiaoyan Tan, est une citoyenne de la Chine qui a présenté une demande d’asile au motif qu’elle est une réfugiée au sens de la Convention et une personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande de Mme Tan pour des raisons de crédibilité. En appel, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a admis les nouveaux éléments de preuve qu’elle a présentés, mais a rejeté son appel. Mme Tan saisit maintenant la Cour d’une demande de contrôle judiciaire et sollicite l’annulation de la décision de la SAR au motif qu’elle est déraisonnable selon les principes établis dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration Canada) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. À mon avis, la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rendant cette décision.

I. Événements et décisions à l’origine de la demande

[4] La demanderesse affirme qu’en février 2017, alors qu’elle vivait en Chine, son amie, Mme Mei Mei Yushe, l’a initiée au christianisme. En mars 2017, elle est devenue membre d’une « maison‑église » chrétienne qu’elle a fréquentée jusqu’en juin 2017. L’église comptait 16 membres et tenait des rencontres toutes les semaines. Elle n’était pas approuvée par le gouvernement chinois.

[5] Le père de la demanderesse n’a pas bien accueilli la conversion de sa fille au christianisme et sa fréquentation de la maison‑église. Sans le consentement de la demanderesse, le père a donc pris des dispositions pour que celle-ci obtienne un visa canadien lui permettant d’aller au Canada où elle pourrait pratiquer sa religion librement.

[6] En juin 2017, pendant que la demanderesse assistait à une session d’étude de la Bible, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) chinois a mené une descente à la maison-église. Le BSP a accusé les fidèles de tenir un rassemblement religieux illégal et a saisi deux Bibles. Le BSP a amené trois des fidèles, y compris la demanderesse et son amie, Mme Yu, au poste de police pour les interroger. Ils ont été remis en liberté après quelques heures et ont été avertis qu’ils seraient surveillés par le comité local du quartier.

[7] Après cet incident, Mme Tan a écouté son père et elle a quitté la Chine afin de pouvoir continuer à pratiquer sa religion. Avec l’aide d’un passeur, elle s’est rendue au Canada. Elle est arrivée le 13 juillet 2017.

[8] La demanderesse allègue que, en novembre 2017, le BSP a appréhendé Mme Yu et l’autre fidèle détenu après la descente à la maison-église. Des agents du BSP se sont également rendus à l’ancien domicile de la demanderesse et lui ont laissé une citation à comparaître. Ils sont revenus chez elle pour la chercher lorsqu’elle ne s’est pas présentée au poste de police. Selon les documents produits par la demanderesse, son père a avisé le BSP que la demanderesse était partie travailler dans une autre province.

[9] En décembre 2017, le père de la demanderesse a récupéré la carte d’identité de résident de cette dernière pour qu’elle puisse présenter sa demande d’asile au Canada.

A. Décision de la Section de la protection des réfugiés

[10] La Section de la protection des réfugiés a conclu que les allégations de Mme Tan n’étaient pas crédibles. La SPR a formulé des conclusions détaillées en matière de crédibilité après avoir constaté des incohérences dans la preuve en ce qui concerne le moment où la demanderesse a commencé à fréquenter la maison-église, la composition de son ménage, la situation de sa maison-église et la source des renseignements qu’elle possédait au sujet de l’arrestation de ses camarades d’église. La SPR a examiné plusieurs documents déposés à l’appui des principales allégations formulées par la demanderesse à propos des incidents qui ont eu lieu en Chine, notamment une décision relative à une peine administrative en lien avec sa détention en juin 2017 et une citation à comparaître délivrée par le BSP en date du 6 novembre 2017.

[11] La SPR a conclu que Mme Tan n’avait pas prouvé ses principales allégations selon la prépondérance des probabilités. La SPR n’a pas cru, pour des raisons de crédibilité, qu’elle était une véritable chrétienne, que ce soit après sa conversion en Chine ou parce qu’elle s’était véritablement convertie depuis son arrivée au Canada. La SPR a estimé que plusieurs aspects du témoignage de la demanderesse étaient déroutants, notamment le fait que Mme Tan était incapable d’expliquer [traduction] « le précepte de la sainte communication et ce qu’est la communion, [même] si, comme elle le prétend, elle y a elle‑même participé ».

[12] La SPR a soupesé les problèmes de crédibilité au regard de la citation à comparaître et de la décision relative à une peine administrative. Elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait fréquenté une maison‑église en Chine ou qu’elle avait été victime de persécution en Chine en raison de son engagement envers une telle église. Elle a en outre jugé que les autorités chinoises ne s’intéressaient pas à la demanderesse et que cette dernière ne serait pas vraiment motivée à fréquenter une maison‑église si elle retournait en Chine.

[13] Ainsi, Mme Tan ne craignait pas avec raison d’être persécutée pour l’un des motifs énoncés à l’article 96 de la LIPR, et elle n’était exposée à aucun des risques visés au paragraphe 97(1) de la LIPR. La SPR a rejeté sa demande.

[14] La demanderesse a interjeté appel de cette décision à la SAR.

B. Décision de la Section d’appel des réfugiés

[15] Dans une décision rendue le 27 juillet 2020, la SAR a rejeté l’appel de la demanderesse.

[16] La SAR a admis les nouveaux éléments de preuve produits par la demanderesse au titre du paragraphe 110(3) de la LIPR, mais a rejeté sa demande visant à obtenir la tenue d’une audience au titre du paragraphe 110(6). Après avoir procédé à un examen indépendant de la preuve afin de déterminer si la SPR avait raison, la SAR a conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible. Les nouveaux éléments de preuve produits par la demanderesse ne l’emportaient pas sur les problèmes de crédibilité qui avaient été relevés.

[17] La SAR a noté que la SPR avait tiré cinq conclusions défavorables quant à la crédibilité, mais que la demanderesse n’en avait contesté qu’une seule. La SAR a conclu qu’il s’agissait là « d’un point important puisque les conclusions en question minent la crédibilité de [la demanderesse] et orientent le reste de l’analyse ». Après avoir décrit les quatre conclusions non contestées, la SAR a conclu qu’elles étaient importantes parce qu’elles « sont au cœur de la demande d’asile de [la demanderesse] : la religion de [la demanderesse] et les incidents survenus en Chine ».

[18] Devant la SAR, la demanderesse a soutenu que la SPR avait commis une erreur en tirant la cinquième conclusion défavorable quant à la crédibilité . Cette conclusion concernait la date à laquelle la demanderesse avait commencé à fréquenter une maison-église en Chine. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), la demanderesse a indiqué qu’elle avait commencé à fréquenter la maison-église le 6 mars 2017. Toutefois, son passeport chinois révèle qu’elle était au Japon entre le 2 mars 2017 et le 8 mars 2017. C’est pourquoi Mme Tan a demandé, au début de l’audience de la SPR, l’autorisation de modifier son formulaire FDA de manière à ce qu’il y soit écrit qu’elle a commencé à fréquenter la maison‑église le 19 mars 2017. Elle ne savait pas du tout comment l’erreur s’était produite. La SPR a estimé qu’il ne s’agissait pas là d’une explication raisonnable.

[19] La SAR a reconnu que la demanderesse bénéficiait de la présomption selon laquelle son témoignage est véridique, à moins qu’il n’existe des raisons sérieuses d’en douter. Selon elle, la contradiction entre le passeport de la demanderesse et le formulaire FDA de cette dernière soulevait un motif sérieux de douter de son témoignage. La SAR a conclu :

[…] je souscris à l’évaluation qu’a faite la SPR de l’importance de la contradiction susmentionnée. L’ensemble du formulaire FDA de [la demanderesse] repose sur l’idée que cette dernière fréquentait une maison église en Chine; une contradiction à cet égard est de grande portée. Si je tiens compte de cette conclusion, parallèlement aux quatre conclusions non contestées qui ont été mentionnées précédemment, j’ai de sérieuses raisons de douter de la crédibilité de [la demanderesse]. J’estime qu’elle n’est pas une témoin crédible.

[20] De plus, la SAR a conclu que la SPR avait correctement apprécié la décision relative à la peine administrative et la citation à comparaître qui, selon la demanderesse, devaient corroborer ses allégations. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, la SAR a conclu que, puisque la SPR avait estimé que la demanderesse manquait de crédibilité à l’égard des aspects centraux de sa demande, il lui était loisible d’accorder peu de poids, voire aucun, aux documents à l’appui. La SAR a souscrit à l’évaluation de la SPR.

[21] Parmi les nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR, il y avait un affidavit souscrit par la demanderesse et une lettre de son père. Dans cette lettre, le père mentionnait qu’à la fin du mois de juin 2020, il avait rencontré Mme Yu alors qu’il faisait une marche. Mme Yu boitait. Elle lui avait dit qu’un agent de police lui avait donné un coup de pied sur la jambe en mai 2020 lors d’un rendez-vous de suivi auprès du BSP. Elle l’avait informé que la maison‑église avait été fermée en raison de la persécution constante dont sont victimes les chrétiens en Chine, et que le pasteur d’une autre église s’était vu imposer une peine d’emprisonnement de neuf ans. Le père mentionnait que les membres du comité du quartier lui posaient souvent des questions au sujet de la demanderesse et qu’ils avaient menacé de le punir s’ils découvraient qu’il avait menti à propos des activités religieuses de celle‑ci.

[22] La SAR a conclu que cette preuve n'avait « aucun poids et qu’elle ne l’emport[ait] pas sur les problèmes en matière de crédibilité décrits précédemment ». Elle a souligné que la demanderesse n’avait pas directement contesté les conclusions défavorables de la SPR au sujet de la lettre de son père, lesquelles minaient la preuve en question. Selon la SAR, la « chronologie entourant la preuve » manquait de crédibilité parce que la demanderesse n’avait fourni aucun renseignement à jour pendant 18 mois, puis, lorsqu’elle avait été avisée qu’elle avait le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de son appel, elle avait « par hasard » reçu de son père de nouveaux renseignements. Elle a également estimé que la preuve était vague et peu précise puisqu’elle n’expliquait pas où le père aurait vu Mme Yu, ni à quel moment (son père a mentionné la fin juin), et ne donnait pas non plus la date à laquelle la maison‑église avait été fermée ainsi que d’autres détails.

[23] La SAR a conclu que le témoignage même de la demanderesse à propos de sa foi chrétienne « manquait tellement de crédibilité » que les nouveaux éléments de preuve n’avaient pas un poids supérieur à celui-ci. Selon la SAR, la question principale était celle de savoir si la demanderesse était une véritable chrétienne. Après examen du dossier, la SAR a conclu que la preuve à ce sujet n’était pas crédible.

II. Norme de contrôle

[24] Le contrôle de la décision de la SAR doit être fait selon la norme de la décision raisonnable, comme l’indique l’arrêt Vavilov. Il incombe à la demanderesse de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, aux para 75 et 100.

[25] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : Vavilov, aux para 12-13. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont il disposait, sont le point de départ du contrôle : Vavilov, aux para 84, 91-96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 31.

[26] La révision de la Cour doit porter à la fois sur le raisonnement suivi et le résultat obtenu : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 85 et 99.

III. Analyse

[27] La demanderesse fait valoir ce qui suit dans la présente demande de contrôle judiciaire :

  • la SAR a fait une évaluation déraisonnable des nouveaux éléments de preuve et a commis une erreur en ne tenant pas d’audience comme le prévoit le paragraphe 110(6) de la LIPR;

  • la SAR a tiré des conclusions déraisonnables à l’égard de sa crédibilité en ce qui a trait à la modification du formulaire Fondement de la demande d’asile, et dans l’évaluation qu’elle a faite de la décision relative à la peine administrative et de la citation à comparaître.

[28] J’examinerai ces points à tour de rôle.

A. La SAR a‑t‑elle fait une évaluation déraisonnable de la preuve?

[29] La demanderesse conteste la conclusion de la SAR selon laquelle la lettre de son père n’était pas crédible parce qu’elle était vague et peu précise. Elle soutient que la SAR a procédé à une analyse « microscopique » de la preuve et a tiré une inférence défavorable du fait que la lettre manquait, selon elle, de détails, même si celle‑ci concordait en tout point avec la demande d’asile de la demanderesse (invoquant la décision Arslan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 252). La demanderesse fait également valoir que l’évaluation qu’a faite la SAR de la chronologie entourant les nouveaux éléments de preuve reposait sur une présomption de [TRADUCTION] « mensonge ».

[30] La demanderesse s’appuie sur ces observations pour faire valoir qu’elle aurait pu répondre aux préoccupations soulevées par la SAR à propos des nouveaux documents qu’elle a présentés si cette dernière avait tenu une audience comme le prévoit le paragraphe 110(6) de la LIPR. Elle fait valoir que, si les nouveaux éléments de preuve documentaire soulevaient une question importante en ce qui concerne sa crédibilité, qu’ils étaient essentiels pour la prise de sa décision et que, à supposer qu’ils soient admis, ils justifiaient que sa demande d’asile soit accordée ou refusée, la SAR pouvait tenir une audience. En l’espèce, la demanderesse soutient que la lettre de son père était suffisante pour accueillir sa demande d’asile puisqu’elle corroborait les principaux aspects de sa version des faits et confirmait qu’elle était persécutée en raison de sa religion. Selon cet argument, la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle ou a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience.

[31] Je ne crois pas que la décision de la SAR contienne une erreur qui permettrait à la Cour d’intervenir.

[32] Premièrement, l’analyse de la SAR ne portait pas seulement sur les préoccupations que celle‑ci avait au sujet de la chronologie des nouveaux éléments de preuve et le fait qu’ils ne contenaient aucun détail. La SAR a tout d’abord noté que la demanderesse n’avait pas directement contesté les conclusions de la SPR qui minaient les nouveaux éléments de preuve, notamment celle portant sur le manque de crédibilité de la preuve selon laquelle le père de la demanderesse habitait avec cette dernière et avait ainsi accès à de l’information au sujet de sa situation, et celle concernant le manque de crédibilité du témoignage de la demanderesse au sujet de la situation de la maison‑église qu’elle fréquentait ainsi que des membres qui la composaient.

[33] Cela dit, la SAR a jugé que la chronologie entourant les nouveaux éléments de preuve manquait de crédibilité. Il est vrai qu’elle aurait pu tirer une conclusion différente, mais il lui était loisible de tirer la conclusion qu’elle a tirée, soit que ce n’était pas par hasard que, peu de temps après que la SAR eut invité la demanderesse à présenter de nouveaux éléments de preuve, son père avait rencontré son amie sur la rue et avait obtenu de nouveaux renseignements permettant d’étayer sa demande d’asile.

[34] Deuxièmement, je reconnais que l’argument de la demanderesse, selon lequel la SAR aurait pu adopter une approche moins stricte à l’égard de la lettre rédigée par le père de la demanderesse, a un certain fondement. Toutefois, à la lumière des deux autres conclusions mentionnées ci‑dessus, qui justifiaient que la SAR conclue que la nouvelle preuve ne devait avoir aucun poids et qu’elle ne l’emportait pas sur les conclusions en matière de crédibilité de la SPR, la possibilité que la SAR ait adopté une approche [traduction] « microscopique » ne saurait être élevée au rang d’erreur susceptible de contrôle.

[35] Ensuite, la demanderesse fait valoir qu’il y a incohérence entre la conclusion tirée par la SAR, à savoir que la nouvelle preuve était crédible et pouvait être admise au titre du paragraphe 110(4), et celle selon laquelle cette preuve n’était pas crédible et n’avait « aucun poids ». À mon avis, il n’est pas incohérent de conclure qu’un document est « crédible » aux fins de son admissibilité à l’instance, puis d’y accorder peu de poids (c.‑à‑d. une valeur probante), voire aucun, après avoir examiné son contenu. Dans le premier cas, il est question de la fiabilité du document : en l’espèce, la lettre du père de la demanderesse était jointe à l’affidavit de cette dernière et était accompagnée d’un accusé de réception et d’une preuve de l’identité de l’expéditeur en Chine (par l’entremise du formulaire en ligne utilisé par le père de la demanderesse). Dans le deuxième cas, il est question de la valeur probante du document, soit sa capacité à prouver les faits qu’il vise à prouver. Un document peut être jugé fiable et crédible aux fins de son admission en preuve, et ne pas pouvoir quand même prouver les faits qu’il est censé prouver parce que son contenu n’a aucune valeur probante.

[36] L’argument avancé par la demanderesse quant à la tenue d’ une audience semble fondé sur une conception erronée des paragraphes 110(4) et 110(6) de la LIPR. Mon collègue, le juge Ahmed, a expliqué ce qui suit dans la décision A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 61 :

[17] Compte tenu de la jurisprudence, les demandeurs ont présenté une conception erronée de l’application des paragraphes 110(4) et 110(6) de la LIPR. Rien n’oblige la SAR à tenir une audience pour évaluer la crédibilité d’un nouvel élément de preuve; c’est lorsqu’une preuve par ailleurs crédible et admise soulève une préoccupation importante quant à la crédibilité générale du demandeur qu’il devient pertinent de tenir une audience. Une « conclusion concernant la crédibilité » relativement à l’admissibilité d’un nouvel élément de preuve n’équivaut pas à une appréciation de la crédibilité des demandeurs.

[Souligné dans l’original.]

[37] En l’espèce, les éléments admis en preuve comprenaient un affidavit de la demanderesse. Toutefois, cet affidavit ne faisait que reprendre, à quelques détails près, le contenu de la lettre du père à propos de la discussion que celui‑ci avait eue avec Mme Yu. Les réserves exprimées par la SAR au sujet de la nouvelle preuve touchaient à la fiabilité et à la valeur probante du document relatant la discussion entre le père de la demanderesse et Mme Yu, soit la lettre rédigée par le père, plutôt qu’à la reformulation du contenu de cette lettre par la demanderesse, et par conséquent, à la crédibilité de cette dernière.

[38] La SAR n’a pas conclu qu’elle doutait encore plus de la crédibilité de la demanderesse à cause du contenu de la lettre de son père. Si je comprends bien ses motifs, elle a conclu que le témoignage antérieur de la demanderesse, jugé non crédible, minait le contenu de la lettre du père parce que la demanderesse n’avait pas contesté en appel les conclusions tirées par la SPR, selon lesquelles elle n’avait pas présenté un témoignage cohérent sur la question de savoir si son père et elle habitaient à la même adresse, et sur la façon dont elle avait appris que la maison‑église avait été fermée. Puisque la demanderesse n’a pas contesté devant la SAR les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR concernant ces deux questions, elle ne peut pas maintenant reprocher à la SAR de n’avoir pas utilisé la lettre pour conclure qu’elle habitait bel et bien avec son père et qu’il l’avait informée de la situation de la maison‑église.

[39] De plus, à mon avis, la SAR n’était pas obligée de tenir une audience pour permettre à la demanderesse de remédier aux problèmes de crédibilité que la SAR avait soulevées à l’égard des nouveaux éléments de preuve produits par la demanderesse. Selon le paragraphe 110(6), la SAR « peut » tenir une audience si les trois conditions y énoncées sont respectées, notamment si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui « soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause », c.‑à‑d. la crédibilité de la demanderesse. Dans les présentes circonstances, la SAR n’avait pas l’obligation de tenir une audience à propos du contenu de la lettre rédigée par le père de la demanderesse puisque la lettre ne suscitait pas d’autres préoccupations quant à la crédibilité de la demanderesse. L’affidavit de la demanderesse ne change en rien cette conclusion puisqu’il ne fait que reprendre la majeure partie du contenu de la lettre du père.

[40] Enfin, il convient de rappeler que la SAR a conclu que le propre témoignage de la demanderesse à propos de sa foi chrétienne, la question au cœur de sa demande d’asile et de protection, manquait tellement de crédibilité que la nouvelle preuve ne pouvait l’emporter sur ce point. La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne l’emportaient pas sur les problèmes soulevés par le témoignage de la demanderesse.

[41] Pour ces motifs, je conclus que la demanderesse n’a pas prouvé que la SAR avait fait une évaluation déraisonnable des éléments de preuve.

B. La SAR a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

[42] La demanderesse a contesté deux des conclusions tirées par la SAR en matière de crédibilité.

[43] La demanderesse a tout d’abord fait valoir que la SAR avait appliqué une [TRADUCTION] « présomption de mensonge » en rejetant l’idée que la demanderesse ait pu faire une erreur à propos de la date à laquelle elle a commencé à fréquenter la maison‑église en Chine. Je ne trouve aucun fondement à cette prétention dans les motifs de la SAR. La demanderesse a présenté le même argument devant la SAR, affirmant que la SPR avait appliqué une présomption de mensonge. À mon avis, la SAR avait le droit de tenir compte de la contradiction qu’il y avait entre le passeport de la demanderesse et le formulaire FDA de cette dernière, et de conclure qu’il existait un motif sérieux de douter de son témoignage. Il est difficile de ne pas être d’accord avec la SAR lorsqu’elle dit que la demande d’asile de la demanderesse repose sur la prémisse que celle‑ci fréquentait une maison‑église en Chine, de sorte que toute incohérence dans la preuve produite à cet égard peut poser problème.

[44] Deuxièmement, la demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR selon laquelle la décision relative à une peine administrative frauduleuse et la citation à comparaître divulguées par la demanderesse étaient frauduleuses. Selon elle, cette conclusion repose exclusivement sur les autres conclusions que la SAR a tirées quant à sa crédibilité, de sorte qu’elle est irrémédiablement viciée par les erreurs commises dans l’évaluation de sa crédibilité. Comme la demanderesse n’a pas établi que les conclusions quant à la crédibilité de la SAR étaient déraisonnables, cet argument ne saurait être retenu.

IV. Conclusion

[45] Pour ces motifs, la demande est rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et la Cour n’en énonce aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3563-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée aux fins de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3563-20

 

INTITULÉ :

XIAOYAN TAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A. D. LITTLE.

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

Pour lA demandeRESSE

 

Nicholas Dodokin

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elyse Korman

Korman & Korman LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour lA demandeRESSE

 

Nicholas Dodokin

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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