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Date : 20211109


Dossier : IMM‑3253‑21

Référence : 2021 CF 1212

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 9 novembre 2021

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

ABDULMOULLA S ABDULMOULLA ALGAZAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 29 avril 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la décision de la SAR] a conclu que le défendeur n’était pas exclu de la protection que confère l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés [la Convention] de l’Organisation des Nations Unies [l’ONU]. La SAR a de plus conclu que le défendeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2] Le demandeur soutient que notre Cour devrait faire droit à la demande de contrôle judiciaire, car la SAR a commis une erreur en concluant que le défendeur n’était pas exclu de la possibilité de solliciter le statut de réfugié en raison de ses antécédents de violence conjugale envers des femmes au Canada. Je suis d’avis que la décision de la SAR est raisonnable, et je rejette la présente demande.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[3] Le demandeur, âgé de 35 ans, est citoyen de la Libye. Il est arrivé au Canada en 2009 pour y suivre une formation en pilotage d’avion. Sa famille, perçue comme favorable à Kadhafi, avait été prise pour cible par des milices parce que son père avait occupé pendant quarante ans un poste de cadre au sein d’une société pétrolière nationale en Libye. Les membres de la famille du défendeur sont partis pour le Canada et ont obtenu le statut de réfugié en mars 2015.

[4] Entre 2011 et 2013, le défendeur a fait face à de graves allégations de violence conjugale à l’égard de deux ex‑petites amies pendant son séjour au Canada, dont les suivantes : agression physique ayant causé des lésions, séquestration illégale, contrôle et autres formes de sévices. La police a déposé contre lui un certain nombre d’accusations criminelles, lesquelles ont toutefois toutes été suspendues en raison du manque de collaboration des victimes présumées.

Les décisions antérieures

[5] La présente affaire a été l’objet de plusieurs instances depuis que le défendeur a présenté une demande d’asile au Canada en septembre 2015. Pour commencer, sa demande a été renvoyée à la Section de l’immigration [la SI] en vue de la tenue d’une enquête en vertu de l’alinéa 34(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR] pour des incidents de violence conjugale que le défendeur avait censément commis. La SI a conclu que le défendeur n’était pas interdit de territoire au sens de cet alinéa, et l’affaire a été renvoyée à la Section de la protection des réfugiés [la SPR].

[6] À l’audience de la SPR, le demandeur a fait valoir que les incidents de violence conjugale que le défendeur avait commis l’excluaient de la protection conférée par l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention. La SPR a souscrit à cet argument dans une décision datée du 7 mai 2018. De plus, étant donné que les allégations de persécution du défendeur étaient fondées sur la persécution qu’avaient vécue les membres de sa famille et non sur celle qu’il avait lui‑même vécue antérieurement, la SPR a jugé inutile d’examiner la prétention d’inclusion au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[7] Dans une décision datée du 18 février 2019, la SAR a fait droit à l’appel du défendeur [la première décision de la SAR]. Appliquant l’arrêt Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, 1998 CanLII 778 (CSC) [Pushpanathan], elle a conclu que l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention n’excluait pas le défendeur de la protection au Canada. Elle a conclu en outre que ce dernier avait le statut de réfugié au sens de la Convention, car il avait présenté au soutien de sa demande des éléments de preuve semblables à ceux que les membres de sa famille avaient produits dans le cadre de leurs demandes fructueuses.

[8] À la suite d’une demande de contrôle judiciaire du demandeur, le juge Ahmed a infirmé la première décision de la SAR dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Algazal, 2020 CF 336. Le juge Ahmed a jugé que la SAR avait commis une erreur en concluant que le défendeur avait la qualité de réfugié au sens de la Convention, et il n’a pas analysé la question de savoir si le défendeur était exclu de la protection au Canada du fait de ses antécédents de violence envers des femmes.

B. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[9] La SAR a réexaminé la demande d’asile du défendeur et a conclu que celui‑ci n’était pas exclu de la protection au Canada. Elle a également jugé que le défendeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[10] Dans l’analyse qu’elle a effectuée au regard de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, la SAR a examiné : 1) s’il y avait de sérieuses raisons de penser que le défendeur avait commis des actes de violence conjugale envers deux femmes, et 2) si ces actes étaient contraires aux buts et aux principes de l’ONU.

[11] La SAR a conclu que, même si les accusations contre le défendeur avaient été suspendues, il y avait de sérieuses raisons de penser qu’il avait commis des actes de violence conjugale envers ses deux ex‑petites amies, parce que le critère juridique et le cadre probant qui s’appliquent à l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention sont moins stricts que la norme criminelle de la preuve hors de tout doute raisonnable.

[12] Pour décider si les actes commis par le défendeur étaient contraires aux buts et aux principes de l’ONU, la SAR a pris en compte le cadre énoncé dans l’arrêt Pushpanathan à l’égard de la question de savoir s’il y a consensus en droit international que les agissements en question sont : 1) explicitement reconnus comme contraires aux buts et aux principes de l’ONU, ou 2) des violations suffisamment « graves, soutenues et systémiques » des droits fondamentaux de la personne qui constituent une persécution.

[13] La SAR a conclu qu’il n’est pas déclaré de manière explicite dans les documents de l’ONU que de tels agissements sont contraires aux buts et aux principes de l’ONU. La SAR a fait sienne la conclusion de la SPR selon laquelle la violence conjugale est contraire à la préoccupation qu’a expressément déclarée la communauté internationale vis‑à‑vis de la violence et de la discrimination fondées sur le sexe et qu’il s’agit donc d’une violation de droits de la personne fondamentaux, qu’il existe un lien fondé sur le sexe avec un motif énoncé dans la Convention pour les victimes de violence conjugale et que les actes de violence conjugale tombent sous le coup de la définition reconnue à l’échelle internationale des actes de persécution constituant une violation des droits de la personne. En fin de compte, tout en notant que les agissements du défendeur à l’endroit de ses petites amies au cours d’une période de deux ans constituaient des violations « soutenues » et « graves » des droits de la personne, la SAR a conclu que le défendeur n’était pas exclu de la protection au Canada parce que ses actes n’étaient pas « systémiques ».

III. Question en litige

[14] La seule question dont je suis saisie consiste à savoir si la SAR a conclu de manière raisonnable que le défendeur n’était pas exclu de la protection au Canada en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention.

IV. Norme de contrôle applicable

[15] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il faut partir de la présomption que la norme de contrôle du bien‑fondé d’une décision administrative est la décision raisonnable : Vavilov, au para 25. Le demandeur est d’avis que les circonstances de l’espèce ne justifient pas que l’on s’écarte de cette norme. Le défendeur n’a pas pris position sur la question de la norme de contrôle applicable. C’est la norme de la décision raisonnable que j’appliquerai pour contrôler la décision de la SAR.

V. Analyse

[16] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur dans les deux conclusions qui suivent :

  • a) qu’il n’est pas déclaré de manière explicite dans les documents de l’ONU que la violence conjugale est contraire aux buts et aux principes de l’ONU;

  • b) que les actes du défendeur n’étaient pas des violations suffisamment « graves, soutenues et systémiques » des droits fondamentaux de la personne pour qu’il soit exclu en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention.

[17] Il convient de signaler que les parties ne contestent pas la conclusion de la SAR selon laquelle il y avait de sérieuses raisons de penser que le défendeur avait commis des actes de violence conjugale envers ses deux ex‑petites amies. Les actes violents que le défendeur a censément commis à l’endroit de ces deux femmes, comme les décrivent de nombreux rapports de police, sont répréhensibles. À l’audience de la SPR, le défendeur a tenté de rationaliser son comportement, sans succès toutefois, en les attribuant à une tumeur au cerveau bénigne qu’on lui a retirée deux ans après les incidents allégués. Il a également soutenu qu’il ne pouvait pas se souvenir de ce qu’il avait pu faire. La SPR a rejeté ces explications, et la conclusion qu’elle a tirée à cet égard a été confirmée à bon droit par la SAR.

[18] Comme il a été mentionné plus tôt, pour ce qui est de l’analyse de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, l’arrêt clé est Pushpanathan. Comme il a force obligatoire, cet arrêt constitue une « contrainte juridique » qui a une incidence sur la décision de la SAR, conformément à l’arrêt Vavilov, au paragraphe 112.

[19] Depuis que la Cour suprême s’est prononcée dans l’affaire Pushpanathan, le gros des décisions que notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont rendues au sujet de cette clause d’exclusion découlent de l’implication du demandeur d’asile concerné dans des actes de violence ou de terrorisme à caractère politique : p. ex., Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867, Islam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 71, et El Hayek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 835. Le demandeur n’a fait référence à aucune affaire – pas plus que je n’ai pu en trouver une – dans laquelle le ministre cherchait à exclure un demandeur d’asile en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention pour cause d’allégations de violence conjugale. Il est donc nécessaire que je situe mon analyse en approfondissant le cadre qu’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Pushpanathan pour pouvoir déterminer si la SAR a conclu de manière raisonnable que, en l’espèce, le défendeur ne devrait pas être exclu sur ce fondement.

L’arrêt Pushpanathan de la Cour suprême du Canada

[20] Dans l’arrêt Pushpanathan, le juge Bastarache a entrepris son analyse en signalant que les conséquences pratiques d’une exclusion automatique en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention sont « profondes » parce que les personnes visées « sont automatiquement exclues des protections de la [loi sur l’immigration] » et peuvent être « refoulées dans le pays qu’elles ont fui » et qu’il s’agit là du « contexte dans lequel il faut étudier l’interprétation de l’exclusion énoncée à la section Fc) [sic] de l’article premier de la Convention » : Pushpanathan, aux para 13 et 14.

[21] Faisant remarquer que l’on appliquerait le texte de la Convention et les règles d’interprétation des traités pour déterminer le sens de l’alinéa Fc) de l’article premier (Pushpanathan, au para 51), le juge Bastarache s’est lancé dans un examen des buts et des objets en matière de droits de la personne de la Convention par rapport auxquels des dispositions particulières doivent être interprétées. Recourant à ce cadre fondé sur les droits de la personne, il a conclu que l’objet général de la section 1F « n’est pas de protéger le pays d’accueil contre les réfugiés dangereux, que ce soit en raison d’actes commis avant ou après la présentation de la revendication du statut de réfugié; c’est l’art. 33 de la Convention qui vise cet objectif. Il est plutôt [question] d’exclure ab initio ceux qui ne sont pas des réfugiés authentiques au moment de la présentation de leur revendication » : Pushpanathan, au para 58.

[22] Considérant l’historique rédactionnel de la clause d’exclusion et prenant en compte le Guide du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCNUR], le juge Bastarache a dit de l’alinéa Fc) de l’article premier qu’il s’agit d’une « clause supplétive qui […] en raison de son caractère très général, ne doit être appliquée qu’avec circonscription ». C’est la raison pour laquelle les mots « buts et principes » des Nations Unies devraient avoir un « sens plus étroit et plus précis que celui que permettrait naturellement d’inférer la Charte des Nations Unies » : Pushpanathan, au para 62.

[23] C’est dans ce contexte que la Cour suprême en est venue à conclure que « s’il y a consensus en droit international sur des agissements particuliers qui sont tenus pour être des violations suffisamment graves et soutenues des droits fondamentaux de la personne pour constituer une persécution, ou qui sont explicitement reconnus comme contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, la section Fc) [sic] de l’article premier est alors applicable » : Pushpanathan, au para 65.

[24] Au paragraphe 68, le juge Bastarache a signalé qu’un aspect important de l’exclusion que prévoit l’alinéa Fc) de l’article premier est « l’inférence voulant que les violateurs des principes et des buts des Nations Unies doivent être des personnes exerçant le pouvoir », tout en faisant état qu’il ne fallait pas exclure a priori la possibilité qu’une personne n’agissant pas au nom de l’État commette des violations des droits de la personne à une échelle assimilable à de la persécution.

[25] Adoptant ce cadre, la Cour suprême a conclu dans l’arrêt Pushpanathan que, bien que le trafic de drogue soit un crime grave, il n’y avait aucune indication en droit international que ce genre de crime, à quelque échelle que ce soit, était considéré comme contraire aux buts et aux principes de l’ONU. Comme l’a explicité le juge Bastarache au paragraphe 69 :

[69] […] L’intimé a présenté des éléments de preuve établissant que la communauté internationale avait mis en train un effort coordonné pour arrêter le trafic des drogues illicites par l’entremise de nombreux traités, déclarations et institutions des Nations Unies. Il n’a toutefois pas pu citer de déclaration explicite énonçant que le trafic des drogues était contraire aux buts et aux principes des Nations Unies ou que pareils agissements devraient être pris en compte au moment de décider d’accorder l’asile à un réfugié. Par une telle déclaration explicite, la communauté internationale ferait savoir qu’elle estime que de tels agissements doivent être tenus pour équivalents à des violations graves, soutenues et systémiques des droits fondamentaux de la personne constituant une persécution.

[26] Cela dit, voyons maintenant les deux objections que le demandeur a soulevées à propos de la décision de la SAR.

Question no 1 : Était‑il raisonnable de la part de la SAR de conclure qu’il n’est pas déclaré de manière explicite dans les documents de l’ONU que la violence conjugale est contraire aux buts et aux principes de l’ONU?

[27] Comme l’a tout d’abord signalé la SAR au paragraphe 36 de sa décision, selon la décision de la majorité dans l’arrêt Pushpanathan, l’une des indications qu’un acte est contraire aux buts et aux principes de l’ONU et qu’il tombe sous le coup de l’alinéa Fc) de l’article premier est qu’il existe une [TRADUCTION] « résolution de l’ONU largement admise qui déclare explicitement que la conduite en question est contraire aux buts et aux principes de l’ONU ». La SAR a ensuite conclu :

[traduction]
J’estime que ce n’est pas le cas en l’espèce. Bien que le conseil du ministre, dans ses observations à la SPR, ait mentionné à juste titre plusieurs déclarations et conventions de l’ONU, ainsi que des résolutions de l’ONU, ayant pour motif l’élimination de toutes les formes de violence à l’endroit des femmes et des filles, on ne relève dans ces documents aucune déclaration explicite qu’une telle conduite est contraire aux buts et aux principes de l’ONU. La SAR n’a pas non plus trouvé de déclarations d’organismes, tels que la Cour internationale de justice, qui indiquent que des actes de violence de cette nature, perpétrés par un individu contre deux personnes, étayeraient cette conclusion.

[28] Dans les observations qu’il a présentées à notre Cour, et devant la SAR, le demandeur invoque la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de l’ONU, 20 décembre 1993, A/RES/40/34 [la DEVAW] qui, à l’article premier, définit la « violence à l’égard des femmes » comme « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ». Le demandeur souligne que la DEVAW reconnaît, dans son préambule, que « la violence à l’égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination exercées par les premiers » et qu’elle « compte parmi les principaux mécanismes sociaux auxquels est due la subordination des femmes aux hommes ». Le demandeur fait valoir que la DEVAW considère la violence systémique exercée contre les femmes comme une [TRADUCTION] « multitude d’actes de violence individuels que des hommes commettent contre des femmes ».

[29] Le demandeur fait également référence à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 18 décembre 1979 [CEDAW], que le Canada a ratifiée, ainsi qu’à la Déclaration de Beijing et son Programme d’action [la Déclaration de Beijing], une résolution que l’ONU a adoptée à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, tenue du 4 au 15 septembre 1995, de même qu’à un rapport publié par le gouvernement canadien, pour faire valoir que celui‑ci a reconnu que la violence à l’égard des femmes est une violation des droits de la personne et contraire à l’un des buts et des principes de l’ONU.

[30] Selon le demandeur, étant donné qu’elle a indiqué que des actes qui sont susceptibles de tomber sous le coup de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention sont des actes que [TRADUCTION] « l’ONU a explicitement déclarés comme contraires aux buts et aux principes de l’ONU », la SAR a donc conclu de manière abusive que la violence à l’égard des femmes n’est pas contraire aux buts et aux principes de l’ONU.

[31] Ceci étant dit avec égards, je ne suis pas d’accord.

[32] Ces documents de l’ONU étayent la position du demandeur selon laquelle la violence fondée sur le sexe en général, et la violence conjugale en particulier, sont reconnues par le Canada et l’ONU comme un problème sérieux. Plus précisément, la DEVAW exhorte tous les États parties, dont le Canada, à « condamner la violence à l’égard des femmes » et à « mettre en œuvre sans retard, par tous les moyens appropriés, une politique visant à éliminer la violence à l’égard des femmes » : DEVAW, art 4. La DEVAW prie également les États parties, dont le Canada, d’adopter un certain nombre de mesures, dont les suivantes : inscrire au budget des crédits suffisants pour financer les activités visant à éliminer la violence à l’égard des femmes, veiller à ce que les agents des services d’application de la loi et les fonctionnaires chargés de faire enquête sur les cas de violence à l’égard des femmes et à punir les coupables reçoivent une formation de sensibilisation, favoriser la recherche et rassembler des données sur la violence au foyer et les autres formes de violence à l’égard des femmes, et adopter des mesures visant à éliminer la violence à l’égard des femmes particulièrement vulnérables, etc.

[33] Je signale toutefois que ces mesures, à l’instar de celles qui ont été prononcées dans le cadre d’autres conventions et déclarations de l’ONU, ainsi que dans la Déclaration de Beijing, visent principalement les États parties et non les personnes qui vivent dans ces États.

[34] Plus précisément, la question qui m’est soumise ne consiste pas à savoir si le problème de la violence conjugale est un enjeu que l’ONU a reconnu, mais plutôt si, malgré diverses déclarations et résolutions de l’ONU sur la question, la conclusion de la SAR selon laquelle il n’existe aucune déclaration explicite portant que la violence conjugale est contraire aux buts et aux principes de l’ONU est raisonnable.

[35] Je souscris aux observations du demandeur selon lesquelles des documents nationaux et internationaux, et tout particulièrement la DEVAW, condamnent et visent à éliminer la violence conjugale à l’égard des femmes. Je conviens que la violence conjugale, à l’instar du trafic de drogue, est une infraction grave et répréhensible. Je rejette toutefois l’argument du demandeur selon lequel ces divers accords internationaux ou ces diverses résolutions de l’ONU sont assimilables à une déclaration explicite portant que la violence conjugale est contraire aux « buts et principes » de l’ONU dans le cadre de l’analyse de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention. Cette position, en toute déférence, ne concorde pas avec la décision qu’a rendue la Cour suprême dans l’affaire Pushpanathan, et qui, au paragraphe 62, opte pour un « sens plus étroit et plus précis » que celui que « permettr[aient] naturellement d’inférer » ces documents de l’ONU.

[36] Ces divers documents de l’ONU, dont la DEVAW, la CEDAW et la Déclaration de Beijing, font tous ressortir l’urgence des mesures qu’il convient de prendre pour s’attaquer à l’inégalité des sexes et à la violence fondée sur le sexe. Mais, comme l’a conclu la SAR, et je suis d’accord, dans aucun de ces documents est‑il déclaré explicitement que la violence fondée sur le sexe est contraire aux buts et aux principes de l’ONU. Le simple fait que le demandeur a déclaré que cela est le cas n’en fait pas une réalité.

[37] Je signale que la SAR a également examiné, ainsi que l’exige la Cour suprême dans l’arrêt Pushpanathan, si des organismes tels que la Cour internationale de justice ont indiqué que la violence de cette nature, exercée par un individu contre deux personnes, serait contraire aux buts et aux principes de l’ONU, mais qu’il lui a été impossible de trouver une telle déclaration. Le demandeur n’a invoqué aucune preuve qui dénote le contraire.

[38] Je conclus donc que l’analyse de la SAR sur ce point concorde avec le cadre énoncé dans l’arrêt Pushpanathan et que sa conclusion est raisonnable.

Question no 2 : Était‑il raisonnable de la part de la SAR de conclure que les actes du défendeur n’étaient pas des violations suffisamment « graves, soutenues et systémiques » des droits fondamentaux de la personne?

[39] La SAR a analysé le sens du mot « systémique » en conformité avec [TRADUCTION] « son sens ordinaire dans le contexte de la Convention, et à la lumière de son but et de son objet », au paragraphe 44. Elle a conclu que ce mot est un « adjectif » dont le sens ordinaire qualifie [TRADUCTION] « un substantif pour dénoter un système, plutôt qu’un élément d’un système », au paragraphe 47. Elle a conclu que le défendeur n’avait pas pris part à [TRADUCTION] « un système organisé qui persécute de nombreuses personnes ou leur porte gravement préjudice » ou qu’il n’avait pas commis d’actes semblables à ceux qui font l’objet de poursuite devant la Cour pénale internationale. Le défendeur était plutôt [TRADUCTION] « un individu ayant commis des actes de violence conjugale à l’endroit de deux femmes ». La SAR a reconnu que, contrairement à l’affaire Pushpanathan, il existe en l’espèce un lien avec un motif énoncé par la Convention, mais elle a conclu que le défendeur n’était pas [TRADUCTION] « complice d’un organisme de grande taille qui persécute des personnes au‑delà de frontières internationales, ou à une échelle de masse à l’intérieur des frontières d’un pays » et qu’il n’avait pas commis de [TRADUCTION] « traite de personnes ». La SAR a quand même trouvé que les actes du défendeur étaient [TRADUCTION] « répréhensibles », mais elle a jugé que ceux‑ci étaient d’une portée trop restreinte pour être [TRADUCTION] « systémiques », au paragraphe 51.

[40] Pour contester la conclusion de la SAR, le demandeur a invoqué l’arrêt Pushpanathan pour son argument d’après lequel, si la violation est assimilable aux principes fondamentaux les plus sacrés des droits de la personne, alors, dans ce cas, même une violation isolée peut se solder par une exclusion fondée sur l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention. Il soutient de plus que [TRADUCTION] « le comportement […] de plus en plus prédateur, violent et contrôlant [du défendeur] à l’endroit de deux femmes sur une période de deux ans était odieux et touchait directement les valeurs et les objets fondamentaux que la communauté internationale s’efforce de protéger et de préserver ».

[41] À l’audience, le demandeur a fait valoir de plus que la SAR avait commis une erreur en omettant de prendre en considération le comportement du défendeur dans le contexte de la nature systémique plus générale de la violence fondée sur le sexe, un problème qui, comme l’ont reconnu l’ONU et le Canada, perpétue l’inégalité entre les sexes tout en renforçant le pouvoir inégal des femmes.

[42] Bien que je sois sensible à la position du demandeur selon laquelle la violence fondée sur le sexe est un problème de nature systémique, ma tâche consiste à examiner le caractère raisonnable de la conclusion de la SAR, à savoir que, dans la présente affaire, les actes du défendeur n’étaient pas assimilables à des violations « systémiques » de droits fondamentaux de la personne de façon à constituer de la persécution. Je suis d’avis que la jurisprudence étaye la décision de la SAR.

[43] Une fois de plus, je m’inspire de ce que la Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Pushpanathan. Après avoir considéré qu’un acte isolé peut se solder par une exclusion en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention si la règle que l’on viole « est assimilable aux principes fondamentaux les plus sacrés des droits de la personne et que sa transgression [est] reconnue comme immédiatement sujette à la réprobation et au châtiment de la communauté internationale », au paragraphe 70, et qu’une « violation grave et soutenue des droits de la personne constituant une persécution peut se dégager en outre d’une situation de fait particulièrement flagrante, y compris de l’importance de la complicité du requérant », au paragraphe 71, le juge Bastarache s’est étendu, au paragraphe 73, sur le chevauchement possible entre l’alinéa Fc) et l’alinéa Fb), qui traite de l’exclusion fondée sur les crimes graves à caractère non politique :

[73] […] De toute évidence, la section Fb) [sic] est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d’extradition en vertu d’un traité puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l’entrée dans le pays d’accueil. Goodwin‑Gill, op. cit., à la p. 107, dit ceci :

[traduction] En vue de favoriser l’uniformité des décisions, le HCNUR a proposé que, lorsqu’aucun facteur politique ne joue, une présomption de crime grave puisse découler de la preuve de la perpétration de l’une ou l’autre des infractions suivantes : l’homicide, l’agression sexuelle, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic des drogues et le vol qualifié.

Les parties ont voulu s’assurer que les criminels de droit commun ne puissent pas se soustraire à l’extradition et aux poursuites en demandant le statut de réfugié. Vu la portée bien définie de la section Fb) [sic] de l’article premier, celle‑ci étant limitée aux «crimes graves de droit commun» commis en dehors du pays d’accueil, on doit inévitablement en inférer que les crimes graves de droit commun ne sont pas visés par le libellé général et catégorique de la section Fc) [sic] de l’article premier. […]

[Non souligné dans l’original.]

[44] En d’autres termes, même des crimes aussi graves que le viol (un autre exemple de violence fondée sur le sexe) n’excluraient pas un demandeur d’asile en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, mais il pourrait l’être en application de l’alinéa Fb) si l’acte en question a eu lieu à l’extérieur du Canada.

[45] De plus, je considère que d’autres passages de l’arrêt Pushpanathan jettent aussi un peu de lumière sur l’interprétation du mot « systémique ». Au paragraphe 70 de cet arrêt, dans lequel la Cour traite de la possibilité que des incidents isolés puissent tomber sous le coup de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, elle signale que c’est dans le contexte d’infractions justiciables des tribunaux dans tous les États (ce qui implique les crimes contre l’ordre international) ou de la Cour pénale internationale :

[70] […] Si cette règle est assimilable aux principes fondamentaux les plus sacrés des droits de la personne et que sa transgression soit reconnue comme immédiatement sujette à la réprobation et au châtiment de la communauté internationale, alors même une violation isolée peut entraîner une exclusion fondée sur la section Fc) [sic] de l’article premier. Le fait que la violation soit considérée comme une infraction justiciable des tribunaux dans tous les États serait une indication persuasive que même une violation isolée constitue une persécution. À cet égard, si la communauté internationale devait adopter l’avant‑projet de statut d’une cour internationale de justice pénale, Doc. NU A/CN.4/L.491/Rev.2, qui, dans sa version actuelle, attribue à ce tribunal une compétence sur le trafic de stupéfiants, en plus des crimes de guerre, de la torture et du génocide, il y aurait alors beaucoup plus de chances qu’un tribunal puisse conclure à une violation grave des droits de la personne en raison de ces activités. [Non souligné dans l’original.]

[46] Si l’on applique ce raisonnement, indépendamment des efforts faits par le demandeur pour tenter de transformer les actes haineux du défendeur en des violations des droits de la personne internationaux, ce dernier, pour reprendre la terminologie qu’emploie la Cour suprême, n’est qu’un « criminel de droit commun ». Ces actes, bien qu’odieux, n’atteignent pas un niveau qui fera l’objet de la « réprobation et [du] châtiment de la communauté internationale ».

[47] Je signale en outre que notre Cour a conclu que la violence familiale commise à l’extérieur du Canada est un grave crime de droit commun qui exclut le demandeur d’asile en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention : Unachukwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 199.

[48] Il n’est pas non plus convaincant selon moi, comme l’a fait valoir le demandeur, que la nature systémique de la violence fondée sur le sexe signifie qu’il faut de ce fait qualifier de « systémiques » les actes individuels de violence que le défendeur a commis à l’endroit de ses deux ex‑petites amies.

[49] La Cour suprême n’est pas entrée dans les détails de ce qu’elle voulait dire par « systémique » dans le contexte de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, mais je suis d’avis que les exemples qu’elle a donnés illustrent les actes qui sont visés par cette disposition (comme l’apartheid), par opposition à ceux qui ne le sont pas (comme les crimes graves de droit commun que vise l’alinéa Fb)). Je signale également que la Cour, dans son analyse, met l’accent sur les représentants de l’État (par opposition aux violateurs autres que ces derniers).

[50] Dans l’affaire X (Re), 2019 CanLII 90371 (CA CISR), VB8‑02867, la SAR a examiné l’application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention et a cité le dictionnaire anglais Oxford [version en ligne] pour définir le mot « systémique » comme étant [traduction] « relatif à un système dans son ensemble, et non à une partie précise », au paragraphe 22. L’examen que la SAR a fait du mot « systémique » a été cité à son tour dans Words and Phrases: Judicially Defined in Canadian Courts and Tribunals : juin 2021, vol. 7.

[51] Le Stroud’s Judicial Dictionary of Words and Phrases, 10e éd., vol. 3, indique ce qui suit : [TRADUCTION] « l’adjectif ‘systémique’ peut vouloir dire ‘systématique’ : c’est‑à‑dire quelque chose qui est ‘organisé ou exécuté en fonction d’un système, d’un plan ou d’une méthode organisée’ (Shorter Oxford English Dictionary, sub nom. ‘systémique’ et ‘systématique’) ».

[52] Compte tenu de ce qui précède, et pour pouvoir trancher la présente affaire, je conclus que le mot « systémique », comme l’exige la Cour suprême pour déclencher l’exclusion en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, désigne les actes qui, du fait de leur incidence sur un système, ou qui sont exécutés par une méthode organisée en fonction d’un système, et non du fait qu’ils sont le reflet d’un contexte social plus vaste d’inégalités systémiques ou structurales, seraient quasi assimilables à une violation des « principes fondamentaux les plus sacrés des droits de la personne ».

[53] Bien que la violence fondée sur le sexe en tant que problème soit systémique parce qu’elle symbolise un problème social plus vaste d’inégalités entre les sexes, l’acte que commet un individu seul dans une situation donnée ne l’est pas forcément.

[54] Cependant, aussi grave qu’ait pu être l’impact des agissements du défendeur sur ses deux victimes présumées, il serait difficile de soutenir que le défendeur, un civil et un individu sans statut ni plus ni moins, a, par ses actes, consolidé le problème systémique qu’est la violence fondée sur le sexe dans son ensemble au Canada ou ailleurs. Le fait que le défendeur ait peut‑être pu s’en tirer malgré des actes haineux de violence conjugale fait aussi partie, pourrait‑on soutenir, d’un problème systémique, mais, en soi, ce fait ne conférait pas à ses actes un caractère systémique.

[55] Cela étant, bien que je ne sois pas d’accord avec la décision de la SAR que le mot « systémique » se limite aux situations où le demandeur d’asile fait partie d’une organisation de plus grande envergure ou d’activités telles que la traite de personnes, j’estime, au vu de la jurisprudence, qu’il est raisonnable de la part de la SAR d’avoir conclu que, même si l’on peut qualifier la conduite du défendeur dans la présente affaire de « grave et soutenue », ses actes ne sont pas « systémiques » et [TRADUCTION] « ne sont pas le genre d’agissements que les rédacteurs de la Convention ont envisagé pour justifier une exclusion en application de l’alinéa Fc) de l’article premier », au paragraphe 55.

[56] Ma décision ne vise pas à écarter la possibilité que, dans les affaires qui s’y prêtent, les agents qui jouent un rôle crucial en préservant, sinon en alimentant, de manière systématique l’état d’inégalité entre les sexes peuvent fort bien être exclus de la possibilité de présenter une demande d’asile en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention pour le rôle qu’ils ont joué en perpétuant la violence fondée sur le sexe. Ma décision changerait également si la communauté internationale décidait un jour de déclarer explicitement que la violence conjugale va à l’encontre des buts et des principes de l’ONU. Mais ce jour‑là n’est pas encore arrivé.

[57] Compte tenu des conclusions qui précèdent, je n’ai pas à traiter de l’argument qu’a avancé le défendeur, à savoir que le demandeur essaie de contourner la Charte canadienne des droits et libertés, comme l’a conclu la SI, en tentant d’élever ses actes à un niveau semblable à celui des individus qui commettent des violations systémiques des droits de la personne à l’encontre d’une population entière.

[58] En conclusion, si l’on adopte l’approche énoncée dans l’arrêt Pushpanathan, laquelle tient compte des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne pour interpréter de manière étroite la clause d’exclusion que comporte l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que le défendeur n’était pas exclu de la protection que cette disposition confère aux réfugiés.

VI. Conclusion

[59] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VII. Certification

[60] Le demandeur a proposé une question principale et une question subsidiaire à certifier, et le défendeur s’y oppose.

[61] La principale question qu’a proposée le demandeur est la suivante :

[traduction]
L’existence de déclarations, de conventions et de résolutions de l’ONU au sujet de la violence à l’égard des femmes et des efforts faits pour éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes, suffit‑elle pour que cette violence soit considérée comme contraire aux buts et aux principes de l’ONU, au sens de l’alinéa Fc) de l’article premier?

[62] Subsidiairement, le demandeur a proposé une seconde question :

[traduction]
Pour qu’il y ait exclusion en application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, les agissements d’un individu qui commet des actes de violence graves et soutenus envers des femmes doivent‑ils être « systémiques », en ce sens que cet individu doit jouer un rôle de premier plan dans la perpétration à grande échelle d’actes de violence envers des femmes ou être complice de tels actes?

[63] Le demandeur soutient que ces questions [TRADUCTION] « soulèvent des questions graves de portée générale et sont déterminantes quant à l’issue d’un appel ». Reconnaissant [TRADUCTION] « l’incidence marquée de l’application de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention dans les affaires de violence conjugale ou fondée sur le sexe qui va au‑delà des circonstances ou des faits particuliers de la présente espèce », le demandeur soutient que ces questions proposées [TRADUCTION] « transcendent les intérêts des parties et portent sur des questions de grande importance ou d’application générale ». Il soutient également que ces questions ont été soulevées à l’audience de la Cour fédérale et qu’elles seront déterminantes quant à l’issue de tout appel interjeté auprès de la Cour d’appel fédérale.

[64] Pour les raisons qui suivent, je refuse de certifier les questions que le demandeur a proposées.

1. Y a‑t‑il lieu de certifier la première question proposée?

[65] Comme l’a indiqué avec raison le demandeur, les éléments que comporte une question dûment certifiée sont énoncés dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 46 :

[46] […] La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée. […]

[66] La Cour d’appel fédérale a conclu qu’une question n’est pas de portée générale si le droit relatif à cette question est établi : Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, au para 36; voir aussi AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 203, au para 60.

[67] Le défendeur fait valoir que la première question du demandeur est établie en droit, citant de longs passages de l’arrêt Pushpanathan qui, soutient‑il, confirment que la [TRADUCTION] « portée de l’alinéa Fc) de l’article premier n’englobe pas les actes criminels individuels de violence que commet un demandeur d’asile contre une personne ». Ces passages renvoient aux travaux préparatoires ainsi qu’aux commentaires du HCNUR sur l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, qui donnent à penser que la portée de cette disposition devrait être restreinte.

[68] Les passages que cite le défendeur ne traitent pas directement des [TRADUCTION] « déclarations, conventions et résolutions de l’ONU » qui sont évoquées dans la première question proposée, mais je souscris à sa position selon laquelle la question proposée est établie en droit, comme je l’ai signalé aux paragraphes 36 et 37 qui précèdent. De plus, il y a d’autres passages de l’arrêt Pushpanathan, au paragraphe 69, qui traitent de cette question. Comme la Cour suprême a déjà répondu à la première question proposée, celle‑ci ne satisfait donc pas à la condition selon laquelle une question certifiée doit être d’une portée générale.

2. Y a‑t‑il lieu de certifier la seconde question?

[69] Comme dans le cas de la première question, le défendeur soutient que l’arrêt Pushpanathan répond lui aussi à la question subsidiaire du demandeur. Il ajoute qu’il ressort des paragraphes 59 à 62 de cet arrêt que, pour que des actes puissent être considérés comme systémiques, ils doivent être commis à une échelle de masse, ou faire partie d’une activité systémique organisée qui transcende les actes d’un seul individu, tout en signalant que les rédacteurs de la Convention « entendaient donner aux mots ‘buts et principes des Nations Unies’ un sens plus étroit et plus précis que celui que permettrait naturellement d’inférer la Charte des Nations Unies », au paragraphe 62.

[70] Comme je l’ai conclu plus tôt au paragraphe 49, dans l’arrêt Pushpanathan la Cour suprême ne définit pas de manière explicite le mot « systémique », pas plus, quant à cela, qu’elle n’indique explicitement que seule la violence à grande échelle est incluse dans l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, comme le fait valoir le défendeur.

[71] Cependant, si l’on considère l’arrêt Pushpanathan dans son ensemble, la décision traite déjà de la seconde question proposée.

[72] Il est évident que la violence conjugale est un crime sérieux, mais le demandeur n’a donné aucune indication que les instruments internationaux condamnant la violence faite aux femmes envisageaient que l’on s’attaque à la violence conjugale par la réprobation et le châtiment de la communauté internationale ou en recourant à la Cour pénale internationale.

[73] Ces passages tirés de l’arrêt Pushpanathan, en plus de ceux que j’ai cités plus tôt dans ma décision, me permettent de tirer une conclusion quant au sens du mot « systémique », tel qu’envisagé par la Cour suprême dans le contexte de l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention, et d’appliquer cette conclusion à l’évaluation du caractère raisonnable de la décision de la SAR, au regard des circonstances précises de l’espèce.

[74] Dans ce contexte, non seulement la question subsidiaire que le demandeur a proposée ne répond pas aux exigences de la certification parce qu’elle ne soulève pas une question de portée générale, mais elle n’est pas non plus déterminante quant à l’issue de l’appel. La demande du demandeur est rejetée, non pas parce que le défendeur ne joue pas un rôle de premier plan dans la perpétration à grande échelle d’actes de violence envers des femmes ou parce qu’il n’est pas complice d’agissements de cette nature. Au contraire, le défendeur n’est pas exclu par l’alinéa Fc) de l’article premier de la Convention parce que ses agissements particuliers ne sont pas « systémiques » et que, comme la SAR l’a conclu de façon raisonnable au paragraphe 55 de sa décision, ils [TRADUCTION] « ne sont pas le genre d’agissements que les rédacteurs de la Convention ont envisagé pour justifier une exclusion en application de l’alinéa Fc) de l’article premier », au regard de l’arrêt Pushpanathan.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3253‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3253‑21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c ABDULMOULLA S ABDULMOULLA ALGAZAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 OctobRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 NovembRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Helen Park

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Richard Wazana

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Richard Wazana

Wazana Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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