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     Date : 19991027

     Dossier : T-1390-98

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 1999

En présence de Madame le juge McGillis


Entre

     MICHAEL CULVER,

     demandeur,

     - et -


     LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

     ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX,

     défendeur



     JUGEMENT



     La demande est rejetée avec dépens.


     Signé : D. McGillis

     ________________________________

     Juge


Traduction certifiée conforme,



Laurier Parenteau, LL.L.




     Date : 19991027

     Dossier : T-1390-98


Entre

     MICHAEL CULVER,

     demandeur,

     - et -


     LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

     ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX,

     défendeur



     MOTIFS DU JUGEMENT


Le juge McGILLIS


INTRODUCTION

[1]      Il y a en l'espèce recours exercé par le demandeur en application de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, contre le refus du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le ministre) de lui communiquer certains renseignements contenus dans les contrats entre Standard Aero Ltd. (Standard Aero) et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le ministère). Il échet au premier chef d'examiner si le ministre était fondé à s'appuyer sur l'alinéa 20(1)c) de la même loi pour refuser de communiquer ces renseignements, par ce motif que la divulgation en " risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité " de cette compagnie.

LES FAITS DE LA CAUSE

[2]      Par lettre en date du 10 avril 1997, le demandeur a demandé au ministère de lui envoyer la copie d'un contrat, " ensemble les avenants et annexes ", conclu par le ministère pour le compte du ministère de la Défense nationale, avec Standard Aero. Ce contrat avait pour objet la réparation, la révision ou la modification de turbines Allison T56 pour avion. À l'époque, le demandeur était le président de First Aviation Services, Inc. Une filiale américaine de cette dernière, savoir National Airmotive Corp., est une concurrente de Standard Aero dans ce secteur d'activités.

[3]      Lors de l'instruction préliminaire de la demande, le ministère a conclu que les documents demandés renfermaient des " renseignements de tiers ". Par lettre en date du 14 mai 1997, il a informé Standard Aero de la demande de communication, en précisant qu'il n'avait pas en main suffisamment d'éléments pour justifier le refus de communication en application de l'article 20 de la Loi sur l'accès à l'information . Il a donc donné à Standard Aero 20 jours pour lui faire des observations par écrit avant qu'il ne prenne une décision au sujet de la communication de ces documents.

[4]      Le 22 mai 1997, Standard Aero a, par télécopieur, informé le ministère qu'il ne fallait pas communiquer quatre contrats, ainsi que diverses annexes et avenants, pour la raison suivante :

     [TRADUCTION]

     Les renseignements relevés sont confidentiels et sont la propriété de Standard Aero. Il s'agit du mode d'établissement des prix, des frais, des descriptifs et des formules mises au point par SAL, etc., dont la divulgation donnerait à ses concurrents un avantage injuste en ce qui concerne les appels d'offres futurs des deux secteurs public et privé. Des remises spéciales ont été consenties à l'administration; la divulgation de ce renseignement pourrait compromettre les occasions futures et se traduire par une perte financière importante pour Standard Aero.

[5]      Par lettre en date du 29 mai 1997, le ministère a informé Standard Aero que certains renseignements contenus dans les documents demandés étaient exemptés de divulgation par application de l'article 20 de la Loi sur l'accès à l'information, mais que le reste serait communiqué au demandeur. Par lettre en date du 11 juin 1997, il a communiqué à celui-ci des parties des documents demandés.

[6]      Par lettre en date du 24 juillet 1997, le demandeur s'est plaint auprès du commissaire à l'information. Celui-ci, après enquête, a conclu, par rapport daté du 22 mai 1998, que certaines parties des documents demandés devraient être communiquées, mais que le reste était refusé à juste titre par le ministère en application de l'alinéa 20(1)b) de la Loi sur l'accès à l'information. Vu les circonstances de la cause, il n'a pas examiné si l'alinéa 20(1)c) était applicable.

[7]      Par lettre en date du 4 juin 1998, le ministère a communiqué d'autres renseignements au demandeur, conformément au rapport du commissaire à l'information.

[8]      Le 9 juillet 1998, le demandeur introduit le recours en instance pour contester la décision du ministère de ne pas communiquer certains renseignements contenus dans les documents demandés.

[9]      La preuve du préjudice que la divulgation des renseignements contenus dans les documents demandés causerait à la compétitivité de Standard Aero, est administrée par un affidavit confidentiel solennellement signé le 9 octobre 1998 par Greg Ozog, le directeur du Programme des Forces canadiennes chez Standard Aero. Bien que cet affidavit renferme des renseignements confidentiels, le témoignage rapporté infra n'est pas de nature confidentielle.

[10]      Dans son affidavit, M. Ozog témoigne entre autres que l'administration a adjugé le contrat de réparation et de révision des turbines T56 pour avion militaire à Standard Aero à titre de fournisseur unique depuis 1960. À l'heure actuelle, la compagnie détient à peu près 32 p. 100 du marché mondial de la réparation et de la révision des moteurs T56 pour avion. Les prévisions de recettes provenant du contrat de 1998 avec le ministère sont substantielles et représentent une " part notable " de son revenu. Standard Aero n'a pas eu de concurrents pour ce contrat. Cependant, elle a soumissionné pour d'autres contrats de réparation et de révision du moteur T56 dans le monde entier, en particulier pour la marine et l'aviation des États-Unis. Aux États-Unis, la législation sur l'accès à l'information fait que la teneur des soumissions est accessible au public après l'adjudication des contrats. Cependant, ces soumissions indiquent le tarif facturé à la vente, mais ni le coût ni le bénéfice du travail fait en exécution du contrat. Par contraste, les parties non divulguées des contrats en cause renferment des renseignements portant " principalement sur les heures de travail nécessaires pour les divers éléments du contrat et le prix unitaire correspondant, les taux horaires et les taux mensuels à facturer dans l'exécution du contrat ". D'où l'objection de Standard Aero à la divulgation de ces renseignements, qu'expriment en ces termes les paragraphes 24 et 25 de l'affidavit de M. Ozog :

     [TRADUCTION]

     24. " Au Canada cependant, si un concurrent pouvait connaître le tarif facturé à la vente (c'est-à-dire le renseignement litigieux dans ce recours), il serait à même de calculer les bénéfices et les coûts de Standard Aero. Cette différence tient à ce que le contrat en question étant adjugé à fournisseur unique et soumis aux calculs prescrits par le Guide de la politique des approvisionnements du gouvernement du Canada, Standard Aero divulgue [au ministère] les coûts détaillés des services de réparation et de révision des moteurs T56 des FC. [Le ministère] calcule ensuite le tarif facturé à la vente en appliquant à ces coûts la marge bénéficiaire qu'il fixe par chiffrier, ce qui donne les taux qu'il paiera et le niveau acceptable de bénéfices que Standard Aero réalisera dans l'exécution du contrat. Le Guide de la politique des approvisionnements, où figure le mode de fixation de la marge bénéficiaire, est à la disposition de tous les entrepreneurs agréés par le gouvernement du Canada.
     25. M. Soubry m'a informé qu'une filiale de l'employeur du demandeur (National Airmotive Corp.) est une concurrente de Standard Aero et un entrepreneur agréé par le gouvernement du Canada. Par conséquent, cette concurrente a accès au mode de calcul de la marge bénéficiaire en usage dans l'administration canadienne. Si elle pouvait accéder aux renseignements litigieux, elle serait en mesure, en appliquant le mode de fixation de la marge bénéficiaire [du ministère] à ces mêmes renseignements, de calculer approximativement les coûts subis et les bénéfices réalisés par Standard Aero dans le cadre du contrat en question. Par contraste, aux États-Unis, même avec l'accès aux prix soumissionnés pour les contrats du gouvernement américain, il est impossible de calculer les bénéfices ou les coûts de la compagnie concernée.

[11]      M. Ozog a encore expliqué le préjudice que la divulgation des renseignements en question causerait à la compétitivité de Standard Aero, comme suit aux paragraphes 30 et 31 de son affidavit :

     [TRADUCTION]

     30. Étant donné ce lien direct entre le prix unitaire et les heures de travail fixées pour chaque unité, d'une part, et le calcul des bénéfices de Standard Aero dans l'exécution du contrat et le prix payé par [les Forces canadiennes] pour le travail, d'autre part, cette information est très délicate et, par conséquent, confidentielle. Comme noté supra, une fois les renseignements en question divulgués, les concurrents de Standard Aero pourraient, à la lumière du mode de fixation de la marge bénéficiaire [du ministère] et des mêmes renseignements, faire les calculs pour découvrir les coûts et les bénéfices de Standard Aero. Ce qui permettrait à un concurrent de profiter des efforts considérables que Standard Aero a dû faire dans le calcul de ces coûts et bénéfices, pour calculer à son tour divers tarifs éventuels qui lui permettent de vendre moins cher qu'elle dans ce contrat et/ou dans d'autres. Par contraste, Standard Aero n'a pas, et n'a aucun moyen d'avoir, les mêmes renseignements (coûts, bénéfices, prix unitaires facturés mensuellement, heures de travail et taux) concernant ses concurrents, ni n'a aucun moyen d'accès aux renseignements du même genre. Une divulgation des renseignements en litige compromettrait la compétitivité de Standard Aero vis-à-vis de ses concurrents.
     31. Il y a une concurrence féroce pour les réparations et révisions du moteur T56. Une fois les renseignements litigieux divulgués, les concurrents connaîtraient nos coûts sans que Standard Aero ait les mêmes informations sur leur situation financière et commerciale. Autrement dit, la divulgation de ces renseignements assurerait à ces concurrents un lot important d'informations et de renseignements confidentiels d'ordre financier et commercial. Ce contrat représente une partie substantielle du total des chiffres d'affaires de Standard Aero, et en particulier " du chiffre d'affaires de sa division des gros moteurs, celle qui assure la maintenance et la réparation du moteur T56. Par conséquent, le fait de perdre ce contrat au profit d'un concurrent aurait des conséquences fâcheuses sur le chiffre d'affaires et, par voie de conséquence, sur les besoins en main-d'oeuvre de Standard Aero.

[12]      M. Ozog a été longuement contre-interrogé par l'avocate du demandeur au sujet de son affidavit. Il a reconnu qu'un concurrent " aurait du travail à faire " pour calculer les coûts et autres données de Standard Aero. N'empêche qu'il a réitéré qu'un concurrent pourrait découvrir des éléments d'information qui porteraient atteinte aux intérêts de la compagnie. L'avocate du demandeur ne l'a pas contre-interrogé sur les autres éléments de son témoignage que la publicité des renseignements en litige " compromettrait la compétitivité de Standard Aero vis-à-vis de ses concurrents ". M. Ozog a également fait savoir durant son contre-interrogatoire que le travail prévu par les contrats de la compagnie avec les forces américaines se faisait dans ses ateliers au Canada.

[13]      Bien que je n'aie pas récapitulé toutes les preuves et témoignages versés au dossier et dont une grande partie a été déposée par les parties à titre confidentiel, je les ai tous attentivement examinés avant de parvenir à ma décision.

LE POINT LITIGIEUX

[14]      Il échet au premier chef d'examiner si le ministre était fondé à s'appuyer sur l'alinéa 20(1)c) de la Loi sur l'accès à l'information pour refuser de communiquer les renseignements contenus dans les documents demandés, par ce motif que la divulgation en " risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité " de Standard Aero.

ANALYSE

[15]      Pour découvrir si le ministre était fondé à refuser la communication des renseignements en question, il faut prendre en considération l'alinéa 20(1)c) de la Loi sur l'accès à l'information ainsi que la jurisprudence en la matière. Voici ce que prévoit cet alinéa 20(1)c) :


20.(1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

     "
     (c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; "

20.(1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

     "
     c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité; "

[16]      Il ressort d'une recension de la jurisprudence en la matière que l'exemption de communication prévue à l'alinéa 20(1)c) est subordonnée à la preuve, selon la norme de la probabilité la plus forte, d'un " risque vraisemblable de préjudice probable " [voir Canada Packers Inc. c. Canada , [1989] 1 C.F. 47, pages 59 et 60 (C.A.); Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services) (1990), 107 N.R. 89, page 91 (C.A.F.)]. Les avocats des deux parties conviennent que c'est au ministre qu'il incombe de prouver qu'il était fondé à refuser la communication des documents demandés.

[17]      Je conclus, après examen de toutes les preuves et témoignages versés au dossier, que le ministre a prouvé, selon la norme de la probabilité la plus forte, qu'il y a pour Standard Aero un " risque vraisemblable de préjudice probable ". Dans son témoignage, M. Ozog a fait savoir que les renseignements en question permettraient aux concurrents de sa compagnie " de calculer divers tarifs éventuels qui permettent de vendre moins cher " qu'elle pour ce qui est du contrat avec le ministère " ou d'autres contrats ". Elle leur fournirait encore, dans ce secteur d'activités où la concurrence est féroce à travers le monde, un " lot important d'informations et de renseignements confidentiels d'ordre financier et commercial ". L'effet préjudiciable d'une divulgation serait d'autant plus grave que Standard Aero n'a pas accès aux renseignements du même genre chez ses concurrents. Ce qui revient à dire que la divulgation " compromettrait la compétitivité de Standard Aero ". Ces éléments clés du témoignage de M. Ozog n'ont été ni réfuté ni contestés de quelque façon que ce fût durant le contre-interrogatoire. À mon avis, ce témoignage pris dans son ensemble constitue la preuve, selon la norme de la probabilité la plus forte, que la divulgation des renseignements en question " risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité " de Standard Aero. Autrement dit, il constitue la preuve d'un risque vraisemblable de préjudice probable pour la compagnie.

[18]      L'avocate du demandeur fait état dans ses conclusions de la communication des renseignements du même genre sous le régime de la loi applicable aux États-Unis. À mon avis, cette preuve relative à ce qui se passe aux États-Unis n'a aucun rapport avec l'affaire en instance et ne sert à rien pour ce qui est du jugement du point litigieux en l'espèce. Quoi qu'il en soit, ainsi que l'a fait observer à juste titre l'avocat du défendeur dans ses conclusions, le demandeur a en sa possession " la copie intégrale des contrats " en question, sauf les renseignements financiers et commerciaux très spécifiques touchant Standard Aero et les stipulations du contrat.

[19]      Ma conclusion fait qu'il est inutile d'examiner si le refus de communication est justifié au regard de l'alinéa 20(1)b) de la Loi sur l'accès à l'information.

DÉCISION

[20]      Le recours est rejeté avec dépens.

     Signé : D. McGillis

     ________________________________

     Juge


Ottawa (Ontario),

le 27 octobre 1999



Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-1390-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Michael Culver c. Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa


DATE DE L'AUDIENCE :      18 octobre 1999


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MME LE JUGE McGILLIS


LE :                      27 octobre 1999



ONT COMPARU :


Barbara McIsaac                  pour le demandeur

Christopher Rupar                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


McCarthy Tétrault                  pour le demandeur

Ottawa

Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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