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Date : 20211108


Dossier : IMM-176-21

Référence : 2021 CF 1198

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2021

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

SIDNE FERDINAND

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Sidne Ferdinand est un citoyen d’Haïti qui est venu au Canada pour y demander l’asile. Celui-ci lui a été refusé par une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 14 décembre 2020. Puisque la demande d’asile a été non seulement rejetée, mais que le commissaire a conclu qu’elle était dépourvue d’un minimum de fondement, aucun appel ne tenait devant la Section d’appel des réfugiés (SAR). En conséquence, c’est de la décision de la SPR qu’un contrôle judiciaire peut être demandé. Le contrôle judiciaire est demandé en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR ou la Loi].

I. Question préliminaire

[2] Le commissaire a conclu que la demande était dépourvue d’un minimum de fondement. C’est en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi que le commissaire peut faire cette déclaration. Le texte de ce paragraphe se lit ainsi :

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

 

 

 

[3] C’est à l’alinéa 110(2)c) de la Loi que l’on retrouve la conséquence d’une telle décision. Le texte s’en lit ainsi :

(2) Ne sont pas susceptibles d’appel :

(2) No appeal may be made in respect of any of the following:

[…]

...

c) la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou du fait que celle-ci est manifestement infondée;

(c) a decision of the Refugee Protection Division rejecting a claim for refugee protection that states that the claim has no credible basis or is manifestly unfounded;

En notre espèce, la demande de contrôle judiciaire porte sur le refus d’accorder la demande d’asile, mais aussi de la décision de la SPR de se prévaloir du paragraphe 107(2) de la Loi.

II. La décision sous étude

[4] Les faits donnant lieu à la demande d’asile sont simples. Le Demandeur prétend que, le 17 février 2010, des bandits se seraient rendus au domicile de ses parents. Le Demandeur ne s’y trouvait pas. Il rapporte que des projectiles ont été tirés sur un chien et en l’air; ces bandits auraient fracassé la porte principale de la maison et auraient mis le feu à des pneus. Les détails au sujet de cet incident ne sont pas légion. En effet, le Demandeur prétend qu’à la tête du groupe de bandits se trouvait un certain Wagner Saint-Hilaire qui est maintenant décédé. La raison de cet incident est présentée comme étant que le Demandeur était en tête de manifestations réclamant le retour en poste du juge de paix Cenatus Ferdinand, l’oncle du Demandeur, dont la révocation aurait été arbitraire après vingt-huit ans de service. Le Demandeur allègue que la révocation aurait eu pour cause des raisons politiques. Le Demandeur dit avoir porté plainte mais il déclare que rien ne fut fait pour arrêter les bandits qui circulaient impunément dans les rues. Il semble que le Demandeur se soit caché pendant un certain temps mais, de toute façon, il quittait Haïti pour aller s’installer au Venezuela le 24 mai 2010.

[5] Étant donné la situation pénible qui perdure au Venezuela depuis plusieurs années, le Demandeur l’a quitté pour se rendre aux États-Unis où il serait arrivé le 2 août 2016. L’on ne sait pas quand le Demandeur a quitté le Venezuela en 2016. M. Ferdinand signait le fondement de la demande d’asile (FDA) le 26 septembre 2017, mais il serait arrivé au Canada en juillet de la même année.

[6] Dans sa décision la SPR s’est interrogée sur le statut de résident permanent du Demandeur au Venezuela. Cet examen n’aura pas duré bien longtemps puisque la SPR aura conclu que le statut de M. Ferdinand au Venezuela était temporaire, ce qui faisait en sorte qu’il n’avait pas le même statut que les ressortissants du Venezuela. Il concluait donc que l’alinéa 1(E) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés ne trouvait pas application. M. Ferdinand n’était donc pas exclu en vertu de l’article 98 de la Loi qui veut qu’une personne visée à la section E de l’article premier de la Convention ne puisse avoir la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

[7] La SPR n’a pas non plus douté de la crédibilité du Demandeur. Elle a fait porter la décision sur un autre aspect. Ce qui a fait défaut, selon la SPR, ce qui n’a pas été démontré, c’est que, advenant un retour en Haïti, ce Demandeur encourt un risque prospectif en lien avec les allégations de sa demande d’asile (décision de la SPR, para 17).

[8] L’essentiel des raisons pour lesquelles le Demandeur, M. Ferdinand, demande asile au Canada se trouve aux paragraphes 16 et 17 de la décision de la SPR. Au lieu de les paraphraser, je les reproduits :

[16] Invité à expliquer de qui il a peur en Haïti, le demandeur a déclaré que la personne dont il avait le plus peur, soit le meneur du groupe de bandits qu'il a fuis [sic], est morte. Dans la foulée, à la question de savoir de qui il avait peur s'il devait retourner en Haïti, le demandeur a déclaré qu'il ne peut y retourner compte tenu de la situation actuelle dans le pays, d'autant plus qu'il a trois enfants qui sont désormais au Canada. Prié d'indiquer s'il croit que des membres de la bande qui l’a ciblé dans le passé pourraient, malgré le décès de leur chef, s'intéresser à lui, le demandeur a répondu que le pays est « complètement pourri », et que des gens ont été, dans sa région d'origine, assassinés.

[17] À la lumière du témoignage du demandeur, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que les bandits l’ayant ciblé en 2010, ne sont, dix ans plus tard et compte tenu du décès de leur meneur, plus intéressés par le demandeur. En cela, le demandeur n’encourt aucun risque prospectif en lien avec les allégations concernant cette bande.

[9] Le Demandeur a aussi présenté des allégations générales au sujet de la situation en Haïti. Or, selon la SPR, aucun risque personnel advenant un retour en Haïti n’aura été prouvé. L’état général d’insécurité observé en Haïti ne peut soutenir une demande d’asile. Jurisprudence de la Cour fédérale à l’appui, la SPR note que l’existence d’un risque personnel doit exister pour que l’analyse puisse se poursuivre.

[10] La SPR a aussi considéré les conséquences pour un Demandeur comme M. Ferdinand d’un retour en Haïti, en provenance de l’Amérique du Nord. Il existerait une perception faisant en sorte que ces personnes pourraient être victimes de menaces ou d’extorsion parce que ces personnes sont vues comme ayant des moyens financiers. Sans nier ce facteur de risque, la SPR constate aussi que les personnes revenant de l’étranger ne sont pas automatiquement catégorisées comme bénéficiant de moyens particuliers. De plus, selon Cartable national de documentation, les concitoyens haïtiens ne peuvent savoir qui revient de l’étranger si le cas n’est pas médiatisé. Faire partie de la diaspora ne garantit rien. Trouvant appui sur Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, 2009 CAF 31 et Lamour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 322, la SPR déclare qu’un « risque généralisé de criminalité partagé par l’ensemble de la population d’un pays ne peut soutenir une demande d’asile aux termes du sous-alinéa 97(1)b)ii) de la LIPR » (décision de la SPR, para 24).

[11] Pour la SPR, il n’y a aucune preuve au dossier qui justifie que ce Demandeur serait ciblé d’une façon différente d’autres Haïtiens et qu’il pourrait attirer la convoitise; ainsi, la décision de cette Cour dan Burgos Gonzales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 426, semble résumer, aux yeux de la SPR, l’état du droit :

« La véritable question à laquelle doit répondre la SPR est donc de déterminer si, dans le contexte des risques actuels ou prospectifs allégués, les demandeurs ont apporté la preuve de circonstances qui leur sont particulières et qui peuvent rendre leur risque différent de celui auquel est exposé l'ensemble de la population de leur pays en raison de l’omniprésence des gangs »

Ce n’est pas le cas, dit la SPR. Rien ne permet de conclure que le Demandeur pourrait être ciblé.

[12] Ayant ainsi disposé de ce qu’il lui avait été présenté, le commissaire conclut qu’on ne lui a présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable. Le risque dont parlait le Demandeur dans son FDA n’existe tout simplement plus. Les allégations relatives à la situation générale en Haïti ne peuvent quant à elles fonder une décision favorable. Il en résulte que la demande d’asile est dépourvue d’un minimum de fondement.

III. Arguments et analyse

[13] Tout le monde s’entend que le rejet de la demande d’asile est soumis à la norme de la décision raisonnable sur contrôle judiciaire.

[14] Le Demandeur prétend que d’avoir été victime d’un gang devrait être retenu à l’encontre de la règle selon laquelle la situation générale dans le pays ne permet pas de soutenir une demande d’asile. Si je comprends l’argument, le risque que rencontre le Demandeur en serait devenu personnalisé. La difficulté avec cette proposition est que la crainte du Demandeur n’est plus fonction d’un gang qui pourrait avoir été actif en 2010. De fait, son leader est mort depuis plusieurs années. Dit autrement, il n’y a aucune preuve que le Demandeur est présentement ciblé par un groupe, si bien qu’il se retrouve comme étant comme tout autre Haïtien qui vit dans un pays où la situation est telle que le risque est généralisé. Je ne vois rien à redire de la décision de la SPR. Le Demandeur n’a pas démontré en quoi la décision est déraisonnable, ce qui constitue son fardeau. Il n’y a rien de spécial au cas de M. Ferdinand. C’est ainsi que la jurisprudence citée par le Demandeur ne lui est d’aucune assistance (Balcorta Olvera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1048, au para 37 à 41).

[15] Le Demandeur soulève la décision de la SPR au sujet de la diaspora haïtienne. S’appuyant sur le Cartable national de documentation sur Haïti le plus récent, la SPR a noté que l’on ne peut savoir la provenance de quelqu’un à moins d’une situation qui serait médiatisée. Les personnes ne sont pas automatiquement catégorisées. Le Demandeur ne fait que citer une décision vieille de plus de dix ans, telle décision qui est d’ailleurs citée hors contexte (Saint-Hilaire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 178). Notre Cour dans cette affaire ne fait que noter que la SPR a accepté que, à titre de membre de la diaspora, le Demandeur pourrait être considéré comme riche. Mais cela n’aura pas été suffisant pour déplacer le principe selon lequel il faut un risque personnalisé. Le rejet de la demande de contrôle judiciaire, confirmant ainsi la SPR de rejeter la demande d’asile, s’en est suivie.

[16] Il en résulte donc que la demande de contrôle judiciaire de la décision de rejeter la demande d’asile doit être rejetée. La décision attaquée est éminemment raisonnable.

[17] C’est plutôt au sujet de l’application du paragraphe 107(2) de la LIPR que le Demandeur a plus particulièrement fait porter son argument. L’argument semble être que le Demandeur a un document concernant son oncle et la révocation de sa charge de juge de paix, ainsi que la plainte qu’il a portée au Tribunal de paix de Cabaret. Le Demandeur semble croire que ces deux éléments constituent de la preuve crédible ou digne de foi au sens du paragraphe 107(2) de la Loi. Peut-être; mais encore faut-il que cette preuve soit une preuve sur laquelle la Section de la protection des réfugiés aurait pu fonder une décision favorable pour s’éviter l’effet de la disposition. Avec égards, le Demandeur n’a jamais été en mesure de faire quelle que démonstration à cet effet. Ces documents n’ont aucune force probante sur contrôle judiciaire et ils n’avancent pas la cause du Demandeur quant à l’absence de minimum de fondement de la demande. Ils ne peuvent pas fonder une décision favorable.

[18] On peut facilement convenir qu’à chaque fois qu’un témoin est considéré comme non crédible, cela ne devrait pas mener à une conclusion d’absence de preuve crédible ou digne de foi, d’autant que cela prive, par opération de la Loi, d’un appel devant la Section d’appel des réfugiés (Rahaman c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CAF 89; [2002] 3 CF 537 [Rahaman] , au para 51).

51] Enfin, bien que je ne puisse pas accepter la thèse de l'avocate de M. Rahaman, je reconnais que la Commission ne devrait pas systématiquement statuer qu'une revendication n'a pas un minimum de fondement lorsqu'elle conclut que le revendicateur n'est pas un témoin crédible. Comme j'ai tenté de le démontrer, la Commission doit, suivant le paragraphe 69.1(9.1), examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l'absence de minimum de fondement seulement s'il n'y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur.

De fait, dans notre cas d’espèce, la SPR ne s’est aucunement plainte de l’absence de crédibilité du Demandeur.

[19] L’argument du Demandeur consiste à dire qu’une absence de crédibilité n’entraîne pas qu’il y ait absence de minimum de fondement de la demande. C’est vrai, mais ce qui doit être présent est une preuve digne de foi ou crédible sur laquelle on aurait pu fonder une décision favorable. Il n’y en a pas. Il faut revenir à l’essentiel de cette affaire. Il suffit de rappeler que la SPR n’a en aucune manière contesté la crédibilité du Demandeur. C’est plutôt que le risque allégué par lui n’existe plus, plus de dix ans après l’incident allégué de 2010. De plus, il s’en est remis à la situation générale en Haïti pour indiquer qu’il ne veut pas y retourner. Comme indiqué plus haut, cela ne constitue pas, selon notre droit, un motif pour obtenir asile au Canada. Les deux arguments pour demander l’asile au Canada n’existaient plus, et les Pièce P-2 (révocation de l’oncle du Demandeur à titre de juge de paix) et P-3 (plainte au Tribunal de paix de Cabaret), qui sont très périphériques, ne constituent nullement une preuve qui puisse fonder une décision favorable. Ces éléments de preuve ne viennent que corroborer, si on accepte leur véracité, que l’oncle du Demandeur a vu sa commission de juge révoquée et qu’il avait porté plainte au sujet de tirs. Il en est donc résulté qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel on aurait pu fonder une décision favorable. Les deux pièces présentées ne pouvaient, selon la SPR, être ce fondement. Le Demandeur n’a pas démontré en quoi cette conclusion serait déraisonnable.

[20] Le Défendeur n’a pas tort de mettre en exergue le paragraphe 30 de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Rahaman. Il vaut la peine de reproduire en entier ce paragraphe 30 qui, me semble-t-il, dispose de l’argument du Demandeur :

[30] Par contre, l'existence de certains éléments de preuve crédibles ou dignes de foi n'empêchera pas une conclusion d'« absence de minimum de fondement » si ces éléments de preuve sont insuffisants en droit pour que le statut de réfugié soit reconnu au revendicateur. D'ailleurs, dans la décision faisant l'objet du présent appel, le juge Teitelbaum a confirmé la conclusion d'« absence de minimum de fondement » , même s'il a conclu, contrairement à la Commission, que le témoignage du revendicateur concernant la possibilité d'obtenir parfois la protection de la police était crédible à la lumière de la preuve documentaire. La preuve du revendicateur sur cette question n'a cependant pas joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission de rejeter sa revendication.

[En italique dans l’original.]

IV. Conclusion

[21] Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire ne peut être accordée. Les parties conviennent, et la Cour est d’accord qu’il n’y a aucune question grave de portée générale qui devrait être certifiée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-176-21

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-176-21

INTITULÉ :

SIDNE FERDINAND c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence ENTRE oTTAWA (ONTARIO) ET mONTRÉAL (qUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER novembre 2021

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 8 novembre 2021

COMPARUTIONS :

Aristide Koudiatou

Pour le demandeur

 

Chantal Chatmajian

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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