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Date : 20211110


Dossier : IMM‑5725‑20

Référence : 2021 CF 1222

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

BABAR ALI TARAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Babar Ali Tarar, est un musulman chiite et un citoyen pakistanais. Il dit craindre le Tehrik‑e‑Taliban Pakistan [le TTP], un groupe l’ayant accusé de répandre la foi chiite dans un État islamique. Il affirme que lui‑même et sa famille ont été harcelés et ont fait l’objet de menaces de la part du TTP.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] était convaincue que M. Tarar avait établi qu’il est un musulman chiite, mais elle a conclu que son récit n’était pas crédible. La SPR était également d’avis que, même si M. Tarar était exposé à un risque de préjudice, il disposait d’une possibilité de refuge intérieur tant à Hyderabad qu’à Islamabad. La SPR en a conclu que M. Tarar n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[3] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a conclu en appel que la SPR avait commis une erreur en ne prenant pas en considération l’élément de preuve documentaire corroborant de M. Tarar, mais elle a tout de même rejeté son appel. La SAR a conclu que le fait que M. Tarar n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis au cours d’une visite de quatre mois dans ce pays et qu’il était ensuite retourné au Pakistan était incompatible avec une crainte réelle de persécution, ce qui minait sa crédibilité. Selon la SAR, les éléments de preuve documentaire corroborants ne suffisaient pas à dissiper ses réserves considérables en matière de crédibilité et M. Tarar n’avait pas établi qu’il correspondait au profil d’une personne susceptible de faire l’objet d’extorsion de la part du TTP. La SAR a conclu que M. Tarar n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[4] M. Tarar a déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du 12 octobre 2020 rendue par la SAR, conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il soulève deux questions : 1) La SAR a‑t‑elle agi de manière inéquitable en omettant d’aviser le demandeur et en ne lui offrant pas la possibilité de s’exprimer au sujet des nouvelles questions soulevées par l’analyse des éléments de preuve documentaire qu’il avait fournis? 2) La SAR a‑t‑elle évalué la crédibilité du demandeur de façon raisonnable?

[5] Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée.

II. Norme de contrôle

[6] La norme de contrôle à appliquer lorsque des questions d’équité procédurale sont soulevées est mieux décrite comme la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 54 [CCP]). Une cour de révision est tenue de déterminer par elle‑même si le processus administratif a satisfait aux critères d’équité dictés par les circonstances (CCP, au para 54; voir également Hood c Canada (Procureur général), 2019 CAF 302, au para 25; Hughes c Canada (Procureur général), 2021 CF 147, au para 50).

[7] La norme de la décision raisonnable est présumée être la norme applicable dans tous les cas de contrôle d’une décision administrative (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 10 et 23 [Vavilov]). Cette présomption fait l’objet de peu d’exceptions dans les cas où le respect de la primauté du droit exige une réponse unique, décisive et définitive à la question dont la cour est saisie, mais il s’agit de circonstances qui ne se présentent pas en l’espèce (Vavilov, au para 32).

[8] Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile et l’évaluation du risque auquel il s’expose sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Qahramanloei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 422, au para 13). Une décision raisonnable est une décision « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov, au para 85).

III. Analyse

A. La SAR n’a pas agi de manière inéquitable.

[9] M. Tarar soutient que la SAR a agi de manière inéquitable en rejetant ses éléments de preuve documentaire au motif qu’ils étaient frauduleux, ou en y accordant peu d’importance. Il affirme que les doutes de la SAR en matière d’authenticité soulevaient de nouvelles questions, ce qui a déclenché l’obligation d’aviser le demandeur et de lui offrir la possibilité de répondre. Il soutient que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur la jurisprudence selon laquelle il n’est pas nécessaire de le [TRADUCTION] « confronter » relativement aux doutes en matière d’authenticité soulevés par les documents qu’il avait fournis, sous prétexte que la jurisprudence citée se limitait à l’appréciation des incohérences dans la preuve et qu’il n’était pas question de tirer de nouvelles conclusions de documents frauduleux. M. Tarar invoque la décision Cornea c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CF 972 [Cornea], et il affirme que l’omission par la SAR de l’aviser et de lui fournir la possibilité de répondre en l’espèce était une erreur déterminante.

[10] Le défendeur fait valoir que la valeur probante, y compris l’authenticité, de la preuve documentaire de M. Tarar était remise en question devant la SAR et qu’aucun avis n’était donc requis. Je suis d’accord.

[11] Dans sa décision, la SPR a conclu que [TRADUCTION] « la valeur probante de ces documents est considérablement minée par la conclusion selon laquelle le demandeur d’asile n’est pas crédible en ce qui concerne l’allégation centrale présentée ». La SPR a également conclu que [TRADUCTION] « la preuve documentaire indique que des documents frauduleux… sont très faciles d’accès au Pakistan ». Dans ses observations à l’intention de la SAR, M. Tarar fait valoir précisément que la preuve documentaire est pertinente, crédible et hautement probante et renvoie au fait que la SPR s’appuie sur l’usage répandu de documents frauduleux au Pakistan.

[12] Cela n’est pas sans rappeler les circonstances traitées par la juge en chef adjointe, Jocelyne Gagné, dans la décision He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 627 [He], où elle déclare :

[21] La SPR a également indiqué que [TRADUCTION] « la totalité des éléments de preuve documentaire présentés par les demandeurs » avait été examinée et que « les documents frauduleux sont répandus en Chine ». Ces commentaires auraient dû inciter les demandeurs à préparer une réponse satisfaisante à la SAR concernant le contenu et l’authenticité de leurs documents. Je suis d’avis que les commentaires du juge Paul Favel, dans la décision Oluwaseyi Adeoye, précitée, s’appliquent également en l’espèce :

[13] En l’espèce, la SAR n’a pas soulevé de nouvelle question en appel parce que la crédibilité de la demanderesse était déjà en litige devant la SPR. Il n’y a pas de problème d’équité procédurale lorsque la SAR invoque un autre fondement pour remettre en cause la crédibilité de la demanderesse au moyen du dossier de preuve dont était saisie la SPR […]. La demanderesse avait déjà été informée que la crédibilité était une question à trancher selon la décision originale de la SPR.

[13] Comme dans la décision He, le fait pour la SPR d’invoquer la prévalence de documents frauduleux au Pakistan était suffisant pour informer le demandeur que l’authenticité des documents était en remise en question, ce qui distingue les circonstances de la présente affaire de celles de la décision Cornea. La SAR n’a pas agi de manière inéquitable en évaluant l’authenticité de la carte d’identité présentée par le demandeur ou en évaluant le poids à attribuer aux autres éléments de preuve documentaire de M. Tarar, au vu de la preuve dont elle disposait.

[14] Ces questions ont soit été soulevées par la SPR, soit été mises en cause par M. Tarar dans ses observations à l’intention de la SAR. M. Tarar ne peut pas contester le fait que la SAR ait traité de ces questions.

B. L’évaluation qu’a faite la SAR de la crédibilité et du profil de M. Tarar était raisonnable.

[15] M. Tarar soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger était fondée sur des conclusions déraisonnables quant à sa crédibilité. Il soutient que la SAR a rejeté de façon déraisonnable l’explication qu’il a fournie pour ne pas avoir demandé l’asile aux États‑Unis, et il ajoute que le fait qu’un demandeur ne sollicite pas la protection d’un tiers pays ou réclame cette protection de nouveau devrait rarement être déterminant. Il soutient que la SAR était tenue de prendre en considération l’ensemble de ses circonstances personnelles pour évaluer le caractère raisonnable de l’explication qu’il avait donnée pour avoir omis de demander l’asile aux États‑Unis, et il affirme que son explication était plausible. Il prétend que la SAR a indûment insisté sur le fait qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis et, ce faisant, a conclu de manière déraisonnable que les événements qu’il a déclaré avoir vécus au Pakistan ne s’étaient pas produits. Selon lui, le jugement personnel de la SAR a supplanté l’explication raisonnable qu’il avait fournie et, de fait, la SAR a tiré une conclusion qui, essentiellement, est une conclusion d’invraisemblance déraisonnable.

[16] M. Tarar ajoute que la SAR a présumé de façon déraisonnable que, pour être ciblé, le demandeur devait être un membre éminent de la communauté chiite; une conclusion que la SAR n’a pas expliquée et qui manquait de cohérence par rapport à la preuve documentaire, laquelle signale que les groupes militants ciblent les musulmans chiites ordinaires. Il affirme également que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il ne s’exposait à aucun risque en tant qu’homme d’affaires pour la simple raison qu’il avait fermé ses entreprises au Pakistan. Il fait remarquer que ni la SAR ni la SPR n’étaient en mesure de présumer qu’il ne reprendrait pas ses activités d’affaires s’il était obligé de retourner au Pakistan.

[17] Je suis d’avis que la SAR a évalué de façon raisonnable la crédibilité de M. Tarar.

[18] La SAR a reconnu, dans sa décision, que « le défaut de demander l’asile [dans un tiers pays] ne devrait que rarement permettre, en soi, de rejeter une demande d’asile », mais elle soulève d’autres réserves quant à la crédibilité de M. Tarar. La SAR n’a pas traité comme étant déterminant le défaut de M. Tarar de demander l’asile ou de se réclamer de nouveau de la protection de son pays.

[19] La SAR ne s’est pas appuyée sur une conclusion d’invraisemblance déraisonnable lorsqu’elle a évalué l’explication fournie par M. Tarar pour ne pas avoir demandé l’asile au cours de sa première visite aux États‑Unis. La SAR a plutôt exprimé de manière assez détaillée ses réserves quant à l’explication fournie par M. Tarar pour avoir omis de demander la protection. Ce faisant, pour étayer la conclusion selon laquelle l’explication fournie était déraisonnable dans les circonstances, la SAR a fourni une explication raisonnée qui repose sur les incohérences relevées dans les éléments de preuve fournis par M. Tarar.

[20] Je ne suis pas non plus convaincu que la SAR a commis une erreur dans son évaluation du risque auquel M. Tarar s’expose en fonction de son profil.

[21] La SPR a évalué le risque auquel s’exposent les membres de la population chiite de façon générale au Pakistan. La SPR a reconnu que les membres de la population chiite faisaient actuellement l’objet de violences sectaires et étaient ciblés par des groupes militants, mais elle a conclu également que ce sont habituellement des membres éminents de la communauté qui sont ciblés. La SPR a reconnu que M. Tarar était un musulman chiite et que, antérieurement, il avait possédé et exploité deux entreprises, mais elle a conclu qu’il ne correspondait pas au profil d’un membre éminent ou actif de la population chiite, soit un professionnel ou un homme d’affaires chiite susceptible d’être la cible de groupes anti‑chiite ou de groupes militants au Pakistan.

[22] M. Tarar n’a pas contesté devant la SAR l’analyse et les conclusions de la SPR ayant trait au risque auquel s’exposent les membres de la population chiite de façon générale au Pakistan. Plutôt, ses observations à l’intention de la SAR au sujet de l’analyse du profil et des risques réalisée par la SPR se limitaient aux conclusions de celle‑ci selon lesquelles il ne correspondait pas au profil des membres de la population chiite susceptibles d’être ciblés. Il a fait observer que la SPR [TRADUCTION] « avait commis une erreur flagrante » en concluant qu’il n’était pas un membre actif ou éminent de la communauté chiite, et que la SPR avait également commis une erreur en concluant qu’il ne correspondait pas au profil d’un éminent propriétaire d’entreprise.

[23] M. Tarar fait maintenant valoir dans le cadre du contrôle judiciaire que la SAR a commis une erreur quant à son traitement du risque auquel s’exposent les membres de la population chiite de façon générale au Pakistan et affirme que la SAR [TRADUCTION] « a simplement adopté » la conclusion de la SPR selon laquelle les membres chiites de moindre visibilité ne sont pas habituellement ciblés. La jurisprudence établit que les questions relatives à la décision de la SPR qui n’ont pas été soulevées devant la SAR ne sont pas des sujets qu’il convient de trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire par la Cour (Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102, au para 39).

[24] La SAR a décrit de façon détaillée et exacte les observations de M. Tarar en ce qui concerne l’évaluation du profil de ce dernier par la SPR. La SAR était d’accord avec M. Tarar pour dire qu’il n’était pas approprié de conclure qu’un demandeur d’asile ne correspond pas à un profil de risque particulier en raison du fait qu’il n’a pas été ciblé auparavant, mais elle a ensuite conclu que M. Tarar, n’ayant pas établi de manière crédible qu’il correspondait au profil d’un membre ou d’un homme d’affaires éminent de la communauté chiite, n’était exposé à aucun risque grave.

[25] Les observations de M. Tarar traduisent son désaccord avec les conclusions de la SAR en matière de crédibilité. Or, pour les raisons exposées ci‑dessus, je suis convaincu que les conclusions de la SAR sont raisonnables, que son raisonnement est rationnel, logique et traite les questions soulevées.

IV. Conclusion

[26] La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale aux fins de certification et aucune question n’a été soulevée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5725‑20

LA COUR STATUE :

1. La demande est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

 

« Patrick Gleeson »

 

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5725‑20

 

INTITULÉ :

BABAR ALI TARAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 AOÛT 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Celeste Shankland

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Landed Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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