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Date : 20211109


Dossier : IMM-7374-19

Référence : 2021 CF 1215

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

INNOCENT EBERECHUKWU UDEMBA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Innocent Eberechukwu Udemba, est citoyen du Nigéria. Il conteste la décision rendue le 19 novembre 2019 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission] a rejeté la demande d’asile qu’il a présentée au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et la conclusion supplémentaire de la SPR selon laquelle la demande est manifestement infondée en vertu de l’article 107.1 de la LIPR.

Contexte

[2] Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [le FDA], daté du 20 décembre 2018, puis modifié le 31 juillet 2019, le demandeur affirme qu’une clique politique secrète et corrompue est présente dans sa ville natale d’Isuikwuato, au Nigéria. En réponse à la situation, il a fondé en 2017 une organisation nommée Initiative for Social Justice and Anti-Corruption, dont il est le directeur général. Selon le demandeur, sa démarche a donné lieu à des menaces de mort et à une tentative de meurtre à son égard de la part de la cabale. Il affirme que les menaces ont continué malgré son déménagement à Abuja puis à Lagos. Il a alors décidé de se rendre à la Barbade, obtenant un visa de visiteur qui lui permettait de transiter par le Canada. Il s’est rendu à la Barbade le 5 octobre 2018, s’est vu refuser l’entrée sur le territoire et a repris un avion à destination du Canada le lendemain. Il a présenté une demande d’asile au Canada le 20 décembre 2018. Le demandeur soutient que sa vie est menacée par la cabale.

[3] Dans son FDA modifié, le demandeur ajoute que, comme la cabale n’avait pas réussi à le localiser, le 6 juillet 2019, elle a dit à la police qu’il était membre du mouvement des peuples autochtones du Biafra [l’IPOB]. Il affirme qu’il est membre de l’IPOB et qu’il a secrètement parrainé des activités dans sa communauté. Au Canada, il a versé des contributions mensuelles de 30 dollars à l’IPOB. Il affirme que les soldats et la police du gouvernement du Nigéria traquent les membres de l’IPOB et qu’il serait arrêté, torturé et tué s’il retournait dans son pays.

Décision faisant l’objet du contrôle

[4] La SPR a conclu que la question déterminante était la crédibilité.

[5] La SPR a examiné le récit et le témoignage du demandeur relativement à sa demande. Elle a noté que, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas mentionné l’IPOB dans ses formulaires d’immigration, le demandeur a répondu qu’étant donné que l’IPOB est un groupe interdit au Nigéria, il a gardé son adhésion dans la clandestinité, faisant des dons en secret. En outre, au moment de remplir les formulaires d’immigration, il n’avait pas encore appris que son appartenance à l’IPOB avait été révélée. Il ne pensait qu’à ses problèmes liés à la cabale. La SPR a estimé que son explication de l’omission aurait été raisonnable si ce n’était d’une contradiction importante dans le témoignage du demandeur qui l’a amené à conclure que cette partie de son histoire était inventée.

[6] Plus précisément, le témoignage du demandeur était qu’il travaillait à temps plein dans sa ville natale d’Isuikwuato en tant que président d’une organisation nommée World Christian Unity Crusaders, au sein de laquelle il faisait la promotion de l’unité des chrétiens. Il a décrit le travail susmentionné comme étant son principal travail à plein temps. Il se rendait également à Lagos environ une fois par mois pour faire du commerce de marchandises. Il a déclaré avoir fondé son ONG de lutte contre la corruption — l’Initiative for Social Justice and Anti-Corruption — dans sa ville natale, mais n’avoir pas eu le temps de l’enregistrer officiellement avant de quitter le Nigéria.

[7] Cependant, dans sa demande de visa de visiteur, le demandeur a écrit qu’il a travaillé en tant que président de World Christian United Crusaders à Lagos d’avril 2008 à juin 2018 et a également travaillé en tant que PDG de « Fast CashBack » à Lagos à partir de juillet 2018.

[8] La SPR n’a pas accepté l’explication qu’a donnée le demandeur de la contradiction entre son témoignage et les formulaires de visa concernant son lieu de travail. Le demandeur a expliqué qu’il exploitait physiquement World Christian United Crusaders depuis sa ville natale, mais que, parce qu’il voulait qu’elle ait un visage national et une présence mondiale, il l’avait enregistrée à Lagos. Il a ajouté que l’organisation possède une identité juridique à Lagos et, qu’à des fins officielles, le demandeur utilise Lagos. La SPR a estimé qu’il n’était pas raisonnable de croire que le demandeur aurait inscrit qu’il était le président de l’entreprise depuis 10 ans à Lagos si, en fait, et comme il l’a répété à maintes reprises dans son témoignage, il passait la plus grande partie de son temps dans sa ville natale, à 500 km de là. En outre, dans son témoignage, le demandeur a souligné à plusieurs reprises que le seul but de son voyage à Lagos était ses activités commerciales, qui étaient sa source secondaire de revenus, sans lien avec son travail à plein temps en tant que président de World Christian Unity Crusaders. Comme le demandeur n’était pas en mesure d’expliquer la contradiction de manière raisonnable, la SPR en a tiré une conclusion défavorable qui, selon elle, a entaché la crédibilité globale du demandeur.

[9] En outre, étant donné que le demandeur n’avait pas été honnête concernant son emploi et sa résidence, la SPR a conclu qu’il n’était pas honnête dans son récit ou son témoignage concernant son travail anticorruption et les menaces à son égard en raison de son travail à Isuikwuato. Par conséquent, la contradiction a jeté le doute sur la véracité de l’ensemble de la demande d’asile du demandeur. En effet, le demandeur a allégué qu’il avait été pris pour cible en raison de son travail dans sa ville natale dans le cadre de l’Initiative for Social Justice and Anti-Corruption. Cependant, s’il dirigeait en fait World Christian Unity Crusaders à Lagos de 2008 à 2018, comme il l’a inscrit dans ses formulaires de visa, il n’aurait pas été ciblé par la cabale de sa ville natale, car il n’y vivait pas. La SPR ne croit pas que l’Initiative for Social Justice and Anti-Corruption existe. Comme la SPR a conclu que les allégations de menace de la part de la cabale étaient inventées, elle a également conclu que les allégations connexes concernant la menace posée par les autorités en raison de l’appartenance du demandeur à l’IPOB étaient fausses.

[10] La SPR a jugé que ses conclusions défavorables quant à la crédibilité étaient déterminantes dans son appréciation de l’affirmation du demandeur selon laquelle il était la cible d’une cabale politique à Isuikwuato, affirmation que la SPR a jugée fausse, selon la prépondérance des probabilités, et que le demandeur avait inventé l’histoire dans le but d’induire la SPR en erreur. Selon la SPR, l’histoire concernant l’IPOB avait aussi été inventée dans le même but.

[11] En ce qui concerne les éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur, la SPR a conclu que la carte d’identité du demandeur en tant que directeur général de l’Initiative for Social Justice and Anti-Corruption n’était pas suffisante pour surmonter ses conclusions défavorables importantes quant à la crédibilité. Quant à la copie d’un article prétendument paru dans une publication nigériane, le Access News Magazine, la SPR a constaté qu’elle répétait les allégations du demandeur contenues dans son formulaire FDA, qui ont été jugées non crédibles. En outre, selon le Cartable national de documentation [le CND], le paiement de pots-de-vin en journalisme — le fait de soudoyer un journaliste pour qu’il produise des rapports utiles à une personne en particulier — est une pratique courante dans de nombreux pays, notamment au Nigéria. Compte tenu du récit inventé par le demandeur et des renseignements du CND sur le paiement de pots-de-vin en journalisme, la SPR a conclu que l’article de magazine avait été produit aux fins de la demande. Elle n’a accordé aucun poids à la carte d’identité ni à l’article de magazine. La SPR a également accordé peu de poids à la photo d’une pièce aux meubles renversés que le demandeur prétend être une photo de son appartement après une tentative d’assassinat, ou à une lettre prétendument écrite par le coordinateur de l’IPOB à Isuikwuato selon laquelle le demandeur était un membre secret et un contributeur depuis 2015. La SPR a conclu que les documents susmentionnés n’étaient pas suffisants pour surmonter ses conclusions défavorables importantes quant à la crédibilité.

[12] La SPR a cité l’article 107.1 de la LIPR et a fait état des motifs à l’appui de sa conclusion selon laquelle la demande qu’a présentée le demandeur est manifestement infondée.

Question en litige et norme de contrôle

[13] À mon avis, la seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SPR est raisonnable.

[14] Le demandeur a présenté des observations de nature générale sur la norme de contrôle applicable, dans lesquelles il renvoie à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick 2018 CSC 9, à la décision Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 306, à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, et à d’autres décisions, et invite la Cour à tenir compte de la jurisprudence qu’il a mentionnée.

[15] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23-32, 48). Le demandeur ne prétend pas que cette présomption a été réfutée en l’espèce et je suis du même avis que lui.

Analyse

[16] Le demandeur présente de nombreuses observations, souvent décousues. Toutefois, sa position principale se résume à l’opinion selon laquelle la SPR a commis une erreur en tirant des conclusions en matière de crédibilité fondées sur la différence entre ce qu’il a déclaré dans sa demande de visa et ce qu’il a déclaré dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et son témoignage de vive voix. Le demandeur soutient qu’il n’avait pas l’intention d’induire les autorités d’immigration en erreur, qu’il a simplement mal interprété la question dans sa demande de visa. En outre, même s’il avait intentionnellement fait une fausse déclaration sur son lieu de travail dans la demande de visa, il l’avait fait pour échapper à la persécution et cela n’aurait pas dû entraîner une conclusion défavorable quant à la crédibilité, citant Rasheed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 587 [Rasheed]. Il soutient également qu’une seule conclusion défavorable quant à la crédibilité n’est pas synonyme de demande frauduleuse et qu’elle ne peut pas étayer une conclusion selon laquelle la demande est manifestement infondée, citant, entre autres, Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 [Yuan]. Le demandeur affirme que la SPR a fait abstraction ou mal apprécié l’ensemble des éléments de preuve qui auraient autrement établi que sa demande était fondée, s’appuyant plutôt sur une erreur de jugement de sa part lorsqu’il a rempli sa demande de visa.

La conclusion quant à la crédibilité

[17] J’examinerai d’abord les arguments du demandeur selon lesquels la SPR n’a pas tenu compte du fait qu’il ne connaissait pas les formulaires de demande de visa et qu’il n’avait peut-être pas compris le contexte de la question sur son lieu de travail, et que ses éléments de preuve ont révélé l’impact psychologique que le traumatisme des attaques alléguées a eu sur lui. Il fait valoir que, globalement, ce qui précède est une indication claire du fait que son état d’esprit faisait en sorte qu’il était susceptible de commettre des erreurs.

[18] Comme le souligne le défendeur, le demandeur soutient maintenant qu’il a mal compris la question sur son lieu de travail dans sa demande de visa, mais il n’a pas invoqué cette mauvaise compréhension pour expliquer l’incohérence entre son témoignage et sa demande de visa lors de sa comparution devant la SPR. Dans le même ordre d’idées, le demandeur fait maintenant valoir que son état psychologique faisait en sorte qu’il était susceptible de commettre des erreurs, mais il n’a pas présenté devant la SPR de preuve de son état psychologique et n’a pas avancé son traumatisme psychologique comme explication de la contradiction dans ses éléments de preuve. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il ne peut être reproché à la SPR d’avoir omis de se pencher sur des explications qui ne lui ont jamais été présentées.

[19] Le demandeur affirme également que la SPR ne lui a pas accordé le bénéfice du doute comme l’exige l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) au paragraphe 5 [Maldonado], et que la [traduction] « conviction irrévocable » selon laquelle le demandeur doit avoir délibérément induit en erreur les autorités canadiennes de l’immigration démontre un excès de zèle afin de trouver le demandeur non crédible et un [traduction] « désir prémédité » de rejeter sa demande.

[20] À mon avis, le demandeur ne tient pas compte du fait que, dans Maldonado, la Cour a conclu que lorsqu’un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter (Maldonado au para 5). Notre Cour a par la suite conclu de la même manière que la présomption de véracité peut être réfutée lorsque les éléments de preuve présentés ne concordent pas avec le témoignage d’un demandeur (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666 au para 11) ou lorsque l’explication qu’un demandeur fournit pour justifier une incohérence ne convainc pas la SPR (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183 au para 19 [Lin]; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 21 [Lawani]). En l’espèce, la présomption de véracité est réfutée, car la SPR a conclu que le demandeur n’a pas expliqué de manière convaincante la contradiction entre les éléments de preuve concernant son lieu de travail durant la période concernée. Il en a résulté une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur qui a entaché la crédibilité globale de ce dernier.

[21] Le demandeur affirme également que, si un demandeur d’asile présente de faux renseignements lorsqu’il échappe à la persécution, cela ne devrait pas entraîner de conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Le demandeur renvoie à la décision Rasheed dans laquelle la Cour a tiré la conclusion qui suit :

[18] Il a déjà été décidé que le fait qu’un demandeur d’asile soit muni de faux documents de voyage, qu’il détruise des documents de voyage ou qu’il mente à leur sujet à son arrivée pour se conformer aux directives de son mandataire a une importance secondaire et une valeur très limitée au plan de la détermination de la crédibilité générale. D’abord, il n’est pas rare que les personnes qui fuient leur pays pour éviter d’être persécutées n’aient pas de documents de voyage réguliers en main et que, en raison de leur vulnérabilité et des craintes qu’elles ressentent, agissent simplement conformément aux directives du mandataire qui a organisé leur fuite. En second lieu, le fait qu’une personne ait menti ou non au sujet de ses documents de voyage a peu de liens directs avec la question de savoir si elle est effectivement un réfugié (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (C.A.) (QL), et Takhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 240, au para 14 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[22] Je suis d’accord avec la conclusion qui précède. Toutefois, la situation du demandeur n’est pas la même. Le demandeur n’a pas utilisé de fausses pièces d’identité ni de faux documents de voyage pour fuir le Nigéria. Il n’a pas non plus démontré comment le fait de fournir de faux renseignements dans sa demande de visa concernant son lieu de travail au Nigéria l’aurait aidé à fuir la persécution. Le fait que le lieu de travail du demandeur qui est inscrit dans sa demande de visa ne concorde pas avec celui qui est inscrit dans sa demande d’asile n’était pas un détail accessoire à sa demande d’asile (voir Lawani au para 23). Comme l’a conclu la SPR, ce fait est au cœur de la demande d’asile du demandeur. Si le demandeur travaillait à Lagos comme il l’a inscrit dans sa demande de visa, on peut alors douter de son affirmation selon laquelle il a fondé une organisation anticorruption à Isuikwuato en 2017 et, par conséquent, y a été persécuté par une cabale. Si cet aspect de sa demande était faux, il en irait de même de son affirmation supplémentaire selon laquelle, lorsque la cabale n’a pas pu le trouver, elle a signalé aux autorités nigérianes que le demandeur était membre de l’IPOB. Le raisonnement qui précède a porté la SPR à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur.

[23] À mon avis, la véritable question est de savoir si la SPR a raisonnablement appliqué sa conclusion quant à la crédibilité à son évaluation des autres éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur. À cet égard, notre Cour a statué ce qui suit dans Lawani :

[24] Quatrièmement, le manque de crédibilité concernant les éléments centraux d’une demande d’asile peut s’étendre à d’autres éléments de la demande et les entacher (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 604 (CAF) (QL), aux para 7 et 8) et s’appliquer de façon généralisée aux éléments de preuve documentaire présentés pour corroborer une version des faits. Dans le même ordre d’idées, il est loisible à la SPR de n’accorder aucune force probante aux évaluations ou aux rapports fondés sur des éléments sous-jacents jugés non crédibles (Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1215 [Brahim], au para 17).

[24] En l’espèce, du fait que la SPR a conclu, en se fondant sur une contradiction importante dans le témoignage du demandeur, que celui-ci avait inventé l’histoire selon laquelle il avait été pris pour cible par une cabale et, par conséquent, dénoncé comme membre de l’IPOB, il était loisible à la SPR de conclure également que les documents fournis par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile n’étaient pas crédibles.

[25] Toutefois, le demandeur conteste le traitement par la SPR de l’article du Access News Magazine. La SPR a constaté que l’article serait paru dans la publication nigériane et qu’il mentionne que le demandeur est le directeur général de l’Initiative for Social Justice and Anti-Corruption. L’article présente une entrevue avec le demandeur et fait état d’un incident auquel il fait référence dans sa demande, à savoir que sa maison a été attaquée par des tueurs à gages ce qui a entraîné l’hospitalisation de son frère. La SPR a jugé que l’article répétait les allégations qu’elle avait jugées non crédibles. Étant donné que la SPR a conclu que le demandeur avait inventé son récit pour induire la SPR en erreur, et compte tenu des renseignements du CND sur le paiement de pots-de-vin en journalisme au Nigéria, la SPR a conclu que l’article a été produit aux fins de la demande d’asile du demandeur.

[26] Le demandeur fait valoir que l’article a été publié avant qu’il ne fuie le Nigéria et avant que sa demande ne soit entendue. Le demandeur soutient que la SPR n’a rien signalé qui pourrait donner un indice quelconque du caractère frauduleux de l’article et qu’elle [traduction] « attribue au demandeur un don de clairvoyance ». Bien entendu, la SPR a expliqué pourquoi elle n’a accordé aucun poids à l’article. De plus, si l’article a été produit par un journaliste qui aurait été soudoyé, la date à laquelle il est censé avoir été publié — s’il l’a même été — est également en cause. En outre, l’article en soi ne contient aucune corroboration indépendante des allégations du demandeur; il est fondé sur une entrevue avec le demandeur et une source anonyme de la police locale.

[27] Comme l’a fait remarquer le défendeur, notre Cour a statué qu’il est raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’un document est frauduleux et de n’y accorder aucun poids étant donné le manque de crédibilité du demandeur et la prévalence des documents frauduleux dans le pays d’origine de celui-ci (Nanyongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 105 au para 16; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315 au para 20; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1250 au para 15). Les doutes quant à la crédibilité du demandeur, ainsi que la prévalence des médias d’information frauduleux au Nigéria, ont amené la SPR à conclure que l’article de magazine a été produit aux fins de la demande d’asile. Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne ses conclusions quant à la crédibilité ou son traitement de l’article du Access News Magazine.

Demande manifestement infondée

[28] Le principal argument du demandeur est que si la SPR avait simplement [traduction] « classé » la déclaration erronée dans sa demande de visa comme une conclusion défavorable quant à la crédibilité plutôt que de conclure que sa demande était manifestement infondée, il aurait eu un droit de recours devant la Section d’appel des réfugiés : [traduction] « Cela aurait donné au demandeur une chance que sa véritable demande soit entendue, plutôt que d’être rejetée par le membre de la Commission ».

[29] Il est vrai qu’une conclusion selon laquelle une demande est manifestement infondée a de graves conséquences pour un demandeur. En effet, conformément à l’alinéa 110(2)c) de la LIPR, aucun appel ne peut être interjeté devant la Section d’appel des réfugiés à la suite de cette conclusion. Le demandeur ne bénéficie pas non plus d’un sursis aux mesures de renvoi par l’effet de la loi si la décision de la SPR est contestée (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/202-227, au para 231(1); LIPR, art 49(2)c)

[30] Et, comme l’énonce Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 [Warsame], ce n’est pas n’importe quel mensonge ou rapport inexact qui revêt la demande d’asile d’un caractère frauduleux. « Il faut pour cela que les déclarations malhonnêtes, les supercheries, les mensonges touchent à un aspect important de cette demande, de sorte à influer substantiellement sur la décision dont elle fera l’objet » (au para 30).

[31] Lorsqu’elle a examiné la possibilité que la demande d’asile du demandeur soit manifestement infondée, la SPR a déclaré que le demandeur avait tenté de la tromper et de l’induire en erreur en créant un faux profil de lui-même en tant qu’activiste anticorruption qui a été ciblé dans sa ville natale pour avoir parlé contre les cabales politiques corrompues. La SPR répète ses conclusions quant à l’incohérence importante du témoignage du demandeur concernant le lieu de son travail pendant la période pertinente. La SPR affirme qu’elle croit que le demandeur a dit la vérité sur ses antécédents professionnels et sur l’endroit où il a résidé pendant les dix années précédentes au Nigéria lorsqu’il a demandé un visa canadien afin de s’arrêter à Toronto en route vers la Barbade. Cependant, ayant décidé à une date ultérieure de demander l’asile au Canada, le demandeur a inventé l’histoire concernant la cabale politique à Isuikwuato afin de tromper la SPR et d’obtenir l’asile. Étant donné cette tentative délibérée de tromper et d’induire en erreur, et ayant conclu que les allégations selon lesquelles le demandeur est ciblé par des membres de la cabale politique dans sa ville d’origine d’Isuikwuato ne sont pas vraies selon la prépondérance des probabilités, la SPR a conclu que la demande est manifestement infondée.

[32] Malgré les arguments du demandeur, la situation en l’espèce ne correspond pas en tout point à celle de Yuan. En effet, dans Yuan, la fraude de la demanderesse pour obtenir son visa d’étudiant n’avait guère de lien avec son allégation de persécution; elle n’était pas au cœur de la question. Et même si peu de poids a été accordé à ses autres documents à l’appui, ces derniers n’ont pas été considérés comme frauduleux (Yuan au para 44).

[33] Comme le demandeur n’a pas fourni d’explication convaincante à la SPR concernant les contradictions importantes et fondamentales dans la preuve qu’il a fournie au sujet de l’endroit où il vivait et travaillait durant la période concernée, à mon avis, dans les circonstances, la SPR a conclu raisonnablement que sa demande d’asile était manifestement infondée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-7374-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et aucune n’est soulevée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7374-19

 

INTITULÉ :

INNOCENT EBERECHUKWU UDEMBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 9 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Henry Igbinoba

 

Pour le demandeur

 

Kevin Spykerman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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