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Date : 20020524

Dossier : T-1626-01

Référence neutre : 2002 CFPI 597

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2002

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge John A. O'Keefe

ENTRE :

                  FIRST CANADIANS' CONSTITUTION DRAFT COMMITTEE

THE UNITED KOREAN GOVERNMENT (CANADA)

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une requête par laquelle le demandeur interjette appel contre l'ordonnance de Madame le protonotaire Aronovitch en date du 19 avril 2002 adjugeant à son encontre des dépens s'élevant à 500 $.


Les faits

[2]                 Le demandeur a déposé une déclaration initiale en vue de réclamer des dommages-intérêts pécuniaires à la Couronne en se fondant sur divers moyens.

[3]                 Par une ordonnance du protonotaire en date du 19 janvier 2002, la déclaration a été radiée sans autorisation de la modifier et l'action a été rejetée. Cette ordonnance n'a pas été portée en appel. Le protonotaire a ordonné aux parties de s'entendre sur les dépens de la requête, tout différend pouvant être soumis au moyen de prétentions écrites.

[4]                 Les parties ne sont pas arrivées à s'entendre sur les dépens de la requête de la défenderesse, de sorte que l'affaire a été renvoyée au protonotaire. Le 19 avril 2002, le protonotaire a ordonné au demandeur de verser immédiatement à la défenderesse les dépens de la requête, d'un montant de 500 $, y compris les débours.

[5]                 Il s'agit ici d'une requête par laquelle le demandeur porte en appel l'ordonnance rendue par le protonotaire le 19 avril 2002.


Point litigieux

[6]                 Le protonotaire a-t-il commis une erreur susceptible de révision dans l'ordonnance relative aux dépens qu'il a rendue le 19 avril 2002?

Dispositions législatives applicables

[7]                 Le paragraphe 51(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) est ainsi libellé :

51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.

Analyse et décision

[8]                 Norme de contrôle

Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 C.F. 425, page 463, Monsieur le juge McGuigan a statué que le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf lorsque l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens qu'elle est fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits ou lorsqu'elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Si une question concernant l'issue du principal est soulevée, l'affaire doit être entendue de nouveau.


[9]                 Voici ce que le juge McGuigan a dit, pages 462 et 463:

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A. dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

(a)             l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

(b)            l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

[...]

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Le juge McGuigan a fait les remarques suivantes, pages 464-465 :

Dans Canada v. "Jala Godavari" (Le) (1991), 40 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F.), notre Cour, dans une observation incidente, a énoncé la règle contraire, en mettant l'accent sur la nécessité pour le juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire par instruction de novo, par contraste avec la vue qui avait cours à l'époque à la Section de première instance, savoir qu'il ne fallait pas toucher à la décision discrétionnaire du protonotaire sauf le cas d'erreur de droit. Il ne faut pas, à mon avis, interpréter l'arrêt Jala Godavari comme signifiant que la décision discrétionnaire du protonotaire ne doit jamais être respectée, mais qu'elle est subordonnée à l'appréciation discrétionnaire d'un juge si la question visée a une influence déterminante sur l'issue de la cause principale. (L'erreur de droit, bien entendu, est toujours un motif d'intervention du juge, et ne prête pas à controverse).


La question se pose donc de savoir quel genre d'ordonnance interlocutoire est en cause en l'espèce. L'appelante engage la Cour à suivre le précédent Stoicevski, mais n'a pas été en mesure d'expliquer que la décision du protonotaire en l'espèce ne portât pas sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Les conclusions de lord Wright comme du juge Lacourcière, J.C.A., soulignent le contraste entre "les questions de procédure courantes" (lord Wright) et "la modification sans importance des actes de procédure" (le juge Lacourcière, J.C.A.) [non mis en italique dans le texte] d'une part, et les questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause principale, c'est-à-dire sa solution, de l'autre.

La matière soumise en l'espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu'il a prononcé en faveur de l'appelante. Eût-il prononcé en faveur de l'intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; Voir P-G du Canada c. S.F. Enterprises Inc. et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de "l'influence déterminante sur l'issue du principal" à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).

[10]                         Dans l'arrêt Stoicevski c. Casement, 43 O.R. (2d) 436 (C.A. Ont.), Monsieur le juge Lacourcière a dit ce qui suit :


[TRADUCTION] Un argument invoqué par Me Goudie, qui a été adopté par Monsieur le juge White dans le jugement qu'il a prononcé en dissidence en Cour divisionnaire était que le juge local était arrivé à sa décision dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire judiciaire et que la Cour divisionnaire n'aurait donc pas dû modifier l'ordonnance sauf si celle-ci était entachée d'une erreur flagrante. Je suis d'accord pour dire que ce critère (adopté par Monsieur le juge Southey dans la décision Marleen Investments Ltd. c. McBride et al. (1979), 23 O.R. (2d) 125, 13 C.P.C. 221, conformément aux remarques énoncées par le chancelier Boyd dans la décision Adamson c. Adamson et al. (1888), 12 P.R. (Ont.) 469) est celui qui s'applique lorsqu'un appel est interjeté contre une ordonnance interlocutoire se rapportant à des questions comme le changement de juridiction, une demande de convocation du jury, ou une modification courante apportée à un acte de procédure. Toutefois, dans la décision Marleen Investments, précitée, le juge Southey a reconnu que certaines décisions interlocutoires qui portent sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal exigent une nouvelle audience, le juge pouvant alors à bon droit substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du protonotaire ou du juge local. L'appel ici en cause appartient clairement à cette dernière catégorie. Une modification qui peut avoir pour effet de réduire le montant des dommages-intérêts recouvrés par le demandeur a clairement une influence déterminante sur l'issue du principal. Je ne retiendrais pas ce moyen d'appel.

Il s'agit ici de l'appel d'une ordonnance relative aux dépens, qui constitue l'issue du principal; je dois donc exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[11]                         La défenderesse a soumis le mémoire de frais suivant, préparé selon la colonne II du tarif B des Règles :

[TRADUCTION]

Article

Description

Nombre d'unités

Sous-total

Total

5

Préparation et dépôt d'une requête contestée, y compris les documents et les réponses s'y rapportant

   4

440,00 $

6

Comparution lors d'une requête, pour chaque heure (18 décembre 2001, 1,5 heure)

1,5

165,00 $

25

Services rendus après le jugement et non mentionnés ailleurs

   1

110,00 $

Sous-total des honoraires

715,00 $

715,00 $

Débours :

- Signification et dépôt d'un avis de requête

   60,00 $

- Signification et dépôt du dossier de la requête de la défenderesse

   42,06 $

Sous-total des débours

102,06 $

102,06 $

Total des honoraires et débours

817,06 $

  

[12]                         L'article 400 des Règles est ainsi libellé :

400. (1) La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.

  

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l'instance;

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

c) l'importance et la complexité des questions en litige;

d) le partage de la responsabilité;

e) toute offre écrite de règlement;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

g) la charge de travail;

h) le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière des dépens;

i) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

j) le défaut de la part d'une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

    

(a) the result of the proceeding;

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

(c) the importance and complexity of the issues;

(d) the apportionment of liability;

(e) any written offer to settle;

(f) any offer to contribute made under rule 421;

(g) the amount of work;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

  

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;



k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

l) la question de savoir si plus d'un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l'application des règles 292 à 299;

o) toute autre question qu'elle juge pertinente.

(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

(5) Dans le cas où la Cour ordonne que les dépens soient taxés conformément au tarif B, elle peut donner des directives prescrivant que la taxation soit faite selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes du tableau de ce tarif.

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

  

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

  

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

   

(o) any other matter that it considers relevant.

(4) The Court may fix all or part of any costs by reference to Tariff B and may award a lump sum in lieu of, or in addition to, any assessed costs.

(5) Where the Court orders that costs be assessed in accordance with Tariff B, the Court may direct that the assessment be performed under a specific column or combination of columns of the table to that Tariff.

  

[13]            Dans sa décision, le protonotaire n'explique pas pourquoi le montant de 500 $ a été fixé, mais mon examen des facteurs pertinents énumérés ci-dessus m'amène à conclure que je ne devrais pas modifier le montant des dépens adjugés à la défenderesse. Le protonotaire était autorisé à fixer un montant au titre des dépens. En outre, s'il est tenu compte des facteurs énumérés dans la règle 400(3) et, en particulier, du fait que la défenderesse a eu gain de cause dans la requête, je conclus que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon correcte et appropriée.

[14]            Je rejetterai donc la requête du demandeur (en appel).

[15]            Le demandeur a affirmé que la Couronne n'a pas droit à des dépens. Or, tel n'est plus le droit.

[16]            De plus, le demandeur a soutenu que le protonotaire n'avait pas compétence pour adjuger les dépens dans cette instance puisque le montant réclamé est de plus de 50 000 $. L'ordonnance relative aux dépens du 19 avril 2002 a été rendue dans le cadre de l'octroi d'une requête en radiation présentée par la défenderesse conformément à la règle 221. Selon moi, la règle 50(2) autorise le protonotaire à entendre uniquement les affaires dans lesquelles la réclamation s'élève à au plus 50 000 $. Or, le protonotaire n'a pas entendu l'action; elle a radié la déclaration conformément à la règle 221.

[17]            Le demandeur a également affirmé que les dépens ne devraient pas être adjugés à son encontre étant donné qu'il est indigent. Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse d'un moyen permettant de refuser les dépens, eu égard aux faits de l'affaire.

[18]            Le demandeur a soutenu que la défenderesse aurait dû lui fournir une preuve écrite montrant que le Premier ministre avait demandé aux avocats de prendre les mesures légales qui ont été prises en l'espèce. Je ne retiens pas cette position.

[19]            Le demandeur a soutenu que la défenderesse n'a pas le droit de se fonder sur la règle 221(1) à moins de s'être d'abord acquittée des obligations qui lui incombent en vertu des règles 203, 204a), 208, 209 et 210(1). Je n'ai pas à examiner cet argument puisque, dans cette requête, l'affaire n'est pas portée en appel. Il n'a été interjeté appel qu'à l'égard de l'adjudication des dépens..

ORDONNANCE

[20]            LA COUR ORDONNE : la requête (en appel) du demandeur est rejetée.

    

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 24 mai 2002.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                                      T-1626-01

INTITULÉ :                                                                     First Canadians' Constitution Draft Committee, The United Korean Government (Canada)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 2 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                                  le 24 mai 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Michael K. B. Hahn (pour son propre compte)         POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Mme Monika Lozinska                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Michael K. B. Hahn (pour son propre compte)         POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                       Date : 20020524

                                                Dossier : T-1626-01

  

ENTRE :

     FIRST CANADIANS' CONSTITUTION

DRAFT COMMITTEE

THE UNITED KOREAN

GOVERNMENT (CANADA)

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

                                                            défenderesse

   

                                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                  

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