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Date : 20211108


Dossier : IMM-735-21

Référence : 2021 CF 1199

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2021

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

HARDIAL SINGH

BHUPINDER KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui avait confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Cette demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR].

[2] Les décisions des deux tribunaux administratifs avaient comme question décisive la crédibilité des Demandeurs. Sur contrôle judiciaire, la décision est rendue sur la base que le fardeau sur les épaules des Demandeurs de démontrer que les conclusions sur la crédibilité ne sont pas raisonnables n’a pas été déchargé. Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Les faits et décision dont contrôle judiciaire est demandé

[3] Les Demandeurs sont des citoyens de l’Inde qui sont venus chercher refuge au Canada en mai 2019. Ils se plaignent d’une variété d’incidents qui se seraient produits dans leur village natal et qui auraient engendré une crainte suffisante pour chercher refuge au Canada.

[4] Dans le fondement de demande d’asile (FDA), les Demandeurs relatent des incidents dont ils auraient été victimes. Ils disent avoir craint un politicien local qui aurait été aussi, à leur dire, un trafiquant de drogue et qui aurait eu des intérêts dans une entreprise qui aurait été en concurrence avec celle du Demandeur principal. Les deux Demandeurs se situent dans une caste inférieure et ils seraient demeurés dans un village dominé par une caste supérieure, dont l’agent de persécution aurait fait partie.

[5] Dans leur court mémoire des faits et du droit, les Demandeurs contestent les trois inférences négatives qui ont été tirées par la SAR. C’est que la SAR a déclaré dans sa décision que sur les six incidents sur lesquels s’était officiellement prononcée la SPR pour conclure à la crédibilité défaillante, la SPR avait eu tort de rejeter trois des six allégations faites par les Demandeurs. Cependant, quant aux trois autres allégations, la SAR concluait que la SPR avait eu raison et qu’il fallait donc, dans les circonstances, conclure que les Demandeurs n’étaient pas crédibles.

[6] Les trois inférences négatives rejetées par la SAR sont les suivantes. Quant à la rivalité entre le politicien local et les Demandeurs au sujet d’entreprises qui pouvaient se concurrencer (entreprises d’installation de câble pour la télédiffusion), la SAR a conclu à l’encontre de ce qui avait été décidé par la SPR. Malgré la confusion des explications du Demandeur principal, M. Singh, il n’était pas clair que, dans le FDA, il avait allégué une rivalité commerciale comme étant une source de conflit entre lui et le politicien local. Il n’y avait donc pas nécessairement de conflit entre la version donnée à l’audience et celle qui se trouvait dans le FDA.

[7] La SPR avait aussi considéré ce qu’elle voyait comme étant une différence entre une déclaration dans le FDA et le témoignage du Demandeur principal au sujet d’une présence de « mafias ». Le narratif du FDA parlait de « drug mafia » et de « cable mafia ». À l’audience devant la SPR, les éclaircissements de la part du Demandeur principal ne sont jamais venus. Malgré cela, la SAR aura considéré qu’il s’agissait davantage d’une question de sémantique qu’autre chose et se déclarait donc en désaccord avec la SPR pour y voir une inférence négative à tirer sur la crédibilité générale du Demandeur principal.

[8] Finalement, un autre désaccord entre les deux tribunaux administratifs provenait de la conclusion de la SPR que si les Demandeurs avaient vraiment été en danger, ils auraient été interceptés à l’aéroport de Delhi au moment où ils quittaient leur pays d’origine. La SAR a considéré plutôt que la preuve était telle que des personnes comme les Demandeurs n’auraient pas fait l’objet d’une telle surveillance. Il ne fallait donc pas tirer l’inférence que la facilité à quitter l’Inde conduisait à la conclusion qu’il n’y aurait pas eu de danger réel de la part d’agents de persécution. Ce facteur est plutôt neutre.

[9] Par ailleurs, trois autres conclusions de la SPR relatives à la crédibilité du Demandeur principal sont confirmées par la SAR. Alors que les Demandeurs, et en particulier le Demandeur principal, mettaient l’emphase sur ses campagnes anti-drogues qui auraient déplu au politicien local, il n’a pas été en mesure, après avoir reçu quelques questions à cet égard de la part de la SPR, d’expliquer en quoi consistait son message qu’il disait avoir véhiculé pendant un certain temps. De fait, le Demandeur principal n’a jamais été capable d’élaborer sur ce message qui, selon son témoignage, était pratiquement au cœur des difficultés qu’il a rencontrées dans son village natal.

[10] De même, la crédibilité du Demandeur principal aura été entachée par le récit fait par lui relativement à une intervention policière en janvier 2017, juste avant une élection. En l’espèce, le Demandeur principal n’avait pas déclaré dans son FDA avoir subi de la part de la police des violences à son égard alors que des policiers auraient tenté de lui imposer une certaine pression pour qu’il s’aligne en faveur du politicien local. Or, lors de son témoignage, il prétendait avoir été battu et avoir subi des pressions considérables. Il devait retirer cette assertion plus tard dans son témoignage. Pour la SPR, il s’agissait d’un narratif qui évoluait et cela a été retenu contre le Demandeur. L’explication donnée pour justifier ne pas avoir fourni cette information dans son FDA n’a pas été retenue. On soumettait alors que le Demandeur avait peu d’éducation (une dixième année) et qu’il était nerveux. La SAR considère plutôt qu’il s’agit bel et bien d’une évolution du témoignage et, à cet égard, se déclare en accord avec la SPR.

[11] Enfin, la SAR est étonnée que le témoin principal n’ait pas relaté à l’audience un incident indiqué dans son narratif de son FDA, selon lequel des individus seraient venus tirer à l’aide d’armes à feu sur sa demeure en août 2018. La SPR avait même tenté de suggérer par ses questions qu’il y aurait eu un autre incident dont le Demandeur principal pourrait vouloir parler. Rien n’y fit. Le Demandeur principal n’en disait mot même après trois tentatives par la SPR. Un tel oubli rend l’existence de tel incident, qui aurait dû être frappant et restant dans la mémoire longtemps, comme étant douteux. La SAR déclare d’ailleurs qu’une telle omission est inexplicable. La crédibilité des Demandeurs s’en trouve affectée.

[12] Étant donné le caractère vague du témoignage du Demandeur principal sur le message anti-drogues qu’il alléguait avoir colporté pendant un certain temps, l’omission complète lors de l’audience devant la SPR de relater les circonstances d’une attaque sur sa demeure avec des armes à feu et le caractère inconsistant de son témoignage au sujet d’une interaction avec la police juste avant l’élection de 2017, ces facteurs font en sorte que la crédibilité du Demandeur principal est grandement affectée. Il en résulte que la demande d’asile est rejetée en raison de la crédibilité défaillante des demandeurs et, en particulier, du Demandeur principal.

II. Arguments et analyse

[13] Tout le monde convient que la demande de contrôle judiciaire dont la question décisive est celle de la crédibilité est la norme de la décision raisonnable. Le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable est sur les épaules du Demandeur et le Demandeur doit donc convaincre la cour de révision que la décision sous étude soufre de lacunes graves. De fait, ces lacunes doivent mener à la conclusion que les exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence pour avoir une décision raisonnable ne sont pas présentes. Comme la Cour suprême le dit dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], « La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (para 100). De fait, des lacunes présentées comme démontrant un manque de logique interne ou que la décision est indéfendable seront invoquées pour démontrer le caractère déraisonnable d’une décision. C’est donc dire que les Demandeurs doivent convaincre la Cour de ces lacunes graves qui mèneraient à la conclusion que les caractéristiques de la décision raisonnable, la transparence, l’intelligibilité et la justification au regard des contraintes des faits et du droit, ne sont présentes en l’espèce.

[14] Or, nous n’avons rien de tel de la part du Demandeur. Qui plus est, la cour de révision doit faire preuve de retenue judiciaire, adopter une attitude de respect et faire preuve de déférence à l’égard de la décision rendue par l’instance administrative. D’ailleurs, les Demandeurs l’acceptent d’emblée.

[15] C’est que la présentation des Demandeurs ne fait que déclarer son désaccord avec les prononcés de la SAR. Par exemple, alors que la SAR considère le témoignage du Demandeur principal comme étant vague au sujet du message qu’il disait véhiculer auprès des membres de son village au sujet de la consommation de stupéfiants, la lecture des Demandeurs est différente; les Demandeurs y voient certains détails. Encore faudrait-il élaborer et les identifier pour rendre le récit crédible. À l’audience, l’argument était devenu que le message était de ne pas prendre de drogue. Cela suffisait. Que disait le Demandeur principal lors des interventions sur le sujet Aucune explication n’est offerte à cet égard tant dans la plaidoirie que dans le mémoire des faits et du droit présenté au nom des Demandeurs. Cela est court. De fait le narratif en faisait une question centrale, participant à des assemblées où le Demandeur principal parlait des torts causés par la drogue (« ills of drugs »). Lui et sa femme se disaient très actifs relativement à la consommation de drogue. Il devait bien y avoir un narratif quelconque pour soutenir le message anti-drogues qui était véhiculé par les Demandeurs. Malgré les occasions d’élaborer, le Demandeur principal est demeuré vague et imprécis, se contentant de clamer un succès avec sa compagne. Comme le note la SAR, il serait étonnant qu’une campagne anti-drogues aussi fade aurait pu engendrer la réaction alléguée par les Demandeurs. L’absence de détails rendait la crédibilité pour le moins douteuse.

[16] Pour ce qui est de l’intervention policière en janvier 2017, et l’attaque de la résidence des Demandeurs alors que des coups de feu auraient été tirés, les Demandeurs ne font que prétendre que des omissions relatives aux deux événements ne sont pas suffisantes pour rejeter la demande d’asile des Demandeurs.

[17] Ainsi, les Demandeurs fournissent peu de détails dans le FDA quant à l’intervention policière de 2017 avant des élections. La version est devenue plus élaborée, prétendant avoir été battus par la police, lors de l’audience devant la SPR. Cette version améliorée est ensuite retirée lorsqu’on indique au Demandeur principal que cela ne se trouve pas au FDA.

[18] Finalement, ne pas témoigner sur un incident aussi significatif que des coups de feu tirés sur le domicile des Demandeurs suggère fortement que l’incident ne s’est pas produit.

[19] Les Demandeurs ont argué que les trois inférences négatives sont insuffisantes pour rejeter la demande d’asile. Je ne partage pas cet avis.

[20] La crédibilité renvoie à l’idée de véracité des événements relatés, mais aussi à la franchise et à l’honnêteté. Cela peut mener à une conclusion que le témoignage en général n’est pas crédible ou digne de foi vu l’importance des incidents relativement aux prétentions générales des Demandeurs d’asile. Il était loisible à la SAR de conclure que le témoignage du Demandeur n’était pas digne de foi à cause des trois inférences négatives sur des sujets importants.

[21] Il faut bien sûr que les incohérences et invraisemblances soient formulées en termes clairs et explicites. Un examen microscopique ne produira pas une inférence négative. Mais l’accumulation de ces invraisemblances et incohérences compte. Le poids relatif des difficultés sur la crédibilité est certes fonction de l’importance prise par les aspects du récit. Le fait que ces éléments soient centraux aux allégations de persécution leur donne une importance accrue. A l’inverse, s’il s’agissait plutôt de questions périphériques ou marginales, leur importance relative serait moindre et pourrait justifier de ne pas rejeter une demande d’asile.

[22] En l’espèce, il y a accumulation d’atteintes sérieuses à la crédibilité et elles touchent à des éléments majeurs. Les Demandeurs devaient démontrer que malgré la retenue judiciaire, il y avait lieu pour la cour d’intervenir. De l’avis de la Cour, il n’existe aucune raison de ne pas avoir une attitude de respect à l’égard de la décision sous étude, qui mène à l’exercice de retenue judiciaire.

III. Conclusion

[23] En aucune manière n’est-il expliqué en quoi il y aurait des lacunes graves pour en arriver à la conclusion à laquelle la SAR en est arrivée sur la crédibilité des Demandeurs. De simplement déclarer son désaccord avec les conclusions de la SAR ne saurait suffire pour convaincre la cour de révision que la décision est déraisonnable, alors même que celle-ci doit faire preuve de déférence à l’endroit de la SAR. De fait, les problèmes décrits par la SAR sont majeurs et il lui était loisible d’y voir une raison de rejeter l’appel de la décision de la SPR. À tout événement, les Demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

[24] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT au dossier IMM-735-21

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-735-21

INTITULÉ :

HARDIAL SINGH, BHUPINDER KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET mONTRÉAL (qUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 OCTOBRE 2021

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 8 novembre 2021

COMPARUTIONS :

Pierre-Emmanuel Girard

Pour les demandeurs

 

Mathieu Laliberté

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blain Avocats

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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