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Date : 20211108


Dossier : T‑898‑20

Référence : 2021 CF 1193

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

LA TORONTO REGIONAL REAL ESTATE BOARD

demanderesse

Et

R E STATS INC., faisant affaire sous le nom de REDATUM, KENNETH DECENA et GABRIEL STEFANESCU

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une requête déposée par les défendeurs, R E Stats Inc., faisant affaire sous le nom de ReDatum, et Gabriel Stefanescu [les défendeurs], en vue de faire annuler l’ordonnance datée du 12 juillet 2021 faisant droit à la requête ex parte de la demanderesse, la Toronto Regional Real Estate Board [la TRREB], par laquelle celle‑ci a obtenu, entre autres choses, un jugement par défaut contre les défendeurs[le jugement par défaut]. Le défendeur Kenneth Decena n’a pas déposé ni formulé de thèse.

[2] Les défendeurs sollicitent une ordonnance visant :

  1. l’annulation du jugement par défaut;

  2. la prorogation de l’échéance pour signifier et déposer leur défense ou toute requête de leur part liée à leur déclaration (par exemple, une requête en radiation ou pour précisions) au trentième (30e) jour suivant la date à laquelle la Cour rend une ordonnance annulant le jugement par défaut;

  3. l’octroi en leur faveur des dépens afférents à la présente requête, sur la base d’une indemnité complète;

  4. toute autre réparation que la Cour pourra estimer juste.

II. Contexte

[3] La demanderesse est la plus importante chambre immobilière au Canada, comptant plus de 56 000 membres qui sont vendeurs ou courtiers immobiliers autorisés. Il s’agit d’une entité sans but lucratif, constituée sous le régime des lois de l’Ontario et exploitée à titre d’association commerciale.

[4] La demanderesse a conçu et exploite le système MLS® de la TRREB [le système], lequel :

  1. donne aux membres professionnels du secteur immobilier et aux chambres immobilières partenaires un accès exclusif à un système en ligne organisé;

  2. permet aux membres d’accéder à des renseignements provenant de plusieurs partenaires, conformément à des contrats de licence exclusifs;

  3. offre plus de 100 services en ligne à ses membres au moyen de divers liens exclusifs, dont un accès à des listes de ventes de biens immobiliers en cours, à des descriptions détaillées de biens immobiliers uniques, à des renseignements d’archives, à des photographies uniques, à des descriptions détaillées de quartiers comprenant la liste des écoles et les caractéristiques communautaires, de même que d’autres renseignements organisés qui ont trait au secteur immobilier, dont les prix d’achat de biens immobiliers situés dans la région du Grand Toronto et dans d’autres régions de l’Ontario.

[5] La société défenderesse, R E Stats Inc., fait affaire sous le nom de ReDatum. Située à Toronto, en Ontario, elle fournit des services à des parties dans le secteur immobilier. Elle exerce ses activités au moyen d’un portail en ligne, dont l’URL est www.redatum.com, qui existe et qui est actif depuis au moins 2007. Gabriel Stefanescu et Kenneth Decena dirigeraient les activités de ReDatum.

[6] Le système serait une œuvre susceptible d’être protégée par un droit d’auteur appartenant à la demanderesse. Cette dernière a enregistré son droit d’auteur relatif à son système pour chaque année depuis 2015.

[7] Aux paragraphes 183 à 196 de l’arrêt Toronto Real Estate Board c Commissaire de la concurrence, 2017 CAF 236 [TREB c Commissaire de la concurrence], la Cour d’appel fédérale a analysé la question de savoir s’il existait un droit d’auteur relatif à la base de données du système. Cette analyse a été effectuée dans le contexte d’un appel interjeté à l’encontre de deux décisions du Tribunal de la concurrence. La Cour d’appel fédérale a conclu que le critère de l’originalité n’avait pas été rempli dans le contexte de cette instance.

III. La présente action

[8] La demanderesse a déposé sa déclaration le 11 août 2020. Les avocats des défendeurs ont confirmé qu’ils acceptaient la signification le 28 octobre 2020. Ils ont également confirmé qu’ils consentaient à la signification électronique de documents le 16 novembre 2020.

[9] Le défendeur Kenneth Decena a reçu signification de la déclaration le 16 novembre 2020.

A. La requête en injonction interlocutoire de la demanderesse

[10] La demanderesse a déposé une requête en injonction interlocutoire à l’encontre des défendeurs, laquelle a été rejetée dans l’ordonnance et les motifs du juge Southcott datés du 8 janvier 2021 [Toronto Regional Real Estate Board c RE Stats Inc. (Redatum), 2021 CF 30]. La demanderesse cherchait à empêcher les défendeurs, R E Stats Inc., faisant affaire sous le nom de ReDatum, et Gabriel Stefanescu, d’exercer certaines activités qui, prétendait‑elle, violaient son droit d’auteur. Kenneth Decena n’a pas comparu et n’a pas été représenté par un avocat.

[11] La Cour a tenu compte du fait que les défendeurs se fondaient sur l’arrêt TREB c Commissaire de la concurrence, mais elle a néanmoins conclu que le premier volet du critère applicable à la délivrance d’une injonction interlocutoire – l’existence d’une question sérieuse à juger – était satisfait. Cependant, l’existence d’un préjudice irréparable n’a pas été établie, et la demande d’injonction a été rejetée.

B. La requête en jugement par défaut de la demanderesse

[12] Le 18 mars 2021, la Cour a délivré aux parties un avis d’examen de l’état de l’instance dans lequel elle confirmait que plus de 180 jours s’étaient écoulés depuis le dépôt de la déclaration et qu’aucune défense ou requête en jugement par défaut n’avait été déposée.

[13] En réponse, la demanderesse a déposé, le 16 avril 2021, une requête ex parte en jugement par défaut, comme l’avait prescrit la Cour. La demanderesse n’en a pas avisé les défendeurs, et la Cour, conformément à sa directive et parce qu’ils étaient en défaut, les a exclus de sa correspondance.

[14] Le 7 avril 2021, après que l’avis d’examen de l’état de l’instance eut été délivré, les avocats des défendeurs ont envoyé un courriel aux avocats de la demanderesse pour leur demander ce qui se passait [le courriel du 7 avril]. Les avocats de la demanderesse n’ont pas répondu à ce courriel.

[15] Le 23 juin 2021, la demanderesse a déposé une requête ex parte en jugement par défaut. J’ai rendu le jugement par défaut le 12 juillet 2021 [Toronto Regional Real Estate Board c R E Stats Inc. (Redatum), 2021 CF 753]. Dans celui‑ci, j’ai accordé une injonction permanente interdisant aux défendeurs a) de copier le système ou de violer autrement le droit d’auteur relatif à celui‑ci, b) de contourner les mesures techniques de protection du système, et c) de contribuer de quelque manière que ce soit à fournir un accès au système ou d’aider à recueillir, à afficher ou à diffuser tout renseignement provenant du système.

[16] De plus, dans le jugement par défaut, j’ai condamné R E Stats à payer des dommages‑intérêts de 50 000 $ et j’ai ordonné que les défendeurs divulguent l’ensemble des méthodes et des moyens utilisés pour accéder au système ou pour obtenir du contenu de celui‑ci, et qu’ils détruisent ou rendent la totalité du contenu du système qu’ils détenaient.

C. La présente requête des défendeurs en annulation du jugement par défaut

[17] Les avocats des défendeurs ont reçu une copie du jugement par défaut le 12 juillet 2021. Le 13 juillet 2021, les défendeurs ont écrit par courriel à la demanderesse en vue d’obtenir son dossier de requête, toute la correspondance entre elle et la Cour, et des copies des directives ou des ordonnances de la Cour qui ne leur avaient pas été transmises. Ils ont aussi demandé à la demanderesse si elle consentait à une ordonnance annulant le jugement par défaut, mais ils n’ont pas reçu de réponse.

[18] Les 14 et 15 juillet 2021, respectivement, les défendeurs ont fait part à la Cour de leur intention de déposer une requête en annulation du jugement par défaut et ont informé la Cour que la demanderesse n’avait pas donné son consentement.

[19] Les défendeurs ont déposé l’avis de la présente requête et le dossier à l’appui le 27 juillet2021.

IV. La question en litige

[20] La seule question à trancher est celle de savoir si le jugement par défaut devrait être annulé.

V. Analyse

[21] Conformément au paragraphe 399(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], la Cour peut, sur requête, annuler ou modifier toute ordonnance rendue sur requête ex parte si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue.

[22] Le critère à appliquer pour annuler un jugement par défaut obtenu ex parte est bien établi [voir, par exemple, Benchmuel c Gags N Giggles, 2017 CF 720 au paragraphe 32, citant Babis (Domenic Pub) c Premium Sports Broadcasting Inc, 2013 CAF 288]. La partie qui présente la requête doit convaincre la Cour : (1) qu’elle a une explication raisonnable justifiant son omission de déposer une défense; (2) qu’elle a une défense prima facie sur le fond à opposer à la demande du demandeur, et (3) qu’elle a promptement demandé l’annulation du jugement par défaut.

[23] Le critère à trois volets est conjonctif – pour que leur requête soit accueillie, les défendeurs doivent satisfaire à tous les volets du critère [Contour Optik Inc c E’lite Optik, Inc, 2001 CFPI 1431 au paragraphe 4]. S’il n’est pas satisfait à l’un de ces trois volets, cela suffit pour rejeter la requête.

[24] Pour satisfaire au premier volet du critère, à savoir expliquer pourquoi ils n’ont pas déposé de défense, les défendeurs se fondent sur les motifs suivants :

  1. La demanderesse a déposé la déclaration et la requête en injonction interlocutoire simultanément, ce qui les a contraints à prioriser la contestation de la requête, laquelle n’exigeait pas de déposer et de signifier une défense.

  2. Bien que la déclaration ait été déposée le 11 août 2020, ils ont reçu signification de la défense que le 27 octobre 2020, soit après la période de soixante (60) jours prévue à l’article 203 des Règles. Pour cette raison, ils ont eu l’impression que la demanderesse n’avait pas l’intention de poursuivre l’action promptement et qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’une défense soit déposée conformément à l’article 204 des Règles. Ils allèguent que cette impression a été renforcée par le fait que la demanderesse n’avait pas assuré le suivi avec eux en ce qui concerne le dépôt d’une défense.

  3. Après la requête en injonction interlocutoire, la demanderesse s’est faite [traduction] « silencieuse ». Les échanges ayant été ouverts et réguliers auparavant, ils ont eu l’impression que la demanderesse n’avait pas l’intention de poursuivre l’action promptement, et ils ont [traduction] « raisonnablement supposé que la demanderesse communiquerait son intention d’aller de l’avant avec l’action et exigerait une défense ».

  4. La demanderesse ne leur a pas signifié d’observations écrites après la délivrance de l’avis d’examen de l’état de l’instance, comme le prévoit l’article 382(1) des Règles, ce qui leur a donné l’impression que l’action serait rejetée pour cause de retard.

[25] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, les défendeurs font valoir qu’ils ont une solide défense prima facie à opposer à la demande de la demanderesse. Ils se fondent sur les décisions de la Cour et de la Cour d’appel fédérale, dans lesquelles la question du droit d’auteur de la demanderesse relatif au système a déjà été tranchée et où l’originalité de celui‑ci a été jugée insuffisante [TREB c Commissaire de la concurrence; Toronto Regional Real Estate Board v IMS Incorporated et al, (7 avril 2021), Toronto, CF T‑900‑20 [la requête en radiation]].

[26] Les défendeurs font aussi valoir que la demanderesse n’a pas présenté de faits pertinents et ne peut établir que Gabriel Stefanescu a agi d’une manière qui engage sa responsabilité personnelle.

[27] Pour satisfaire au troisième volet du critère, les défendeurs fournissent une preuve des mesures immédiates qu’ils ont prises à l’égard du jugement par défaut.

[28] Les défendeurs, en plus de faire valoir qu’ils ont satisfait aux trois volets du critère requis pour annuler un jugement par défaut, ajoutent que la demanderesse a manqué à son obligation de divulgation complète et franche dans le contexte de sa requête ex parte. Ils affirment que la demanderesse ne s’est pas acquittée de cette obligation de divulgation stricte requise dans le contexte d’une requête ex parte, parce qu’elle n’a ni fait parvenir l’avis d’examen de l’état de l’instance ni avisé la Cour qu’elle ne leur avait pas signifié les observations écrites contenues dans son dossier, comme l’exige le paragraphe 382(1) des Règles.

[29] Les défendeurs affirment aussi que la demanderesse a manifestement et volontairement manqué à son obligation de divulgation complète et franche en ne répondant ni au courriel du 7 avril ni à la demande de consentement à la présente requête, ainsi qu’en gardant le silence et en communiquant à leur insu avec la Cour, et ce, délibérément.

[30] À l’audience, les défendeurs ont aussi invoqué, pour la première fois, la jurisprudence de l’Ontario pour étayer davantage leurs arguments. La jurisprudence ontarienne ajoute un volet au critère applicable à une requête en annulation d’un jugement par défaut, volet selon lequel la Cour doit examiner l’effet de toute ordonnance qu’elle pourrait rendre sur l’intégrité globale de l’administration de la justice [2437021 Ontario Inc v Axim Centre Inc and Ahmed Abou‑Gabal, 2017 ONSC 7054 [Axim], citant Intact Insurance Company v Kisel, 2015 ONCA 205]. Les défendeurs s’inspirent aussi du guide Principles of Civility for Advocates de l’Ontario et invoqué le Code de déontologie pour démontrer que [traduction] « l’avocat ne devrait pas inscrire un défaut ou demander un rejet sans en informer d’abord l’avocat de la partie adverse, en supposant que son identité soit connue » [Axim au paragraphe 24].

[31] Bien que la jurisprudence de l’Ontario soit souvent pertinente pour la Cour, ce facteur précis concernant l’annulation d’un jugement par défaut n’est pas de ceux habituellement pris en considération par la Cour. Je juge qu’il devrait néanmoins l’être, puisqu’on le retrouve à l’article 3 des Règles, lequel impose d’interpréter et d’appliquer les Règles de façon à permettre d’apporter une solution sur le fond du litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[32] En ce qui concerne le premier volet du critère, la demanderesse affirme que les défendeurs n’ont produit aucune preuve démontrant qu’il existe une explication raisonnable à leur omission de déposer une défense – ils se fondent sur de simples affirmations qu’ils n’ont pas accompagnées d’une déclaration sous serment.

[33] Même si une preuve avait été produite, la demanderesse affirme que l’explication serait tout de même déraisonnable. Les défendeurs ont reçu signification de la déclaration et de la requête en injonction interlocutoire le 28 octobre 2020. Ils ont retenu les services d’avocats et ils ont contesté la requête en injonction. Alors que l’injonction était en instance, ils ont laissé expirer le délai pour déposer une défense qui est prévu par les Règles. Il est déraisonnable de soutenir, comme ils le font, que prioriser la requête interlocutoire constitue un motif justifiant le retard. Ils n’ont jamais signalé leur intention de déposer une défense avant le dépôt de la présente requête et ils n’ont toujours pas versé de projet de défense dans leur dossier. Ils se fondent plutôt sur des suppositions concernant l’action de la demanderesse, suppositions au sujet desquelles ils n’ont pas pris la peine d’effectuer des vérifications minimales.

[34] La demanderesse affirme qu’elle n’a pas à [traduction] « assurer le suivi » avec les défendeurs, que le paragraphe 210(2) des Règles permet de déposer une requête en jugement par défaut sans préavis, et que l’article 145 des Règles n’exige pas qu’elle signifie de tels documents aux défendeurs. De plus, les défendeurs ne peuvent fonder une explication raisonnable sur le courriel du 7 avril : l’avis d’examen de l’état de l’instance les a informés de leur défaut. La demanderesse affirme qu’ils ont fait preuve d’aveuglement volontaire et d’un mépris du processus judiciaire en ne déposant pas de défense.

[35] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la demanderesse affirme que les défendeurs n’ont pas de défense prima facie. Elle affirme que les défendeurs n’ont produit aucune preuve pour réfuter ses allégations et qu’ils semblent avoir reconnu qu’ils accèdent au système. Plutôt que de présenter une preuve, ils se fondent sur l’arrêt TREB c Commissaire de la concurrence et sur la requête en radiation (elle‑même fondée sur l’arrêt TREB c Commissaire de la concurrence). La demanderesse soutient que cet arrêt découle d’une demande présentée par le Commissaire de la concurrence en 2011 dans des circonstances différentes, et qu’il ne s’applique pas en l’espèce.

[36] De plus, la demanderesse affirme qu’elle n’a pas manqué à son obligation de divulgation complète et franche. Les éléments décrits comme manquants par les défendeurs faisaient partie du dossier de la Cour ou n’étaient ni pertinents ni importants. Leur inclusion n’aurait rien changé à l’issue, alors, même s’il est conclu qu’ils devaient être inclus, leur omission commise par inadvertance et de bonne foi n’a causé aucun préjudice aux défendeurs.

[37] La demanderesse fournit aussi une preuve démontrant que les défendeurs ont contrevenu aux ordonnances rendues conformément au jugement par défaut, ce qui constituerait selon elle un abus de procédure.

A. Le jugement par défaut devrait‑il être annulé?

(1) Les défendeurs ont‑ils fourni une explication raisonnable justifiant leur omission de déposer une défense?

[38] Les défendeurs affirment qu’ils ont toujours eu l’intention de contester l’action. Cependant, sans explication raisonnable, ils n’ont toujours pas déposé de défense, et ils n’ont pas déposé de projet de défense dans le cadre de la présente requête.

[39] Les défendeurs invoquent le fait que la demanderesse a déposé la déclaration en retard, en même temps qu’une requête en injonction interlocutoire, comme motif justifiant leur omission. Leur position, à savoir qu’ils avaient l’intention de déposer une défense, mais qu’ils ne l’ont pas fait parce qu’ils ont priorisé la défense relative à la requête interlocutoire, est sans fondement rationnel.

[40] Quant à la période suivant la conclusion de la requête en injonction interlocutoire, les défendeurs invoquent ensuite le silence de la demanderesse comme motif justifiant leur omission de déposer une défense. Il n’est ni logique ni raisonnable d’invoquer, comme le font les défendeurs, d’une part, le manque de temps, et, d’autre part, un surplus de temps, pour justifier leur omission.

[41] En outre, l’allégation selon laquelle les défendeurs s’attendaient à ce que la demanderesse [traduction] « assure le suivi » avec eux en ce qui concerne leur exercice du droit est contraire au bon sens. Quels que soient les actes de la demanderesse, les défendeurs connaissent les règles et les délais de la Cour.

[42] La Cour a délivré un avis d’examen de l’état de l’instance le 18 mars 2021. Les défendeurs n’ont pas déposé de défense, n’ont pas demandé de prorogation du délai pour déposer une défense et n’ont pas fourni de preuve démontrant qu’ils avaient l’intention de le faire.

[43] Néanmoins, la demande d’injonction rejetée, les conclusions de la Cour d’appel fédérale et de la Cour selon lesquelles le système n’est pas protégé par un droit d’auteur valide, et l’absence de réponse de la demanderesse au courriel du 7 avril ont fourni aux défendeurs des motifs raisonnables de supposer que la demanderesse ne donnait pas activement suite à la présente action et constituent une sorte d’explication, quoique peu convaincante, au fait qu’ils tardent à déposer une défense.

[44] Les défendeurs ont satisfait au premier volet du critère à appliquer pour annuler une ordonnance de jugement de défaut.

(2) Les défendeurs ont‑ils une défense prima facie sur le fond?

[45] Les défendeurs se fondent sur l’arrêt TREB c Commissaire de la concurrence. Cet arrêt de la Cour d’appel fédérale découle d’une décision rendue par le Tribunal de la concurrence en 2011. La requête en radiation se fonde aussi sur l’arrêt TREB c Commissaire de la concurrence. Cependant, il y a lieu de se demander si les faits et la décision dans cette affaire ne s’appliqueraient pas à la présente action, d’après les faits dont dispose actuellement la Cour.

[46] Bien que la requête en injonction interlocutoire de la demanderesse ait été rejetée, comme il a été indiqué ci‑dessus, la Cour n’a pas conclu qu’il n’y avait pas de question sérieuse à juger. De plus, je suis également convaincu, à première vue, que la demanderesse a établi qu’il existait un droit d’auteur relatif au système et qu’elle en était la titulaire, comme je l’ai affirmé dans mon ordonnance et mes motifs à l’égard du jugement par défaut [au paragraphe 13].

[47] Toutefois, compte tenu des conclusions de la Cour d’appel fédérale et de la Cour mentionnées ci‑dessus, selon lesquelles il n’existe pas de droit d’auteur relatif au système de la TREB qui leur était alors soumis, de sérieuses questions se posent concernant le bien‑fondé de la réclamation de la demanderesse dans le cadre de la présente action. Pour cette raison, je conclus que les défendeurs ont une défense prima facie.

[48] Les défendeurs ont satisfait au deuxième volet du critère.

(3) Les défendeurs ont‑ils présenté leur requête dans un délai raisonnable?

[49] Ce troisième volet du critère n’est pas en cause en l’espèce. D’après la preuve, il ne fait aucun doute que les défendeurs ont promptement présenté la présente requête.

(4) Est‑ce que la demanderesse a manqué à son obligation de divulgation complète et franche?

[50] En présentant une requête ex parte, la demanderesse a accepté l’exceptionnelle obligation de divulgation complète et franche. Une telle exigence en matière de divulgation est requise pour atténuer le risque d’injustice inhérent à une affaire dans laquelle un juge peut rendre une ordonnance après n’avoir entendu qu’une des parties [TMR Energy Ltd c Ukraine (State Property Fund), 2005 CAF 28 au paragraphe 64, citant United States c Friedland, [1996] O.J. No 4399 (Div. gén. Ont.)].

[51] Les défendeurs affirment que la demanderesse a manqué à son obligation en ne divulguant pas l’avis d’examen de l’état de l’instance, ou l’état de ses observations écrites en réponse à l’avis de révision de l’état de l’instance, dans ses documents de requête en jugement par défaut. De plus, la demanderesse n’a pas répondu au courriel du 7 avril envoyé par les défendeurs.

[52] La demanderesse avait le droit de présenter la requête ex parte en jugement par défaut, mais, comme je l’ai affirmé dans l’ordonnance et les motifs du jugement par défaut, il aurait été plus prudent d’aviser les défendeurs [au paragraphe 15]. Compte tenu de la preuve supplémentaire que représente le courriel du 7 avril envoyé par les avocats des défendeurs, cela est encore plus vrai.

[53] De plus, le paragraphe 382(1) des Règles prévoit que, si l’action fait l’objet d’un avis d’examen de l’état de l’instance, le demandeur doit signifier et déposer, dans les quinze jours de la date de l’avis d’examen de l’état de l’instance, ses prétentions énonçant les raisons pour lesquelles l’instance ne devrait pas être rejetée pour cause de retard.

[54] La demanderesse n’a pas signifié de telles prétentions. De plus, comme il est indiqué ci‑dessus, elle n’a pas répondu au courriel du 7 avril dans lequel les défendeurs s’informaient de ses intentions concernant l’avis d’examen de l’état de l’instance.

[55] Bien que j’aie conclu que le jugement par défaut devrait être annulé, la présente décision ne signifie nullement qu’il est admis ou accepté que les défendeurs ne déposent pas de défense en temps opportun et conformément aux Règles. Les deux parties ont accusé les avocats adverses de ne pas avoir procédé de façon appropriée dans la présente affaire. Je ne suis pas convaincu que de telles déclarations des parties soient justifiées, du moins, pas au point où elles le plaident, mais, en tout état de cause et comme je l’ai dit à l’audience, il n’y a guère d’excuses valables justifiant que les défendeurs ne déposent pas la défense conformément aux Règles.

[56] Bien que, par les présentes, le jugement par défaut soit annulé, chacun des défendeurs devra déposer et signifier sa défense d’ici le lundi 15 novembre 2021.

[57] Les parties ont verbalement demandé les dépens : les défendeurs demandent une indemnisation intégrale de 20 000 $, et la demanderesse réclame qu’on lui accorde 5 000 $, quelle que soit la décision, conformément au tarif. J’adjuge à l’encontre des défendeurs le montant de 5 000 $ au titre des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑898‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La requête en annulation du jugement par défaut est accueillie;

  2. Chacun des défendeurs doit déposer et signifier sa défense d’ici le lundi 15 novembre 2021, et aucune prorogation ne sera accordée;

  3. Le montant de 5 000$ est accordé à la demanderesse au titre des dépens..

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T‑898‑20

 

INTITULÉ :

LA TORONTO REGIONAL REAL ESTATE BOARD c R E STATS INC., faisant affaire sous le nom de REDATUM, KENNETH DECENA et GABRIEL STEFANESCU

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

MELANIE BAIRD

SANJIT RAJAYER

POUR LA DEMANDERESSE

 

JOHN SIMPSON

STEPHEN COOLEY

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BLAKE, CASSELS & RAYDON, s.r.l.

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

SHIFT LAW P.C.

TORONTO (ONTARIO)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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